Traitement fiscal d’une cession de fonds de commerce : la responsabilité de l’expert comptable

Notez ce point juridique

L’expert-comptable n’est tenu qu’à une obligation de moyens, non de résultat, qui s’apprécie au regard de la lettre de mission qui formalise le contrat entre les parties.

En l’espèce, la mission de la Saec Lalande était limitée à la présentation des comptes annuels, l’établissement des déclarations fiscales et d’un dossier de gestion.

Il est constant que l’enregistrement courant des opérations comptables restait à la charge de la société. Le tribunal a observé à juste titre que la mission ne comportait aucune disposition concernant les déclarations fiscales des dirigeants.

En l’espèce, il appartenait donc seulement à la Saec Lalande de constater la réalité des opérations comptabilisées et à veiller qu’elles soient affectées conformément aux prescriptions du plan comptable général. Dans ces conditions, les prélèvements personnels du gérant ne pouvaient qu’être comptabilisés au débit de son compte courant d’associé, et la présentation de la comptabilité de la société Les deux Charentes par la Saec Lalande, qui n’est en rien rendue incohérente par la présence d’un compte courant d’associé débiteur, n’est pas fautive.

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne la responsabilité de la Selarl Cabinet juridique Lalande & associés et de la Sarl d’expertise comptable Lalande & associés dans la gestion comptable et juridique de l’Eurl Les deux Charentes, notamment en ce qui concerne des prélèvements effectués par le gérant de la société sur les comptes de l’entreprise. Les époux [W], gérant et liquidateur amiable de la société, ont assigné les deux sociétés en justice pour obtenir réparation des sommes réclamées par l’administration fiscale et de leur préjudice moral. Le Tribunal judiciaire de Bordeaux a rejeté leurs demandes et les a condamnés à payer des dommages-intérêts aux sociétés. Les époux [W] ont interjeté appel de cette décision, demandant à la cour de reconnaître la responsabilité des sociétés dans les préjudices subis et de les indemniser. Les sociétés, de leur côté, contestent toute responsabilité et demandent le rejet des demandes des époux [W]. La procédure est en attente de jugement lors de l’audience du 12 mars 2024.

Les points essentiels

Les montants alloués dans cette affaire:

Réglementation applicable

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier:

Mots clefs associés & définitions

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

7 mai 2024
Cour d’appel de Bordeaux
RG n°
22/01745
COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

————————–

ARRÊT DU : 07 MAI 2024

N° RG 22/01745 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MUTT

Monsieur [S] [W]

Madame [V] [N] épouse [W]

c/

S.E.L.A.R.L. CABINET JURIDIQUE LALANDE & ASSOCIES

S.A.R.L. S.A.E.C. LALANDE ET ASSOCIES

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 mars 2022 (R.G. 20/00400) par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 07 avril 2022

APPELANTS :

Monsieur [S] [W], né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 6] (17), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

Madame [V] [N] épouse [W], née le [Date naissance 3] 1957 à [Localité 6] (17), de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

Représentés par Maître Adrien THOMAS substituant Maître Marie-Anne BLATT de la SELARL CABINET CAPORALE – MAILLOT – BLATT ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

S.E.L.A.R.L. CABINET JURIDIQUE LALANDE & ASSOCIES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 5]

Représentée par Maître Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX asssitée par Maître Fréréric MADY avocat au barreau de POITIERS

S.A.R.L. S.A.E.C. LALANDE ET ASSOCIES, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 4]

Représentée par Maître Xavier LAYDEKER de la SCP LAYDEKER – SAMMARCELLI – MOUSSEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 12 mars 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE:

Le 3 juin 1999, M. [W] a créé l’Eurl Les deux Charentes, dont il était le gérant, ayant pour objet l’exploitation d’un fonds de commerce de bar-restaurant à [Localité 7] (Charente-Maritime). La société dont la date de clôture des comptes a été fixée au 30 avril de chaque année a opté pour le régime d’imposition sur les sociétés, son dirigeant étant soumis à l’impôt sur le revenu.

La Selarl Cabinet juridique Lalande & associés était chargée du secrétariat juridique de la société Les deux Charentes.

La Sarl d’expertise comptable (SAEC) Lalande & associés était pour sa part chargée d’une mission de présentation des comptes de l’Eurl les deux Charentes, et de l’établissement de ses déclarations fiscales, selon lettre de mission du 14 juin 1999.

