Trading sur Boursorama : devoir de mise en garde et responsabilité bancaire

Notez ce point juridique

Le banquier prestataire de services d’investissement est débiteur d’une obligation d’évaluation. Il doit ainsi vérifier si son client possède le niveau d’expérience et de connaissance requis pour appréhender les risques inhérents à l’instrument financier ou au service d’investissement proposé et adapter en conséquence, l’information préalable qui lui sera délivrée.

Le prestataire de services d’investissement étant débiteur d’une obligation de mise en garde envers ses clients à la double condition que d’une part, ils ne soient pas avertis et que d’autre part, l’opération ne soit pas une opération de spéculation, la qualité d’investisseur confirmé dispense la banque de son devoir de mise en garde.


M. [C] [W] a ouvert un compte-titres chez Boursorama Banque en 2003 pour investir sur les marchés financiers. En 2011, il a opté pour une formule tarifaire « ultimate trader » qui, en l’absence d’au moins 30 ordres par mois, entraînait des frais d’abonnement de 119 euros. M. [W] a réalisé des opérations de manière sporadique jusqu’en 2017, accumulant des pertes significatives, notamment plus de 260 000 euros au début de 2017. Il a attribué une partie de ces pertes aux commissions de la banque et à un changement unilatéral de sa formule tarifaire.

En 2017, M. [W] a tenté de transférer 23 000 euros vers un autre compte pour rembourser un crédit, mais Boursorama a retardé ce virement de quatre mois. Mécontent des réponses de la banque, M. [W] a fait appel à la médiation de l’Autorité des Marchés Financiers, qui n’a pas abouti faute de réponse de Boursorama.

M. [W] a ensuite poursuivi Boursorama en justice pour obtenir réparation pour ses pertes et les manquements de la banque. En première instance, sa demande a été jugée irrecevable et il a été condamné à payer des frais de justice. Il a fait appel de cette décision en 2021.

En appel, M. [W] a contesté la prescription de son action et a réaffirmé que Boursorama avait manqué à ses obligations d’information et d’évaluation, et n’avait pas fourni les avertissements nécessaires compte tenu de son profil d’investisseur. Il a également contesté la modification unilatérale de son contrat de tarification et a demandé des dommages-intérêts pour le retard dans l’exécution du virement.

La cour d’appel a reconnu que l’action de M. [W] n’était pas prescrite pour les pertes subies à partir de février 2013 et a critiqué Boursorama pour ne pas avoir prouvé qu’elle avait respecté ses obligations d’information et d’évaluation. Cependant, la cour a jugé que M. [W], en tant qu’investisseur confirmé, n’avait pas besoin d’un avertissement spécifique de la banque. La cour a également rejeté la demande de M. [W] concernant les frais supplémentaires allégués dus au changement de tarification et a confirmé que le retard du virement était de sa responsabilité. Enfin, la cour a décidé que M. [W] devait supporter les frais de justice de l’appel.

Infirmation du jugement et condamnation de la société Boursorama Banque

La Cour a infirmé le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nantes, à l’exception de certaines dispositions. Elle a débouté M. [C] [W] de certaines demandes en indemnisation mais a jugé recevable son action en responsabilité contre la société Boursorama Banque pour une période donnée.

Condamnation à une somme de réparation

La société Boursorama Banque a été condamnée à verser à M. [C] [W] la somme de 1 000 euros en réparation de la perte de chance subie en raison de manquements à l’obligation d’information et d’évaluation sur une période déterminée. Cependant, la demande d’indemnisation pour un autre manquement a été rejetée.

Déboutement de certaines demandes et condamnation aux dépens

M. [C] [W] a été débouté de certaines demandes d’indemnisation et a été condamné aux dépens d’appel. Toute demande supplémentaire a été rejetée par la Cour.

– Partie demanderesse : 10 000 euros
– Partie défenderesse : 5 000 euros
– Frais de justice : 2 000 euros


Réglementation applicable

Le prestataire de services d’investissement étant débiteur d’une obligation de mise en garde envers ses clients à la double condition que d’une part, ils ne soient pas avertis et que d’autre part, l’opération ne soit pas une opération de spéculation, la qualité d’investisseur confirmé dispense la banque de son devoir de mise en garde.

