Un cabinet d’avocats est-il éligible à une liquidation judiciaire ?

Notez ce point juridique

1. Il est important de vérifier la légalité et la légitimité des démarches entreprises pour bénéficier de procédures collectives, notamment en cas de changement de statut professionnel. Toute tentative de fraude aux droits des créanciers peut être sanctionnée par la justice.

2. Il est essentiel de prouver de manière claire et transparente l’état de cessation des paiements et l’existence d’un passif exigible pour bénéficier des procédures collectives. La présentation de documents et de preuves solides est nécessaire pour justifier la demande d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

3. La théorie de l’unicité du patrimoine peut jouer un rôle déterminant dans l’ouverture d’une procédure collective, même en cas de dettes antérieures à l’exercice de l’activité professionnelle éligible aux procédures collectives. Il est donc important de bien comprendre les règles régissant les procédures collectives pour défendre ses droits de manière efficace.


L’affaire concerne la liquidation judiciaire de M. [A] [N] [M] [P], avocat, suite à un état de cessation des paiements. La SCP [O] [V] et [F], créancier principal de M. [P], a formé une tierce opposition à cette décision. Le tribunal judiciaire de Paris a déclaré la tierce opposition recevable mais l’a rejetée sur le fond, considérant que M. [P] est éligible aux procédures collectives. La SCP [O] [V] et [F] a interjeté appel de cette décision, demandant à la cour de confirmer la recevabilité de la tierce opposition et de déclarer M. [P] inéligible aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire. M. [P], de son côté, demande à la cour de juger la tierce opposition irrecevable. L’Ordre des avocats du Barreau de Paris et le ministère public ont des avis divergents sur la tierce opposition.

Sur la recevabilité de la tierce opposition

La SCP [O] soutient qu’il existe une fraude en ce que Me [P] qui connait pleinement l’étendue de sa dette depuis la sentence arbitrale et savait que sa seule qualité d’associé de la SCP Themis lui interdisait de déclarer son état de cessation des paiements a sollicité son inscription au barreau de Paris à titre individuel en novembre 2022. Elle soutient que Me [P] n’est pas éligible aux procédures collectives puisqu’il n’a jamais exercé une activité individuelle entre la date de prestation de serment le 15.09.1993 et la date à laquelle le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Paris a statué sur sa demande d’inscription à titre individuel en novembre 2022 et que cette inscription est donc purement fictive et faite pour bénéficier d’une procédure collective. Elle rappelle qu’avant le 30.08.2020 un avocat ne pouvait exercer la profession dans le cadre de la pluralité d’exercice, que l’inscription de Me [P] ne peut lui permettre de bénéficier des dispositions de l’article L 640-2 du code de commerce pour une dette née très antérieurement à son exercice individuel. Elle fait valoir qu’en demandant l’ouverture d’une procédure collective 18 ans après la naissance de la créance et en s’étant inscrit à titre individuel comme avocat pour la première fois en novembre 2022 Me [P] est à l’origine d’une fraude dans les droits du créancier poursuivant.

Me [P] expose que la fraude est en l’espèce inexistante dès lors que : – il est éligible à la procédure de liquidation judiciaire, en application de l’article L.640-2 du Code de commerce, puisqu’il exerçait avant sa liquidation judiciaire la profession d’avocat à titre individuel indépendant et à titre d’associé dela SCP Themis, – l’état de cessation des paiements est incontestable, – et qu’en conséquence les prétendus mobiles qui l’auraient conduit à solliciter l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire sont indifférents. Le ministère public et l’Ordre sont d’avis de confirmer la décision exposant que Me [P] est inscrit à titre individuel et peut donc demander le bénéfice de l’article L 640-2 du code de commerce et que son état de cessation des paiements est avéré puisque le passif n’est pas limité à la seule créance de la SCP DFC mais comprend également des créances bancaires, fiscales et sociales.

