En matière de fraude au paiement Google Ads, le juge français est comptent : le critère du lieu de réalisation du préjudice purement financier ne permet de déterminer la compétence de la juridiction du pays dans lequel il s’est réalisé qu’en l’absence de toute circonstance concourant à attribuer compétence à une autre juridiction que celle du lieu de matérialisation de ce préjudice (Cf CJUE 16 juin 2016, Universal Music International Holding et 1ere Civ, 15 juin 2022, pourvoi n°21-10.742).
Le fait dommageable pour l’annonceur victime de la fraude est la perte d’une somme d’argent virée de son compte bancaire à tort à la suite d’une manoeuvre frauduleuse d’un tiers et cette perte se situe au lieu de domiciliation de son compte bancaire en France. Et conformément aux articles 5 et 7 du Règlement Bruxelles I bis, il est possible d’une part d’attraire une partie dans un autre Etat membre et d’autre part, en matière délictuelle, le tribunal compétent peut être celui du lieu du fait dommageable. De plus, en vertu de l’article 8, point 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, s’il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Compétence juridictionnelleLa compétence des juridictions est déterminée par le Règlement (UE) n° 1215/2012, notamment son article 4 qui établit que « les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». L’article 7, point 2, précise que « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, elles peuvent être attraites devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Application de la loiLa loi applicable aux obligations non contractuelles est régie par le Règlement (CE) n° 864/2007 (Règlement Rome II), article 4.1, qui stipule que « sauf dispositions contraires, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient ». En l’espèce, le dommage principal, soit la perte financière, s’est matérialisé en France, ce qui justifie l’application de la loi française. Responsabilité des banquesLa responsabilité de la BNP Paribas est examinée sous l’angle des articles L133-18 à L133-24 du Code monétaire et financier, qui régissent les opérations de paiement. L’article L133-21 précise qu’un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur est réputé dûment exécuté. En cas de virement non autorisé, l’article L133-19 stipule que le payeur supporte les pertes si celles-ci résultent d’un agissement frauduleux ou d’une négligence grave de sa part. Obligations de vigilanceLa jurisprudence impose aux banques une obligation de vigilance dans le cadre de la prévention des fraudes. La Cour de cassation a affirmé que la banque doit s’interroger sur des anomalies apparentes dans les opérations de paiement, comme le stipule l’article L133-21 du Code monétaire et financier. En cas de manquement à cette obligation, la banque peut voir sa responsabilité engagée. Conclusion sur la responsabilité délictuelleLa responsabilité délictuelle de la société OTP Bank est également examinée sous l’article 1241 du Code civil, qui impose une obligation de diligence lors de l’ouverture de comptes. La banque doit effectuer des vérifications adéquates pour prévenir les fraudes, et tout manquement à cette obligation peut engager sa responsabilité envers les tiers. |
L’Essentiel : La responsabilité délictuelle est régie par l’article 1241 du Code civil, qui impose à l’auteur d’un dommage de le réparer. En matière de responsabilité contractuelle, l’article 1231-1 précise que le débiteur doit réparer le dommage causé par son inexécution, sauf preuve d’une cause étrangère. La compétence des juridictions est déterminée par le Règlement (UE) n° 1215/2012, qui établit que les personnes domiciliées dans un État membre sont attraites devant ses juridictions.
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Résumé de l’affaire : La société spécialisée dans la vente en ligne de faire-parts, désignée comme la société A, a été victime d’une fraude en 2018. Dans le cadre de son activité, elle a utilisé les services de la société Google Adwords pour optimiser son référencement. Le 24 mai 2018, un comptable de la société A a reçu un e-mail l’informant d’un changement de RIB de la société Google Adwords. Suite à cela, le comptable a modifié les informations bancaires auprès de sa banque, la société B, et a effectué deux virements totalisant 166 184,20 euros vers un compte de la société C, prétendument au nom de Google.
Cependant, les e-mails reçus par la société A étaient frauduleux. Le 13 juin 2018, la société A a découvert la fraude et a demandé à la société B de rapatrier les fonds. Le 18 juin 2018, la société A a déposé une plainte pour escroquerie. En février 2019, la société A a assigné la société B et la société C devant le tribunal de commerce de Toulouse pour obtenir réparation. Le tribunal a jugé que la société C devait rembourser une partie des fonds, mais a également condamné la société A à payer des frais à la société B. En novembre 2022, le mandataire liquidateur de la société A a interjeté appel, demandant une réformation du jugement. La société C a également fait appel, contestant la compétence des juridictions françaises. Les débats ont porté sur la responsabilité des deux banques et la compétence des juridictions. La cour a confirmé que le fait dommageable s’était produit en France, où la société A avait subi une perte financière. En ce qui concerne la responsabilité, la cour a estimé que la société A avait fait preuve de négligence en ne vérifiant pas les informations bancaires, exonérant ainsi la société B de toute responsabilité. La cour a finalement infirmé le jugement en ce qui concerne la société C, déboutant la société A de ses demandes à son encontre et confirmant les autres dispositions du jugement. |
Q/R juridiques soulevées :