L’investisseur averti est celui qui fort de son expérience, a acquis la capacité à appréhender la nature du service ou de l’instrument financier sollicité, d’en mesurer les risques inhérents et partant d’apprécier l’opportunité que représente pour lui la souscription de ce service ou de cet instrument.
Le banquier prestataire de services d’investissement est débiteur d’une telle obligation à l’égard de son cocontractant, lui permettant d’être éclairé dans ses décisions et le cas échéant de modifier son comportement. L’information apportée ne doit éluder ni les caractéristiques les moins favorables des produits ni les risques inhérents au placement choisi.

Le banquier prestataire de services d’investissement est également débiteur d’une obligation d’évaluation. Il doit ainsi vérifier si son client possède le niveau d’expérience et de connaissance requis pour appréhender les risques inhérents à l’instrument financier ou au service d’investissement proposé et adapter en conséquence, l’information préalable qui lui sera délivrée.

Toutefois, il est admis que le seul manquement du prestataire de services d’investissement à l’obligation d’évaluer la situation financière de son client, son expérience en matière d’investissement et ses objectifs ne peut en lui même causer un préjudice et donc engager sa responsabilité.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Marie FAVREAU
– Me Bertrand MERLY
– Me Arnaud-Gilbert RICHARD

Mots clefs associés

– Cour
– Jugement
– Tribunal judiciaire
– Nantes
– M. [C] [W]
– Indemnisation
– Contrat
– Virement
– Responsabilité
– Société Boursorama Banque
– Perte de chance
– Obligation d’information
– Obligation d’évaluation
– Obligation de mise en garde
– Dépens
– Appel

– Motifs de la décision : Raisons juridiques et factuelles qui justifient la décision rendue par un juge.

– Article 472 du code de procédure civile : Cet article stipule que le juge doit mentionner dans sa décision les motifs qui ont déterminé sa conviction.

– Recevabilité de la demande : Critère juridique permettant de déterminer si une demande peut être entendue par le tribunal, basé sur des conditions telles que l’intérêt à agir, la capacité juridique, et la compétence du tribunal.

– Article 24 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 : Cet article concerne les obligations du bailleur, notamment en matière de délivrance et d’entretien du logement conforme à son usage d’habitation.

Résiliation du bail : Procédure permettant de mettre fin au contrat de location suite à la violation des conditions du bail par l’une des parties.

– Clause résolutoire : Clause prévue dans un contrat qui entraîne la résiliation automatique du contrat en cas de non-respect de certaines obligations par l’une des parties.

– Commandement de payer : Acte juridique par lequel un créancier demande à son débiteur de payer ce qu’il doit sous peine de poursuites.

Expulsion : Action d’obliger une personne à quitter les lieux qu’elle occupe sans droit ou titre légal, souvent après une procédure judiciaire.

– Article L.412-1 du code des procédures civiles d’exécution : Cet article réglemente les conditions et la procédure d’expulsion des personnes et de leurs biens d’un logement.

– Indemnité d’occupation : Somme d’argent que l’occupant d’un bien immobilier doit payer au propriétaire en compensation de l’utilisation du bien après la fin du bail ou en cas d’occupation sans droit.

– Arriéré locatif : Ensemble des loyers impayés par le locataire.

– Article 835 du code de procédure civile : Cet article définit les modalités de saisie des biens mobiliers corporels pour le paiement d’une dette.

– Articles 1103 et 1217 du code civil : Article 1103 établit le principe de la liberté contractuelle, et l’article 1217 offre la possibilité à une partie d’un contrat de demander son exécution forcée, sa résolution, ou une réduction de ses obligations en cas de manquement de l’autre partie.

– Indemnités d’occupation : Voir Indemnité d’occupation.

Article 700 du code de procédure civile : Cet article permet à une partie de demander une indemnisation pour les frais non compris dans les dépens qu’elle a dû engager pour sa défense en justice.

– Dépens : Frais de justice qui doivent être payés par une des parties à l’issue d’un procès, selon la décision du juge.

– Exécution provisoire : Mesure permettant l’exécution immédiate d’une décision de justice, sans attendre que les voies de recours soient épuisées.

