A l’image des cabinet d’investissement, les cabinets d’avocats doivent aussi attirer l’attention de leurs clients sur l’hypothèse d’une perte totale ou partielle de l’investissement envisagé (contrat de cession d’actions).
L’avocat rédacteur d’acte
En vertu des dispositions prévues par l’article 1231-1 du code civil l’avocat rédacteur d’acte est tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d’une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues.
Obligation d’information claire
L’existence d’une clause claire dans l’acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s’y attachent. Par ailleurs celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation
En la cause, a été sanctionné le choix rédactionnel du cabinet d’avocat avec des clauses de style particulièrement difficiles à comprendre, dont il ne peut être dénié le caractère complexe, nécessitait de la part du cabinet qu’il explique clairement aux parties l’économie générale de la promesse de vente et du pacte d’associés ainsi que les effets concrets et les risques des stipulations convenues.
Le cabinet ne justifie cependant pas avoir satisfait cette obligation de conseil qui pèse sur lui en sa qualité de rédacteur unique des actes.
Présence d’un autre cabinet
La présence d’un autre cabinet ne dispense pas le rédacteur de l’acte, de son devoir de conseil, ce d’autant qu’il n’est produit aucun élément permettant d’établir que l’avertissement a été donné au vu des stipulations contractuelles précisément rédigées par le cabinet qui permettaient à la société Brigepoint, investisseur principal, de récupérer les actions d’un manager après son éviction du groupe pour une somme dérisoire.
Le client était donc fondé à préciser que l’avertissement donné était d’autant plus insuffisant qu’il s’agissait d’une clause de style de portée générale sans aucun lien avec les actes qui ont été proposés à sa signature deux mois plus tard et que le reste du document établi par le cabinet conjoint de l’affaire, notamment dans sa partie ‘aspects financiers’ ne faisait que présenter des hypothèses favorables avec plusieurs graphiques ne présentant que des courbes ascendantes sans qu’il y soit évoqué l’hypothèse d’une perte totale ou partielle de l’investissement envisagé.
Responsabilité du cabinet engagée
Il en résulte que c’est à bon droit que le premier juge a considéré que le cabinet n’a pas satisfait à son obligation de conseil et de mise en garde et il ne peut valablement s’exonérer de sa responsabilité en invoquant l’expérience professionnelle de son client dès lors que les compétences professionnelles des parties aux actes qu’il a rédigés ne le dispensent pas des obligations mises à sa charge.
ARRET
N°
Société DLA PIPER FRANCE LLP
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
S.A. MMA IARD
C/
[D] [O]
CD/SGS/VB
COUR D’APPEL D’AMIENS
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU VINGT SIX JANVIER
DEUX MILLE VINGT TROIS
Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/02956 – N° Portalis DBV4-V-B7F-ID6E
Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE
SENLIS DU DIX HUIT MAI DEUX MILLE VINGT ET UN
PARTIES EN CAUSE :
Société DLA PIPER FRANCE LLP, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 7] (ROYAUME-UNI)
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 6]
S.A. MMA IARD immatriculée au RCS de LE MANS
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentées par Me Franck DERBISE de la SCP LEBEGUE DERBISE, avocat au barreau D’AMIENS
Plaidant par Me LACLAVIERE, avocat au barreau de PARIS
APPELANTES
ET
Monsieur [L] [X] [D] [O]
né le [Date naissance 2] 1965
de nationalité Espagnole
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Hervé SELOSSE-BOUVET, avocat au barreau D’AMIENS
Plaidant par Me CUNY, avocat au barreau de PARIS
INTIME
DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :
L’affaire est venue à l’audience publique du 24 novembre 2022 devant la cour composée de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, Mme Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.
A l’audience, la cour était assistée de Mme Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.
Sur le rapport de Madame Christina DIAS DA SILVA et à l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
PRONONCÉ :
Le 26 janvier 2023, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, et Mme Vitalienne BALOCCO, greffière.
*
* *
DECISION :
M. [L] [X] [D] [O] a rejoint le groupe 5ASEC en 1991, d’abord au sein d’une société espagnole franchisée puis depuis 2003 au sein de la filiale espagnole en qualité de directeur général. En plus de cette fonction il a été nommé en 2015 directeur général France chargé de la franchise puis en 2017 directeur international et franchise du groupe.
