L’Essentiel : Le 4 juillet 2024, la préfète de l’Isère a pris un arrêté d’expulsion à l’encontre de [Z] [M], notifié le 1er octobre. Le 17 décembre, un placement en rétention a été ordonné à partir du 6 janvier 2025. Contestant cette décision, [Z] [M] a saisi le juge des libertés le 7 janvier. Le 9 janvier, le juge a jugé la rétention irrégulière et ordonné sa remise en liberté. En réponse, le procureur a interjeté appel, soutenant que la décision était suffisamment motivée. L’audience du 11 janvier a vu des arguments des deux parties, mais l’autorité préfectorale n’a pas pris en compte des éléments nouveaux.
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Arrêté d’expulsion et placement en rétentionLa préfète de l’Isère a pris un arrêté d’expulsion à l’encontre de [Z] [M] le 4 juillet 2024, notifié le 1er octobre 2024. Par la suite, le 17 décembre 2024, l’autorité administrative a ordonné son placement en rétention à partir du 6 janvier 2025. Contestation de la décision de rétentionLe 7 janvier 2025, [Z] [M] a contesté la décision de placement en rétention administrative devant le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon. Le lendemain, la préfète a demandé la prolongation de cette rétention pour une durée de vingt-six jours. Ordonnance du juge des libertésDans son ordonnance du 9 janvier 2025, le juge a ordonné la jonction des deux procédures, déclaré recevable la requête de [Z] [M], jugé la décision de placement en rétention irrégulière, et ordonné sa remise en liberté, sans statuer sur la prolongation de la mesure. Appel du procureur de la RépubliqueLe procureur de la République de Lyon a interjeté appel de cette ordonnance, arguant que la décision de placement en rétention était suffisamment motivée et que [Z] [M] présentait un risque de soustraction à l’exécution de la mesure, en raison de ses antécédents judiciaires. Audience et conclusions des partiesLors de l’audience du 11 janvier 2025, la procureure générale a demandé l’infirmation de l’ordonnance et la prolongation de la rétention, tandis que la préfète a soutenu que l’examen de la situation de [Z] [M] avait été effectué de manière adéquate. [Z] [M] a plaidé pour la confirmation de l’ordonnance initiale. Motivation de l’appelL’appel du procureur a été déclaré recevable. Concernant la motivation de la décision de placement en rétention, il a été établi que l’autorité préfectorale avait respecté l’obligation de motivation, mais n’avait pas examiné sérieusement la situation individuelle de [Z] [M], se basant sur des éléments obsolètes. Conclusion sur la décision de rétentionIl a été conclu que l’autorité préfectorale n’avait pas pris en compte des éléments nouveaux qui auraient pu justifier une réévaluation de la situation de [Z] [M]. Par conséquent, l’ordonnance déférée a été confirmée, déclarant la décision de placement en rétention irrégulière. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la recevabilité de l’appel du procureur de la République ?L’appel du procureur de la République de Lyon est déclaré recevable conformément aux dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Ces articles stipulent que : – **Article L. 743-21** : « Les décisions de placement en rétention administrative peuvent faire l’objet d’un recours devant le juge des libertés et de la détention. » – **Article R. 743-10** : « Le recours est formé dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la décision. » – **Article R. 743-11** : « Le recours est instruit selon les règles de la procédure contradictoire. » Ainsi, l’appel a été interjeté dans les formes et délais légaux, ce qui le rend recevable. Quelles sont les exigences de motivation pour une décision de placement en rétention administrative ?Selon l’article L. 741-6 du CESEDA, la décision de placement en rétention doit être écrite et motivée. Cet article précise que : – « La décision de placement en rétention administrative est motivée par des éléments de fait et de droit. » La motivation doit retracer les motifs qui ont conduit l’administration à prendre sa décision, sans avoir à énoncer exhaustivement tous les éléments favorables à une autre solution. Il est également requis que l’arrêté explicite les raisons pour lesquelles la personne a été placée en rétention, en tenant compte de sa situation individuelle au moment de la décision. Dans le cas présent, l’autorité préfectorale a énoncé plusieurs motifs, notamment l’absence de résidence stable et effective, le risque de soustraction à l’exécution de la mesure, ainsi que des antécédents judiciaires. Ces éléments montrent que l’autorité a satisfait à son obligation de motivation. Quelles sont les conséquences d’un défaut d’examen sérieux de la situation de l’étranger ?Il a été établi que l’autorité préfectorale n’a pas procédé à un examen sérieux de la situation de [Z] [M]. En effet, l’autorité a fondé sa décision sur des éléments collectés près d’un an avant la décision, sans donner à l’intéressé la possibilité de fournir des éléments récents concernant son hébergement et sa situation financière. L’article L. 743-13 du CESEDA stipule que : – « Le placement sous assignation à résidence ne peut être ordonné que si l’étranger a remis à un service de police ou à une unité de gendarmerie les documents justificatifs de son identité. » Dans ce cas, l’absence d’un examen sérieux a conduit à une décision irrégulière, car l’autorité n’a pas pris en compte les nouvelles attestations d’hébergement et de prise en charge financière fournies par [Z] [M]. Ainsi, la décision de placement en rétention a été annulée en raison de ce défaut d’examen, confirmant l’ordonnance du juge des libertés et de la détention. |
Nom du ressortissant :
[Z] [M]
PREFETE DE L’ISERE
PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE DE LYON
C/
[M]
PREFETE DE L’ISERE
COUR D’APPEL DE LYON
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE SUR APPEL AU FOND
EN DATE DU 11 JANVIER 2025
statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers
Nous, Julien SEITZ, conseiller à la cour d’appel de Lyon, délégué par ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 02 Janvier 2025 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d’entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d’asile,
Assisté de Céline DESPLANCHES, greffier,
En présence du ministère public, représenté par Amélie CLADIERE, substitut général, près la cour d’appel de Lyon,
En audience publique du 11 Janvier 2025 dans la procédure suivie entre :
APPELANT :
Monsieur le Procureur de la République
près le tribunal de judiciaire de Lyon
représenté par le parquet général de Lyon
ET
INTIMES :
M. [Z] [M]
né le 06 Janvier 1984 à [Localité 4] (ALGÉRIE)
de nationalité Française
Actuellement retenu au CRA 1 de [Localité 3]
Comparant et assité par Maître MAHDJOUB Nassera, avocate au barreau de LYON, de permanence
Mme la PREFETE DE L’ISERE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Ayant pour avocat Maître Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON,
Avons mis l’affaire en délibéré au 11 Janvier 2025 à 19h00 et à cette date et heure prononcé l’ordonnance dont la teneur suit :
La préfète de l’Isère a pris le 04 juillet 2024 un arrêté d’expulsion à l’encontre de [Z] [M], notifié le 1er octobre 2024 à l’intéressé.
Par décision en date du 17 décembre 2024, l’autorité administrative a ordonné le placement de [Z] [M] en rétention dans les locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire à compter du 06 janvier 2025.
Suivant requête du 07 janvier 2025, réceptionnée par le greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon le même jour à 17h27, [Z] [M] a contesté la décision de placement en rétention administrative prise par le préfet de l’Isère.
Suivant requête du 08 janvier 2025, reçue le 14 novembre 2024 à 14h07, la préfète de l’Isère a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon aux fins de voir ordonner la prolongation de la rétention pour une durée de vingt-six jours.
Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lyon, dans son ordonnance du 09 janvier 2025 à 17h05 a :
‘ ordonné la jonction des deux procédures,
‘ déclaré recevable en la forme la requête de [Z] [M],
‘ déclaré la décision de placement en rétention irrégulière,
‘ ordonné la remise en liberté de [Z] [M],
‘ dit n’y avoir lieu en conséquence à statuer sur la prolongation de la mesure de rétention.