– Article 514 du code de procédure civile : Cet article concerne les modalités d’exécution provisoire des décisions de justice, notamment les conditions et les limites de cette exécution.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

2ème Chambre

ARRÊT N°14

N° RG 21/01828

N° Portalis DBVL-V-B7F-RO5U

(3)

M. [C] [W]

C/

S.A. BOURSORAMA

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me FAVREAU

– Me MERLY

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 19 JANVIER 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Mme Ludivine BABIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Septembre 2023

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 19 Janvier 2024, après prorogations, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

APPELANT :

Monsieur [C] [W]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Marie FAVREAU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉE :

S.A. BOURSORAMA

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Bertrand MERLY de la SELARL CMA, postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Arnaud-Gilbert RICHARD, plaidant, avocat au barreau de PARIS

EXPOSE DU LITIGE :

En septembre 2003. M. [C] [W] a ouvert un compte-titres destiné à investir sur les marchés financiers auprès de la société Boursorama Banque, société de banque en ligne. Il a réalisé à partir d’octobre 2003, des opérations de bourse avec le Service à règlement et livraison différés (ci-après SRD) offert par cette banque consistant à prendre des positions sur le marché des actions et à différer les paiements et les encaissements en fin de mois.

En septembre 2011, M. [W] a choisi la formule tarifaire ‘ultimate trader’ proposée par la société Boursorama, permettant des frais de courtage plus bas que les autres formules tarifaires sous réserve de l’exécution d’au moins 30 ordres par mois. A défaut, des frais d’abonnement tarifaires de 119 euros étaient appliqués par la banque.

M. [W] a réalisé de manière sporadique des opérations SRD jusqu’au mois de mars 2017, laissant s’écouler plusieurs mois parfois sans passer un seul ordre.

En mars 2017, M. [W] a constaté un montant total de perte de 425 279 euros dont plus de 260 000 euros sur les seuls trois premiers mois de 2017 et considéré que près d’un quart de ces pertes, correspondait aux commission perçues par la société Boursorama et à la modification unilatérale de sa formule tarifaire. A partir de juin 2017, il a souhaité virer la somme de 23 000 euros depuis son compte Boursorama sur son compte bancaire ouvert auprès de la Société Générale pour procéder au remboursement d’un crédit. Cet ordre de virement n’a pas été exécuté par la société Boursorama avant quatre mois.

Mécontent des explications données par la société Boursorama à ses questions sur tous ces points, M. [W] a sollicité l’intervention de la médiation de l’Autorité des Marches Financiers( AMF). Un dossier a été créé le 5 janvier 2018 ouvrant un délai de 90 jours pour l’avis rendu. La société Boursorama n’a jamais répondu aux sollicitations du médiateur. Le 16 juillet 2018, la médiation AMF a informé M. [W] de ce qu’elle n’était dès lors pas en mesure de rendre un avis.

Par acte d’huissier en date du 7 septembre 2018, M. [W] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nantes la société Boursorama en indemnisation des préjudices résultants des manquements à ses obligations.

Par jugement en date du 16 février 2021, le tribunal judiciaire de Nantes a :

– déclarée irrecevable la demande d’indemnisation de M. [C] [W] des pertes réalisées par le service de règlement différé,

– débouté M. [C] [W] de l’ensemble de ses demandes,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

– condamné M. [C] [W] à payer à la banque Boursorama la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [C] [W] au paiement des dépens de l’instance.

Par déclaration en date du 22 mars 2021, M. [W] a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 8 juin 2023, il demande à la cour de :

Vu l’article 15 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 533 et suivants du code monétaire et financier,

Vu l’article 314-53 du règlement général de l’Autorité des Marchés Financiers,

Vu les articles 1134,2224, 1353 et 1376 du code civil dans leur version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016,

– écarter des débats les conclusions n° 2 communiquées par la société Boursorama le 7 juin 2023 comme tardives,

– infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nantes le 16 février 2021 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

– déclarer recevable l’action engagée par M. [C] [W] à l’encontre de la société Boursorama,

– condamner la société Boursorama à payer à M. [C] [W] la somme de 387 799 euros correspondant aux pertes réalisées sur le SRD,

– condamner la société Boursorama à payer à M. [C] [W] la somme de 66 480 euros correspondant aux frais qu’elle a indûment perçus,

– condamner la société Boursorama à payer à M. [C] [W] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

-condamner la société Boursorama à payer à M. [C] [W] la somme de 272,59 euros en réparation du préjudice subi du fait du retard d’exécution de son instruction de virement,

– condamner la société Boursorama à payer à M. [C] [W] la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la même aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 7 juin 2023, la société Boursorama Banque demande à la cour de :

Vu les articles 1103 et 2224 du code civil,

Vu les articles L.533-11 et suivants du code monétaire et financier,

– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 16 février 2021 par le tribunal judiciaire de Nantes,

– condamner M. [C] [W] au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [C] [W] au paiement des entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions des parties, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 22 juin 2023.