En mars 2017, la société de gestion Bridgepoint, qui gère des fonds d’investissement, a envisagé d’investir dans le groupe 5ASEC et a proposé un montage visant à faire participer les ‘managers’ du groupe dont notamment M. [D] [O]. Ces derniers ont été conviés à une présentation générale du projet par le cabinet d’avocats Scotto Partners le 26 juillet 2017.
L’offre de la société Bridgepoint a été acceptée et le fonds d’investissement BDC III FIPS, géré par celle-ci a créé la société Financière Hygie qui avait vocation à détenir 100 % des actions du groupe 5ASEC.
Ce nouvel actionnaire a créé des sociétés dédiées à l’investissement des ‘managers’ dénommées 5SMI et 5SMII, détenant des participations minoritaires dans la société Financière Hygie.
M. [D] [O] a investi la somme de 51 300 euros dans la société 5SMI et celle de 43 700 euros dans la société 5SMII. Il a par ailleurs signé un pacte d’associés ainsi qu’une promesse de vente et d’achat, portant le logo DLA Piper, conseil de l’actionnaire principal, les actes étant datés du 17 octobre 2017.
Par décision du 27 mai 2019, M. [D] [O] a été révoqué de ses fonctions de directeur général de la société 5ASEC France.
Par lettre du 31 mars 2020 il a reçu du fonds BCD III FIPS une notification d’exercice de la promesse de vente de ses actions dans les sociétés 5SMI et 5SMII. Le prix de cession de ses actions, acquises pour la somme totale de 95 000 euros était évalué à un euro.
Par courrier recommandé du 26 avril 2020, le fonds d’investissement BDC III FIPS a notifié à M. [D] [O] son abandon de l’exercice de vente forcée.
Par un autre courrier ledit fonds a informé M. [D] [O] de la cession de l’intégralité des titres qu’il détenait au sein de la société Financière Hygie à un autre fonds d’investissement et lui a notifié l’exercice du droit de cession forcée, figurant à l’article 8.2 du pacte, le contraignant à céder ses titres à l’acquéreur au prix d’un euro.
Par courrier du 28 juillet 2020, M. [D] [O] a reproché au cabinet d’avocat DLA Piper, conseil de la société Bridgepoint, un manquement à son obligation de conseil, au motif qu’il était le rédacteur de l’acte. Ce dernier lui a répondu le 31 juillet 2020 que l’obligation de conseil pesait sur le cabinet Scotto Partners.
Suivant exploit délivré le 18 décembre 2020, M. [D] [O] a fait assigner la société DLA Piper France LLP aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 95 000 euros en réparation de son préjudice subi outre une indemnité de procédure.
Par jugement du 18 mai 2021, le tribunal judiciaire de Senlis a :
— rejeté la demande de la société DLA Piper France LLP, de la société d’assurance MMA IARD Assurances Mutuelles et de la SA MMA IARD, intervenants volontaires, tendant à la révocation de l’ordonnance de clôture et à la réouverture des débats,
— condamné la société DLA Piper France LLP à payer à M. [D] [O] la somme de 95 000 euros en réparation du préjudice subi et celle de 6 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné la société DLA Piper France LLP aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 2 juin 2021, la société DLA Piper France LLP, la compagnie d’assurance MMA IARD Assurances Mutuelles et la SA MMA IARD ont interjeté appel de cette décision.
Par exploit du 18 novembre 2021, M. [D] [O] a assigné en intervention forcée la SELARL Scotto Partners aux fins de la voir condamner in solidum avec le cabinet DLA Piper France à lui payer la somme de 95 000 euros en réparation de son préjudice subi.
Le cabinet Scotto Partners a demandé au conseiller de la mise en état de déclarer irrecevable l’intervention forcée pour absence d’évolution du litige.
Par ordonnance du 27 avril 2022 le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable ladite intervention forcée.
Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 14 juin 2022, la société DLA Piper France LLP ( ci-après le cabinet DLA Piper), la compagnie d’assurance MMA IARD Assurances Mutuelles et la SA MMA IARDdemandent à la cour de :
— les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,
— infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
— déclarer M. [D] [O] irrecevable et subsidiairement mal fondé en ses demandes,
— condamner M. [D] [O] à verser au cabinet DLA Piper la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil pour procédure abusive,
— condamner M. [D] [O] à verser au cabinet DLA Piper et aux sociétés MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner M. [D] [O] aux dépens sous le bénéfice des dispositions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
Ils font valoir à l’appui de leurs prétentions qu’en l’absence de lien de droit entre M. [D] [O] et le cabinet DLA Piper l’action du susnommé est irrecevable à défaut d’intérêt à agir.
