Contexte de l’affaire
Les parties s’accordent sur le transfert du contrat de travail de Mme [S] de la société Jaurès à la société Le Moka lors de la cession du fonds de commerce du 6 août 2018, par application de l’article L.1224-1 du code du travail.
Arguments des parties
La société Jaurès soutient que le contrat de travail de Mme [S] ne lui a pas été à nouveau transféré ultérieurement, car le fonds de commerce était en ruine au moment de la résolution de la cession. Mme [S], quant à elle, affirme que la résolution définitive de la cession du fonds de commerce a bien eu lieu et que le fonds était exploitable.
Application de la loi
Selon l’article L. 1224-1 du code du travail, les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise en cas de transfert d’une entité économique conservant son identité. Cependant, le retour du fonds de commerce au vendeur ne peut avoir lieu si le fonds est en ruine.
Décision du tribunal
Le tribunal a constaté que le fonds de commerce était en ruine au moment de la résolution de la cession, l’activité ayant cessé et le loyer impayé. Par conséquent, le contrat de travail de Mme [S] n’a pas été transféré à la société Jaurès. Mme [S] est déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens.
Conclusion
En raison de la situation du fonds de commerce au moment de la résolution, le contrat de travail de Mme [S] n’a pas été transféré à la société Jaurès. Mme [S] est tenue de supporter les dépens de l’affaire.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
14/09/2023
ARRÊT N°2023/363
N° RG 22/01728 – N° Portalis DBVI-V-B7G-OYTB
SB/CD
Décision déférée du 08 Avril 2022 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de CASTRES ( F 21/00013)
D. LABORDE
Section Commerce
[X] [D]
C/
[M] [S]
Association AGS CGEA [Localité 3]
INFIRMATION
Grosse délivrée
le 14/9/23
à Me PERES, Me BIZOT,
Me SAINT GENIEST
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU QUATORZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS
***
APPELANTE
Maître [X] [D] ès qualités de « Mandataire liquidateur de la « SARL unipersonnelle JAURES
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Philippe PERES de la SCP PERES-RENIER-ALRAN, avocat au barreau de CASTRES
INTIM »ES
Madame [M] [S]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Nathalie BIZOT, avocat au barreau de CASTRES
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 31555.2022.009916 du 20/06/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de TOULOUSE)
Association AGS CGEA DE [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Pascal SAINT GENIEST de l’AARPI QUATORZE, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant S. BLUM », présidente, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUM », présidente
M. DARIES, conseillère
N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUM », présidente, et par C. GIRAUD, directrice des services de greffe.
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [S] a été embauchée le 16 septembre 2013 en qualité d’employée de restauration selon un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel par la SARL unipersonnelle Jaurès, exploitante du restaurant « City burger» situé à [Localité 6] -81-.
Mme [S] a été absente à compter du 1er octobre 2014, pour cause de maladie, puis de congé de maternité suivi d’un congé parental.
Par acte notarié du 6 août 2018, le fonds de commerce de la société Jaurès a été cédé à la SAS Le Moka.
Par jugement du 13 décembre 2019, le tribunal de commerce de Castres a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société Le Moka, en faisant état de la résiliation judiciaire de la cession du fonds de commerce intervenue par jugement du même tribunal en date du 4 novembre 2019. La SCP Vitani-[T] a été désignée comme mandataire liquidateur.
A l’issue de son congé, le 1er janvier 2020, Mme [S] s’est manifestée pour reprendre le travail, en vain.
La liquidation judiciaire de la société Jaurès a été ouverte le 15 mai 2020 par un jugement du tribunal de commerce de Castres qui a nommé Maître [D] comme mandataire liquidateur.
Mme [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Castres le 15 février 2021 de demandes dirigées contre Maître [D] en sa qualité de liquidateur de la société Jaurès, aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail, de paiement d’indemnités et des salaires depuis janvier 2020.