Quel est le fondement de la compétence des juridictions françaises dans ce litige ?La compétence des juridictions françaises est fondée sur l’article 4 du Règlement (UE) n° 1215/2012, qui stipule que « les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ». En matière délictuelle, l’article 7.2 précise que « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, elles peuvent être attraites devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». Dans cette affaire, le fait dommageable, soit la perte financière subie par la société Planet Cards, s’est matérialisé en France, au lieu de domiciliation de son compte bancaire. Quel est le droit applicable à l’obligation non contractuelle dans ce cas ?Le droit applicable à l’obligation non contractuelle est déterminé par l’article 4.1 du Règlement européen n° 864/2007, qui stipule que « sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient ». En l’espèce, le dommage principal, soit la perte des fonds, s’est produit en France, ce qui justifie l’application de la loi française au litige. Quels manquements sont reprochés à la société BNP Paribas ?La société Planet Cards reproche à la BNP Paribas des manquements à son obligation de surveillance et de vigilance, en vertu de l’article 1231-1 du code civil, en ne relevant pas des anomalies apparentes dans les opérations de paiement. Elle souligne que la banque aurait dû s’interroger sur l’existence d’anomalies, telles que l’utilisation d’un nouveau compte pour des virements importants vers un bénéficiaire dont l’activité ne correspondait pas à celle de la société Google. Quelles sont les responsabilités de la société OTP Bank PLC dans ce litige ?La société Planet Cards reproche à la société OTP Bank PLC d’avoir failli à ses obligations de vérification lors de l’ouverture du compte du bénéficiaire, en vertu de l’article 1241 du code civil. Elle lui reproche également de ne pas avoir respecté la procédure de « recall » des fonds, prévue par l’article L133-31 du code monétaire et financier, en ne répondant pas rapidement à la demande de rapatriement des fonds. Comment la cour a-t-elle apprécié la responsabilité de la BNP Paribas ?La cour a constaté que la BNP Paribas ne pouvait pas être tenue responsable des virements effectués, car ceux-ci avaient été réalisés conformément aux instructions de la société Planet Cards. Elle a rappelé que selon l’article L133-21 du code monétaire et financier, un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur est réputé dûment exécuté, sauf en cas de fraude ou de négligence grave de la part du payeur. Quelles conclusions la cour a-t-elle tirées concernant la responsabilité de la société OTP Bank PLC ?La cour a conclu que la société OTP Bank PLC ne pouvait pas être tenue responsable des opérations de paiement, car elle avait exécuté les virements conformément à l’identifiant unique fourni par la société Planet Cards. Elle a également noté que la banque avait respecté ses obligations en matière de vérification lors de l’ouverture du compte et qu’elle n’avait pas de délai précis à respecter pour la procédure de « recall ». Ainsi, la cour a infirmé le jugement en ce qui concerne les demandes de la société Planet Cards à l’égard de la société OTP Bank PLC. |
ARRÊT N°146
N° RG 22/03875
N° Portalis DBVI-V-B7G-PCMZ
VS/ND
Décision déférée du 16 Février 2022
Tribunal de Commerce de toulouse
2019J00225
M DE CHEFDEBIEN
S.E.L.A.S. EGIDE
SOCIÉTÉ OTP BANK PLC
C/
S.A. BNP PARIBAS
SOCIÉTÉ OTP BANK PLC
S.C.P. CBF ET ASSOCIES
S.E.L.A.S. EGIDE
S.C.P. CBF ET ASSOCIÉS
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
– Me MORVILLIERS
– Me BENOIT-DAIEF
– Me LESTRADE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU HUIT AVRIL DEUX MILLE VINGT CINQ
***
APPELANTES ET INTIMEES
S.E.L.A.S. EGIDE
en qualité de mandataire liquidateur de la société PLANET CARDS, prise en la personne de Maître [G] [H],
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Me Nicolas MORVILLIERS de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
SOCIÉTÉ OTP BANK PLC
société de droit hongrois
[Adresse 3]
[Adresse 3] HONGRIE
Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Guillaume-denis FAURE du PARTNERSHIPS DLA PIPER FRANCE LLP, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMEES ET APPELANTES
SOCIÉTÉ OTP BANK PLC
société de droit hongrois
[Adresse 3]
[Adresse 3] HONGRIE
Représentée par Me Ophélie BENOIT-DAIEF de la SELARL SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Guillaume-denis FAURE du PARTNERSHIPS DLA PIPER FRANCE LLP, avocat plaidant au barreau de PARIS
S.E.L.A.S. EGIDE
en qualité de mandataire liquidateur de la société PLANET CARDS, prise en la personne de Maître [G] [H],
[Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Me Nicolas MORVILLIERS de la SELAS MORVILLIERS SENTENAC & ASSOCIES, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEES
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Me Aurélie LESTRADE de la SELARL DECKER, avocat postulant au barreau de TOULOUSE et par Me Silvia LEPEL de l’AARPI BCTG AVOCATS, avocat plaidant au barreau de PARIS
S.C.P. CBF ET ASSOCIES
en qualité d’administrateur judiciaire de la SAS PLANET
[Adresse 1]
[Localité 8]
sans avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Janvier 2025, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant V. SALMERON, présidente, chargée du rapport et S. MOULAYES, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
S. MOULAYES, conseillère
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre.
La société Sas Planet Cards, créée en 2013, est une société spécialisée dans la vente en ligne pour la création, fabrication et commercialisation de faire-parts destinés à tous publics.
Dans le cadre de son activité, elle a eu recours aux services de la société Google Adwords afin d’optimiser son référencement.
Le 24 mai 2018, Madame [J] [X], comptable de l’entreprise, a reçu un
e-mail après un appel téléphonique, au cours duquel le nouveau RIB de la société Google Adwords effectif depuis le mois de février 2018 lui avait été communiqué.
En conséquence, [J] [X] a procédé à la modification du nouveau compte bénéficiaire auprès de la Bnp Paribas.
Le 6 juin 2018, [J] [X] a effectué un virement de 1 279,97 euros en règlement d’une facture.
Le 8 juin 2018, [J] [X] a réalisé un second virement de 164 904,23 euros.
Soit un total de 166 184,20 pour ces deux opérations.
Le 13 et le 14 juin 2018, [J] [X] a reçu de nouveaux e-mails de Google intitulés « avertissement de suspension de(s) compte(s) pour Planet Cards Sas ». Elle a alors appris que la domiciliation bancaire de la société Google n’avait pas changé et que celle-ci continuait d’utiliser les références de règlement mentionnées dans les informations portées sur les factures.
Le 14 juin 2018, la société Planet Cards, constatant qu’elle avait été victime d’une fraude, a demandé à la Bnp Paribas de rapatrier les deux virements auprès de la banque bénéficiaire Otp Bank.
Le 18 juin 2018, la société Planet Cards a porté plainte auprès du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulouse pour escroquerie et pour faux et usage de faux.