Ils soutiennent qu’en l’absence d’obligation prééxitante, le cabinet DLA Piper n’a commis aucune faute à l’égard de M. [D] [O], n’étant tenu d’aucune obligation de conseil ni de celle de veiller à l’équilibre des intérêts des parties ; que ce cabinet n’était pas le rédacteur unique des actes litigieux.
Ils ajoutent qu’il n’existe pas de lien de causalité entre le préjudice allégué par M. [D] [O] et les fautes dont il se prévaut puisque son investissement était déjà en risque avant l’opération litigieuse et qu’il a bénéficié de tous les conseils nécessaires de la part du Cabinet Scotto et Associés pour comprendre la portée de ses engagements. Ils rappellent que l’indemnisation d’une perte de chance ne peut être égale à la totalité de la perte.
Aux termes de ses conclusions communiquées par voie électronique le 20 octobre 2022, M. [D] [O] demande à la cour de :
— confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
— y ajoutant,
— condamner la société DLA Piper France à lui verser la somme de 6 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens sous le bénéfice des dispositions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
Il fait valoir que son action est recevable et que contrairement aux affirmations des appelants il n’a bénéficié d’aucun conseil de la part du cabinet Scotto Partners, qu’il a perdu une somme de 95 000 euros dans une opération manifestement déséquilibrée à laquelle il a été contraint de participer ; que le cabinet DLA Piper, seul rédacteur unique des actes, était débiteur d’une obligation de conseil à laquelle il a manifestement manqué lui causant un préjudice dont il doit être indemnisé.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 novembre 2022 et l’affaire a été renvoyée pour être plaidée à l’audience du 24 novembre suivant.
MOTIFS DE LA DÉCISION
— sur la recevabilité de l’action
L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article 31 du même code indique que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Il résulte de ces textes qu’en l’absence de restriction légale, l’action est ouverte à tous ceux qui ont intérêt à être entendus sur le fond de leurs prétentions ou à discuter le bien-fondé de celles de leurs adversaires.
L’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, l’existence du droit invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès.
En l’espèce l’action engagée par M. [D] [O] tend à obtenir la réparation de son préjudice dont il considère que la responsabilité incombe au cabinet DLA Piper.
À l’évidence il dispose d’un intérêt à agir afin qu’une juridiction se prononce sur le bien fondé de sa demande. Le moyen d’irrecevabilité est dès lors mal fondé et doit être rejeté.
— sur le bien fondé de l’action
Ainsi que l’a rappelé à juste titre le premier juge, en vertu des dispositions prévues par l’article 1231-1 du code civil l’avocat rédacteur d’acte est tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d’une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues. L’existence d’une clause claire dans l’acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s’y attachent.
Par ailleurs celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation
Le pacte d’associés daté du 17 octobre 2017 signé entre la société BDC III FIPS et PRESSPRO en présence des sociétés 5 SM I, 5SM II et Financière Hygie porte l’en-tête du cabinet d’avocat DLA Piper. Il en est de même s’agissant de la promesse de vente et d’achat signée le même jour entre la société BDC III FIPS et M. [D] [O], en présence des sociétés 5 SM I, 5SM II. Ces actes ne contiennent aucune mention relative à la participation d’un autre cabinet d’avocat à leur rédaction.
Pour contester sa qualité de rédacteur unique de ces actes le cabinet DLA Piper soutient, sans cependant en justifier, qu’il est d’usage que le cabinet qui rédige le premier projet appose son logo.
Il indique encore que les projets ont été révisés par l’ensemble des conseils qui sont intervenus à cette opération et en particulier le cabinet Scotto & Associés soutenant que ce dernier ‘était donc co-rédacteur des actes, et conseil des dirigeants dont M. [D] [O]’ ainsi qu’il l’indique dans ses conclusions. Pour prouver cette affirmation les appelants versent aux débats une parution dans la ‘Lettre du juriste d’affaire’ aux termes de laquelle le cabinet Scotto & Partners est présenté comme ayant représenté les managers, un extrait du site internet de ce cabinet mentionnant ‘ Scotto & Associés aux cotés du management de 5ASEC lors d’un cinquième LBO’ ainsi qu’une présentation powerpoint intitulée ‘Présentation au Management du groupe 5 A Sec’ daté du 26 juillet 2017.