Le 21 décembre 2013, la société Les deux Charentes a cédé son fonds de commerce moyennant le prix de 160 000 euros, a cessé son activité et procédé à sa liquidation amiable à compter du 19 février 2014, M. [W] étant désigné comme liquidateur amiable de la société. Celui-ci a effectué deux prélèvements sur les comptes de la société le 11 avril 2014 à concurrence de 95 803 euros et le 31 mai 2014 pour 60 130,25 euros, à destination de son compte personnel. Ces prélèvements ont été portés en comptabilité au débit de son compte courant d’associé. La dissolution a été effectuée à l’arrêté des comptes du 30 avril 2015.

A partir du 22 juillet 2016, la société Les deux Charentes a fait l’objet d’une vérification de comptabilité par l’administration fiscale, dont l’attention avait été attirée par le compte courant débiteur de M. [W] s’élevant à 176 101 euros au 30 avril 2015. L’administration a ainsi relevé que le liquidateur amiable avait versé à M. [W] des sommes perçues dans le cadre de la cession du fonds de commerce, que ce dernier avait porté au crédit de ses comptes bancaires personnels. Le 22 septembre 2016, l’administration fiscale a notifié aux époux [W] une proposition de rectification d’un montant de 119 682 euros au titre de l’impôt sur le revenu ainsi que des prélèvements sociaux outre des intérêts de retard et une pénalité de 40% pour mauvaise foi. Le 18 octobre 2016, le cabinet juridique Lalande a adressé aux époux [W] un courrier à signer et à adresser au centre des finances publiques de [Localité 8], ce qui a été fait le 19 octobre suivant, courier qui ne contestait pas le principe du rehausssement et contestait la majoration de 40%. Le 8 décembre 2016, une proposition de rectification a été adressée aux époux [W], modifiant la pénalité de 40% en une pénalité de 10%. Le montant appelé était alors de 92 405 euros dont 4 919 euros d’intérêts de retard et 5 512 euros de majorations.

Par acte d’huissier du 23 décembre 2019, M. et Mme [W] ont fait assigner la SAEC Lalande et associés et la société Cabinet juridique Lalande et associés devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en paiement de dommages-intérêts, pour demander réparation des sommes réclamées par l’administration fiscale et de leur préjudice moral.

Par Jugement du 17 mars 2022, le Tribunal judiciaire de Bordeaux a :

– Déclaré M [W] et Mme [N] épouse [W] bien-fondés à saisir le tribunal judiciaire de Bordeaux en application de l’article 47 du code de procédure civile,

– Rejeté l’exception de forclusion opposée par la Sarl SAEC Lalande et associés

– Débouté M. [W] et Mme [N] épouse [W] de l’ensemble de leurs demandes dirigées à l’encontre de la Selarl Cabinet juridique Lalande et Associés et de la Selarl Cabinet juridique Lalande et Associés

– Condamné M. [W] et Mme [N] épouse [W] in solidum à payer à la Selarl Cabinet juridique Lalande et Associés et de la Selarl Cabinet juridique Lalande et Associés la somme de 1.000 euros chacune

– Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire

– Condamné M. [W] et Mme [N] épouse [W] in solidum aux dépens qui pourront être recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile

Par déclaration du 7 avril 2022, M. et Mme [W] ont interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la Selarl Cabinet Juridique Lalande et associés et la Saec Lalande et associés.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 18 janvier 2023, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. et Mme [W] demandent à la cour de :

– Déclarer recevables M. et Mme [W] en leur appel,

– Rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions formées par la société SAEC Lalande et associés,

– Rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions formées par la société Cabinet juridique Lalande et associés,

– Confirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Bordeaux le 17 mars 2022 (RG n°20/00400) en ce qu’il :

– Déclare M. [S] [W] et Mme [V] [N] épouse [W] bien fondés à saisir le tribunal judiciaire de Bordeaux en application de l’article 47 du code de procédure civile,

– Rejette l’exception de forclusion opposée par la Sarl SAEC Lalande et associés

– Réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 17 mars 2022 (RG n°20/00400) en ce qu’il :

Déboute M. [S] [W] et Mme [V] [N] épouse [W] de l’ensemble de leurs demandes dirigées à l’encontre de la Sarl SAEC Lalande et Associés et de la Selarl Cabinet juridique Lalande et associés