La somme d’argent n’a pas été restituée.
Par exploits d’huissiers en date du 12 février 2019, la société Planet Cards a assigné la société Bnp Paribas et la société Otp Bank Plc devant le tribunal de commerce de Toulouse aux fins d’engager les responsabilités contractuelles et délictuelles et obtenir leur condamnation à rembourser la perte financière subie.
Par jugement du 16 février 2022, le tribunal de commerce de Toulouse a :
– dit que le droit français est applicable à la société de droit Hongrois Otp Banque,
s’est déclaré compétent pour connaître du litige opposant la Sas Planets Cards à la société de droit Hongrois Otp Banque,
– condamné la société de droit Hongrois Otp Bank à payer à la Sas Planets Cards la somme de 83 092,10 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2018 jusqu’à parfait paiement,
– débouté l’ensemble des parties pour le surplus de leurs demandes, fins et prétentions,
– condamné la Sas Planets Cards à payer à la Bnp Paribas la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire de ladite décision,
– condamné in solidum la Sas Planets Cards et la société de droit Hongrois Otp Bank aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration en date du 4 novembre 2022 (RG 22-03875), la Selas Egide prise en la personne de Maître [G] [H] en qualité de mandataire liquidateur de la Sas Planet Cards a relevé appel du jugement. La portée de l’appel est la réformation des chefs du jugement qui ont :
-condamné la société de droit Hongrois Otp Bank à payer à la Sas Planets Cards la somme de 83 092,10 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2018 jusqu’à parfait paiement,
-débouté l’ensemble des parties pour le surplus de leurs demandes, fins et prétentions,
-condamné la Sas Planets Cards à payer à la Bnp Paribas la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné in solidum la Sas Planets Cards et la société de droit Hongrois Otp Bank aux entiers dépens de l’instance.
Par déclaration d’appel en date du 12 janvier 2023(RG23-00136) puis par déclaration rectificative du 13 janvier 2023 (RG23-00157), la société Otp Bank Blc a également interjeté appel du jugement. Par ordonnance du 2 février 2023, les deux dernières instances ont été jointes sous le RG 23-136.
Par conclusions devant le conseiller de la mise en état en date du 5 septembre 2023, la Selas Egide a sollicité la radiation de l’appel interjeté pour défaut d’exécution du jugement par la société Otp Bank Blc.
La société Otp Bank Blc a quant-à elle sollicité la jonction des deux procédures à laquelle la société Planet Cards s’est opposée.
Par ordonnance du 11 janvier 2024, le conseiller de la mise en état a déclaré recevable la demande de radiation mais a également ordonné la jonction des instances RG 23/136 et RG 22/3875, avec fixation de l’affaire dores et déjà arrêtée dans le dossier RG 22/3875, rendant la demande de radiation sans objet.
La clôture est intervenue le 2 décembre 2024.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions devant la Cour notifiées le 19 janvier 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la Selas Egide prise en la personne de Maître [G] [H] en qualité de mandataire liquidateur de la société Planet Cards demandant, au visa des articles 1231-1 et 1241 du code civil, de :
infirmer partiellement le jugement du tribunal de commerce de Toulouse en ce qu’il a :
condamné la société de droit hongrois Otp Bank à payer à Planet Cards la somme de 83.092,10 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2018 jusqu’à parfait paiement,
débouté l’ensemble des parties pour le surplus de leurs demandes, fins et prétentions,
condamné la Sas Planet Cards à payer à Bnp Paribas la somme de 1.200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné in solidum la Sas Planet Cards et la société de droit hongrois Otp Bank aux entiers dépens de l’instance,
confirmer le jugement en ce qu’il a :
dit que le droit français est applicable à la société de droit hongrois Otp Banque,
s’est déclaré compétent pour connaître du litige opposant la Sas Planet Cards à la société de droit hongrois Otp Banque,
statuant à nouveau :
condamner in solidum la Bnp Paribas et la banque Otp à payer à la société Planet Cards la somme de 166.184,20 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 25 juin 2018,
débouter Otp Bank de ses appels, principal et incident, et de ses demandes,
condamner in solidum la Bnp Paribas et la banque Otp au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamner in solidum la Bnp Paribas et la banque Otp aux entiers dépens de l’instance.
Vu les conclusions d’intimée n°3 notifiées le 27 novembre 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la société Bnp Paribas demandant de :
confirmer le jugement entrepris par le tribunal de commerce de Toulouse le 16 février 2022, en toutes ses dispositions,
débouter la Selas Egide es qualité de mandataire liquidateur de la société Planet Cards de l’ensemble de ses demandes,
confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Planet Cards à payer à Bnp Paribas la somme de 1 200 euros au titre des frais de justice exposés en première instance et aux dépens,
y ajoutant, condamner la Selas Egide à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais de justice exposés en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
Vu les conclusions récapitulatives devant la Cour notifiées le 27 novembre 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la société Otp Bank Plc demandant, au visa des dispositions du Règlement européen n°1215/2012 du 12 décembre 2012 « concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale » (Règlement Bruxelles I bis) et plus spécifiquement ses articles 4 et 5, des dispositions du Règlement européen n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur « la loi applicable aux obligations non contractuelles » (Règlement Rome II) et plus spécifiquement son article 4.1, l’article L133-21 du code monétaire et financier, les articles 73, 75 et 90 du code de procédure civile, l’article 1242 du code civil, de :
confirmer le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 16 février 2022 en ce qu’il a retenu la responsabilité de la société Planet Cards pour imprudence ;
réformer le jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 16 février 2022 en ce qu’il :
a dit que le droit français est applicable à la société de droit Hongrois Otp Bank ;
s’est déclaré compétent pour connaître du litige opposant la Sas Planet Cards à la société de droit Hongrois Otp Bank ;
limité à 50 % la responsabilité de la Sas Planet Cards ;
condamné la société de droit Hongrois Otp Bank à payer à la Sas Planet Cards la somme de 83 092,10 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2018 jusqu’à parfait paiement ;
ordonné l’exécution provisoire de ladite décision ;
condamné in solidum la Sas Planet Cards et la société de droit Hongrois Otp Bank aux entiers dépens de l’instance,
et, statuant à nouveau :
in limine litis :
recevoir Otp Plc en ses écritures et l’en dire bien fondée ;
constater que le domicile de Otp Plc, appelante, se situe en Hongrie ;
constater que le dommage dont se prévaut Planet Cards auprès d’Otp Plc est survenu en Hongrie ;
constater que le lieu du fait dommageable et le lieu de l’événement causal à l’origine du dommage invoqué par Planet Cards auprès d’Otp Plc. se situent en Hongrie ;
en conséquence :
décliner sa compétence pour connaître du litige, au profit des juridictions hongroises ;
dire et juger que la loi française est inapplicable au présent litige, au profit de la loi hongroise,
à tire subsidiaire :
constater que la société Planet Cards ne rapporte pas la preuve que ses demandes seraient fondées en vertu de la loi applicable, à savoir la loi hongroise ;
constater en tout état de cause que Otp Plc a respecté les obligations de diligence et de prudence qui lui incombaient en vertu du droit français et du droit européen ;
constater que les demandes de la société Planet ne sont donc aucunement fondées ;
constater que la société Planet Cards est l’auteur exclusif de son dommage, empêchant par là même que Otp Plc puisse être déclarée responsable de son dommage,
en conséquence :
déclarer mal fondées les demandes formulées par Planet Cards à l’égard d’Otp,
en conséquence :
débouter la société Planet Cards de toutes ses demandes, fins et prétentions à l’égard d’Otp,
en tout état de cause :
condamner la société Planet Cards à verser à Otp Plc la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamner encore la société Planet Cards en tous dépens.