Par jugement de départition du 8 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Castres, section commerce, a :
– prononcé la résiliation judiciaire du contrat conclu entre Mme [S] et la SARL Jaurès aux torts de l’employeur et fixé la date de la rupture du contrat au jour du jugement,
– fixé la créance de Mme [S] sur la liquidation judiciaire de la société Jaurès aux sommes suivantes :
* 1 599 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,
* 159,90 euros au titre des congés payés y afférents,
* 1 032,68 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
* 1 599 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 853,30 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,
* 21 706,10 euros au titre des rappels de salaires du 1er janvier 2020 au 8 avril 2022,
* 2 170,61 euros au titre de l’indemnité de congés payés y afférents,
– rappelé que conformément aux dispositions de l’article L.622-28 du code de commerce, le jugement d’ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations,
– ordonné la production par le mandataire liquidateur de l’attestation Pôle emploi, du certificat de travail et du solde de tout compte ainsi que des bulletins de salaire à compter du 1er janvier 2020,
– rappelé que la garantie des AGS-CGEA a un caractère subsidiaire,
– déclaré le jugement opposable aux AGS-CGEA en cas d’insuffisance de disponibilités entre les mains du mandataire judiciaire,
– dit que la garantie de l’AGS sera exclue pour les créances au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de licenciement, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l’indemnité compensatrice de congés payés,
– dit que l’AGS sera tenue à garantie à hauteur de la somme de 3 958,50 euros au titre du rappel de salaires pour la période du 1er janvier 2020 au 31 mai 2020,
– rappelé qu’en vertu des dispositions de l’article R. 1454-28 du code du travail, les dispositions précédentes qui ordonnent la remise d’un certificat de travail, de bulletins de paie ou de toute pièce que l’employeur est tenu de délivrer sont exécutoires de plein droit,
– rejeté toute autre demande,
– condamné Me [D] en qualité de mandataire liquidateur de la société Jaurès aux entiers dépens.
***
Par déclaration du 4 mai 2022, Maître [D], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL unipersonnelle Jaurès a interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées, en énonçant dans sa déclaration d’appel les chefs de la décision critiqués.
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Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 1er août 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des moyens, Me [D] ès qualités demande à la cour de :
– réformer le jugement déféré,
dire que Mme [S] n’avait pas qualité de salariée de la société Jaurès à la date du 1er janvier 2020,
– subsidiairement, dire que le contrat de travail de Mme [S] a été rompu par la force majeure à la date du 6 décembre 2019,
– constater en toute hypothèse l’absence de faute contractuelle de la société Jaurès,
– débouter Mme [S] de sa demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur,
– à titre infiniment subsidiaire, reporter la date de la résiliation judiciaire au 28 février 2016,
– débouter Mme [S] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
– la condamner à une indemnité de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– la condamner aux dépens d’appel.
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Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 28 octobre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des moyens, Mme [S] demande à la cour de :
– confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
– déclarer l’arrêt commun et opposable au CGEA,
– condamner Me [D] ès qualité aux entiers dépens pour l’ensemble des chefs de la demande.
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Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique le 24 octobre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des moyens, l’association Unedic AGS-CGEA de [Localité 3] demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société Jaurès des créances au profit de Mme [S],
– rejeter la demande de résiliation judiciaire formée par Mme [S],
– la débouter de ses demandes,
– Vu l’article L. 3253-8 1° et 5° dommages-intérêts code du travail, confirmer le jugement en ce qu’il a jugé que la garantie de l’AGS est exclue pour les créances liées à la rupture du contrat de travail à savoir l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité de licenciement, les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l’indemnité compensatrice de congés payés,
– confirmer le jugement en ce qu’il a limité à la date du 31 mai 2020 la garantie de l’AGS en ce qui concerne les rappels de salaire sauf à l’infirmer sur le montant des salaires garantis qu’il conviendra de fixer à 3 716,70 euros,
– dire que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19, L. 3253-17 et L. 3253-5 du code du travail, étant précisé que le plafond applicable s’entend pour les salariés tous sommes et créances avancées confondues et inclut les cotisations et contributions sociales et salariales d’origine légale ou d’origine conventionnelle imposées par la loi,
– dire que les indemnités réclamées sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile sont exclues de la garantie, les conditions spécifiques de celle-ci n’étant pas remplies,
– statuer ce que de droit en ce qui concerne les dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 2 juin 2023.
MOTIVATION
Les parties s’accordent sur le transfert du contrat de travail de Mme [S] de la société Jaurès à la société Le Moka lors de la cession du fonds de commerce du 6 août 2018, par application de l’article L.1224-1 du code du travail.