Condamne M [S] [W] et Mme [V] [N] épouse [W] de l’ensemble in solidum à payer à la Sarl SAEC Lalande et Associés et de la Selarl Cabinet juridique Lalande et Associés la somme de 1.000 euros à chacun

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Statuant à nouveau :

– Prononcer l’engagement de la responsabilité délictuelle de la « société SAEC Lalande et associés » en raison des fautes commises à l’encontre de M [S] [W] et Mme [V] [N] épouse [W],

– Prononcer l’engagement de la responsabilité délictuelle de la « société SAEC Lalande et associés » en raison des fautes commises à l’encontre de M [S] [W] et Mme [V] [N] épouse [W],

En conséquence,

– Condamner in solidum les sociétés SAEC Lalande et Cabinet juridique Lalande et associés à indemniser les consorts [W] de la somme de 92.405 euros au titre des montants réclamés par l’administration fiscale,

A titre subsidiaire,

– Dire et juger que la défaillance fautive des sociétés SAEC Lalande et associés et cabinet juridique Lalande et associés a été à l’origine de l’obligation pour les consorts [W] de s’acquitter auprès de l’administration fiscale de pénalités et majorations de retard,

– En conséquence, Condamner in solidum les sociétés SAEC Lalande et Associés et Cabinet juridique Lalande et associés à indemniser les consorts [W] à hauteur du préjudice subi soit 10.431 euros

En tout état de cause,

– Condamner in solidum les sociétés SAEC Lalande et associés et cabinet juridique Lalande et associés à indemniser les consorts [W] à hauteur du préjudice moral subi soit 10.000 euros pour chacun

– Condamner in solidum les sociétés SAEC Lalande et associés et cabinet juridique Lalande et associés à verser aux consorts [W] la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens d’instance.

M. et Mme [W] font notamment valoir :

Que le rejet de l’exception de forclusion doit être rejetée en ce que l’action est intentée en leur nom personnel alors que la clause invoquée figure dans un contrat signé avec l’Eurl Les deux Charentes ; que les conventions n’ont d’effet qu’entre les parties ; que doit s’appliquer au présent litige le délai de prescription de droit commun de 5 ans ; que l’assignation a été délivrée dans ce délai ;

Sur la responsabilité du cabinet d’expertise comptable, qu’aucun contrat n’avait directement été conclu, et que l’action a un fondement délictuel ; que l’opération de transfert vers son compte personnel a été réalisé de bonne foi par M. [W], qui souhaitait préparer son départ à la retraite ; que les deux sociétés de conseil n’ont réagi qu’après le prélèvement des sommes, et que aucune n’a proposé de solution concrète ; que l’inscription au compte courant a été proposée par la société comptable ; que ses missions ne ne limitaient pas à la présentation des comptes ; qu’elle devait apporter son expertise de professionnel du chiffre dans la surveillance de la comptabilité et dans la présentation d’une comptabilité qui représente fidèlement la situation financière de la société, et ne pouvait se contenter de porter les prélèvements au débit, ce qui ne répond pas aux exigences légales ; que l’expert-comptable doit attirer l’attention de son client sur les conséquences fiscales d’un désordre dans sa comptabilité, et signaler une possibilité d’exonération fiscale ; que la société SAEC n’a jamais apporté le moindre conseil et a continué sur les exercices suivants à porter les sommes prélevées au débit du compte courant d’associé, au risque d’un redressement fiscal inévitable, et n’a pas établi de liasse rectificative pour remédier à la situation ; que la société comptable a commis des manquements qui leur ont été préjudiciable.

Sur la responsabilité du cabinet juridique, elle ajoute que celui-ci avait notamment la charge de procéder aux formalités de dissolution, et qu’il était nécessairement au courant de la volonté de M. [W] ; que l’avocat est tenu à une obligation de diligence et de conseil dans sa mission de rédaction, de consultation et d’assistance ; qu’est fautif l’avocat qui n’informe pas son client des conséquences fiscales de l’opération juridique projetée par son client, sans qu’il ne soit nécessaire au client de le demander ; que le cabinet juridique connaissait parfaitement les motifs de la dissolution de la société et avait connaissance de la vente du fonds, dont M. [W] avait l’intention de récupérer le prix ; qu’aucun conseil n’a été apporté sur le sort du produit de la vente et sur les possibilités d’optimisation juridique et fiscale ;

Sur leurs préjudices, que la somme de 92 405 euros n’aurait pas dû être celle mise à leur charge, et qu’à titre subsidiaire, les sociétés comptable et juridique doivent être condamnées à les indemniséer au titre des intérêts et majorations de retard, outre leur préjudice moral.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 29 septembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Selarl Cabinet Juridique Lalande et Associés demande à la cour de :

– Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire de Bordeaux en toutes ses dispositions.

– Débouter en conséquence les époux [W] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre la Selarl Cabinet juridique Lalande et associes.

Y ajoutant.

– Condamner les époux [W] à payer à la Selarl Cabinet juridique Lalande et associes la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d’appel

– Les condamner enfin en tous les frais et dépens tant de 1ère instance que d’appel dont distraction au profit de la SCP Laydeker – Sammarcelli – Mousseau, Avocat, qui sera autorisée à les recouvrer dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile

La société cabinet juridique Lalande fait notamment valoir que les appelants ne démontrent pas dans quelles conditions la société Les deux Charentes auraient pu bénéficier d’exonérations en vertu des dispositions de l’article 238 quindecies du code général des impôts ; qu’elle n’a jamais eu la moindre mission dans l’opération de cession du fonds de commerce ; qu’elle n’encourt ni responsabilité contractuelle ni délictuelle ; qu’au delà de sa mission vis-à-vis de l’Eurl Les deux Charentes, elle n’a jamais été le conseil des époux [W] à titre personnel, à l’exception de son intervention devant l’administration fiscale pour obtenir remise de la pénalité ; que les époux [W] ont décidé d’agir seuls sans solliciter le moindre conseil ; que les motifs du tribunal ne sont pas contredits par les appelants ; qu’elle n’assurait que le simple secrétariat juridique de la société ; que celle-ci n’a jamais entendu bénéficier des dispositions de l’article 238 quidecies du CGI ; que les appelants ne peuvent se prévaloir d’aucune perte de chance permettant une indemnisation, en l’absence de préjudice indemnisable ; que M. [W], en sa qualité de dirigeant de société, ne pouvait ignorer la conséquence des prélèvements illicites.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 6 juillet 2023, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Saec Lalande demande à la cour de :

Réformer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Bordeaux le 17 mars 2022 en ce qu’il a :

– « Rejeté l’exception de forclusion opposée par la Sarl SAEC Lalande et associés »

Et statuant à nouveau,

– Déclarer irrecevable car forclose l’action de M. et Mme [W],

A défaut, confirmer le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Bordeaux le 17 mars 2022 en ce qu’il a :

– « Débouter M. [S] [W] et madame [V] [N] épouse [W] de l’ensemble de leurs demandes dirigées à l’encontre de la Sarl SAEC Lalande et associés et de la Selarl Cabinet juridique Lalande et associés,

– Condamner M. [S] [W] et Mme [V] [N] épouse [W] in solidum à payer à la SARL SAEC Lalande et associes et à la Selarl Cabinet juridique Lalande et associe la somme de 1000 euros à chacune

– Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

– Condamner M. [S] [W] et madame [V] [N] épouse [W] in solidum aux dépens »

Y ajoutant,

– Condamner M. et Mme [W] à verser à la société S.A.E.C. Lalande et associes une indemnité de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour,

– Condamner M. et Mme [W] aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de la Scp Laydeker Sammarcelli Mousseau, avocats, sur ses affirmations de droit.

La Saec Lalande fait notamment valoir :

Sur la recevabilité, que l’action des époux [W] ne peut être fondée que sur la lettre de mission, qui inclut une clause valide portant délai de forclusion de trois mois à compter de la connaissance du sinistre par le demandeur ; que les époux [W] ne peuvent à la fois prétendre qu’elle avait des obligations à leur égard et refuser que certaines clauses du contrat leur soient inopposables ; que l’expert-comptable n’est tenu que d’une obligation de moyens et non de résultat; qu’il n’y a pas en l’espèce de manquement dans l’obligation des comptes ; que M. [W] a effectué de son propre chef des prélèvements sur les comptes de l’Eurl à son profit personnel, ce dont elle ne pouvait que prendre acte et veiller à ce qu’ils soient comptabilisés conformément aux prescriptions du plan comptable, c’est à dire au débit d’un compte d’associé ; que l’infraction au code de commerce vient des prélèvements et non de leur comptabilisation ; qu’il ne peut lui être fait grief d’avoir respecté ses obligations comptables ; qu’elle n’était pas tenue à l’égard des époux [W] d’un quelconque devoir des conseil au regard du caractère limité de sa mission ; qu’elle n’avait pas de mission se rapportant au traitement fiscal du prix de cession du fonds de commerce, un cabinet spécialiste en droit fiscal ayant été confié à un cabinet d’avocats ; qu’une hypothétique faute serait au surplus sans lien avec le préjudice allégué ; que l’impôt dû par les époux [W] n’est que la conséquence des prélèvements de M. [W], qui a traité les fonds de la société comme des fonds lui appartenant ; que l’impôt n’est pas un préjudice réparable ; qu’il n’existait pas de possibilité d’échapper au paiement de l’impôt en principal ; que le redressement fiscal n’a fait que rétablir la situation fiscale normale des époux [W]; que le préjudice moral allégué n’est justifié ni dans son principe ni dans son quantum, et que des dommages-intérêts ne peuvent être demandés pour un préjudice de nature illicite, l’administration fiscale ayant observé que l’action de M. [W] ne pouvait résulter d’une simple erreur, mais résultait d’actes conscients et volontaires.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 27 février 2024 et l’affaire renvoyée à l’audience du 12 mars 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

La compétence territoriale des juridictions bordelaises par application de l’article 47 du code de procédure civile, la société Cabinet Juridique Lalande & Associés étant inscrite en qualité d’avocat au barreau de Saintes (Charente-Maritime), dans le ressort du tribunal judiciaire de cette ville et de la cour d’appel de Poitiers, n’est pas contestée devant la présente cour, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer davantage.

Sur l’exception d’irrecevabilité pour forclusion

La SAEC Lalande reprend devant la cour son exception d’irrecevabilité de l’action pour cause de forclusion, qui a été écartée par le tribunal.

Cette intimée fait valoir que dans la lettre de mission du 14 juin 1999 figure une clause (article 5 ‘ sa pièce n° 1) qui stipule que toute demande de dommages-intérêts devra être introduite dans les trois mois suivant la date à laquelle le client a eu connaissance du sinistre, et que l’assignation délivrée en décembre 2019 est au-delà du délai préfix de 3 mois après la connaissance du sinistre invoqué. Elle observe que les époux [W] ne peuvent à la fois prétendre qu’elle avait des obligations à leur égard découlant d’un contrat et refuser certaines clauses dudit contrat.

Pour autant, le tribunal a exactement jugé que le cabinet comptable ne pouvait opposer aux époux [W], personnes physiques, un clause d’un contrat conclu avec une personne juridique différente, la société Les deux Charentes, les conventions n’ayant d’effet qu’entre les parties contractantes. Par ailleurs, les époux [W] recherchent la responsabilité délictuelle de la société comptable, et non sa responsabilité contractuelle, de sorte qu’il n’y a pas lieu de s’interroger davantage sur l’applicabilité aux époux [W], pris à titre personnel, des autres clauses de la lettre de mission formalisant le contrat entre la société comptable et la société Les deux Charentes.

Le tribunal a tout aussi exactement relevé que l’assignation du 23 décembre 2019 avait engagé l’action dans le délai légal de prescription de 5 années suivant le 29 juin 2016, date des propositions de rectification émanant de l’administration fiscale.

Le moyen de forclusion a été écarté à bon droit, et ce chef de décision sera confirmé.

Sur la responsabilité recherchée de la Selarl Cabinet Juridique Lalande & Associés

Les époux [W] recherchent la responsabilité du Cabinet Juridique en soutenant que ce cabinet a manqué à son obligation de diligence et de conseil dans sa mission de rédaction, de consultation et d’assistance, faisant valoir que cette société avait « notamment » la charge de procéder aux formalités de dissolution de la société Les deux Charentes. Les appelants estiment qu’est fautif l’avocat qui n’informe pas son client des conséquences fiscales de l’opération juridique projetée par son client, alors que l’obligation de conseil pèse sur l’avocat rédacteur sans qu’il soit nécessaire pour le client de le réclamer et que le Cabinet Juridique connaissait parfaitement les motifs de la dissolution et avait connaissance de la vente du fonds de commerce.

La Selarl Cabinet Juridique Lalande oppose d’abord l’absence de devoir de conseil envers les tiers, faisant valoir qu’elle n’a jamais été le conseil des époux [W] à titre personnel.

Pour autant, le cabinet juridique reconnaît avoir reçu une mission de la société Les deux Charentes, de sorte que c’est à bon droit que le tribunal a pu juger que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel, dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

Ce premier moyen de défense est donc inopérant.

Le Cabinet Juridique Lalande oppose ensuite, cette fois à juste titre, qu’elle n’avait pas été mandatée par la société dans le cadre de l’opération de cession de son fonds de commerce, exclusivement réalisée par le cabinet Legisphère, avocat en droit fiscal (acte de cession du 21 décembre 2013 – pièce n° 2 des appelants). Le tribunal a d’ailleurs pu relever que l’acte de cession précisait, au paragraphe « déclarations fiscales ‘ plus-values » que « le vendeur fera son affaire personnelle des dispositions fiscales afférentes à la plus-value éventuelle résultant de la vente de son fonds de commerce », ce dont il a pu déduire que M. [W] s’était informé des conséquences fiscales de la vente et du sort du prix de vente.

Il peut aussi être utilement observé que la société venderesse du fonds n’a jamais entendu bénéficier des exonérations fiscales sous conditions prévues par l’article 238 quindecies du code général des impôts, qui impliquent le maintien des fonds dans la société, ce qui est confirmé par le comportement du liquidateur amiable, qui a au contraire décidé de prélever personnellement des comptes de la société le produit de la vente du fonds.

M. [W] ne conteste pas qu’il n’a pas demandé le conseil du Cabinet Juridique Lalande pour l’utilisation des sommes, et ne procède que par affirmations lorsqu’il soutient que ce cabinet juridique connaissait « parfaitement » les motifs de la dissolution et la vente du fonds, sans en tirer d’ailleurs de conséquences utiles au regard de la mission limitée qu’il avait confiée au cabinet juridique, à savoir la formalisation d’opérations juridiques de liquidation amiable de la société Les deux Charentes.

Il apparaît que M. [W] a demandé au cabinet juridique, habituellement chargé de la formalisation des décisions des assemblées générales de la société Les deux Charentes, de formaliser sa désignation en qualité de liquidateur amiable de la société, ce qui a été exécuté (PV du 31 décembre 2013 – pièce n° 2 du cabinet juridique et certificat de dépôt de l’acte ‘ sa pièce n° 3). Ce n’est qu’après avoir reçu la proposition de rectification de l’administration fiscale que les époux [W] ont sollicité le Cabinet Juridique, qui a proposé à leur signature une lettre contestant la majoration, courrier qui a abouti à la baisse de celle-ci de 40 à 10 % (pièces n° 11 et 12 des appelants).

Les appelants sont donc mal fondés à soutenir que le cabinet juridique, à l’occasion de cette mission limitée et postérieure aux prélèvements, aurait dû cependant prendre l’initiative de les conseiller sur l’emploi du produit de la vente du fonds, et ils n’établissent pas de faute à l’origine d’un préjudice.

La décision du tribunal déboutant les époux [W] de leurs demandes envers le Cabinet Juridique Lalande sera confirmée.

Sur la responsabilité recherchée de la société d’expertise comptable Lalande et Associés

Les époux [W] recherchent également la responsabilité délictuelle de la société d’expertise comptable Lalande & Associés en soutenant que cette société a manqué à ses obligations contractuelles dans ses relations avec la société Les deux Charentes, ce manquement contractuel leur causant un préjudice. Ils font état de la bonne foi de M. [W] lorsqu’il a procédé au transfert du produit de la vente sur ses comptes personnels, la subtilité juridique voulant que le fonds appartenait à la société lui ayant échappé.

Il font valoir que, outre la mission de présentation des comptes, la Saec Lalande avait obligation d’apporter son expertise dans la surveillance de la comptabilité de sa cliente, devait présenter une comptabilité fidèle et ne pouvait se contenter de porter les sommes prélevées sur les comptes au débit du compte courant de l’associé unique, et apporter son conseil sur les risques causés par une présentation des comptes, l’alerter sur la situation et lui proposer des solutions.