La société Scp Cbf et associés en qualité d’administrateur judiciaire de la SAS Plane cards, à laquelle la déclaration d’appel ainsi que les conclusions des appelantes ont été signifiées le 23 janvier 2023 par signification à personne morale, n’a pas constitué avocat et n’a pas conclu.
-sur la compétence des juridictions françaises remise en cause par la société OTP Bank PLC :
la société Otp Bank PLC, se fondant sur l’article 7 du Règlement Bruxelles I bis, rappelle que la juridiction compétente est celle du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire et sur l’arrêt de la CJCE du 30 novembre 1976, Bier 21/71 qui a défini le lieu où le fait dommageable s’est produit en précisant que « le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal soit du lieu où le dommage est survenu, soit du lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage ».
Elle se réfère également à l’arrêt CJUE du 16 juin 2016 aff C12/15 selon lequel l’article 5 point 3 f du règlement CE n°44/22001 du Conseil doit être interprété en ce sens que « ne saurait être considéré comme lieu où le fait dommageable s’est produit, en l’absence d’autres points de rattachement, le lieu, situé dans une Etat membre où un préjudice est survenu, lorsque ce préjudice consiste exclusivement en une perte financière qui se matérialise directement sur le compte bancaire du demandeur et qui résulte directement d’un acte illicite commis dans un autre Etat membre ».
Elle en déduit qu’en matière d’action délictuelle, l’option de compétence ouverte au demandeur Planet Cards était le lieu du siège social d’OTP, le lieu de la survenance du dommage ou le lieu de l’événement causal qui est à l’origine du dommage et que par conséquent, aucun des critères ne permettait de retenir la compétence des juridictions françaises puisque selon elle :
-le lieu du dommage est celui où se situe le compte bancaire à partir duquel les fonds ont été usurpés, lieu où le fraudeur s’est indûment approprié les fonds,
-le lieu de l’événement causal est le lieu des manquements reprochés à OTP Bank lors de l’ouverture du compte dans ses livres et lors de son utilisation.
Enfin, elle considère qu’il n’existe aucune inconciliabilité des décisions à venir s’agissant des actions de la société Planet Cards à l’encontre de la banque OTP Bank PLC et de la BNP pour répondre aux exigences de l’article 8 du Règlement Bruxelles I bis à défaut d’établir que face à plusieurs défendeurs, les demandes doivent être liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Elle se prévaut de la distinction des faits reprochés à chacune des banques et des régimes des responsabilités différents ce qui a, d’ailleurs, conduit le tribunal a écarté la responsabilité de la BNP. Elle dénonce le défaut de prévisibilité pour OTP Bank d’être attraite devant les juridictions françaises alors que le risque de contrariété de décisions ne correspond pas à la même situation de faits et de droit ainsi que le défaut de connexité entre les deux actions intentées par la société Planet Cards.
La SA BNP Paribas considère que le lieu du fait dommageable à l’origine des demandes de la société Planet Cards est sans nul doute en France au lieu du compte bancaire où elle s’est défait des sommes litigieuses, et, au-delà, le rapport entre les demandes à l’encontre des banques justifie que ces dernières soient étudiées par la même juridiction pour éviter des décisions inconciliables.
Le selas Egide, es qualites, insiste sur la jurisprudence de la CJCE du 30 novembre 1976 aff 21/76 qui a précisé que la mention « le lieu où le fait dommageable s’est produit » visée par l’article 7 du Règlement n°1215/2012 doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal. Il en résulte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal soit du lieu où le dommage est survenu, soit du lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage ». Et elle se fonde sur un précédent proche concernant les faits (cf. 22 janvier 2015 [Y] [I]. Energie Argentur NRW Gmbh), pour dire que le lieu du fait dommageable est le lieu où la société Planet Cards a subi un préjudice financier c’est à dire à [Localité 8].
Enfin au visa de l’article 8 1° du règlement n°1215/2012, la selas Egide, es qualites, rappelle qu’il existe un rapport entre les deux demandes et il y a un intérêt à les instruire ensemble en raison de l’unicité des faits, les deux banques devant s’expliquer sur la même opération et leurs responsabilités étant imbriquées. De plus, chacune des banques allègue de la responsabilité de la société Planet Cards dans la réalisation de son propre dommage.