Sur le fond

Me [P] fait valoir sa pluri-activité et le fait qu’en conséquence il est éligible aux procédures collectives sà titre individuel. Il indique que son état de cessation des paiements est établi et incontestable. Il expose qu’en raison de la théorie de l’unicité du patrimoine une dette née antérieurement au début de l’activité d’une personne éligible aux procédures collectives doit être prise en compte dans l’appréciation de son passif exigible et donc de son état de cessation des paiements. Il expose que son mobile est inopérant. La SCP [O] conteste le fait que la créance qu’elle détient puisse être attraite dans la procédure collective de Me [P] car elle ne relève pas de son exercice individuel débuté en novembre 2022 mais d’une période antérieure et expose que la déclaration de cessation des paiements établie par Me [P] constitue manifestement une fraude à la loi, le seul but étant d’agir au détriment de son unique créancier. Ele conclut donc que les conditions d’ouverture d’une procédure collective au profit de Me [P] ne sont pas remplies puisque hors la créance qu’elle détient il n’existe pas de passif. Le ministère public est d’avis que la pluri-activité dont bénéficie Me [P] lui permet d’être éligible aux procédures collectives et que le débiteur présente un état de cessation des paiements qui ne lui permet pas de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, de telle sorte que la tierce opposition est mal fondée et qu’il convient de confirmer la décision de première instance. L’Ordre des avocats expose que Me [P] est éligible à la pluri-activité, qu’il est inscrit à titre

– Confirmation du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 15.06.2023 : montant non spécifié
– Demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile : 0 € (rejet des demandes)
Dépens : passés en frais privilégiés de procédure collective (montant non spécifié)


Réglementation applicable

– Article 583 du code de procédure civile
– Article L.631-1 du code de commerce
– Article L 640-1 du code de commerce
– Article L 640-2 du code de commerce

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Jean-Marc PEREZ
– Me Carl WALLART
– Me Frédérique ETEVENARD
– Me Alice BON
– Me Xavier PICARD
– Me Julie COUTURIER

Mots clefs associés

– Fraude
– Inscription individuelle
– Procédures collectives
– Etat de cessation des paiements
– Créancier
– Tierce opposition
– Pluri-activité
– Liquidation judiciaire
– Passif exigible
– Actif disponible
– Théorie de l’unicité du patrimoine
– Dette antérieure
– Jurisprudence
– Créance de la SCP [O]
– Jugement de première instance
– Article 700 du code de procédure civile
– Dépens
– Frais privilégiés de procédure collective

– Fraude : Acte intentionnel de tromperie pour obtenir un avantage illégitime ou pour causer un préjudice à autrui.
– Inscription individuelle : Démarche administrative permettant à une personne de s’inscrire seule à un registre ou une liste, en son nom propre.
– Procédures collectives : Ensemble des procédures juridiques appliquées aux entreprises en difficulté financière, visant à restructurer la dette ou à liquider les actifs.
– Etat de cessation des paiements : Situation d’une entreprise qui ne peut plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible.
– Créancier : Personne ou entité ayant une créance, c’est-à-dire un droit de réclamer une somme d’argent à un débiteur.
– Tierce opposition : Voie de recours permettant à un tiers de contester une décision de justice qui lui est préjudiciable bien qu’il n’ait pas été partie au procès initial.
– Pluri-activité : Situation d’une personne qui exerce simultanément plusieurs activités professionnelles, salariées ou non.
– Liquidation judiciaire : Procédure par laquelle un tribunal met fin à l’activité d’une entreprise insolvable en vendant ses actifs pour payer ses créanciers.
– Passif exigible : Ensemble des dettes d’une entreprise ou d’une personne qui doivent être payées à court terme.
– Actif disponible : Ensemble des biens et des droits immédiatement réalisables en liquidités pour faire face aux dettes.
– Théorie de l’unicité du patrimoine : Principe selon lequel une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine, qui répond de toutes ses obligations.
– Dette antérieure : Obligation financière contractée avant une date ou un événement spécifique.
– Jurisprudence : Ensemble des décisions de justice qui servent de référence pour l’interprétation des lois dans des cas similaires.
– Créance de la SCP [O] : Droit de réclamer une somme d’argent détenu par la Société Civile Professionnelle [O].
– Jugement de première instance : Décision rendue par un tribunal de premier niveau, avant tout appel ou autre forme de recours.
– Article 700 du code de procédure civile : Disposition légale permettant à une partie de demander à l’autre partie le remboursement des frais non compris dans les dépens.
– Dépens : Frais de justice qui doivent être payés par les parties à un procès et qui peuvent être récupérés par la partie gagnante.
– Frais privilégiés de procédure collective : Frais engagés dans le cadre d’une procédure collective qui bénéficient d’un rang de priorité élevé lors du paiement des créanciers.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 9