Le procureur de la République de Lyon a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration au greffe 09 janvier 2025, en faisant valoir que la décision la décision de placement en rétention était suffisamment motivée, que l’hébergement invoqué par [Z] [M] n’avait été proposé que pour servir les besoins de la cause, que l’intéressé avait perdu tout revenu suite à son incarcération, et que son refus d’embarquer sur un vol à destination de l’Algérie caractérisait un risque de soustraction, de même que ses condamnations pour violences conjugales démontraient le risque qu’il faisait peser sur l’ordre public.
Le procureur de la République a ajouté qu’au regard de ces différents éléments, l’autorité préfectorale n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation.
Il a demandé qu’un caractère suspensif soit conféré à son appel.
Par ordonnance du 10 janvier 2025, le magistrat délégué par Mme la première présidente a déclaré l’appel du ministère public suspensif.
Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 11 janvier 2025 à 10 heures 30.
Le magistrat délégué par Mme la première présidente a placé dans le débat la requalification des moyens tirés de l’absence de motivation et de l’erreur manifeste d’appréciation en absence d’examen sérieux de la situation de l’étranger.
Mme la procureure générale a conclu à l’infirmation de l’ordonnance entreprise et à la prolongation de la rétention de [Z] [M], en faisant valoir que l’intéressé avait été entendu par les services de police en novembre 2023 et qu’aucune évolution de sa situation n’avait pu intervenir depuis cette date et sa levée d’écrou le 06 janvier 2025, dès lors que sa situation d’incarcération avait fait obstacle à ce qu’il retrouve du travail. Elle a ajouté que l’autorité préfectorale, qui n’avait pas disposé de l’attestation d’hébergement produite par [Z] [M] lors de l’examen de sa situation, ne pouvait prendre d’autre décision que le placement en rétention, compte tenu de l’absence de garantie de représentation et de l’interdiction d’entrer en contact avec son épouse frappant l’intéressé.
Mme la préfète de l’Isère, représentée par son Conseil, a contesté l’ordonnance entreprise par les mêmes motifs que Mme la procureure générale. Elle a ajouté qu’il ne pouvait être fait reproche à l’autorité préfectorale de ne pas avoir réalisé un examen sérieux de la situation de M. [Z] [M], alors qu’elle avait successivement examiné sa situation de santé, sa situation de famille, ses garanties de représentation et la menace à l’ordre public que sa présence sur le territoire français faisait peser.
[Z] [M] a comparu et a été assisté de son avocat. Il a conclu à la confirmation de l’ordonnance déférée, par les motifs retenus par le premier juge. Il a indiqué que l’intéressé proposait d’être assigné à résidence, ainsi qu’il l’avait déja fait devant le juge des libertés et de la détention.
[Z] [M] a eu la parole en dernier.
Sur la recevabilité de l’appel
L’appel de M. Le procureur de la République de Lyon, relevé dans les formes et délais légaux prévus par les dispositions des articles L. 743-21, R. 743-10 et R. 743-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) est déclaré recevable.
Sur le moyen pris de l’insuffisance de la motivation de la décision de placement en rétention administrative et du défaut d’examen de la situation individuelle
Il résulte de l’article L. 741-6 du CESEDA que la décision de placement en rétention est écrite et motivée.
Cette motivation se doit de retracer les motifs positifs de fait et de droit qui ont guidé l’administration pour prendre sa décision, ce qui signifie que l’autorité administrative n’a pas à énoncer, puis à expliquer pourquoi elle a écarté les éléments favorables à une autre solution que la privation de liberté.
Pour autant, l’arrêté doit expliciter la raison ou les raisons pour lesquelles la personne a été placée en rétention au regard d’éléments factuels pertinents liés à la situation individuelle et personnelle de l’intéressé, et ce au jour où l’autorité administrative prend sa décision, sans avoir à relater avec exhaustivité l’intégralité des allégations de la personne concernée.
Il ressort de l’arrêté de placement en rétention du 17 décembre 2024 que l’autorité préfectorale a retenu :
– que si M. [M] était en possession d’un document transfrontalier, il ne pouvait justifier d’une résidence stable et effective, puisque déclarant résider au domicile conjugal, alors qu’il lui avait été fait interdiction d’entrer en relation avec son épouse ;
– qu’il ne présentait pas en conséquence des garanties de représentation suffisantes pour pouvoir être assigné à résidence ;
– que s’il avait séjourné en France de manière régulière, il se trouvait désormais en situation irrégulière depuis l’adoption de l’arrêté d’expulsion ; qu’en l’absence de résidence stable et effective et de ressources, il existait un risque que l’intéressé cherche à se soustraire à l’exécution de la mesure ;
– que ses multiples interpellations et condamnations pour violences conjugales caractérisaient la menace que sa présence sur le sol français faisait peser sur l’ordre public ;
– que l’examen de sa situation familiale et de son état de santé ne révélaient aucune vulnérabilité particulière.
Ce faisant, l’autorité préfectorale a satisfait à l’obligation de motivation, en énonçant les éléments l’ayant conduite à prendre sa décision de placement en rétention. Le grief tiré de l’absence de motivation doit par conséquent être écarté.
Il découle en revanche de cet arrêté et de la procédure que l’autorité préfectorale a fondée l’examen des garanties de représentation de M. [M] sur un procès verbal d’audition en date du 23 décembre 2023, au cours duquel l’intéressé avait admis avoir perdu son emploi suite à son incarcération (puisque employant le temps passé pour en parler) et indiquait vouloir être hébergé par des amis, puisque ne pouvant plus entrer en relation avec son épouse.
Mme la préfète de l’Isère a donc adopté sa décision en décembre 2024 sur la base de renseignements collectés plus d’un an auparavant, sans donner à M. [M] la possibilité de communiquer des éléments complémentaires sur l’évolution de sa situation.
Or, [Z] [M] justifie d’une attestation d’hébergement établie le 07 janvier 2025 (mais datée du 07 janvier 2024 par suite d’une erreur manifestement matérielle) par M. [K] [U] son ami d’enfance, ainsi que d’une attestation de prise en charge financière établie par M. [N] [F], son beau-frère.
Aucun élément ne permet de qualifier ces attestations de complaisance, alors que le beau-frère de [Z] [M] s’est déplacé à l’audience du 11 janvier 2025 pour en confirmer l’authenticité et la pertinence.
Il en résulte que si l’autorité préfectorale avait fait entendre [Z] [M] en décembre 2024, elle aurait pu obtenir ces éléments nouveaux justifiant d’une évolution de la situation décrite dans l’audition du 23 décembre 2023.
En se fondant au contraire sur des déclarations et éléments collectés près d’un an avant sa décision, sans procéder à une nouvelle audition de [Z] [M] qui l’aurait conduite à disposer d’éléments nouveaux de nature à établir l’existence d’un hébergement possible et d’une prise en charge financière malgré la perte d’emploi, l’autorité préfectorale n’a pas procédé à un examen sérieux de la situation de l’étranger.
Il convient en conséquence de confirmer l’ordonnance déférée en ce qu’elle a déclaré la décision de placement en rétention irrégulière.
Le magistrat délégué soussigné ne dispose pas de la preuve de ce que [Z] [M] a remis à un service de police ou à une unité de gendarmerie de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, en échange d’un récépissé valant justification de l’identité et sur lequel est portée la mention de la décision d’éloignement en instance d’exécution.
L’article L. 743-13 CESEDA lui interdit en conséquence de placer l’intéressé sous assignation à résidence.
Déclarons recevable l’appel formé parle procureur de la République,
Confirmons l’ordonnance déférée.
Le greffier, Le conseiller délégué,
Céline DESPLANCHES Julien SEITZ
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