La cour rappelle que l’article 4 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dispose que ‘les personnes domiciliées sur le territoire d’un état membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet état membre’. En application de l’article 5.1 de ce Règlement, ‘ les personnes domiciliées sur le territoire d’un Etat membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre’, et selon l’article 7.2, ‘ en matière délictuelle ou quasi délictuelle, elles peuvent être attraites devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire’.
La notion de ‘lieu où le fait dommageable s’est produit’, figurant à l’art. 7.2 du règlement vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage. En l’espèce, la SAS Planet Cards justifie que les virements opérés au profit du compte de la société OTP Bank PLC ont été effectués à partir de son compte bancaire ouvert dans les livres de la BNP Paribas à [Localité 8] si bien que son préjudice purement financier s’est réalisé en France. Cependant, ce critère du lieu de réalisation du préjudice purement financier ne permet de déterminer la compétence de la juridiction du pays dans lequel il s’est réalisé qu’en l’absence de toute circonstance concourant à attribuer compétence à une autre juridiction que celle du lieu de matérialisation de ce préjudice (Cf CJUE 16 juin 2016, Universal Music International Holding et 1ere Civ, 15 juin 2022, pourvoi n°21-10.742).
En l’espèce, il résulte des éléments débattus que si le manquement à l’obligation de vigilance reproché à la banque hongroise, qui constitue selon la société Planet Cards l’événement causal à l’origine de son préjudice, a été commis certes en Hongrie, les sommes dont l’appropriation frauduleuse est invoquée ont également été perçues ailleurs qu’en Hongrie.
En définitive, la cour confirme les motifs précis et pertinents du tribunal en ce qu’il a relevé que le fait dommageable pour la SAS Planet Cards est la perte de 166.000 euros virés de son compte bancaire à tort à la suite d’une manoeuvre frauduleuse d’un tiers et que cette perte se situe au lieu de domiciliation de son compte bancaire à Toulouse et non en Hongrie comme veut le faire trancher la société OTP Bank PLC. Et conformément aux articles 5 et 7 du Règlement Bruxelles I bis, il est possible d’une part d’attraire une partie dans un autre Etat membre et d’autre part, en matière délictuelle, le tribunal compétent peut être celui du lieu du fait dommageable.
De plus, en vertu de l’article 8, point 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, s’il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Certes, le fondement juridique de l’action engagée contre chacune des deux banques est distinct puisque la société Planet Cards est liée à la BNP Paribas par un contrat, alors qu’elle ne peut revendiquer aucun lien contractuel avec la banque hongroise OTP Bank PLC. Néanmoins, l’identité des fondements juridiques des actions introduites contre les différents défendeurs ne fait pas partie des conditions prévues pour l’application de l’article 8 susvisé (CJUE, 11 octobre 2007 Freeport C98-06 et 1 civ 17 fév. 2021, n°19-17.345).
Mais, les faits, objet du litige, constituent un opération unique, frauduleuse et globale depuis l’origine, le virement de fonds depuis le compte bancaire de la société Planet Cards à [Localité 8], qui se prétend victime, jusqu’à la réception des fonds détournés en Chine, sur le compte du bénéficiaire de la fraude, et ce en dépit des différentes étapes et des responsabilités de divers acteurs pour acheminer les fonds à destination.
Les demandes se rapportent donc aux mêmes faits et tendent à la même fin, à savoir, l’indemnisation du préjudice résultant pour la société Planet Cards de la perte de fonds. Elles appellent par conséquent des réponses conformes sur la matérialité et l’étendue du préjudice, l’analyse des causes du dommage et la part de responsabilité éventuelle de chaque société.
De plus et quel que soit le régime de responsabilité recherché à leur encontre, contractuel ou délictuel, les divers acteurs mettent en cause la responsabilité de la société Planet Cards dans le déroulement des faits, ce qui nécessite d’éviter des décisions qui n’apprécieraient pas de la même façon le comportement de la société Planet Cards pour des faits identiques à l’origine du dommage. Il existe donc bien un lien étroit entre les demandes qui nécessite de les instruire et de les trancher dans le cadre d’une même instance.
Enfin la banque hongroise, destinataire de virements en provenance de France, ne peut estimer raisonnablement imprévisible d’être attraite devant les juridictions françaises du fait du caractère frauduleux de ces virements tel qu’il est allégué par la société demanderesse à l’action.
Pour l’ensemble des ces motifs, il convient de confirmer le jugement qui a dit le tribunal de commerce de Toulouse compétent.
-sur le droit applicable :
Se fondant sur l’article 4.1 du Règlement européen n°864/2007 du 11 juillet 2007 (dit Règlement Rome II), la société OTP Bank PLC considère que la loi applicable à une obligation non contractuelle est celle du pays où le dommage principal survient, quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
Elle considère que les fautes qui lui sont reprochées consistent dans une prétendue négligence dans l’ouverture et la surveillance du fonctionnement du compte OTP Bank, au moyen duquel la fraude a pu prospérer et où, selon elle, s’est produite l’appropriation indue des fonds et donc le fait dommageable, soit en Hongrie. Elle conteste les critères de rattachement retenus par la société Planet Cards et notamment le compte bancaire de la demanderesse situé en France, le
co-defendeur résidant en France, le préjudice financier subi en France et l’auteur de la fraude qui est un ressortissant français.
La selas Egide, es qualites, se fonde sur l’article 4.1 dudit Règlement et considère que le pays où le dommage est survenu est la France compte tenu de l’atteinte au patrimoine de la société Planet cards et des circonstances spécifiques au cas d’espèce.
En application de l’article 4.1 du dit règlement « Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent ».
La cour constate que le dommage principal résultant du comportement fautif éventuel de la banque hongroise se situe en France puisque par divers critères de rattachement à la France, la perte des fonds de la société Planet Cards du fait des négligences de la banque hongroise se situe en France et non en Hongrie, peu important que dans le processus frauduleux de détournement des fonds de la France vers la Chine les fonds transitent par divers comptes bancaires à l’étranger, au cas d’espèce en Hongrie. Le dommage subi résultant de fautes délictuelles éventuelles reprochées demeure bien en France.