EXPOSE DES MOTIFS :

A titre liminaire, il sera constaté que l’ordonnance de clôture étant finalement intervenue le 22 juin 2023, il n’y a pas lieu d’écarter des débats, comme tardives, les conclusions n°2 de la société Boursorama Banque notifiées le 7 juin 2023, l’appelant ayant eu un délai suffisant pour y répliquer.

Sur la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action en responsabilité :

Le tribunal a jugé que l’action engagée par M. [W] à l’encontre de la banque Boursorama par assignation du 7 septembre 2018, était prescrite et donc irrecevable, considérant que l’intéressé avait eu connaissance de son dommage dès le 1er août 2011.

Mais comme le soutient à juste titre, M. [W] en appel, le contrat de convention de compte souscrit auprès de Boursorama offrant au titulaire la réception et la transmission d’ordres ainsi que leur exécution, est bien un contrat à exécution successive de sorte que le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité doit être fixé à la date à laquelle M. [W] a eu connaissance de chacune des pertes subies à la suite de chacun des ordres exécutés par la banque.

En conséquence, compte tenu de la date de l’assignation, l’action de M. [W] ne peut être prescrite pour les pertes subies au moins à compter du 7 septembre 2013. Se prévalant d’une suspension du délai de prescription à la suite de la saisine de la médiation de l’Autorité des Marchés Financiers, l’appelant soutient même que son action serait recevable pour les pertes subies à compter du 24 février 2013.

L’ouverture d’un dossier de médiation auprès de l’Autorité des Marches Financiers le 5 janvier 2018 a eu pour effet de suspendre la prescription de toute action en responsabilité comme en justifie le courriel adressé par le médiateur à M. [W] ce jour-là, jusqu’à la fin de la procédure de médiation intervenue le 16 juillet 2018. Le délai de prescription ayant donc été effectivement suspendu pendant six mois et onze jours, l’action de M. [W] à l’égard de la société Boursorama est recevable pour toutes les pertes subies à compter du 24 février 2013.Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur les manquements de la banque à ses obligations d’information et d’évaluation et de mise en garde:

Visant les articles L. 533-11 et suivants du code monétaire et financier, M. [W] reproche à la société Boursorama d’avoir manqué à ses obligations d’information et d’évaluation depuis 2011 à son égard. Il souligne également que la banque ne communique pas les questionnaires d’aptitude qu’il aurait selon elle, validé avant 2017, quand il soutient de son côté, n’avoir répondu qu’à un seul questionnaire sommaire à la demande d’ouverture de compte.

Il soutient également que la banque a manqué à son obligation de mise en garde alors qu’elle avait connaissance du montant de ses revenus compris entre 25 001 et 50 000 euros annuels et de son patrimoine inférieur à 100 000 euros et de ses objectifs d’investissement à savoir valoriser un capital à moyen terme. Alors qu’il accusait des pertes importantes sur le Service de règlement différé, elle n’a eu aucune réaction de limitation des positions ou de mise en garde.

M. [W] considère en outre que le manquement à ce devoir de mise en garde est encore plus criant à compter de décembre 2016 puisqu’il a effectué les 21 et 22 décembre 2016 des virements pour un montant total de 382 000 euros vers son compte Boursorama tout en ayant accumulé des pertes considérables d’un montant de 188 897 euros au service de règlement différé à la même période. Il souligne que la société Boursorama Banque n’a exercé aucun contrôle sur les positions considérables qu’il a prises au service de règlement différé.

S’agissant de l’obligation préalable d’information, il est de principe que le banquier prestataire de services d’investissement est débiteur d’une telle obligation à l’égard de son cocontractant, lui permettant d’être éclairé dans ses décisions et le cas échéant de modifier son comportement. L’information apportée ne doit éluder ni les caractéristiques les moins favorables des produits ni les risques inhérents au placement choisi.

Le banquier prestataire de services d’investissement est également débiteur d’une obligation d’évaluation. Il doit ainsi vérifier si son client possède le niveau d’expérience et de connaissance requis pour appréhender les risques inhérents à l’instrument financier ou au service d’investissement proposé et adapter en conséquence, l’information préalable qui lui sera délivrée.

Toutefois, il est admis que le seul manquement du prestataire de services d’investissement à l’obligation d’évaluer la situation financière de son client, son expérience en matière d’investissement et ses objectifs ne peut en lui même causer un préjudice et donc engager sa responsabilité.

Il sera cependant souligné qu’en l’espèce, le délai de prescription de l’action en responsabilité court à compter du 24 février 2013 de sorte que le manquement éventuel de la banque à ses obligations ne peut être vérifié qu’à compter de cette date.

Même s’il est regrettable que M. [W] se contente de d’élever une contestation générale de l’exécution de l’obligation d’information sans préciser quelle information estimée nécessaire lui a fait défaut, il n’en demeure pas moins que c’est à la banque, légalement tenue des obligations d’information et d’évaluation, de rapporter la preuve de leur exécution.

Or, pour justifier du respect de celles-ci, la société Boursorama Banque se contente d’affirmer, sans produire aucun document, qu’elle a fourni, conformément aux conditions générales du compte titres, une information générale sur le fonctionnement des marchés financiers, les caractéristiques des instruments financiers dont la négociation est envisagée, des opérations susceptibles d’être traitées et des risques particuliers qu’elles peuvent comporter, le titulaire du compte, étant tenu avant toute opération de reconnaître avoir reçu cette information. Elle souligne également que M. [W] s’est déclaré comme un investisseur confirmé ayant une stratégie d’investissement dynamique tant sur le dossier d’ouverture que sur les questionnaires d’aptitude renseignés les 14 janvier 2011, 14 mars 2013, 12 février 2015 et 2 janvier 2017, questionnaires qu’elle ne communique pas plus en appel qu’elle ne l’a fait en première instance.

Ce faisant, elle n’établit pas avoir rempli ses obligations d’information et d’évaluation qui sont dues quel que soit le niveau de connaissances du client et sa catégorisation en tant que professionnel ou non professionnel.

Ainsi le fait que M. [W], bien que non professionnel en matière d’investissement, apparaisse, compte tenu de ses déclarations lors de l’ouverture du compte et des très nombreux ordres d’achat et de vente de titres passés sur le marché des actions avec le SRD en quinze ans, comme un investisseur confirmé, l’absence des questionnaires d’aptitude ne pouvant en l’état de ses déclarations et du nombre des opérations effectuées, remettre en cause cette qualité, ne dispensait pas la société Boursorama de vérifier son niveau d’expertise et ses connaissances ni de lui donner une information adaptée sur les instruments financiers proposés en lui délivrant des mises en en garde appropriées aux risques inhérents à l’investissement projeté.

En revanche, le prestataire de services d’investissement étant débiteur d’une obligation de mise en garde envers ses clients à la double condition que d’une part, ils ne soient pas avertis et que d’autre part, l’opération ne soit pas une opération de spéculation, la qualité d’investisseur confirmé de M. [W] pouvait dispenser la banque de son devoir de mise en garde.

L’investisseur averti est celui qui fort de son expérience, a acquis la capacité à appréhender la nature du service ou de l’instrument financier sollicité, d’en mesurer les risques inhérents et partant d’apprécier l’opportunité que représente pour lui la souscription de ce service ou de cet instrument. M. [W] s’est présenté dès l’ouverture de son compte titres comme un investisseur confirmé. Il a de surcroît passé plusieurs centaines d’ordres d’achat et de vente en bénéficiant du SRD depuis 2003, démontrant ainsi sa connaissance des marchés actions de sorte qu’il était, au moment des opérations litigieuses en 2013, un investisseur averti.

Il sera noté en outre, que les ordres d’achat et de vente passés constituaient des opérations présentant un risque boursier ordinaire, ne pouvant être considérées comme des opérations de spéculation, étant observé que le SRD offrant le moyen pour le client de prendre position en bourse tout en reportant son paiement ou l’encaissement des titres en fin de mois ne peut être considéré comme le soutient M. [W], comme un dispositif particulièrement complexe et risqué pour un investisseur averti.

En conséquence, la société Boursorama Banque n’était débitrice d’aucune obligation de mise en garde à l’égard de M. [W].

