Au regard du principe de non immixion du banquier dans les affaires de son client, la banque ne peut procéder à des investigations particulières pour déterminer notamment l’identité du bénéficiaire ou l’objet de l’opération dont s’agit, ni intervenir pour empêcher son client d’effectuer un acte inopportun ou dangereux pour ses intérêts ; elle n’a pas non plus à se préoccuper de la destination des fonds ou de l’opportunité des opérations effectuées, et engagerait sa responsabilité si elle n’exécutait pas les virements ordonnés par son client.
Toutefois, il en va différemment si la banque se trouve confrontée, à l’occasion d’opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu’elle doit détecter, conformément à son obligation de vigilance.
M. [J] a interjeté appel d’un jugement du tribunal judiciaire de Paris dans lequel il a été débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements de la société La Banque Postale à son devoir de vigilance. L’appelant demande à la cour d’infirmer la décision de première instance, de condamner La Banque Postale au paiement de dommages et intérêts, et de débouter la banque de ses demandes. La Banque Postale, quant à elle, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal judiciaire.
Sur la responsabilité du banquier
Le tribunal a jugé que la banque n’avait pas commis de faute en ne détectant pas les anomalies dans les opérations d’investissement de M. [J]. Cependant, l’appelant conteste cette décision en soulignant que le rejet d’un virement pour fraude aurait dû alerter la banque et entraîner des investigations complémentaires. De plus, une mention sur le relevé de compte évoquant une possible fraude aurait dû être prise en compte par la banque, ce qui aurait pu éviter les pertes de M. [J].
Sur la réparation du préjudice
M. [J] a demandé une indemnisation pour sa perte de chance de ne pas réaliser les opérations frauduleuses. Cependant, le tribunal a jugé que cette indemnisation ne pouvait pas être égale au montant total des sommes investies. La cour a finalement décidé d’indemniser M. [J] à hauteur de 25 % des sommes engagées après le rejet du virement pour fraude, soit une somme de 105 700 euros.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société La Banque Postale a été condamnée à supporter les dépens et à verser une somme de 3 000 euros à M. [J] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Aucune somme n’a été accordée à la banque au titre de cet article.
– La Banque Postale doit payer à M. [D] [J] :
– 105700 euros à titre de dommages-intérêts
– 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– La Banque Postale est également condamnée aux entiers dépens de l’instance.
Réglementation applicable
En application de l’article L. 561-4-1 du code monétaire et financier, les établissements bancaires, mentionnés à l’article L. 562-1 du code monétaire et financier, sont soumis à une obligation de vigilance afin de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
La mise en œuvre des mécanismes de vigilance est déclinée par les articles L. 561-1 à L. 564-2 du code monétaire et financier et aux articles R. 561-1 à R. 565-4 pour ce qui concerne les dispositions réglementaires.
L’article L. 531-36 du code monétaire et financier liste expressément les autorités de contrôle amenées à sanctionner des manquements de ce chef, telles notamment la commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolutions (ACPR), l’autorité des marchés financiers mais aussi diverses instances disciplinaires des professions concernées par ces obligations de vigilance particulières.
Il résulte des articles 1217 et 1231-1 du code civil, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016 applicable compte tenu de la date des faits litigieux, que la banque, en sa qualité de teneur de compte, est tenue d’une obligation de vigilance la contraignant à vérifier les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, notamment d’un ordre de virement.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS
– Me Anne ROULLIER de la SELEURL ROULLIER JEANCOURT-GALIGNANI AVOCATS
Mots clefs associés
– Motifs de la décision
– Opérations d’investissements
– Virements bancaires
– Escroquerie
– Plainte pénale
– Responsabilité du banquier
– Devoir de vigilance
– Anomalies et irrégularités
– Rejet de virement
– Fraude
– Perte de chance
– Préjudice
– Indemnisation
– Dépens et frais irrépétibles
– Motifs de la décision : Raisons juridiques et factuelles qui justifient la décision prise par un juge ou une autorité compétente.