Dès lors c’est à bon droit que le tribunal de commerce a appliqué au litige et aux agissements de la société OTP Bank la loi française.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
– sur les responsabilités de la BNP Paribas et de la banque hongroise OTP Bank PLC:
I. concernant les fautes reprochées à la BNP Paribas :
au titre de sa responsabilité contractuelle, la SAS Planet Cards lui reproche, en application de l’article 1231-1 du code civil, des manquements à son obligation de surveillance et de vigilance en ne relevant pas des anomalies apparentes dans l’opération de paiement et en s’abstenant d’effectuer tout appel auprès des délégataires désignés pour demander des renseignements sur l’opération frauduleuse.
Elle dénonce le fait que la limite du devoir de la banque de non-immixtion dans les affaires de son client s’arrête dans son devoir de surveillance et la détection des anomalies apparentes dans le fonctionnement du compte. Or, elle devait s’interroger sur l’existence d’anomalies apparentes telles que : nouveau compte utilisé par son client, vers un compte situé en Hongrie, le bénéficiaire la société Google n’ayant pas d’activité en Hongrie, mais en Irlande pour ses opérations européennes, et ses coordonnées étaient inconnues, et enfin importance du montant des opérations.
Elle écarte l’application de l’article L133-21 du Code monétaire et financier (CMF) qui ne porte que sur des inexécutions ou des mauvaises exécutions d’un ordre de virement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Or, la BNP Paribas n’a procédé à aucune demande de renseignement auprès de sa cliente avant d’effectuer les virements litigieux importants alors que la société Planet Cards connaissait une situation de trésorerie très tendue.
Et sur le défaut de vérification, elle n’a procédé ni au contre appel ni par email de confirmation auprès de sa cliente en cas de suspicion de virements douteux comme elle avait pu le faire antérieurement pour des montants moindres.
La SA BNP Paribas conteste toute faute contractuelle dès lors que les virements litigieux ne présentaient aucune anomalie apparente et qu’elle n’avait pas d’obligation d’avertir le tiré du virement litigieux à défaut de falsifications apparentes et décelables par un employé normalement avisé (cf. Com 15 novembre 1994 n° 92 21 776) et au terme d’un examen sommaire effectué par un employé normalement diligent (cf. Com 14 juin 2005 n° 04 11 241). En tout état de cause, la BNP Paribas rappelle que selon les dispositions de l’article L133-21 du CMF, dès lors que les ordres de virement ont été exécutés conformément à la demande du titulaire du compte, utilisateur de service de paiement, et que les sommes ont rejoint le bénéficiaire du compte désigné par le RIB remis, aucune mauvaise exécution de l’opération ne peut être reprochée à la banque émettrice qui n’avait aucune vérification à réaliser.
Elle dénonce la faute de la société Planet Cards comme cause exclusive de son propre préjudice.
La cour rappelle qu’en matière de responsabilité du prestataire de paiement s’agissant d’une opération non-autorisée ou mal exécutée, les règles de droit commun ne trouvent pas à s’appliquer.
La Cour de cassation a récemment rappelé que les dispositions relatives à la responsabilité civile de la banque ne sont pas applicables en l’espèce, en indiquant que dès lors que la responsabilité d’un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d’une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L133-18 à L133-24 du code monétaire et financier, qui transposent les articles 71 à 74 de la directive (UE) 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, à l’exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national. (Com 15 janvier 2025, n°23-15.437).
Selon l’article L133-21 du code précité, qui transpose l’article 88 de la directive du 25 novembre 2015, un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique.
Si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution ou de la non-exécution de l’opération de paiement.
Si l’utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l’identifiant unique comme nécessaires aux fins de l’exécution correcte de l’ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur de services de paiement.
En l’espèce, la société Planets Cards demande une indemnisation au titre des sommes virées par ses soins en utilisant un système de virement sécurisé après avoir renseigné les nouvelles références bancaires d’un bénéficiaire habituel de virements, bénéficiaire correspondant à un client régulier alors que sa banque n’avait pas vérifié si le bénéficiaire du nouveau compte était bien celui visé dans le virement à exécuter.
Sur le terrain de la responsabilité contractuelle de la banque, il ne peut être reproché à la banque que des agissements en dehors du service de paiement lui-même. Dès lors que la société Planet Cards a effectué les opérations de virements par l’utilisation du système de paiement sécurisé, soit elle engage sa responsabilité sur une opération de virement non exécutée ou mal exécutée sur le fondement des articles L133-18 et suivants du CMF, soit elle dénonce des agissements antérieurs qui engageaient la banque.
La société Planet Cards explique qu’elle a rempli les nouvelles coordonnées de son client « Google Adwards » à l’aide du RIB transmis frauduleusement et que la banque ne l’a pas alertée sur le fait que ce compte ne correspondait pas au bénéficiaire recherché.
Au regard des agissements reprochés, seul le régime de responsabilité prévu aux articles L133-8 et suivants du CMF sont applicables et ce en dehors de tout engagement particulier de la banque concernant des règles de sécurité mises en place à l’égard de son client, comme un système de rappel spécifique à une personne de la société pour des montants de virements définis, ce qui n’est pas allégué.
Selon l’article L 133-6, une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.
Il a été récemment jugé qu’en application des dispositions des articles L133-3 et L133-6 du code monétaire et financier, une opération de paiement initié par le payeur, qui donne un ordre de paiement à son prestataire de service de paiement, est réputée autorisée uniquement si le payeur a également consenti à son bénéficiaire. (Com., 1 juin 2023, pourvoi n° 21-19.289, 21-21.831).
