Responsabilité du mandataire judiciaire

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Responsabilité du mandataire judiciaire

Le mandataire judiciaire peut engager sa responsabilité personnelle en cas de manquement à ses obligations, sur le fondement de l’article 1240 du code civil. La preuve d’un préjudice certain, actuel et en lien direct avec le manquement doit être apportée pour toute demande de réparation.

Demandes accessoires

En tant que partie perdante, Monsieur [B] [T] sera condamné aux dépens et devra verser une indemnité de 3 000 € aux défendeurs au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire de la décision sera ordonnée.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

14 février 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 21/01831

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt

N° RG 21/01831 –
N° Portalis 352J-W-B7F-CTYLC

N° MINUTE :

Assignation du :
07 Décembre 2020

JUGEMENT
rendu le 14 Février 2024
DEMANDEUR

Monsieur [B] [T]
[Adresse 4]
[Localité 2]

représenté par Maître Alexia SEBAG de la SELEURL A.SEBAG Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B0774

DEFENDEURS

S.E.L.A.R.L. [N] [G]
[Adresse 1]
[Localité 3]

Maître [N] [G]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Yves-Marie LE CORFF, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0044

Décision du 14 Février 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 21/01831 – N° Portalis 352J-W-B7F-CTYLC

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier Vice-Président adjoint,
Président de formation,

Monsieur Eric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,

assistés de Samir NESRI, Greffier lors des débats, et de Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé

DEBATS

A l’audience du 17 Janvier 2024
tenue en audience publique

JUGEMENT

– Contradictoire
– En premier ressort
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Gilles ARCAS, greffier lors du prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par jugement du 5 juillet 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Kappa Oil Services France (KOS France), et désigné la SELARL [N] [G] en qualité de liquidateur judiciaire.

Monsieur [B] [T] s’est rapproché du liquidateur judiciaire afin que les AGS prennent en charge les créances salariales qu’il invoquait, au titre des salaires impayées d’octobre 2016 à novembre 2017.

Le 4 avril 2019, le liquidateur judiciaire a informé Monsieur [T] qu’il refusait de solliciter la prise en charge desdites créances par les AGS au motif qu’en absence de lien de subordination, il ne pouvait prétendre à la qualité de salarié de la société Kappa Oil Services.

C’est dans ce contexte que, par acte du 8 novembre 2019, Monsieur [T] a fait assigner la SELARL [N] [G] devant le tribunal judiciaire de Nanterre aux fins de voir engager sa responsabilité civile professionnelle.

Par ordonnance du 7 décembre 2020, le juge de la mise en état de Nanterre a renvoyé l’affaire devant le tribunal judiciaire de Paris au visa de l’article 47 du code de procédure civile.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 3 novembre 2022 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.

A l’audience du 19 avril 2023, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 17 janvier 2024, puisque l’acte introductif d’instance du 8 novembre 2019 était adressé à la SELARL [N] [G] représentée par Maître [G], alors que, dans le dispositif de ses conclusions du 18 octobre 2022, le demandeur formait des demandes à l’encontre uniquement de Maître [G], qui n’était pas partie à l’instance et qui n’avait pas constitué avocat.

La révocation de l’ordonnance de clôture aux fins d’intégrer les conclusions modificatives du demandeur a été prononcée le 9 novembre 2023.

Par assignation en intervention forcée du 13 novembre 2023, Monsieur [T] a fait assigner Maître [N] [G].

Aux termes de ses conclusions notifiées le 17 novembre 2023, Monsieur [T] demande au tribunal de :
A titre principal,
– condamner in solidum Maître [G] à titre personnel et la SELARL [N] [G] à lui verser la somme de 209 237,98 € de dommages-intérêts, correspondant aux salaires nets non payés à Monsieur [T] pour la période d’octobre 2016 à novembre 2017 ;

A titre subsidiaire,
– condamner la SELARL [N] [G] à lui verser la somme de 209 237,98 € de dommages-intérêts, correspondant aux salaires nets non payés à Monsieur [T] pour la période d’octobre 2016 à novembre 2017 ;

A titre infiniment subsidiaire,
– condamner in solidum Maître [G] à titre personnel et la SELARL [N] [G] à lui verser la somme de 201 743,60 € à titre de dommage et intérêts, correspondant aux cotisations salarié réglées par ce dernier depuis son embauche jusqu’à sa prise d’acte,

A titre encore plus subsidiaire,
– condamner la SELARL [N] [G] à lui verser la somme de 201 743,60 € à titre de dommage et intérêts, correspondant aux cotisations salarié réglées par ce dernier depuis son embauche jusqu’à sa prise d’acte,

En état de cause,
– condamner Maître [G] et la SELARL [N] [G] à lui verser une indemnité de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Le demandeur explique que :
– il a été recruté à partir du 1er juin 2007 par la société Business Organisation, et a été expatrié à Singapour en qualité de directeur du développement,
– ce contrat a été transféré à la société Kappa Oil Services au mois de juin 2012 à l’issue d’une cession de fonds de commerce,
– il l’aurait rompu au 31 décembre 2015 pour faire valoir ses droits à la retraite,
– un nouveau contrat de travail a été conclu le 1er février 2016 qu’il a ensuite rompu le 31 décembre 2017 par sa prise d’acte de rupture.

Il soutient que le liquidateur judiciaire a commis trois fautes :
– le refus de transmission de son dossier aux AGS pour le paiement de ses salaires d’octobre 2016 à novembre 2017, sans l’en informer alors que le défendeur était tenu d’une obligation d’information à l’égard des salariés en application de l’article R.625-3 du code de commerce,
– une discrimination entre les autres salariés et lui-même, puisque lui seul s’est vu contester le statut de salarié, alors que le représentant légal de la société, Monsieur [C], a été considéré comme salarié par le liquidateur,
– le refus par le liquidateur de lui transmettre les pièces relatives à sa situation communiquées par Monsieur [C], sur lesquelles il s’était fondé pour lui contester son statut de salarié.

Sur le premier grief, il expose que :
– sa présomption de salariat n’a pas été renversée par le liquidateur, en ce qu’il justifiait d’un contrat de travail, de bulletins de salaires et du paiement des ceux-ci, et que le mandataire ne démontre pas l’existence d’un lien de subordination fictif,
– il n’avait pas besoin de saisir le conseil des prud’hommes pour faire requalifier sa prise d’acte du 5 janvier 2018 en licenciement sans cause réelle et sérieuse, bénéficiant déjà d’un statut de retraité,
– il a conclu un nouveau contrat de travail en février 2016 pour lui permettre de bénéficier d’un dispositif de cumul emploi-retraite,
– le défaut de paiement de son salaire ne lui a pas fait perdre la qualité de salarié,
– le liquidateur n’a pas fait connaître sa position sur sa demande de transmission de son dossier aux AGS que 9 mois après, et n’a pas répondu à ses arguments démontrant sa qualité de salarié.

Sur le deuxième grief, il indique que :
– le liquidateur a considéré Monsieur [C] comme salarié alors qu’il était le seul représentant légal de la société KOS France,
– il n’est pas le dirigeant de la société mère en Angleterre mais uniquement l’un des 4 administrateurs, et il détient que 7 actions de la société mère, comme Monsieur [C],
– il n’était que salarié de la société KOS France sous la subordination de Monsieur [C], ce dernier lui ayant délivré une délégation de signature pour des raisons pratiques, étant basé à Singapour, mais qui ne lui permettait pas d’engager seul la société.

Sur le troisième grief, il allègue que les informations transmises par Monsieur [C] n’étaient pas fiables et en avoir averti le liquidateur qui n’en a pourtant pas tenu compte.

Au titre de son préjudice, il sollicite le paiement de ses salaires d’octobre 2016 à novembre 2017, soit la somme de 209 237,8 €, ou, à titre subsidiaire, la somme de 201 743,60 € correspondant aux cotisations salariales qu’il a réglées en déduction de ses salaires durant toute la période où il a été salarié.

Suivant conclusions signifiées le 8 décembre 2023, la SELARL [N] [G] et maître [N] [G] demandent au tribunal de :
– débouter Monsieur [T] de l’ensemble de ses demandes à leur encontre,
– le condamner à lui verser une indemnité de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Le défendeur conteste toute faute, soutenant que Monsieur [T] ne justifiait pas de la qualité de salarié, en ce que :
– le registre unique du personnel mentionnait le demandeur comme  » entré  » dans la société le 1er juin 2007 puis  » sorti  » le 31 décembre 2015, puis de nouveau  » entré  » le 1er juin 2007 sans date de sortie,

– le demandeur allègue ne pas avoir perçu de salaire depuis octobre 2016 alors qu’il n’a entrepris aucune action pour en obtenir le paiement, et a attendu 6 mois après la liquidation pour contacter le liquidateur,
– aucun lien de subordination n’était démontré, en ce qu’il ne peut être à la fois un salarié de la société Kappa Oil Services France, qui est une succursale, et le dirigeant de la société mère Kappa Oil Services en Angleterre, qu’il disposait d’une co-signature à la banque, et qu’il a donné procuration sur les comptes de la succursale française à Monsieur [C].

Il ajoute qu’en tout état de cause, le demandeur ne peut se prévaloir d’un préjudice en lien avec la faute alléguée, puisque :
– il lui appartenait de saisir le conseil des prud’hommes pour se faire reconnaître la qualité de salarié, décision qui aurait été opposable au liquidateur, et en s’abstenant d’y procéder, il est à l’origine exclusive du préjudice invoqué,
– le demandeur ne peut exciper d’une créance salariale l’encontre de la liquidation judiciaire,
– son préjudice ne peut constituer qu’une perte de chance d’obtenir la prise en charge de ses créances par les AGS qui émettaient également un doute sur sa qualité de salarié, et les indemnités versées par les AGS sont plafonnées,
– le liquidateur judiciaire ne peut être tenu personnellement des cotisations et créances salariales.

La jonction de deux affaires et la clôture de la mise en état ont été prononcées le 14 décembre 2023 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.

A l’audience du 17 janvier 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 14 février 2024.

MOTIVATION

Sur la responsabilité du mandataire judiciaire

Engage sa responsabilité personnelle sur le fondement de l’article 1240 du code civil – ce qui exclut toute référence à la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat qui relève de la responsabilité contractuelle -, le mandataire judiciaire qui manque à ses obligations dans l’exécution du mandat qui lui est confié.

Il incombe à celui qui entend voir engager la responsabilité civile du mandataire judiciaire de rapporter la preuve du préjudice dont il sollicite réparation ; qu’il soit entier ou résulte d’une perte de chance, ce préjudice, pour être indemnisable, doit être certain, actuel et en lien direct avec le manquement commis.

Au cas présent, à supposer que le mandataire judiciaire et sa société d’exercice aient commis une faute, au regard des pièces produites, le demandeur ne démontre pas l’existence d’un quelconque préjudice dans la mesure où les AGS ont indiqué par courrier du 11 octobre 2022  » après analyse des éléments cités ci-dessus, nous partageons les doutes du mandataire judiciaire, la SELARL [N] [G], quant à la reconnaissance de la qualité de salarié de Monsieur [B] [T] et aurions ainsi refusé toute prise en charge pour son compte « .

Dès lors, dans ces conditions, Monsieur [T] sera débouté de ses demandes.

Sur les demandes accessoires

Monsieur [B] [T], partie perdante, sera condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Il convient en outre d’allouer aux défendeurs une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du même code d’un montant total de 3 000 €.

L’exécution provisoire de la présente décision sera ordonnée, conformément à l’article 514 du code de procédure civile, dans sa version applicable au litige.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

Déboute Monsieur [B] [T] de ses demandes ;

Condamne Monsieur [B] [T] aux dépens ;

Condamne Monsieur [B] [T] à payer à Maître [N] [G] et la SELARL [N] [G] la somme totale de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Fait et jugé à Paris le 14 Février 2024

Le GreffierLe Président

G. ARCASB. CHAMOUARD

 

 

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