En revanche, la société Jaurès soutient que ce contrat de travail ne lui a pas été à nouveau transféré ultérieurement. Elle fait valoir qu’à défaut pour Mme [S] de produire le jugement du 4 novembre 2019 ayant prononcé la résolution judiciaire de la cession du fonds de commerce, et sa signification, il n’est pas établi que cette décision a autorité de la chose jugée, de sorte que seule la société Le Moka a la qualité d’employeur de Mme [S].
Elle ajoute que même en cas de résolution définitive de la cession du fonds de commerce, le contrat de travail ne pouvait être retransféré au cédant qu’à condition que le fonds soit encore exploitable, ce qui n’était pas le cas, car il avait déjà disparu lorsque la résolution a été prononcée et l’entité économique n’existait plus.
L’Unedic conclut dans le même sens.
Mme [S] répond que Me [D] en sa qualité de liquidateur de la société Jaurès est en possession de toutes les pièces qui attestent de la résolution définitive de la cession du fonds de commerce mais s’abstient de les produire, que mention de la résolution définitive a été faite dans un courriel de Me [T] liquidateur de la société Le Moka ainsi que dans le jugement du tribunal de commerce prononçant la liquidation judiciaire de cette dernière. Elle fait également valoir que Me [D] ne démontre pas que le fonds de commerce était irrécupérable, d’autant que la société Jaurès était toujours titulaire du droit au bail.
Selon l’article L. 1224-1 du code du travail, les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise en cas de transfert d’une entité économique conservant son identité dont l’activité est poursuivie ou reprise.
Il en est ainsi lorsqu’à la suite de la résolution judiciaire d’un contrat de vente de fonds de commerce, celui-ci fait retour dans le patrimoine du vendeur, le transfert des contrats de travail s’opérant le jour du jugement prononçant la résolution de la vente. Mais ce retour n’a pas lieu si le fonds est en ruine.
Constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.
Il ressort des termes des deux décisions définitives du tribunal de commerce de Castres qui ont ouvert les procédures de liquidation judiciaire de la société Le Moka et de la société Jaurès, que cette même juridiction a prononcé le 4 novembre 2019 la résolution de la vente du fonds de commerce en date du 6 août 2018.
Le tribunal a énoncé que le fonds de commerce n’a pas été exploité depuis la résolution, qu’il est « irrécupérable », que le bail est toujours en cours avec un arriéré de loyers.
Il a mentionné qu’aucune des deux sociétés n’avait de salarié.
Et il a constaté qu’au 10 mars 2020, date de la cessation des paiements de la société Jaurès, celle-ci ne pouvait pas faire face au passif exigible, lequel comprenait les loyers du fonds de commerce qui ne pouvaient donc être régularisés.
Par ailleurs, dans un courriel adressé le 9 juillet 2020 à Maître [T], liquidateur de la société Le Moka, Mme [S] a écrit que trois semaines avant le 31 décembre 2019, donc quelques jours après la résolution de la cession du fonds de commerce, elle était venue au restaurant City burger mais avait trouvé la porte fermée.
De ces éléments, il se déduit qu’à la date de la résolution de la cession du fonds de commerce, l’activité avait cessé et le loyer était impayé, que l’activité n’a jamais repris ensuite, de sorte que l’exploitation ne pouvait être poursuivie et que le fonds était donc en ruine.
Le retour du fonds de commerce à la société Jaurès par l’effet de l’article L. 1224-1 du code du travail n’a donc pas pu avoir lieu, ni le transfert du contrat de travail de Mme [S] à la société Jaurès.
Mme [S], qui n’était donc pas salariée de la société Jaurès en janvier 2020, doit être déboutée de l’ensemble de ses demandes.
Partie perdante, Mme [S] doit supporter les dépens de première instance et d’appel.
Compte tenu des circonstances de la cause, il n’y a pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit que Mme [S] n’était pas salariée de la SARL Jaurès en janvier 2020,
Déboute Mme [S] de l’ensemble de ses demandes,
Déclare le présent arrêt opposable à l’Unedic AGS-CGEA de [Localité 3],
Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [S] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par S. BLUM », présidente et C. GIRAUD, directrice des services de greffe.
LA DIRECTRICE DES SERVICES DE GREFFE LA PR »SIDENTE
C. GIRAUD S. BLUM »
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