S’agissant du préjudice résultant des manquements de la banque à ses obligations d’information et d’évaluation, il ne peut être égal aux pertes financières subies mais s’analyse en une perte de chance d’éviter le risque qui s’est réalisé. Toutefois, l’obligation d’information de la banque n’équivaut pas à une obligation de conseil sur le choix des titres à acheter.

Au termes des conditions générales du contrat, la société Boursorama Banque s’engageait à fournir une information générale sur le fonctionnement des marchés financiers, les caractéristiques des instruments financiers dont la négociation était envisagée, les opérations susceptibles d’êtres traitées et les risques particuliers qu’elles pouvaient comporter. Une telle information ne pouvait qu’être déjà connue d’un investisseur confirmé comme M. [W] et son absence de peu de poids sur ses prises de positions sur le marché des actions, la banque précisant, sans être contredite, qu’avant d’ouvrir son compte titres ordinaires, l’appelant avait déjà pratiqué des opérations d’achat et de vente d’actions.

Selon le paragraphe 3.2 de ces mêmes conditions, la banque s’engageait également à permettre au titulaire du compte d’accéder, notamment sur le site et les applications mobiles, à des informations sur l’actualité des marchés et des valeurs, plus utiles aux opérations envisagées par M. [W]. Cependant, compte tenu du nombre d’ordres et d’achat effectués par M. [W] (plus de 500 les deux premières années de fonctionnement du compte par exemple), même si cette activité n’était pas toujours régulière, il y a peu de chances que mieux informé, il ait renoncé à passer les ordres litigieux. En effet, s’il n’a passé aucun ordre du 1 juillet 2013 au 1er août 2014, ayant essuyé des pertes importantes en 2011 et 2012, il a procédé à partir de 2015 à nouveau, à des achats d’actions dans des proportions conséquentes, n’hésitant pas à s’engager pour des sommes importantes à partir de 2017 alors que ses gains précédents, au regard des tableaux qu’il a lui même établis, apparaissent minimes.

Compte tenu de la connaissance acquise par M. [W] du fonctionnement des marchés des actions et du SRD et de sa détermination à acquérir des titres malgré les positions perdues de 2015 à mars 2017, la perte de chance de ne pas voir le risque réalisé, même mieux informé, apparaît très faible. Elle sera donc indemnisée par la somme de 1 000 euros.

Sur la modification unilatérale du contrat :

Il n’est pas contesté que la société Boursorama Banque a modifié unilatéralement le forfait de M. [W] le faisant passer d’un forfait ‘ultimate trader’ à un forfait découverte. La banque indique que cette modification a été mue par le souci d’éviter des frais inutiles à son client puisqu’en 2014, l’activité de M. [W] s’était considérablement réduite pour tomber sous la barre des 30 opérations par mois et l’exposait ainsi à une facturation mensuelle de 119 euros de frais d’abonnement, ce qui n’était pas le cas de la formule découverte. Elle souligne que M. [W] a été informé de cette modification par lettre simple et qu’il s’est abstenu de demander tout changement tarifaire pendant deux ans, même lorsqu’il a augmenté son activité sur le passage d’ordres entre 2015 et 2017.

Cependant, comme l’a relevé justement le tribunal, la banque n’est pas en mesure de prouver que le courrier de changement tarifaire en date du 12 août 2014, attribuant à M. [W] le souhait d’un changement alors qu’il est établi que ce changement est à l’initiative de la société Boursorama Banque en conséquence de la position débitrice du compte de M. [W] et du peu d’ordres passés en 2014, a bien été porté à sa connaissance, ce qu’il réfute, étant observé que ce courrier ne donne aucune indication sur les conditions tarifaires de ce nouveau forfait.

La société Boursorama Banque ne produit pas davantage la page des conditions générales lui permettant de modifier unilatéralement le forfait d’abonnement et les frais de courtage en raison du nombre d’ordres ou d’une position débitrice, sans l’accord de son client.

Il n’est pas non plus établi que le libellé de la tarification appliquée soit mentionné sur tous les relevés de compte, comme retenu par le tribunal. Les deux seuls relevés produits, mentionnant expressément le forfait ‘ultimate trader’, concernent en effet des périodes sans ordre pendant lesquelles la somme forfaitaire de 119 euros est prélevée et les comptes de liquidations versés aux débats ne mentionnent que les frais de courtage sans préciser le nom du forfait appliqué.