Ces documents, qui ne sont que des publications publicitaires de la part du cabinet Scotto & Partners, s’ils peuvent justifier de la participation de ce dernier aux négociations n’établissent nullement que ce cabinet a effectivement contribué d’une quelconque manière à la rédaction des actes datés du 17 octobre 2017. Ils ne sont donc pas de nature à exonérer le cabinet DLA Piper de son obligation de conseil envers M. [D] [O].
Il ressort des stipulations des actes litigieux datés du 17 octobre 2017 que M. [D] [O] est qualifié d’investisseur individuel et la société Bridgepoint d’investisseur principal. L’investisseur individuel promet irrévocablement à l’investisseur principal de lui vendre, selon les termes et conditions définis à l’article 2.2 de la promesse de vente, et ‘sans y attacher aucune condition autre que celles mentionnées au présent Article 2.2, les titres sous promesse de vente’ et de son coté l’investisseur principal accepte la promesse de vente et se réserve le droit d’en demander la réalisation ou d’y renoncer purement et simplement, l’investisseur individuel s’interdisant, quant à lui, ‘pendant toute la durée de la promesse de vente de consentir une sûreté sur les titres ou tout autre droit ayant pour effet de restreindre leur cessibilité, sauf si cette sûreté a été préalablement approuvée par écrit par l’investisseur principal.’
L’article 3 de la promesse de vente prévoit les modalités selon lesquelles sera déterminé le prix auquel l’investisseur individuel devra transférer les titres sous promesse. Ces modalités sont particulièrement complexes et sont stipulées dans 8 paragraphes complétés par une annexe A de plus de 2 pages contenant beaucoup de sigles rendant la compréhension quasiment impossible.
Dans cet acte, composé de 22 pages, l’investisseur individuel n’est à aucun moment avisé du risque de perte partielle voire totale des sommes investies préalablement par l’acquisition des parts.
La clause de cession conjointe, manifestement favorable à l’investisseur principal est parfaitement visible dans le pacte d’associés et porte le titre explicite de ‘Droit de cession conjointe’ à l’article 6 du pacte d’associé. En revanche la clause de cession forcée, qui est défavorable à l’investisseur individuel et minoritaire puisqu’elle permet de le contraindre à céder ses actions à un prix qui lui est imposé, est quant à elle, noyée au sein de l’article 8 de l’acte dans le sous-article 8-2 intitulé ‘Conditions de transfert des titres’.
De plus les définitions des termes utilisés tant dans la promesse de vente que dans le pacte d’associés procèdent par des renvois successifs rendant ainsi plus compliquées la lecture et la compréhension de ces actes, même pour des personnes aguerries au monde des affaires.
Un tel choix rédactionnel avec des clauses de style particulièrement difficiles à comprendre, dont il ne peut être dénié le caractère complexe, nécessitait de la part du cabinet DLA Piper qu’il explique clairement aux parties l’économie générale de la promesse de vente et du pacte d’associés ainsi que les effets concrets et les risques des stipulations convenues.
Le cabinet DLA Piper ne justifie cependant pas avoir satisfait cette obligation de conseil qui pèse sur lui en sa qualité de rédacteur unique des actes.
Il ne peut pas non plus valablement soutenir que M. [D] [O] a été parfaitement informé par le cabinet Scotto & Partners du risque de perte des sommes investies lors de la réunion de présentation qui s’est tenue le 26 juillet 2017. En effet un tel avertissement donné avant que les actes n’aient été rédigés ne le dispensait pas, en sa qualité de rédacteur des actes, de son devoir de conseil, ce d’autant qu’il n’est produit aucun élément permettant d’établir que l’avertissement a été donné au vu des stipulations contractuelles précisément rédigées par le cabinet DLA Piper qui permettaient à la société Brigepoint, investisseur principal, de récupérer les actions d’un manager après son éviction du groupe pour une somme dérisoire.
M. [D] [O] est fondé à préciser que l’avertissement donné en juillet 2017 était d’autant plus insuffisant qu’il s’agissait d’une clause de style de portée générale sans aucun lien avec les actes qui ont été proposés à sa signature deux mois plus tard et que le reste du document établi par le cabinet Scotto & Partners, notamment dans sa partie ‘aspects financiers’ ne faisait que présenter des hypothèses favorables avec plusieurs graphiques ne présentant que des courbes ascendantes sans qu’il y soit évoqué l’hypothèse d’une perte totale ou partielle de l’investissement envisagé.
