Action recevable des syndicats professionnels
Plusieurs syndicats professionnels (et non des sociétés de gestion collective) ont remporté un procès phare, non seulement contre des sites de partage illicite d’œuvres audiovisuelles mais aussi contre plusieurs moteurs de recherche (Bing, Yahoo …) et des FAI (Numéricable, Orange France, France Télécom, SFR, Free, Bouygues Télécom …). L’APC, la FNDF, le SEVN, l’UPF et le SPI sont des syndicats professionnels qui ont le pouvoir d’ester en justice pour la défense des intérêts moraux de la profession qu’ils représentent et qu’ils estiment atteints en raison de l’existence des sites contrefacteurs.
Nature des actes de contrefaçon de vidéogrammes
Il existe deux catégories de sites centrés sur la contrefaçon en ligne d’oeuvres audiovisuelles : d’une part des plateformes constituées de bases de données sur lesquelles sont stockées les oeuvres (Megavideo …) et d’autre part des annuaires de liens permettant aux internautes de trouver ces oeuvres en pointant vers ces plates-formes.
Le déréférencement de plus de 200 000 liens des moteurs de recherche a été ordonné judiciairement. Il n’a pas été nécessaire de prouver l’originalité des œuvres en cause. En effet, les droits voisins des producteurs de vidéogrammes étaient pleinement applicables. Pour rappel, le vidéogramme est une fixation de séquences d’images sonorisées ou non, indépendamment de l’originalité ou non de l’oeuvre audiovisuelle fixée. Le producteur de vidéogrammes est la personne, physique ou morale, qui a l’initiative et la responsabilité de la première fixation d’une séquence d’images sonorisées ou non, son autorisation étant requise avant toute mise à la disposition du public de son vidéogramme.
Efficacité de l’ordonnance sur requête contre les intermédiaires
En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le TGI, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier (article L 336-2 du CPI transposant l’article 8 de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001).
Une ordonnance sur requête peut donc être rendue à l’encontre des intermédiaires FAI ou moteurs de recherche (Affaire C304-12, UPC Telekabel, 27/03/2014) dont les services sont utilisés pour porter atteinte à des droits voisins. Le terme d’«intermédiaire» vise toute personne qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d’une oeuvre protégée y compris la situation d’un objet protégé (lien hypertexte).
Les moteurs de recherche peuvent être poursuivis aux fins de déréférencement des liens contrefaisants. En effet, le recours à ces derniers permet à l’internaute qui ignore les adresses URL des sites mettant à la disposition du public par téléchargement ou visionnage en streaming des contenus audiovisuels sans l’autorisation de leurs ayants droit et qui désire soit accéder à une oeuvre audiovisuelle déterminée, soit plus généralement découvrir l’étendue de l’offre en ligne de telles oeuvres audiovisuelles contrefaisantes, non seulement de connaître les adresses URL de ces sites mais d’y accéder directement grâce à l’affichage, dans les résultats de cette recherche, de liens hypertextes sur lesquels il suffit à l’internaute de cliquer.
Injonction légitime aux moteurs de recherche
Ainsi, par le biais de ces liens hypertextes, les moteurs de recherche – qui n’ont pas qu’une fonction limitée et purement neutre d’indexation et de référencement – participent bien, comme les fournisseurs d’accès à Internet, à la transmission dans un réseau d’une contrefaçon commise par un tiers d’une oeuvre protégée.
La Commission européenne (rapport au Parlement, 22 décembre 2010) donne une définition très large de la notion d’intermédiaire en citant expressément les moteurs de recherche mais aussi les plates-formes internet telles que les places de marchés en ligne.
Déréférencement des liens : une mesure proportionnée
L’article L 336-2 du CPI s’applique expressément à toute personne susceptible de contribuer à prévenir ou à faire cesser une atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne. Cet article n’exige donc pas une participation directe et effective du moteur de recherche.
Cet article instaure une action spécifique en cessation d’actes portant atteinte au droit d’auteur ou aux droits voisins, indépendante de la mise en oeuvre de la responsabilité civile du contrefacteur, l’illicéité étant caractérisée par la seule violation du droit exclusif, conséquence de l’opposabilité de ce droit à l’égard de tous. Cette action est ouverte non seulement aux titulaires de droits sur les oeuvres protégées et à leurs ayants droit, mais également aux sociétés de gestion collective ainsi qu’aux organismes de défense professionnelle.
Conformément à la réserve formulée par le Conseil constitutionnel (Décision 2009-580 DC du 10 juin 2009), les mesures prises pour faire cesse la contrefaçon ne doivent pas priver inutilement les utilisateurs d’Internet de la possibilité d’accéder de façon licite aux informations disponibles et, d’autre part, les mesures doivent empêcher ou, au moins, rendre difficilement réalisables les consultations non autorisées des objets protégés et de décourager sérieusement les utilisateurs d’Internet tentés par la contrefaçon.
Il a été jugé que les mesures de déréférencement ont par le passé, prouvé leur efficacité et leur utilité pour limiter la contrefaçon. Couplées aux mesures de blocage des sites contrefacteurs, par les FAI, ces mesures ne portent pas atteinte à la liberté d’expression et de communication et sont conformes au principe de proportionnalité.
Qui supporte la charge financière du déréférencement ?
C’était l’un des points cruciaux de cette affaire et de façon assez surprenante, les juges ont mis à la charge des FAI et moteurs de recherche le coût des mesures à prendre. L’injonction fait peser sur son destinataire une contrainte qui restreint la libre utilisation des ressources à sa disposition, puisqu’elle l’oblige à prendre des mesures qui sont susceptibles de représenter pour celui-ci un coût important, d’avoir un impact considérable sur l’organisation de ses activités ou de requérir des solutions techniques et complexes.
L’article L 336-2 du CPI ne concerne pas une action en responsabilité civile et en réparation du dommage en résultant mais prévoit une action spécifique en cessation d’atteintes au droit d’auteur et aux droits voisins occasionnées par le contenu d’un service de communication au public en ligne. En conséquence la charge du coût des mesures ordonnées en vertu de cet article ne saurait se justifier juridiquement par l’application des articles 1382 et 1383 du code civil, la responsabilité civile des FAI et des fournisseurs de moteurs de recherche n’étant pas recherchée.
Il ressort des principes généraux du droit français qu’une partie qui doit faire valoir ses droits en justice n’a pas à supporter les frais liés à son rétablissement dans ses droits.
En l’espèce les syndicats professionnels, confrontés à une atteinte massive aux droits de leurs membres du fait de la mise à la disposition sur Internet se sont vus dans la nécessité d’exercer les droits de leurs membres auprès d’un juge dans le but de sauver leur activité, fortement menacée par ce piratage massif de leurs œuvres.
L’équilibre économique des syndicats professionnels, déjà menacé par ces atteintes, ne peut qu’être aggravé par l’engagement de dépenses supplémentaires, qu’ils ne peuvent maîtriser, dans le blocage des sites contrefaisants et dans leur déréférencement des moteurs de recherche, tandis que les FAI et les moteurs de recherche sont bien à l’origine de l’activité de mise à disposition de l’accès à ces sites. Ils tirent économiquement profit de cet accès (notamment par la publicité s’affichant sur leurs pages). Les juges ont donc conclu qu’il était dès lors légitime et conforme au principe de proportionnalité qu’ils contribuent financièrement aux mesures de blocage ou de déréférencement.
Ce n’est que dans l’hypothèse où une mesure particulière devait s’avérer disproportionnée eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, au point de compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique du FAI ou du fournisseur de moteur de recherche, qu’il conviendrait d’apprécier la nécessité d’en mettre le coût, en tout ou en partie, à la charge du titulaire des droits (arrêts Scarlet Extendet, 24/11/ 2011, SABAM, 16/02/2012).
Exceptions à la prise en charge financière du déréférencement
A noter que si certaines dispositions législatives prévoient expressément l’indemnisation du coût des mesures de blocage imposées aux FAI, elles ne s’appliquent que dans des cas précis où ces mesures sont demandées au juge par la puissance publique dans un but d’intérêt général (loi du 12 mai 2010 en matière de jeux d’argent et de hasard en ligne) ou de sauvegarde de l’ordre public (articles L 35-6 et D 88-7 du CPCE en matière de défense nationale et de sécurité publique, lois des 14 mars 2011 et 13 novembre 2014 en matière de pédopornographie).
La Décision 2000-441 DC du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2000 qui décharge les intermédiaires techniques de cette charge financière ne s’applique que dans le cas où le concours de l’opérateur est apporté « à la sauvegarde de l’ordre public, dans l’intérêt général de la population, aux fins d’éviter une rupture d’égalité devant les charges publiques », ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
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