ARRÊT DU 1er FEVRIER 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/11618 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CH4RJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Juin 2023 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS – RG n° 23/03892

APPELANTE

S.C.P. [B] [O] [J] [V] ET [X] [F] prise en la personne de ses liquidateurs amiables : [O] [B], [V] [J] et [F] [X].

[Adresse 2]

[Localité 9]

Représentée par Me Jean-Marc PEREZ de la SELARL AVOX, avocat au barreau de PARIS, toque : J109

Assistée de Me Carl WALLART, avocat au barreau d’AMIENS, toque : 3

INTIMES

M. [A] [N] [M] [P]

né le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 11]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Représenté par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assisté de Me Alice BON, avocat au barreau de PARIS

S.C. BTSG, prise en la personne de Maître [I] [Z], es qualité de liquidateur judiciaire de M. [A] [P]

[Adresse 1]

[Localité 10]

N’ayant pas constitué avocat

Organisme ORDRE DES AVOCATS DE PARIS pris en la personne de Me Julie COUTURIER, ès qualités de Bâtonnière de l’Ordre des Avocats de PARIS

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Xavier PICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : E1617

M. MINISTERE PUBLIC – SERVICE FINANCIER ET COMMERCIAL

[Adresse 4]

[Localité 7]

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Décembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie MOLLAT, Présidente

Mme Isabelle ROHART, Conseillère

Mme Alexandra PELIER-TETREAU, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER : Mme Saoussen HAKIRI lors des débats.

ARRET :

– réputé contradictoire,

– rendu par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Mme Sophie MOLLAT, Présidente et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffier présent lors de la mise à disposition.

*

Exposé des faits et de la procédure

Par un jugement rendu le 15 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de M. [A] [N] [M] [P] qui exerce la profession d’avocat.

Le jugement a désigné la SCP BTSG2 prise en la personne de Maître [I] [Z] enqualité de liquidateur judiciaire.

La SCP [B] [O] [J]. [V] et [X] [F], société civile professionnelle d’avocats en cours de liquidation amiable, a formé le 16 mars 2023 une tierce-opposition à l’encontre du jugement rendu le 15 décembre 2022 étant précisé qu’elle est le créancier principal de Me [P]: En effet Me [P] a été associé de la SCP de 1998 à avril 2005 à hauteur d’une part sur les 150 qui composaient le capital social et suite à son retrait de la SCP un contentieux est né qui a donné lieu à une sentence arbitrale en date du 10.06.2008 qui, après compensation des sommes mises à la charge des deux parties, a ordonné à Me [P] de payer à la SCP DFC la somme de 484.787,18 euros, sentence confirmée par la cour d’appel de Paris par arrêt en date du 23.02.2010 puis par la Cour de cassation qui rejetait le pourvoi par arrêt du 27.06.2018. La somme initiale produit intérêt au taux légal depuis l’arrêt de la cour d’appel.

Par jugement du 15 juin 2023 le tribunal judiciaire de Paris a déclaré la tierce opposition recevable mais l’a rejeté sur le fond retenant que Me [P], qui exerce en qualité d’associé de la SCP Themis mais aussi à titre individuel, est éligible aux procédures collectives et qu’il présente un état de cessation des paiements puisque son actif disponible est de 1000 euros et son passif exigible de 760.656,43 euros.