Le document daté du 13 octobre 2017 par lequel M. [D] [O] donne pouvoir à M. [N] de signer en son nom le projet de l’acte et le projet de promesse de vente et d’achat dans lequel il indique avoir été informé des termes et conditions de son investissement est un document contractuel liant les deux susnommés auquel le cabinet DLA Piper est étranger de sorte qu’il ne peut en être déduit que l’information qui a été donnée à M. [D] [O] correspondait aux termes des actes rédigés par ledit cabinet DLA Piper.
Il en résulte que c’est à bon droit que le premier juge a considéré que le cabinet DLA Piper n’a pas satisfait à son obligation de conseil et de mise en garde et il ne peut valablement s’exonérer de sa responsabilité en invoquant l’expérience professionnelle de M. [D] [O] dès lors que les compétences professionnelles des parties aux actes qu’il a rédigés ne le dispensent pas des obligations mises à sa charge.
S’agissant du préjudice subi du fait des manquements du cabinet DLA Piper, M. [D] [O] soutient qu’il a accepté d’investir dans la société qui l’employait dans l’ignorance du déséquilibre intrinsèque au contrat, qu’il était entièrement à la merci des choix de l’actionnaire majoritaire pouvant entraîner la perte de la totalité de son investissement au bout de quelques mois seulement sans qu’il ne puisse rien faire pour l’éviter. Il en conclut que s’il avait été correctement conseillé il n’aurait pas effectué un investissement aussi risqué de sorte que son préjudice s’élève à la somme de 95’000 euros correspondant à la perte de son investissement.
Les appelants sont cependant fondés à lui objecter que son préjudice résultant du non respect par le cabinet DLA Piper de son devoir de conseil correspond à la perte de chance de ne pas participer à l’opération dite de ‘LBO’ portant sur les titres du groupe 5ASEC auquel il appartenait. L’indemnisation de M. [D] [O] doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’elle aurait procuré si elle s’était réalisée.
Le cabinet DLP Piper n’est pas contredit lorsqu’il indique que M. [D] [O] est un dirigeant expérimenté d’un groupe international et peut être qualifié d’homme d’affaires avisé. Il avait déjà, par le passé, participé à plusieurs opérations de LBO. Il était actionnaire du groupe 5ASEC lorsque la société Bridgepoint a monté l’opération ayant conduit aux actes du 17 octobre 2017. Son investissement dans le groupe 5ASEC était déjà risqué avant cette opération puisque le ré-investissement du prix des actions des principaux dirigeants de ce groupe était une condition posée par la société Bridgepoint et que le refus de M. [D] [O], ou de l’un des managers d’y participer était de nature à remettre en cause l’investissement envisagé par la société Bridgepoint.
Au vu de ces éléments et du montant investi dans l’opération s’élevant à la somme de 95 000 euros qui a été totalement perdue le préjudice subi par M. [D] [O] doit être évalué à la somme de 28 500 euros. La société DLA Piper France LLP doit donc être condamnée à lui payer cette somme en réparation de son préjudice subi, le jugement étant infirmé de ce chef.
Dès lors que l’action de M. [D] [O] est déclarée bien fondée, la demande reconventionnelle des appelants pour procédure abusive ne peut prospérer et doit être rejetée.
— sur les frais irrépétibles et les dépens
La société DLA Piper France LLP, qui succombe, doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel lesquels pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile. Elle doit encore être condamnée à payer à M. [D] [O] la somme de 5 000 euros en application des dispositions prévues par l’article 700 du code de procédure civile, le jugement étant infirmé s’agissant de la somme allouée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société DLA Piper France LLP à payer à M. [D] [O] la somme de 95 000 euros en réparation du préjudice subi et celle de 6 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés ;
Condamne la société DLA Piper France LLP à payer à M. [D] [O] la somme de 28 500 euros en réparation de son préjudice subi ;
Rejette la demande de la société DLA Piper France LLP fondée sur l’article 1240 du code civil ;
Condamne la société DLA Piper France LLP à payer à M. [D] [O] la somme de 6 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société DLA Piper France LLP aux dépens d’appel lesquels pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE