Droit au déréférencement : le contrôle de proportionnalité du juge
Le déréférencement de ses données nominatives de Google n’est pas un droit automatique. Le juge opère là aussi un contrôle de proportionnalité. Le déréférencement fait partie des mesures que le Président du TGI peut ordonner : aux termes de l’article 809 alinéa 1 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. En matière de déréférencement de données personnelles, plusieurs droits s’opposent, en particulier le droit à l’information et le respect des données personnelles et de la vie privée. Selon l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » et selon les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications » et « Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ». Conformément aux dispositions de l’article 9 du code civil, « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».
S’agissant du droit d’accès et de rectification, conformément aux dispositions de l’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, « toute personne physique… peut exiger du responsable du traitement que soient, selon les cas, rectifiées, complétées, mises à jour, vérouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l’utilisation, la communication ou la conservation est interdite. » L’article 6 de la même loi énonce qu’un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions de ce texte, notamment si : « 3° Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs, 4° Elles sont exactes, complètes et, si nécessaire, mises à jour ; les mesures appropriées doivent être prises pour que les données inexactes ou incomplètes au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou traitées soient effacées ou rectifiées. »
L’article 7 de ce texte dispose que » Un traitement de données à caractère personnel doit avoir reçu le consentement de la personne concernée ou satisfaire à l’une des conditions prévues par ce texte et notamment 5° La réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée. »
S’agissant du droit d’opposition, conformément aux dispositions de l’article 38 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, « toute personne physique a le droit de s’opposer pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fasse l’objet d’un traitement. »
Ces dispositions assurent la transposition de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qui vise à garantir un niveau élevé de protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel, spécialement de ses articles 6 et 7, 12 et 14.
Déréférencement de Google : la position de la CJUE
Ces dispositions légales doivent s’interpréter à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle, s’agissant du droit d’accès et de rectification visé à l’article 40 de la loi, le traitement de données exactes ne doit pas devenir, avec le temps, incompatible avec la directive précitée. Tel est le cas lorsque ces données ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, spécialement lorsqu’elles apparaissent inadéquates, qu’elles ne sont pas ou plus pertinentes ou sont excessives au regard de ces finalités et du temps qui s’est écoulé, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt du 14 mai 2014 – affaire C-131/12 Google Spain SL, Google Inc / AEPD, Costeja Gonzalez- ( cf. considérant 93).
S’agissant du droit d’opposition visé à l’article 38 de la loi, ainsi que l’arrêt susvisé l’a précisé, chaque traitement des données à caractère personnel doit être légitimé pour toute la durée pendant laquelle il est effectué ( cf. Considérant 95).
Il convient, en tout état de cause, de concilier les droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données à caractère personnel avec les droits fondamentaux à la liberté d’expression et d’information énoncés dans les mêmes termes à l’article 10 de la Convention précitée, et à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne selon lesquels » Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières », rappelés à l’article 9 de la directive précitée et de rechercher le juste équilibre entre l’intérêt légitime des internautes potentiellement intéressés à avoir accès à une information et les droits de la personne concernée ( cf. Considérant 81 de l’arrêt du 14 mai 2014 précité).
Droit au déréférencement : une affaire récente
En l’occurrence, le moteur de recherche Google, accessible en France en version française à l’adresse www.google.fr, traite, enregistre, organise, conserve, communique et met à disposition de ses utilisateurs des données personnelles, de sorte qu’il opère bien un traitement de données à caractère personnel. La société Google Inc. Détermine les finalités et les moyens de son activité, elle est donc responsable du traitement des données réalisé par ledit moteur de recherche, au sens des articles 2 et 3 de la loi de 1978.
S’agissant d’une demande de déréférencement de Google formulée par un particulier, le droit français des données à caractère personnel est donc parfaitement applicable. Pour ce qui est du bien-fondé d’une telle demande, elle ne peut être accueillie qu’autant qu’elle se rapporte aux résultats d’une recherche effectuée à partir du nom ou du nom et du prénom de l’intéressé.
Or, comme précisé dans l’affaire soumise, il ne ressort pas du procès-verbal de constat que l’huissier mandaté a effectivement constaté qu’en tapant le nom du demandeur, il obtenait dans le moteur de recherche Google les URL litigieuses (associant l’identité de l’intéressé à un escroc). Les sites référencés à partir de l’expression « xxx escroc » ne répondent pas à la définition du traitement de données personnelles visé par la loi. En l’occurrence, l’essentiel des données figurant sur les deux sites en cause se rapportait à une condamnation pénale de l’intéressé pour escroquerie or si l’intéressé fait état d’un préjudice personnel et professionnel qu’il subit du fait de ce référencement, ces raisons ne prévalent pas sur le droit fondamental de toute personne intéressée d’être informée des éventuelles décisions rendues à son encontre par une juridiction pénale, alors surtout que le tribunal a évoqué « une vaste organisation constituée de multiples associations et de sociétés commerciales en vue de collecter de l’épargne de particuliers » et qu’un grand nombre de parties civiles se sont constituées, alors que par ailleurs l’activité de la société « Analyse conseil en stratégie d’entreprise » qu’il indique avoir créée en 2013, est en relation avec le public, étant observé que la simple relation des faits à l’origine d’une telle condamnation ne peuvent caractériser une atteinte à la vie privée de l’intéressé.
|
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Le plus ancien