La SCP [O] [V] et [F] a interjeté appel de ce jugement par déclaration d’appel en date du 30.06.2023.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 29.11.2023 la SCP [O]-[V]-[F] demande à la cour de:

Vu les dispositions des articles L640-1 et suivants du Code de Commerce ;

Vu la jurisprudence constante ;

Confirmer le jugement de première instance en ce qu’il a déclaré recevable la tierce opposition au jugement d’ouverture de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de Monsieur [A], [N], [M] [P] le 15 décembre 2022 ;

Pour le surplus, infirmer le jugement rendu le 15 juin 2023 et :

Constater que Monsieur [A] [P] n’a jamais exercé la profession d’avocat dans le cadre d’une activité professionnelle indépendante ;

Vu les dispositions de l’article 7 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

Ensemble l’article L640-2 du Code de Commerce ;

Constater que Monsieur [A] [P] est inéligible aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire pour n’avoir jamais exercé la profession d’avocat à titre individuel au jour où a été contractée la dette ;

Dire et juger que celui-ci ne saurait bénéficier des dispositions introduites dans le RIN le 30 août 2020, à l’article 15.4, s’agissant d’une dette contractée en 2004.

Par conséquent, annuler en toutes ses dispositions le jugement rendu le 15 décembre 2022.

Laisser les dépens à la charge du Trésor Public.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 4.12.2023, Me [P] demande à la cour de:

Vu l’article 583 du code de procédure civile,

Vu l’article 15.4 du Règlement Intérieur National de la Profession d’Avocat,

Vu l’article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions

judiciaires et juridiques,

Vu l’article L.640-2 du Code de commerce,

Vu les présentes conclusions,

Vu la jurisprudence,

– REFORMER le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 15juin 2023 (RG n°23/03892) en ce qu’il a jugé recevable la tierce opposition de la SCP [O]-[V]-[F] à l’encontre du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 15 décembre 2022 (RG n°22/14568);

– JUGER irrecevable la tierce opposition de la SCP [O]-[V]-[F] à l’encontre du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 15 décembre 2022 (RG n°22/14568)

À A titre subsidiaire :

– JUGER mal fondée la tierce opposition dela SCP [O]-[V]-[F] à l’encontre du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 15 décembre 2022 (RG n°22/14568);

En conséquence:

– CONFIRMER le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 15juin 2023 (RG n°23/03892) en toutes ses dispositions;

En tout état de cause:

– REJETER toutes demandes contraires aux demandes susvisées comme étant irrecevables ou mal fondées;

– DEBOUTER la SCP [O]-[V]-[F] de toutes ses fins, demandes et prétentions;

– DECLARER commun et opposable l’arrêt à intervenir à la SCP BTSG2 prise en la personne de Maître [I] [Z], en qualité de liquidateurjudiciaire de M. [A] [P], à I’Ordre des Avocats au Barreau de Paris, et à I’égard de Madame le Procureur Général près la Cour d’appel de Paris.

– CONDAMNER la SCP [O]-[V]-[F] à payer à Maître [A] [P] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 CPC;

– CONDAMNER la SCP [O]-[V]-[F] aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître Frédérique Etévenard, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 29.11.2013 l’Ordre des avocats du Barreau de Paris est d’avis de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté la tierce opposition de la SCP DFC.

Par avis signifié le 18.10.2023, le ministère public est d’avis de déclarer recevable mais mal fondée la SCP [O] [V] [F] en sa tierce opposition.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de la tierce opposition

La SCP [O] soutient qu’il existe une fraude en ce que Me [P] qui connait pleinement l’étendue de sa dette depuis la sentence arbitrale et savait que sa seule qualité d’associé de la SCP Themis lui interdisait de déclarer son état de cessation des paiements a sollicité son inscription au barreau de Paris à titre individuel en novembre 2022.