– Opérations d’investissements : Transactions financières réalisées dans le but d’acquérir des actifs financiers ou physiques, dans l’espoir de générer un retour sur investissement.
– Virements bancaires : Opérations par lesquelles des fonds sont transférés électroniquement d’un compte bancaire à un autre, soit au sein d’une même banque, soit entre différentes banques.
– Escroquerie : Délit caractérisé par l’obtention d’un avantage matériel (souvent financier) par la tromperie ou la manipulation d’une personne ou d’un groupe.
– Plainte pénale : Action initiée par une personne ou une entité auprès des autorités compétentes pour signaler une infraction à la loi pénale et demander la poursuite de l’auteur.
– Responsabilité du banquier : Obligation légale du banquier de gérer les fonds de ses clients avec prudence et diligence, et de les protéger contre les fraudes et les erreurs.
– Devoir de vigilance : Obligation pour certaines entités, comme les banques, de surveiller activement les transactions et les activités pour détecter et prévenir les comportements illégaux ou non conformes.
– Anomalies et irrégularités : Écarts par rapport aux normes ou aux attentes habituelles dans la gestion ou la comptabilité, qui peuvent indiquer des erreurs ou des fraudes.
– Rejet de virement : Refus par une banque d’exécuter un ordre de virement pour diverses raisons, telles que des fonds insuffisants, des informations incorrectes, ou des soupçons de fraude.
– Fraude : Acte délibéré de tromperie dans le but de gagner indûment un avantage financier ou autre.
– Perte de chance : Préjudice subi par une personne résultant de la privation d’une possibilité ou d’une opportunité de gain ou de bénéfice, due à la faute d’un tiers.
– Préjudice : Dommage ou perte subis par une personne ou une entité, pouvant être physique, moral ou matériel, et pouvant donner lieu à réparation.
– Indemnisation : Compensation financière accordée à une personne pour réparer un préjudice subi.
– Dépens et frais irrépétibles : Frais de justice que la partie perdante doit payer à la partie gagnante dans un procès, incluant les frais de procédure (dépens) et d’autres frais non inclus dans les dépens mais jugés nécessaires (frais irrépétibles).
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRET DU 20 MARS 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/18307 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGTNZ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2022 – tribunal judiciaire de Paris – 9ème chambre 2ème section – RG n° 20/10992
APPELANT
Monsieur [D] [C] [H] [J]
né le [Date naissance 3] 1956 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Gaël COLLIN de la SELARL COLMAN AVOCATS, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant
INTIMÉE
S.A. LA BANQUE POSTALE
[Adresse 1]
[Localité 4]
N°SIRET : 421.100.645
prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Anne ROULLIER de la SELEURL ROULLIER JEANCOURT-GALIGNANI AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : W05, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère, entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Marc BAILLY, président de chambre
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
MME Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
FAITS PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 26 octobre 2022, M. [D] [J] a interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Paris rendu le 27 septembre 2022 dans l’instance opposant M. [J] à la société La Banque Postale, par lequel il a été débouté de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements de la banque à son devoir de vigilance, et a été condamné aux dépens ainsi qu’au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
*
À l’issue de la procédure d’appel clôturée le 23 janvier 2024 les prétentions des parties s’exposent de la manière suivante.
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 16 janvier 2024, l’appelant
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
‘Vu l’article 1231-1 du Code civil,
Vu la jurisprudence citée et les références produites,
Il est demandé à la Cour d’appel de Paris de :
INFIRMER la décision de première instance en ce qu’elle a débouté Monsieur [D] [J] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice né des manquements de La Banque Postale à son devoir de vigilance ;
INFIRMER la décision de première instance en ce qu’elle a condamné Monsieur [D] [J] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Statuant à nouveau :
CONDAMNER La Banque Postale au paiement de dommages et intérêts d’un montant de
422.800,00 euros au bénéfice de Monsieur [D] [J] en réparation de son préjudice financier ;
DEBOUTER La Banque Postale de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
CONDAMNER La Banque Postale à 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code
de procédure civile ainsi qu’à tous les dépens de la présente instance.’
Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 22 janvier 2024, l’intimé
présente, en ces termes, ses demandes à la cour :
‘Il est demandé à la Cour de :
Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire en toutes ses dispositions
Y ajoutant :
Condamner Monsieur [J] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux dépens d’appel.’
Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
Courant 2016, M. [D] [J] a effectué plusieurs opérations d’investissements via la plateforme en ligne dénommée ‘Solution Capital’, opérations matérialisées par sept virements bancaires effectués entre le 17 mars 2016 et le 15 novembre 2016, pour un montant total de 428 800 euros, depuis son compte courant ouvert dans les livres de la société La Banque Postale. Ces virements avaient pour destinataires des comptes ouverts en République Tchèque, en Pologne, et en Slovaquie. L’un de ces virements, d’un montant de 3 000 euros, effectué le 30 mars 2016, a été rejeté par la banque réceptrice et a été recrédité sur le compte de M. [J], le 4 avril 2016.
Estimant avoir été victime d’une escroquerie, la récupération des fonds s’avérant vaine et ses interlocuteurs étant devenus injoignables, M. [J] a déposé plainte pénale, le 1er décembre 2017. Une information judiciaire a été ouverte, dans le cadre de laquelle M. [J] s’est constitué partie civile – pièces 18 et 19.
Reprochant à la banque un manquement à son devoir de vigilance, suivant lettre recommandée avec accusé de réception datée du 22 mars 2019 M. [J], par l’intermédiaire de son avocat, a mis en demeure la société La Banque Postale de lui rembourser les sommes investies, d’un montant total de 428 800 euros. Par courrier du 21 mai 2019, La Banque Postale, faisant référence à sa précédente réponse du 30 juillet 2018 dont elle entendait confirmer les termes, a rappelé qu’il est établi que les opérations ont bien eu lieu à l’initiative de M. [J] et ne présentaient pas d’anomalie apparente, en indiquant aussi que La Banque Postale n’a pas à s’ingérer dans les opérations effectuées par ses clients.
C’est dans ces circonstances que n’ayant pas obtenu satisfaction, par acte d’huissier de justice daté du 3 novembre 2020 M. [J] a fait assigner la société La Banque Postale devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant au tribunal, pour l’essentiel de ses prétentions, de condamner la banque au paiement de dommages et intérêts d’un montant de 422 800 euros en réparation de sa perte de chance, la banque ayant manqué à son devoir de vigilance.
1- Sur la responsabilité du banquier
Le tribunal doit être approuvé en ce qu’il a, exactement, rappelé les principes de droit applicables en la matière, et, également, en certaines de ses observations factuelles.
Ainsi, il est exact et établi :
– Que M. [J] a réalisé proprio motu les investissements litigieux ; sa banque n’est intervenue qu’en qualité de teneur de compte et non en tant que conseiller en investissements, elle n’est donc soumise à l’égard de son client, qu’à un devoir général de vigilance ;
– Qu’au regard du principe de non immixion du banquier dans les affaires de son client, la banque ne peut procéder à des investigations particulières pour déterminer notamment l’identité du bénéficiaire ou l’objet de l’opération dont s’agit, ni intervenir pour empêcher son client d’effectuer un acte inopportun ou dangereux pour ses intérêts ; elle n’a pas non plus à se préoccuper de la destination des fonds ou de l’opportunité des opérations effectuées, et engagerait sa responsabilité si elle n’exécutait pas les virements ordonnés par son client ;
– Que toutefois, il en va différemment si la banque se trouve confrontée, à l’occasion d’opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu’elle doit détecter, conformément à son obligation de vigilance. Or, en l’espèce,
‘ la régularité formelle des virements n’est pas contestée, et le compte bancaire du demandeur a systématiquement été alimenté en vue de couvrir lesdits virements, de sorte qu’à l’issue de ces opérations il n’a jamais présenté un solde débiteur – susceptible de justifier un refus d’exécution de l’ordre de virement, par la banque ;
‘ le montant et la fréquence des virements ne sauraient au cas présent constituer une anomalie, M. [J] étant libre d’investir son épargne tel qu’il l’entend ;
‘ la nature internationale des opérations est insuffisante pour justifier une alerte de la banque, d’autant que les destinataires des fonds se situent en République Tchèque, en Pologne et en Slovaquie, soit des États membres de l’Union européenne et non des États considérés comme prompts à abriter des fonds de provenance frauduleuse.
D’ailleurs, M. [J] ne critique pas, ou ne critique pas utilement, sur ces points, l’application du droit et l’analyse des faits telles qu’opérées par le premier juge.
Ceci étant, le tribunal a ensuite retenu :
‘S’agissant du rejet du virement d’un montant de 3 000 euros effectué le 30 mars 2016, somme par conséquent recréditée le 4 avril suivant, il n’est versé aux débats que les relevés de compte où apparaissent le débit et le crédit de cette opération. Dans la ligne de l’opération de crédit du 4 avril 2016, sont mentionnés les termes : ‘BENE NAME INCORRECT’ et ‘POSSIBLE FR AUD-CHECK’.
Contrairement à ce que soutient le demandeur, ces mentions n’évoquent pas une fraude. En effet, les lettres FR et AUD ne sauraient être réunies alors qu’elles sont séparées d’un espace, afin de former le mot anglais FRAUD, alors que les lettres AUD sont nécessairement liées à CHECK, du fait du tiret entre ces deux mots. Cette analyse, contestable, des lettres FR et AUD n’a d’ailleurs été faite par le requérant qu’a posteriori et n’était donc pas une anomalie manifeste. En effet, si dès le 4 avril 2016 M. [J] avait interprété le recrédit de son virement comme étant le résultat d’une fraude il n’aurait évidemment pas effectué les nombreux virements suivants de montants conséquents.
En revanche, la mention explicite ‘BENE NAME INCORRECT’ évoque une erreur dans la désignation du bénéficiaire du virement, comme indiqué par la banque. Cette possible erreur ne peut être vérifiée puisque M. [J] ne produit aucun élément sur son ordre de virement initial.
Dès lors, le rejet de ce virement ne constitue pas une anomalie manifeste qui aurait dû alerter la banque.’
L’appelant critique ce raisonnement en faisant judicieusement observer que la banque, pas mieux que le tribunal, n’indique ce que signifierait ‘FR’ et ‘AUD’.
Il produit un avis en provenance de la banque destinataire, qu’il a sollicité lui-même, pour pallier la réticence de La Banque Postale, et qui conclut que ces lettres signifient bel et bien ‘fraude » pièce 13 de M. [J]. Contrairement à ce que fait valoir La Banque Postale, que cet avis intervienne six ans après les faits est indifférent, s’agissant de la lecture d’une ligne figurant sur un relevé de compte, et non de relater un événement dont le souvenir ne pourrait qu’être incertain.
Aussi la raison commande de comprendre, sans qu’il y ait lieu d’accorder à la présence d’espace ou de tiret l’importance qu’elle n’a pas nécessairement, que cette mention littérale prise en sa globalité ‘BENE NAME INCORRECT’ ‘POSSIBLE FR AUD-CHECK BY RMTTR’, signifie que la non conformité du nom du bénéficiaire fait suspecter une fraude qu’il serait judicieux de vérifier plus avant.
L’avis sollicité par le conseil de M. [J] auprès de la banque réceptrice Sberbank CZ, émanant de M. [V] [Z], rédigé en anglais se traduit ainsi (traduction ‘libre’ proposée par le conseil de M. [J]) : ‘D’après moi, ‘POSSIBLE FR AUD-CHEK’, (avec un espace entre ‘FR’ et ‘AUD’) est identique au motif ‘possible fraud’. Et pour cette raison le paiement a été retourné à l’émetteur’.
La mention du motif de rejet était donc suffisamment éclairante, et dans ces conditions, est inopérant le fait, allégué par la banque, que deux virements antérieurs au profit du même bénéficiaire domicilié dans la même banque réceptrice avaient été encaissés sans qu’il ne soit signalé la moindre anomalie.