Pour autant, l’expert-comptable n’est tenu qu’à une obligation de moyens, non de résultat, qui s’apprécie au regard de la lettre de mission qui formalise le contrat entre les parties. En l’espèce, la mission de la Saec Lalande était limitée à la présentation des comptes annuels, l’établissement des déclarations fiscales et d’un dossier de gestion (lettre de mission ‘ pièce n° 1 de la Saec). Il est constant que l’enregistrement courant des opérations comptables restait à la charge de la société Les deux Charentes, en la personne de Mme [W] (annexe à la lettre de mission). Le tribunal a observé à juste titre que la mission ne comportait aucune disposition concernant les déclarations fiscales des dirigeants.

En l’espèce, il appartenait donc seulement à la Saec Lalande de constater la réalité des opérations comptabilisées et à veiller qu’elles soient affectées conformément aux prescriptions du plan comptable général. Dans ces conditions, les prélèvements personnels du gérant ne pouvaient qu’être comptabilisés au débit de son compte courant d’associé, et la présentation de la comptabilité de la société Les deux Charentes par la Saec Lalande, qui n’est en rien rendue incohérente par la présence d’un compte courant d’associé débiteur, n’est pas fautive.

S’agissant d’un éventuel conseil de la part de la Saec, il doit être relevé que les époux [W] reconnaissent ne pas avoir demandé au cabinet comptable un conseil avant de procéder aux prélèvements litigieux, ni même ne soutiennent l’en avoir averti préalablement, de sorte que l’expert-comptable ne pouvait pas empêcher l’opération irrégulière, et ne pouvait que la constater et la comptabiliser conformément aux règles en vigueur pour la clôture des comptes, intervenue le 30 avril 2014, quelques jours seulement après le premier prélèvement du 11 avril. La Saec ne pouvait qu’aviser les époux [W], a posteriori et après les avoir constatés, des conséquences fiscales des prélèvements directs, faits en franchise d’impôts et de cotisations sociales, ce qui n’aurait pas empêché l’action de l’administration fiscale.

Les époux [W] n’établissent pas, ni ne soutiennent, qu’ils auraient confié à la société comptable une mission, ou demandé une consultation, sur le traitement fiscal du prix de cession, l’opération de cession, à l’occasion de laquelle des conseils fiscaux auraient pu être demandés, ayant même été confiée à un autre cabinet d’avocats.

Il doit aussi être observé que les prélèvements sans préavis opérés par M. [W] de sa propre initiative empêchaient la mise en ‘uvre des autres possibilités qu’il cite pour utiliser les fonds : versement de dividendes ou complément de rémunération. Au demeurant, il n’est nullement établi que ces autres solutions n’auraient pas généré un montant d’impôts similaire à celui qu’ils ont finalement dû régler. Par ailleurs, M. [W] n’apparaît pas avoir subi une sanction civile ou pénale fondée sur les dispositions de l’article L. 223-21 du code de commerce, qui prohibe, pour le gérant d’une société à responsabilité limitée, les découverts en compte courant.

Ainsi, le tribunal a déduit exactement de l’ensemble de ces éléments que les époux [W] n’établissaient ni une faute contractuelle de la Saec Lalande ni un préjudice certain pour eux, et que leur demandes ne pouvaient qu’être rejetées.

Sur les autres demandes

Partie tenue aux dépens d’appel, dont recouvrement direct par la SCP Laydeker Sammarcelli Mouseau, avocat qui en fait la demande, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, M. et Mme [W] paieront, à la Selarl Cabinet Juridique Lalande & Associés la somme de 1 500 euros et à la Saec Lalande & Associés la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Rejette l’exception d’irrecevabilité pour forclusion soutenue par la Saec Lalande & Associés,

Confirme le jugement rendu entre les parties le 17 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Bordeaux,

Condamne in solidum M. [W] et Mme [N] épouse [W] à payer à la Selarl Cabinet Juridique Lalande & Associés la somme de 1 500 euros et à la Sarl d’expertise comptable Lalande & Associés la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Condamne in solidum M. [W] et Mme [N] épouse [W] aux dépens d’appel, dont recouvrement direct par la SCP Laydeker Sammarcelli Mouseau, avocat qui en fait la demande, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Magistrat

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