Elle soutient que Me [P] n’est pas éligible aux procédures collectives puisqu’il n’a jamais exercé une activité individuelle entre la date de prestation de serment le 15.09.1993 et la date à laquelle le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Paris a statué sur sa demande d’inscription à titre individuel en novembre 2022 et que cette inscription est donc purement fictive et faite pour bénéficier d’une procédure collective.

Elle rappelle qu’avant le 30.08.2020 un avocat ne pouvait exercer la profession dans le cadre de la pluralité d’exercice, que l’inscription de Me [P] ne peut lui permettre de bénéficier des dispositions de l’article L 640-2 du code de commerce pour une dette née très antérieurement à son exercice individuel.

Elle fait valoir qu’en demandant l’ouverture d’une procédure collective 18 ans après la naissance de la créance et en s’étant inscrit à titre individuel comme avocat pour la première fois en novembre 2022 Me [P] est à l’origine d’une fraude dans les droits du créancier poursuivant.

Me [P] expose que la fraude est en l’espèce inexistante dès lors que :

– il est éligible à la procédure de liquidation judiciaire, en application de l’article L.640-2 du Code de commerce, puisqu’il exerçait avant sa liquidation judiciaire la profession d’avocat à titre individuel indépendant et à titre d’associé dela SCP Themis,

– l’état de cessation des paiements est incontestable,

– et qu’en conséquence les prétendus mobiles qui I’auraient conduit à solliciter l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire sont indifférents.

Le ministère public et l’Ordre sont d’avis de confirmer la décision exposant que Me [P] est inscrit à titre individuel et peut donc demander le bénéfice de l’article L 640-2 du code de commerce et que son état de cessation des paiements est avéré puisque le passif n’est pas limité à la seule créance de la SCP DFC mais comprend également des créances bancaires, fiscales et sociales.

Sur ce

L’article 583 du code de procédure civile dispose que:

« Est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque.

Les créanciers et autres ayants cause d’une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres.  »

La cour constate que alors que Me [P] n’avait jamais été inscrit individuellement à l’Ordre des avocats ayant toujours exercé son activité dans le cadre d’une société civile professionnelle il a demandé son inscription en novembre 2022 et a déposé la déclaration de cessation des paiements en décembre 2022 étant précisé qu’il n’avait à cette date qu’un seul créancier s’agissant de la SCP DFC quand bien même au cours de la procédure d’autres créanciers, du fait de l’ouverture de la procédure, ont déclaré des créances.

Cette concommittance entre l’inscription individuelle et le dépôt de la déclaration de cessation des paiements démontre que l’inscription a été principalement voire uniquement effectuée pour permettre à Me [P] de bénéficier des dispositions dérogatoires des procédures collectives, dont il ne disposait pas en qualité d’associé, et ce pour faire échec au règlement de la somme due à la SCP DFC devenue définitive depuis l’arrêt de la Cour de cassation ayant rejeté son pourvoi, le 27.06.2018.

Ainsi, si la question de la motivation du dépôt de la déclaration de cessation des paiements, ne peut entrer en ligne de compte pour apprécier si le débiteur remplit les conditions d’ouverture d’une procédure collective, cette question de motivation doit être appréciée par la cour pour statuer sur la tierce-opposition formée par le créancier et il y a lieu en l’espèce de constater l’existence d’une fraude aux droits du créancier et de déclarer recevable la tierce opposition.

Sur le fond

Me [P] fait valoir sa pluri-activité et le fait qu’en conséquence il est éligible aux procédures collective sà titre individuel. Il indique que son état de cessation des paiements est établi et incontestable. Il expose qu’en raison de la théorie de l’unicité du patrimoine une dette née antérieurement au début de l’activité d’une personne éligible aux procédures collectives doit être prise en compte dans l’appréciation de son passif exigible et donc de son état de cessation des paiements. Il expose que son mobile est inopérant.

