République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 04/05/2023
****
N° de MINUTE :
N° RG 21/02382 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TSX6
Jugement (N° 19/04190) rendu le 03 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Lille
APPELANT
Monsieur [G] [U]
né le 18 septembre 1991 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 5]
[Localité 4]
représenté par Me Gérald Malle, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
INTIMÉ
Monsieur [H] [M]
né le 04 août 1992 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Marion Nivelle, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
DÉBATS à l’audience publique du 08 décembre 2022 tenue par Camille Colonna magistrat chargé d’instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 4 mai 2023 après prorogation du délibéré en date du 09 mars 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 novembre 2022
****
Par acte authentique du 8 décembre 2012, M. [N] [M] et Mme [S][W], son épouse, ont donné à leur fils, M. [H] [M], un appartement situé [Adresse 1] à [Localité 6], cet acte stipulant au profit des donateurs un droit de retour sur le bien donné ou sur ceux qui en seraient la représentation pour le cas où le donataire viendrait à décéder sans postérité avant eux et le cas où les enfants ou descendants du donataire viendraient à décéder sans postérité avant les donateurs.
Le 12 octobre 2018, M. [H] [M] et M. [G] [U] ont signé une promesse synallagmatique de vente portant sur cet appartement moyennant le prix de 200’000 euros, outre les frais de négociation de la SARL Cabinet Lorieux et les frais de l’acte notarié, stipulant notamment une condition suspensive d’obtention d’un prêt au bénéfice de l’acquéreur, le versement par celui-ci d’un dépôt de garantie de 10’000 euros entre les mains de la SARL Cabinet Lorieux, constituée séquestre, et une clause pénale prévoyant le versement d’une somme de 20 000 euros en cas de refus de l’une des parties de régulariser la vente.
Le notaire de M. [U] ayant attiré l’attention de celui-ci sur les dangers de la clause de retour figurant dans le titre de propriété de M. [H] [M] et ce dernier ayant alors demandé sans succès à ses parents de renoncer à ladite clause, la vente n’a pas été réitérée par acte authentique.
M. [U] a fait assigner M. [M] devant le tribunal judiciaire de Lille en paiement principalement de la somme de 20 000 euros et la SARL Cabinet Lorieux en restitution du dépôt de garantie et paiement, seul ou in solidum avec le vendeur, de la somme de 20 000 euros.
Par un jugement contradictoire du 3 mars 2021, le tribunal a :
– débouté M. [U] de sa demande en paiement de la clause pénale formée à l’encontre de M. [M],
– condamné la SARL Cabinet Lorieux à payer à M. [U] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
– condamné la SARL Cabinet Lorieux à lui restituer la somme de 10 000 euros séquestrée entre ses mains en application du compromis de vente reçu par elle le 12 octobre 2018,
– condamné la SARL Cabinet Lorieux à payer à M. [M] la somme de 1 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral,
– condamné la SARL Cabinet Lorieux à payer à M. [U] la somme de 2 500 euros au titre de ses frais irrépétibles,
– condamné la SARL Cabinet Lorieux à payer à M. [H] [M] la somme de 1 000 euros au titre de ses frais irrépétibles,
– débouté les parties de leurs autres demandes,
– condamné la SARL Cabinet Lorieux aux entiers dépens de l’instance.
Moyens
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour débouter M. [U] de sa demande de condamnation de M. [M] à lui payer la somme de 20’000 euros, les premiers juges ont retenu que, l’absence de régularisation de la vente étant due à l’existence de la clause de retour dans le titre de propriété du vendeur, considérée comme un obstacle, et non à un refus de ce dernier de régulariser la vente, M.'[U] ne pouvait se prévaloir de la clause pénale.
Le fondement de la demande de M. [U] était peut-être ambigu en première instance puisque le jugement mentionne que celle-ci était la condamnation de M. [M] à lui payer 20’000 euros de dommages et intérêts, en application de la clause pénale.
Il ressort en revanche clairement des conclusions de l’appelant devant la cour qu’il se place aujourd’hui sur le terrain de la responsabilité.
C’est donc sous cet angle qu’il convient d’examiner sa demande en paiement, étant ici rappelé que si l’article 564 du code de procédure civile prohibe les demandes nouvelles en cause d’appel, l’article 565 précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
***
L’article 1112-1 du code civil dispose notamment que celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ; qu’ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ; qu’outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.
En l’espèce, il n’est pas contesté que l’existence de la clause de retour stipulée à l’acte de donation-partage dont M. [M] tirait l’origine de sa propriété n’a été révélée à l’acquéreur qu’après la signature du compromis de vente et qu’elle est la cause du défaut de réitération de la vente.
M. [M] ne peut se prévaloir valablement de sa propre ignorance du contenu du titre dont il tient son droit de propriété.
Un courrier de Me'[L], notaire de l’appelant, du 27 mars 2019 présente les effets de la clause de retour comme « très dangereux et inacceptables pour M.'[U]’». M.'[M] écrivait dans ses conclusions de première instance, ainsi que le rapporte le jugement, que la présence de cette clause avait conduit tant Me'[L] que Me [E], notaire dont le concours avait été sollicité par lui-même, à faire renoncer les parties à la régularisation de l’acte authentique. Si l’intimé conteste la pertinence de ce conseil en se prévalant d’un avis du CRIDON, dont les parties n’avait pas connaissance à l’époque, la discordance entre cet avis et la position des deux notaires des parties, à laquelle s’ajoute le retrait par la banque de son concours financier à la découverte de cette stipulation, permet de considérer que cette clause méritait à tout le moins un débat et que le vendeur avait l’obligation d’attirer sur elle l’attention de son cocontractant. Au demeurant, l’analyse du CRIDON concluant que la clause de retour prévue à l’acte de donation, en ce qu’elle porte sur « le bien donné ou sur ceux qui en seront la représentation’», ne comportait pas de risque pour l’acquéreur dès lors que le donateur était amené à exercer son droit de retour, si le bien avait été aliéné, sur le prix de vente ou l’objet du remploi de celui-ci, ne paraît pas exclure tout risque de revendication du bien lui-même, notamment dans l’hypothèse où les fonds provenant de l’aliénation n’auraient pas fait l’objet d’un remploi et auraient été dilapidés.
Le manquement de M. [M] à son devoir d’information au regard de l’article 1112-1 précité est donc caractérisé et engage sa responsabilité à l’égard de M.'[U].
Ce dernier justifie d’un préjudice indemnisable résultant de la non-réitération de la vente, caractérisé par l’immobilisation indue du séquestre empêchant un investissement immobilier et sa déception née de l’abandon du projet immobilier envisagé et pour le succès duquel il avait entrepris des démarches (demande de crédit, achat d’une place de stationnement à proximité de l’appartement), étant précisé toutefois que ce préjudice se confond avec celui dont il a obtenu l’indemnisation par la SARL Cabinet Lorieux aux termes du jugement de première instance et dont la réparation a été justement estimée par l’allocation d’une somme de 5000 euros.
En conséquence, il convient d’infirmer le chef de jugement critiqué et, statuant à nouveau, de condamner M. [M] à payer à M. [U] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice, M. [M] étant tenu in solidum de cette indemnisation avec la SARL Cabinet Lorieux condamnée au même titre aux termes du jugement déféré.
M. [M], partie perdante, doit être condamné aux dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile ; il est en outre équitable qu’il indemnise l’appelant, par application de l’article 700 du même code, des autres frais que celui-ci a exposés pour assurer la défense de ses intérêts et soit lui-même débouté de sa demande sur ce fondement.
Dispositif
PAR CES MOTIFS
La cour
infirme le jugement entrepris en ce qu’il a « débouté M. [U] de sa demande en paiement de la clause pénale formée à l’encontre de M. [M]’»,
statuant à nouveau,
condamne M. [H] [M] à payer à M. [G] [U] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice, M. [M] étant tenu in solidum de cette indemnisation avec la SARL Cabinet Lorieux condamnée au même titre par jugement du tribunal judiciaire de Lille du 3 mars 2021,
le déboute de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
le condamne aux dépens de l’instance d’appel et au paiement à M. [U] d’une indemnité de 2500 euros par application dudit article 700.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet