Le Directeur de collection rémunéré en droits d’auteur mais qui ne prouve pas sa qualité d’auteur expose sa société à un redressement de l’URSSAF. Il est impératif que le directeur de collection prouve un niveau suffisant de participation intellectuelle à la création des oeuvres pour pouvoir admettre que ce travail puisse relever du régime de sécurité sociale des auteurs.
De simples modifications de type orthographique
En l’espèce, même s’il ressort, à ce stade de l’instance, que le travail de M. [Y] [M] va bien au-delà de simples modifications de type orthographique relevées par le tribunal, pour autant la preuve n’est pas rapportée qu’il ressorte d’un véritable travail de création personnelle pouvant permettre de lui reconnaître le rôle d’auteur de ces oeuvres réalisées pendant les années 2015 et 2016, période du contrôle litigieux.
En l’occurrence, la lecture attentive des ces pièces permettent de constater que si M. [Y] [M] adresse des remarques, formule des propositions et des recommandations sur plusieurs plans de la réalisation de l’oeuvre de M. [U] [E], ce dernier reste toujours maître d’accepter et de suivre ou non ce qui ne constituent en fait que des suggestions de la part du directeur de collection, mais aussi qui ne sont absolument pas à l’origine de l’idée même de l’oeuvre, de son essence qui reste le fruit du travail intellectuel et artistique du seul auteur de ces ouvrages, M. [U] [E].
Par ses réponses, M. [U] [E] montre qu’il reste maître de la forme et surtout du fond de l’oeuvre et que le travail de M. [Y] [M] n’est pas de l’inspirer dans l’aspect créatif, mais uniquement de l’accompagner dans l’organisation essentiellement matérielle pour obtenir un travail de qualité, quelque peu débarrassé des contigences techniques et matérielles.
Il apparaît que le travail du directeur de collection a bien été, comme prévu au contrat du 10 décembre 2013, de participer avec l’auteur à la création des oeuvres. Il n’inspire pas l’oeuvre, mais aide à la rendre accessible, cohérente et compréhensible au public comme cela apparaît clairement dans les échanges entre les deux personnes :
Ainsi, il n’est pas établi, conformément aux notes émises en 1996 et 2012 par l’AGESSA invoquées au soutien de l’appel, un niveau suffisant de participation intellectuelle à la création des oeuvres pour pouvoir admettre que ce travail puisse relever du régime de sécurité sociale des auteurs.
Redressement de l’URSSAF confirmé
C’est donc à bon droit que l’URSSAF et l’AGESSA soutiennent que les sommes versées par la société d’édition à M. [Y] [M] en 2015 et 2016 sous l’intitulé ‘droits d’auteur’ doivent être requalifiées en salaires assujettis aux cotisation sociales du régime général.
La preuve à la charge de l’URSSAF
En premier lieu, il appartient à l’organisme du recouvrement qui entend procéder à la réintégration des sommes versées par un donneur d’ordre à une personne physique bénéficiant de la présomption de non salariat, de rapporter la preuve de ce lien de subordination juridique (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n° 20 13.944).
Le lien de subordination, qui constitue le critère essentiel du contrat de travail, est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail . L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait, dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
Au-delà de cette première condition, il convient également pour régler le présent litige d’analyser la nature réelle de réalité de l’activité de M. [Y] [M] au sein de la société d’édition.
L’affiliation au régime de la sécurité sociale
L’article R. 382-2 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable à la période du contrôle litigieux, dispose que :
‘Entrent dans le champ d’application du présent chapitre les personnes dont l’activité, relevant des articles L. 112-2 ou L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle, se rattache à l’une des branches professionnelles suivantes :
1°) Branche des écrivains :
-auteurs de livres, brochures et autres écrits littéraires et scientifiques ;
-auteurs de traductions, adaptations et illustrations des oeuvres précitées ;
-auteurs d’oeuvres dramatiques ;
-auteurs d’oeuvres de même nature enregistrées sur un support matériel autre que l’écrit ou le livre ; (…)’.
L’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
‘Sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit au sens du présent code :
1° Les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ;
2° Les conférences, allocutions, sermons, plaidoiries et autres oeuvres de même nature ;
3° Les oeuvres dramatiques ou dramatico-musicales ;
4° Les oeuvres chorégraphiques, les numéros et tours de cirque, les pantomimes, dont la mise en oeuvre est fixée par écrit ou autrement ;
5° Les compositions musicales avec ou sans paroles ;
6° Les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble oeuvres audiovisuelles ;
7° Les oeuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie;
8° Les oeuvres graphiques et typographiques ;
9° Les oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie ;
10° Les oeuvres des arts appliqués ;
11° Les illustrations, les cartes géographiques ;
12° Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences ;
13° Les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire ;
14° Les créations des industries saisonnières de l’habillement et de la parure. Sont réputées industries saisonnières de l’habillement et de la parure les industries qui, en raison des exigences de la mode, renouvellent fréquemment la forme de leurs produits, et notamment la couture, la fourrure, la lingerie, la broderie, la mode, la chaussure, la ganterie, la maroquinerie, la fabrique de tissus de haute nouveauté ou spéciaux à la haute couture, les productions des paruriers et des bottiers et les fabriques de tissus d’ameublement.’.
Selon l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, en sa rédaction applicable à la période du contrôle litigieux : ‘Sont notamment compris parmi les personnes auxquelles s’impose l’obligation prévue à l’article L. 311-2, même s’ils ne sont pas occupés dans l’établissement de l’employeur ou du chef d’entreprise, même s’ils possèdent tout ou partie de l’outillage nécessaire à leur travail et même s’ils sont rétribués en totalité ou en partie à l’aide de pourboires : (…)
23° Les présidents et dirigeants des sociétés par actions simplifiées et des sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées ; (…)’.
L’article L. 311-2 du même code prévoyait à la même période que : ‘Sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales, les personnes salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat.’
Le statut particulier du directeur de collection
Selon les notes émises par l’AGESSA en 1996 et 2012, le simple fait qu’un travail soit produit dans un poste dénommé directeur de collection dans une maison d’édition ne rend pas l’affiliation au régime de sécurité sociale des auteurs automatique et définitive :
- ‘cette dernière catégorie [directeur de collection] peut relever du régime de sécurité sociale des auteurs, sous réserve de l’examen de la situation par l’AGESSA.’,
- ‘Cas particulier : sous réserve d’une appréciation individuelle des situations par l’AGESSA, et notamment des contrats, peuvent être affiliables les rédacteurs-adaptateurs (rewriters) et direction de collection dont le niveau de participation intellectuelle à la création est suffisamment établi.’.
Le fait que M. [Y] [M] ait pu relever dans le passé du régime de sécurité sociale des auteurs alors qu’il était salarié d’une autre entreprise d’édition et en collaboration avec le même auteur, n’est pas suffisant pour établir que ses conditions de travail sont identiques et réunies au présent cas d’espèce pour la période du contrôle contesté.
Cumul avec la qualité de dirigeant
En l’espèce M. [Y] [M] est à la fois président de la société [9] et, selon contrat du 10 décembre 2013 conclu entre la société et M. [Y] [M] (pièce 4 quater), directeur de collection.
M. [Y] [M] et la société conviennent dès lors avoir chacun une individualité distincte leur permettant de signer un tel contrat créant des liens entre eux.
L’article 1 de ce contrat stipule :
‘L’Editeur a décidé de la création intitulée ‘Images'(ci-après la ‘Collection’), destinée à regrouper :
- les romans graphiques ‘L’Arabe du Futur’ et ‘L’Arabe du Futur 2″, à remettre au plus tard le 1er mars 2014 pour ‘L’Arabe du Futur’ et le 1er octobre 2014 pour ‘L’Arabe du Futur 2″, et dont le Directeur de Collection a participé à la création en collaboration avec l’auteur [U] [E] ;
- et les futurs romans graphiques créés en collaboration avec le Directeur de Collection conformément aux termes du présent contrat.
L’Editeur confie la conception, le développement et la direction de la Collection au Directeur de Collection qui l’accepte.
Les contrats relatifs aux droits de propriété littéraire et artistique des auteurs sur les oeuvres publiées dans le cadre de la collection (ci-après les ‘Oeuvres’) seront directement conclus entre l’Editeur et les auteurs.’.
Cette première disposition du contrat permet déjà de vérifier plusieurs points importants quant au cadre et la nature juridiques du travail fourni par M. [Y] [M] pour le compte de la société d’édition :
- l’éditeur est la société d’édition, personne morale, qui a décidé de la création de la collection et dont il confie la direction au directeur de collection,
- le directeur de collection ‘participe à la création’ avec l’auteur, il n’est donc pas auteur ou co-auteur,
- les droits de propriété littéraire et artistique ne sont conclus qu’entre l’éditeur et l’auteur, à l’exclusion du directeur de collection.
Ainsi, outre le fait que M. [Y] [M] est salarié de la société en qualité de président, percevant un salaire de ce chef (pièce 3), il ressort de cet article 1, ci-dessus transcrit, qu’un véritable lien de subordination supplémentaire est créé entre M. [Y] [M] et la société d’édition.
L’article 2 du contrat du 10 décembre 2013 confirme l’existence de ce lien de subordination en ce qu’il précise les missions et les obligations exactes du directeur de collection vis à vis de la société d’édition, cadre très contraignant pour le directeur, dont les obligations sont plus nombreuses et détaillées, de façon plus directive que celles incombant à l’éditeur, essentiellement relatives à la rémunération du directeur (article 9) et à la fabrication et la diffusion des ouvrages édités (article 5) et qui dispose seul du pouvoir de déterminer les orientations futures de la collection.
Le fait que M. [Y] [M] soit le dirigeant de la société qui l’emploie en qualité de président n’est pas de nature à annihiler toute notion et existence d’un lien de subordination.
En effet, en ayant choisi la forme sociale pour créer et faire exister la maison d’édition pour exercer le métier d’éditeur, M. [Y] [M] s’est en fait et en droit placé sous l’autorité d’une personne morale différente de lui, douée d’une personnalité et d’une existence propres, même s’il en est le dirigeant, ayant en outre apporté ses actions à l’actif de la société civile [10] (pièce 11) se dépossédant encore une fois d’un pouvoir personnel au bénéfice d’une seconde personne morale.