Dès lors, le rejet opposé par la banque destinatire du virement aurait dû alerter la banque et aurait justifié qu’elle procède à des investigations complémentaires ce qui selon l’appelant l’aurait amenée à constater, une fois le nom de la plateforme connu, que celle-ci était inscrite sur la liste noire de l’AMF. Tout du moins la banque se devait d’attirer l’attention de M. [J] sur le motif du rejet du virement, le seul fait que l’intéressé en ait eu lui aussi connaissance ne dispensant en rien la banque de sa propre obligation.
Par conséquent, au contraire de ce qu’a jugé le tribunal, M. [J] n’est pas ‘mal fondé à rechercher la responsabilité de la banque’.
2- Sur la réparation du préjudice
Le préjudice subi par M. [J] s’évalue en termes de perte de chance – celle de ne pas réaliser les opérations frauduleuses.
M. [J] considère que sa perte de chance a été acquise à partir du rejet pour fraude du virement du 30 mars 2016, opéré le 4 avril 2016, à partir duquel La Banque Postale ne pouvait plus ignorer les anomalies présentes dans le fonctionnement du compte de son client.
Cependant, et comme M. [J] lui-même l’indique dans ses écritures, la réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne saurait être égale à l’avantage que lui aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée – soit préserver le montant des sommes investies. M. [J] ne peut donc prétendre au titre de l’indemnisation de sa perte de chance, à la somme de 422 800 euros, qui correspond au total des quatre virements effectués entre le 27 avril 2016 et le 15 novembre 2016, respectivement de 94 000 euros, 200 000 euros, 100 000 euros, et 28 800 euros.
Le fait que M. [J] ait poursuivi postérieurement à ce rejet du 4 avril 2016, ses opérations d’investissements selon le même modus operandi, s’il ne libère pas la banque de sa responsabilité sera toutefois pris en compte dans l’évaluation de la perte de chance, et partant, de son indemnisation, devant être considéré aussi, le fait qu’aucun virement n’a été fait au profit du même destinataire, postérieurement au 4 avril 2016 mais vers des compte étrangers situés dans des pays distincts.
Il sera fait observer que les sommes engagées à partir de cette date l’ont été pour des montants considérablement plus importants et sur une période bien plus longue que précédemment, les premières sommes, virées au profit du destinataire domicilié auprès de la banque tchèque n’ayant été que de 9 000 euros (3 X 3 000) et sur une quinzaine de jours. Ces éléments démontrent la détermination de M. [J] à persévérer dans cette façon d’investir.
C’est en outre à juste titre que la société La Banque Postale fait valoir la faute de M. [J] qui a participé à la survenance de son préjudice dès lors que c’est avec imprudence qu’il a investi des sommes importantes sans connaissance de son interlocuteur ni vérification de sa qualité de prestataire de service d’investissement, étant observé qu’il ne produit aucun document afférent, qu’il n’a jamais sollicité le conseil de sa banque ni ne lui a fait part de ce que son interlocuteur était une société Solution Capital Ltd.
Ainsi, la cour dispose d’éléments suffisants pour évaluer la perte de chance indemnisable de M. [J] à 25 % des sommes litigieuses engagées après la date du 4 avril 2016, de sorte que la société La Banque Postale sera condamnée à lui verser la somme de 105 700 euros en indemnisation de son préjudice résultant du manquement de la banque à son obligation de vigilance.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société La Banque Postale, partie qui succombe, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. En revanche pour des raisons tenant à l’équité il y a lieu de faire droit à la demande de M. [J] formulée sur ce même fondement pour la somme réclamée de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de l’appel,
INFIRME le jugement déféré
Statuant à nouveau
CONDAMNE la société La Banque Postale à payer à M. [D] [J] :
-la somme de 105700 euros à titre de dommages-intérêts
-la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société La Banque Postale aux entiers dépens de l’instance.
* * * * *
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT