1 million d’euros de dommages et intérêts
Voici une décision phare et fleuve en matière de responsabilité contractuelle d’un prestataire technique (gestionnaire du parc électronique des supports publicitaires de Clear Channel). Une affaire aux nombreux enseignements dont la solution est transposable à tout contrat incluant une dimension fortement technologique, et qui a donné lieu à une condamnation à plus d’un million de dommages et intérêts.
Affaire Clear Channel
Pour optimiser la gestion de son parc de panneaux publicitaires d’environ 13.000 faces sur la France, Clear Channel a fait appel à la société Sigfox. En dépit du succès de la phase de test et suite à de nombreux dysfonctionnements techniques et à des retards dans le déploiement de la prestation, la société Clear Channel a poursuivi son prestataire en responsabilité contractuelle. La résolution judiciaire du contrat a été prononcée et la condamnation du prestataire confirmée.
Obligation de moyen / Obligation de résultat
Le contrat ne qualifiant pas explicitement les obligations auxquelles s’était engagée Sigfox, les juges consulaires ont donc recherché l’intention des parties exprimée dans la préparation et la conclusion de ce contrat.
En considération de la solution technique proposée, présentée comme fonctionnelle et non expérimentale, le prestataire était bien tenu à une obligation de résultat. En effet, ce dernier s’était engagé à mettre en place un système de télégestion basé sur une technologie radio innovante dite Ultra Narrow Band (« UNB »). Une prestation innovante et expérimentale peut être exclusive d’une obligation de résultat à condition que l’aléa existe, soit connu du créancier et accepté par lui. Or, ce n’était pas le cas en l’espèce : Clear Channel n’avait pas eu connaissance ni accepté qu’elle s’engageait avec une société qui ne maitrisait pas les aléas techniques du projet. La rédaction de ce cahier des charges ambitionnait clairement de trouver un prestataire technique capable de proposer une solution technique efficace pour parvenir à une solution similaire à celle des concurrents de Clear Channel et ne laissant pas de place à l’aléa, le projet de télégestion étant présenté comme primordial.
De plus, une phase de test a été mise en place laissant à penser, eu égard à sa réussite, que justement les aléas techniques, s’ils existaient préalablement au contrat, étaient désormais écartés.
Obligation de collaboration des parties
Le contrat prévoyait dans sa clause « Suivi du Projet » que « Afin d’assurer la maîtrise du projet en termes de qualité, de coût et de délai, Sigfox met en oeuvre des dispositions de suivi de projet qui permettent de suivre l’avancement du projet en charge et en délai, d’identifier les risques de dérapages et d’y remédier, de suivre les livrables, de suivre les évènements (. . .) d’établir une relation de partenaire avec le client lors des réunions d’avancement (…). Il est spécifié que Sigfox assurera le suivi du projet en collaboration avec le Client, notamment pour la gestion des fournisseurs du client validé par Sigfox ».
Ce paragraphe était explicite dans l’obligation du prestataire de maîtriser le projet en termes de qualité, de coûts et de délais, et de suivre le projet en collaboration avec le client. Il appartenait bien au prestataire de maitriser le projet tout en collaborant avec le client et non le client qui a une obligation de collaboration concernant la « maîtrise en termes de qualité, de coût et de délai » du Projet. Cette obligation à la charge du prestataire est fréquente dans un contrat d’une certaine complexité où il est attendu du maître d’œuvre d’inclure dans son ouvrage des éléments fournis par le maître d’ouvrage. Cette exigence de collaboration est confirmée par l’obligation, pour le prestataire, de fournir un cahier des spécifications fonctionnelles et techniques.
En d’autres termes, l’implication du client dans un projet collaboratif ne peut suffire à elle seule à exonérer le prestataire d’une éventuelle obligation de résultat et ainsi échapper à ses éventuelles responsabilités. L’exécution loyale du contrat par le client et notamment de son obligation de collaboration ne saurait transformer l’obligation de résultat du prestataire en une simple obligation de moyens.
Impact des dysfonctionnements techniques
Le système déployé a subit des dysfonctionnements de certains boîtiers de télégestions installés : phénomènes de reboot, de sensibilité aux perturbations électromagnétiques, d’arrêt de communication sans raison. Plusieurs rapports d’expertise ont alors été établis par les parties pour identifier les causes de ces dysfonctionnements. Tous ces rapports ont conclu à attribuer ces dysfonctionnements à des problèmes de compatibilités électrique ou électromagnétique entre le boîtier de télégestion et le panneau déroulant, qui est son environnement mécanique, électrique et électromagnétique. Or, c’est au professionnel, débiteur d’une obligation de conseil, de se renseigner sur l’environnement dans lequel on lui demande d’installer un système. C’est le prestataire, responsable de la conception du boîtier, qui doit savoir si la stabilité de son alimentation électrique est « déterminante » en fonction de la solution technique qu’il envisage. En l’espèce, le prestataire a mal spécifié, puis conçu et fourni à son client, un boîtier de télégestion peu robuste d’un point de vue de sa compatibilité électromagnétique. Par ces défaillances dans l’approvisionnement d’un composant essentiel, le prestataire a pris et fait prendre au client, un risque d’échec du projet.
A ce titre, le client ne peut définir dans son cahier des charges fonctionnel que ce qu’il connait des caractéristiques de son propre parc de mobiliers urbains. Si d’autres informations étaient nécessaires pour la conception des boîtiers de télégestion, il appartenait au prestataire en charge de la spécification puis de la conception de ce boîtier, soit d’interroger plus avant son client, sur cet environnement, soit de le caractériser lui-même par essais, soit de spécifier des exigences de conception suffisamment sévères pour prendre le risque de se passer de telles informations.
Délais d’exécution du contrat
Sur le volet du calendrier, aucun délai précis n’a été convenu contractuellement entre les parties. Selon le contexte, les juges ont évalué les délais de déploiement à neuf mois mais les parties n’avaient pas fait de ce calendrier un enjeu contractuel majeur susceptible par exemple d’application de clauses de résiliation pour défaut ou de pénalité de retard. Néanmoins, le prestataire devait s’engager à mettre en œuvre des dispositions « afin d’assurer la maîtrise du projet en termes de qualité, de coût et de délai», montrant bien que le délai du contrat avait (tout de même) une certaine importance. En échouant à faire fonctionner le système 3 ans après le début du contrat, le tribunal a jugé que cette durée était suffisante pour constater l’incapacité du prestataire à exécuter son contrat et donc l’inexécution de celui-ci.
Intérêt de l’assurance de responsabilité professionnelle
Le prestataire était parfaitement assuré mais la compagnie d’assurance a fait valoir que l’assurance en responsabilité civile professionnelle souscrite excluait les conséquences financières d’une action en résolution de contrat, les coûts liés à la conclusion de ceux-ci constituant une dette propre au litige entre les cocontractants.
La police d’assurance excluait expressément de la garantie « Le coût du remboursement des produits, fournitures ou prestations, livrés ou exécutés par l’Assuré ou par ses sous-traitants » ; Or, les condamnations incluaient pour partie le coût de remboursement de produits et prestations fournis par Sigfox, à savoir la fourniture et l’expédition des boîtiers de télégestion et des testeurs de câbles (pour un million d’euros). Ces sommes étaient donc explicitement exclues par la convention de la police d’assurance. En revanche, le contrat en responsabilité civile professionnelle couvrait bien les autres conséquences financières d’une action en résolution de contrat : l’assureur a été tenu de garantir le paiement d’une partie de la condamnation (500 K€).
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