M. [W] soutient, que ce changement de tarification qui lui a été imposé, lui a occasionné 66 480 euros de frais supplémentaires dont il demande remboursement, faisant valoir que la modification intervenue sans son consentement, n’était pas adaptée à son rythme d’investissement entre 2015 et 2017.

Cependant, comme l’a souligné le tribunal, la preuve du montant de ces frais supplémentaires ne résulte que d’un tableau établi par M. [W] lui même. Aucune des parties ne produit d’éléments permettant de connaître l’abonnement et les frais de courtage découlant du forfait ‘découverte’ et de comparer avec la grille tarifaire du forfait ‘ultimate trader’ qui apparaît dans le courrier adressé à M. [W] le 30 août 2011 répondant alors à sa demande ce changement de forfait.

Mais si la modification unilatérale du contrat de la part de la société Boursorama Banque, est avérée, et s’il n’est pas établi que M. [W] en ait été valablement informé de façon à solliciter à nouveau de bénéficier du forfait ‘Ultimate trader’ lors de la reprise des ordres à partir de 2015, l’existence du préjudice que M. [W] impute à cette modification, dans les proportions alléguées, ne l’est pas. Bien qu’appelant du jugement qu’il critique sur ce point, M. [W] ne fournit en effet à la cour aucune preuve d’un supplément de frais entre les deux forfaits ni aucune preuve du montant des frais que la banque aurait indûment perçus, selon lui et qu’il évalue à la somme de 66 480 euros. Ainsi, rien ne permet de comparer les frais facturés au titre du forfait découverte avec ceux qui seraient résultés du forfait ‘Ultimate trader ni de vérifier le montant invoqué des frais perçus par la banque. Il s’ensuit que le préjudice invoqué n’est pas établi. Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [W] de cette demande de réparation.

Sur le retard d’exécution du virement :

M. [W] soutient avoir subi un préjudice, à la suite du retard de la société Boursorama Banque dans l’exécution de sa demande de virement de la somme de 23 000 euros en date du 13 juin 2017. Il soutient qu’à raison du délai pris pour exécuter cet ordre, soit quatre mois, il n’a pu rembourser comme prévu un prêt qu’il avait contracté, ce qui a entraîné des coûts supplémentaires d’un montant de 272,59 euros dont il demande le remboursement.

Il résulte des nombreux échanges de courriers avec la banque sur l’exécution de ce virement que dans un premier temps, il a été prétexté de ce que les ordres de virement ne devaient pas être faits par écrit mais directement à partir de l’espace client ou par téléphone, puis qu’il était nécessaire de vérifier que l’ordre émanait bien de M. [W] en raison d’une interrogation sur la signature apposée sur l’ordre de virement.

Si la banque a effectivement répondu de manière erronée dans un premier temps sur la possibilité de donner un ordre de virement par courrier, il apparaît néanmoins clairement, qu’alors qu’il disposait de la possibilité de procéder à ce virement directement à partir de son espace client ou en téléphonant à la banque, M. [W] a persisté à réclamer l’exécution de cet ordre par courrier. C’est à juste titre que le tribunal a considéré que le retard de quatre mois mis à exécuter l’ordre lui était imputable, étant observé que pas plus en appel qu’il ne l’a fait en première instance, M. [W] ne justifie des frais réclamés.

Sur les demandes accessoires :

Le jugement sera confirmé sur les dépens mais infirmé sur les frais irrépétibles.

M. [W] supportera la charge des dépens d’appel.

En revanche, les circonstances de l’espèce ne justifient l’application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Infirme le jugement rendu le 16 février 2021 par le tribunal judiciaire de Nantes en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté M. [C] [W] de ses demandes en indemnisation au titre de la modification du contrat et de l’inexécution du virement et l’a condamné à supporter la charge des dépens,

Statuant à nouveau,

Dit l’action en responsabilité engagée par M. [C] [W] à l’encontre de la société Boursorama Banque recevable pour la période allant du 24 février 2013 au 7 septembre 2018,

Condamne la société Boursorama Banque à payer à M. [C] [W] la somme de 1 000 euros en réparation de la perte de chance subie à raison des manquements à l’obligation d’information et d’évaluation sur cette période,

Déboute M. [C] [W] de sa demande d’indemnisation au titre d’un manquement de la société Boursorama Banque à son obligation de mise en garde,

Condamne M. [C] [W] aux dépens d’appel,

Rejette toute demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 

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