Dans le cas d’une opération de paiement non autorisée, en ce sens que le nom du bénéficiaire du virement, qui avait été mentionné dans les demandes de virements effectués alors que le titulaire du compte visé par l’IBAN n’était pas le réel bénéficiaire mentionné dans les demandes, les dispositions de l’article L133-19 du CMF peuvent trouver à s’appliquer, pour le cas particulier des instruments de paiement dotés de données de sécurité personnalisées, mais cet article prévoit que :
« V. ‘ Le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou s’il n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L 133-16 et L. 133-17.
V. ‘ Sauf agissement frauduleux de sa part, le payeur ne supporte aucune conséquence financière si l’opération de paiement non autorisée a été effectuée sans que le prestataire de services de paiement du payeur n’exige une authentification forte du payeur prévue à l’article L133-44 »
Or, en l’espèce, la BNP Paribas reproche à sa cliente à d’avoir agi par négligence grave avant d’effectuer les virements.
Selon l’article L133-16 du dit code tout utilisateur d’un instrument de paiement doit veiller aux conditions de son utilisation et notamment au fait qu’il n’est pas, préalablement à l’utilisation du système de paiement, victime d’une manipulation ou d’une tentative de fraude.
En effet, les anomalies apparentes que la société Planet Cards reproche à sa banque étaient tout aussi manifestes pour la salariée de la société qui a reçu le mail frauduleux le 24 mai 2018 précisant que le changement de compte bancaire de Google était effectif au mois de février 2018 et qui a modifié les coordonnées bancaires du bénéficiaire en application du mail frauduleux pour régler les factures alors que les mentions sur les factures de Google émises ultérieurement, au 31 mars 2018, conservaient les anciennes coordonnées bancaires et comportaient les mentions suivantes : « n’envoyez vos paiements qu’au compte bancaire mentionné en bas de cette facture officielle » et « si vous avez des questions concernant cette facture, envoyez un email à l’adresse [Courriel 7] ».
La salariée de la société Planet Cards devait alors nécessairement s’interroger sur l’origine du mail reçu le 24 mai et s’apercevoir que les adresses mails utilisées pour transférer le prétendu nouveau RIB de Google ([Courriel 6]) ne correspondaient pas aux adresses habituellement utilisées ([Courriel 5]).
De même, le logo de « google adwards » utilisé par les fraudeurs sur le RIB ne figurait pas sur les factures à régler ni sur les mails habituels de la société Google.
Ces seuls éléments suffisent à établir les négligences graves de l’utilisateur qui exonèrent la banque de toute responsabilité.
Il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société Planet Cards de ses demandes à l’égard de la SA BNP Paribas.
II-concernant les fautes reprochées à la société OTP Bank PLC :
la Société Planet Cards reproche à la société OTP Bank PLC au titre de sa responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1241 du code civil, d’avoir concouru à la réalisation du dommage et d’avoir failli à toute vérification élémentaire lors de l’ouverture du compte par le bénéficiaire, la société « Hub AD-Market » et son dirigeant, et dans la réalisation des opérations financières à son bénéfice alors que de nombreuses anomalies étaient détectables d’emblée (documents d’identité illisibles, aucun titre de séjour, statuts de la société relevant d’un contrat- type), ordre des deux virements pour « Google adwords » et non pour le titulaire du compte « Hub AD-Market ».
Enfin, elle lui reproche d’avoir été défaillante dans la procédure de « recall » des fonds, prévue par le Règlement européen n° 260/2012 du 14 mars 2012 et reprise à l’article L133-21 al.3 du CMF, en ne répondant que 6 jours après avoir reçu la demande de rapatriement des fonds dès le 15 juin 2018 (pièce 8) au lieu de la traiter immédiatement et en outre le compte litigieux n’a été résilié que le 13 juillet 2018.
La société OTP Bank PLC conteste toute faute en droit hongrois mais également sur le fondement du droit français.
-Sur l’ouverture du compte du bénéficiaire la société Hub Ad-Market en Hongrie :
la banque hongroise dit avoir procédé aux vérifications nécessaires : copie de pièce d’identité de monsieur [C] [K], son avis d’imposition sur le revenu en 2017, l’attestation de l’immatriculation de la société au registre hongrois des sociétés avec la production des statuts qui sont habituels en Hongrie s’agissant de modèles standard de statuts de sociétés à responsabilité limitée. Enfin, elle rappelle qu’un ressortissant de l’Union européenne n’a pas besoin de produire un titre de séjour pour ouvrir un compte bancaire ou devenir dirigeant d’une société commerciale en Hongrie.
De surcroît, ni l’âge du dirigeant 21 ans, ni sa nationalité française ni l’activité d’import import de la société n’étaient de nature à éveiller des soupçons de la part de la banque.
Enfin, elle produit la convention entre elle-même et [C] [K] du 18 mai 2018.
Le banquier doit, préalablement à l’ouverture d’un compte, vérifier le domicile et l’identité du postulant, qui est tenu de présenter un document officiel comportant sa photographie .
Tout manquement de ce chef serait une faute de nature à entraîner la responsabilité délictuelle de la banque à l’égard des tiers qui en subiraient un préjudice direct.
La cour relève qu’en appel, la société OTP Bank PTC produit des documents d’ouverture du compte bancaire dans ses livres de la société Hub AD Market, plus complets et plus lisibles, notamment le passeport du dirigeant français [C] [K],
Par ailleurs, la jeunesse du dirigeant de la société cliente ou ses activités d’import export ne suffisaient pas à établir des anomalies apparentes dans l’ouverture du dit compte bancaire avant qu’il ne devienne bénéficiaire des virements litigieux.
Il ne peut donc être reproché à la banque hongroise des légèretés ou négligences en matière d’ouverture du compte bancaire qui seraient à l’origine du fait dommageable.
-Concernant la réalisation de l’opération de transfert de fonds :
contrairement à ce qui lui est reproché, ne pas avoir vérifié la correspondance entre le nom du titulaire du compte la société Hub AD-Market et celui du bénéficiaire de l’opération bancaire, « Google adwords », la société OTP bank estime qu’elle n’était pas tenue d’effectuer cette vérification dès lors que l’opération a été exécutée au profit du compte bénéficiaire, dont le numéro, l’identifiant unique, a été fourni par le donneur d’ordre, la société Planet Cards.