La SCP [O] conteste le fait que la créance qu’elle détient puisse être attraite dans la procédure collective de Me [P] car elle ne relève pas de son exercice individuel débuté en novembre 2022 mais d’une période antérieure et expose que la déclaration de cessation des paiements établie par Me [P] constitue manifestement une fraude à la loi, le seul but étant d’agir au détriment de son unique créancier. Ele conclut donc que les conditions d’ouverture d’une procédure collective au profit de Me [P] ne sont pas remplies puisque hors la créance qu’elle détient il n’existe pas de passif.

Le ministère public est d’avis que la pluri-activité dont bénéficie Me [P] lui permet d’être éligible aux procédures collectives et que le débiteur présente un état de cessation des paiements qui ne lui permet pas de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, de telle sorte que la tierce opposition est mal fondée et qu’il convient de confirmer la décision de première instance.

L’Ordre des avocats expose que Me [P] est éligible à la pluri-activité, qu’il est inscrit à titre individuel à l’Ordre des avocats du barreau de Paris, que dès lors qu’il exerce sa profession d’avocat à titre individuel il est éligible aux procédures collectives et qu’en l’espèce au regard de son actif disponible et de son passif exigible il présente un état de cessation des paiements justifiant l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire.

Sur ce

L’article L.631-1 du code de commerce dispose dans son premier alinéa qu’il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L.631-2 ou L.631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible est en cessation des paiements.

L’article L 640-1 dispose qu’il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l’article L 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.

Monsieur [P] qui soutient qu’il existait d’autres dettes que la dette de la SCP [O] à l’ouverture de la procédure collective n’en rapporte pas la preuve puisqu’il ne verse aux débats ni sa requête en ouverture du redressement judiciaire listant les créances dont il est redevable, ni l’état du passif établi par le mandataire judiciaire désigné de telle sorte qu’il convient de retenir qu’à la date d’ouverture de la procédure collective seule la créance de la SCP [O] était exigible.

Il n’est pas contesté par les parties que cette créance est antérieure à l’inscription de Me [P] auprès de l’Ordre des avocats en qualité d’avocat exerçant à titre individuel, possibilité qui lui est donné depuis la réforme de 2020 autorisant les avocats à exercer leur activité dans le cadre d’une pluralité d’exercice.

Cependant la théorie de l’unicité du patrimoine a pour conséquence que la procédure peut être ouverte en raison d’une dette contractée antérieurement à l’activité professionnelle ouvrant droit à l’application des règles régissant les procédures collectives, dès lors qu’à la date de l’ouverture de la procédure collective, le débiteur relevait desdites règles et était susceptible d’être poursuivi pour le règlement de cette dette.

Au surplus il ressort de la jurisprudence que l’ouverture de la liquidation judiciaire peut être prononcée alors que le débiteur n’aurait aucune dette de nature professionnelle, sur le visa de cette seule dette non professionnelle contractée avant le début de l’activité au titre de laquelle la liquidation judiciaire est prononcée.

Monsieur [P] dans le cadre de son exercice individuel de son activité d’avocat bénéficie des règles régissant les procédures collectives.

Il est actuellement redevable de la créance de la SCP [O].

Le fait que celle ci relève d’une activité antérieure à l’activité d’avocat exercée à titre individuel et n’ait rien à voir avec ladite activité, est indifférent. Il importe pour ouvrir la liquidation de constater, comme en l’espèce, que l’actif disponible de Monsieur [P] ne permet pas de régler le passif exigible.

Il en découle que le débiteur est éligible à demander l’ouverture d’une liquidation judiciaire en faisant valoir uniquement la créance antérieure détenue par la SCP [O].

Le jugement de première instance est donc confirmé.

Sur les autres demandes

Il ne convient pas de faire droit aux demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile présentées par Monsieur [P] au regard des éléments de l’affaire.

Les dépens sont passés en frais privilégiés de procédure collective.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 15.06.2023,

Et y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu de faire droit aux demandes sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens sont passés en frais privilégiés de procédure collective.

Le Greffier La Présidente

 

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