Elle entend se prévaloir des dispositions de l’article L133-21 du CMF en tant que prestataire de service de paiement, et selon lesquelles le prestataire de service de paiement n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur des services de paiement. Elle n’avait donc pas à vérifier la concordance entre le nom du titulaire du compte OTP bank et celui du bénéficiaire du virement .
Comme précédemment indiqué, la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’opération de paiement non autorisée ou mal exécutée a rappelé qu’il n’existe qu’un seul régime de responsabilité, celui du code monétaire et financier (CMF) à l’exclusion des régimes de responsabilité de droit commun.
L’article L. 133-21 du CMF, qui transpose l’article 88 de la directive européenne du 25 novembre 2015 et qui est applicable, dans sa dernière version, à compter du 1er janvier 2018 correspond à un régime de responsabilité en cas d’opération de paiement non autorisée reposant en substance sur l’obligation de remboursement de ces opérations par le prestataire de service de paiement, sauf pour lui à prouver une fraude ou une négligence grave imputable au payeur.
La Cour de cassation a ainsi précisé « dès lors que la responsabilité d’un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d’une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L. 133-18 à L. 133-24 du code monétaire et financier. L’article L. 133-21 de ce code disposant qu’un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique est en conséquence exclusif de toute application des règles de droit commun. » (Com. 15 janvier 2025, pourvoi n° 23-15.437 )
Elle a rappelé dans sa décision que « 11.Selon l’article L. 133-21 du code précité, qui transpose l’article 88 de la directive du 25 novembre 2015, un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique. Si l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n’est pas responsable de la mauvaise exécution ou de la non-exécution de l’opération de paiement. »
Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) a considéré que « lorsqu’un ordre de paiement est exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur de services de paiement, lequel ne correspond pas au nom du bénéficiaire indiqué par ce même utilisateur, la limitation de la responsabilité du prestataire de services de paiement, prévue par cette disposition, s’applique tant au prestataire de services de paiement du payeur qu’au prestataire de services de paiement du bénéficiaire » (CJUE, Tecnoservice Int. Sr contre Poste Italiane SpA, 21 mars 2019, n° C-245/18).
Dès lors, la banque OTP Bank peut se prévaloir des dispositions de l’article L133-21 du CMF et seul ce régime de responsabilité est applicable à l’exclusion de tout autre régime de droit commun.
Et il ne peut lui être reproché la mauvaise exécution des opérations de virement pour ne pas avoir vérifié l’identité du bénéficiaire dès lors que l’identifiant unique sur l’IBAN correspondait au compte visé par l’utilisateur du service de paiement sans qu’elle ait à effectuer une quelconque vérification préalable.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
-sur la mise en oeuvre de la procédure de recall :
selon l’article L133-31 du CMF, la procédure de recall prévoit que « le prestataire de services de paiement du payeur s’efforce de récupérer les fonds engagés dans l’opération de paiement. Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire communique au prestataire de services de paiement du payeur toutes les informations utiles pour récupérer les fonds. Si le prestataire de services de paiement du payeur ne parvient pas à récupérer les fonds engagés dans l’opération de paiement, il met à disposition du payeur, à sa demande, les informations qu’il détient pouvant documenter le recours en justice du payeur en vue de récupérer les fonds. ».
Il ressort des pièces produites aux débats que la SAS Planet Cards a découvert la fraude dont elle avait été victime dès le 14 juin 2018 à 19h46 et, sa banque la BNP Paribas a effectué, dès le 15 juin 2018 à 9h21, en urgence la demande de rapatriement des fonds virés les 6 et 8 juin 2018 (1.279,97 euros et 164.904,23 euros) conformément à l’article L133-21 du CMF.
La société OTP bank PLC dit avoir immédiatement classé dans la liste noire des comptes bancaires de son système de sécurité interne tous les comptes bancaires de la société Hub AD Market permettant de bloquer les virements internationaux vers ce client, avoir écrit au titulaire du compte le 21 juin pour l’informer de la demande de rapatriement des fonds de la BNP Paribas, d’avoir informé le 9 juillet 2018 la BNP Paribas de toutes ses démarches effectuées et d’avoir résilié les comptes de la société Hub Ad Market dans ses livres dès le 13 juillet 2018.
Elle insiste sur le fait que les fonds litigieux avaient été débités du compte le jour même de la réception du second virement, le 11 juin 2018, en un seul virement de 169.400 euros et en justifie par la production d’un extrait de compte.
Ainsi dès le 15 juin 2018, les fonds à rapatrier n’étaient plus sur le compte du bénéficiaire fraudeur.
A l’examen des pièces produites et des exigences imposées par la procédure de « recall » aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de la société OTP Bank PLC qui n’avait pas de délai précis à respecter et qui a remis à la BNP Paribas les pièces en sa possession et les démarches effectuées alors que le rapatriement des fonds étaient impossible à la date où la procédure de recall a été enclenchée.
Il convient d’infirmer le jugement et de débouter la société Planets Cards de ses demandes à l’égard de la société OTP Bank PLC.
-sur les demandes accessoires :
la société Planet Cards qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Eu égard à la situation respective des parties, il ne sera pas fait droit aux demandes au titre des frais irrépétibles.
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
-Infirme le jugement, mais seulement en ce qu’il a :
condamné la société de droit Hongrois OTP Bank à payer à la Sas Planets Cards la somme de 83 092,10 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 juin 2018 jusqu’à parfait paiement,
condamné in solidum la Sas Planets Cards et la société de droit Hongrois OTP Bank aux entiers dépens de l’instance.
condamné la société Planet Cards à payer à la société BNP Paribas la somme de 1.200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile
– confirme le jugement sur les autres dispositions
Et, statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
-Déboute la société Planet Cards de ses demandes à l’encontre de la société OTP Bank PLC
-Condamne la société Planet Cards aux dépens de première instance et d’appel qui seront passés en frais privilégiés de la procédure collective
-Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE
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