Protection Ă©tendue de la marque Red Bull

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MalgrĂ© l’identitĂ© des produits concernĂ©s et le faible degrĂ© d’attention du public pertinent, en l’état des diffĂ©rences visuelle et phonĂ©tique entre les marques et signes « Red Bull » et « Toro », le consommateur n’apparaĂ®t pas susceptible d’attribuer une origine commune aux produits en cause. La contrefaçon de marque n’est donc pas constituĂ©e. 

Toutefois, la sociĂ©tĂ© Red Bull est en droit d’interdire le signe Toro au titre de la protection des marques de renommĂ©e.  

Red Bull c/ Toro 

Le 15 octobre 2021, la Direction rĂ©gionale des douanes du Havre a informĂ© la sociĂ©tĂ© Red Bull de la mise en retenue de 2.400 bouteilles de boisson Ă©nergĂ©tique « TORO » en provenance de HaĂŻti et potentiellement contrefaisantes des marques RED BULL. 

Afin d’apprĂ©cier le degrĂ© de similitude existant entre les signes en conflit, il y a lieu de dĂ©terminer leur degrĂ© de similitude visuelle, phonĂ©tique et conceptuelle et, le cas Ă©chĂ©ant, d’évaluer l’importance qu’il convient d’accorder Ă  ces diffĂ©rents Ă©lĂ©ments, en tenant compte de la catĂ©gorie de produits ou de services en cause ou des conditions dans lesquelles ils sont commercialisĂ©s (arrĂŞts du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, EU:C:1999:323, point 27, et du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C-334/05 P, EU:C:2007:333, point 36 ; et rĂ©cemment arrĂŞt du 4 mars 2020, Equivalenza Manufactory SL, C-328/18 P, point 68). 

Les produits en cause sont identiques s’agissant dans les deux cas de boissons énergétiques. Le public pertinent est ici le grand public, vu le mode de commercialisation des boissons énergétiques. Son degré d’attention est modéré voire faible.

Comparaison des signes en prĂ©sence 

D’un point de vue visuel, la marque de l’Union européenne no001143122 invoquée est constituée d’un fond composé d’un damier penché, bleu et argenté, avec en son centre, apposé en police rouge, les mentions « Red Bull » et « ENERGY DRINK ». Entre ces deux éléments sont représentés deux taureaux de couleur rouge, positionnés de profil et en position d’attaque. En arrière plan de ces deux taureaux se trouve un cercle de couleur jaune. La marque internationale no969260 invoquée porte sur la représentation d’un taureau de profil de couleur noire sur le point de charger.

Le signe dont sont revĂŞtues les marchandises litigieuses reprend le fond de couleur bleue Ă  l’intĂ©rieur d’un arc de cercle sur un fond gris argentĂ©, les coloris choisis Ă©tant identiques Ă  ceux de la marque no001143122. 

Le signe comporte également au premier plan deux ensembles de termes, à savoir en partie haute, en rouge, le terme « TORO » et en bleu la mention « ENERGY DRINK ». Le signe comporte encore, en position centrale un taureau de couleur principalement noir, positionné de 3/4 sur le point de charger.

Il en rĂ©sulte que les signes sont, visuellement, faiblement similaires et, phonĂ©tiquement, de la mĂŞme manière faiblement similaires, les termes d’attaques « Red Bull » et « Toro » Ă©tant distincts. 

Une ressemblance conceptuelle forte

En revanche, la ressemblance conceptuelle entre les marques opposées et le signe litigieux, par l’usage dans les deux cas des synonymes « Bull » et « Toro », ainsi et surtout que de la représentation d’un taureau en situation de charger, symbole de puissance, apparaît forte.

Qui ne connaît pas Red Bull ?

La protection des marques de renommĂ©e a Ă©tĂ© accordĂ©e au signe Red Bull. 

La notion de « renommĂ©e » suppose, au sein du public pertinent, un certain degrĂ© de connaissance qui doit ĂŞtre considĂ©rĂ© comme atteint lorsque la marque est connue d’une partie significative du public concernĂ© par les produits ou services couverts par cette marque. 

Dans l’examen de cette condition, le juge doit prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l’importance des investissements réalisés par l’entreprise pour la promouvoir (arrêt PAGO International, C-301/07, points 21 à 25 ; arrêt du 3 septembre 2015, Iron & Smith kft c/ Unilever NV, C-125/14, points 18 et 19). Dans cette dernière affaire, interprétant les dispositions identiques de la directive no2008/95/CE rapprochant les législations des États membres sur les marques,la Cour de justice de l’Union européenne a également dit pour droit que la renommée d’une marque établie sur une partie substantielle du territoire de l’Union européenne, pouvait, le cas échéant, coïncider avec le territoire d’un seul État membre.

En outre, la protection des marques renommĂ©es s’applique Ă  des situations d’usage sans juste motif d’un signe qui tire indĂ»ment profit du caractère distinctif ou de la renommĂ©e d’une marque ou lui porte prĂ©judice (voir arrĂŞt du 22 juin 2000, Marca Mode, C-425/98, Rec. p. I-4861, points 34 et 36), en prĂ©sence d’élĂ©ments de ressemblance visuelle, auditive ou conceptuelle (arrĂŞts du 11 novembre 1997, SABEL C-251/95, Rec. p. I-6191, point 23 in fine, et du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, points 25 et 27 in fine). 

Les atteintes, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et la marque, c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1999, General Motors, C-375/97, Rec. p. I-5421, point 23). L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir l’arrêt du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon AG, Adidas Benelux BV et Fitnessworld Trading Ltd, C-408/01, point 31)

Les documents produits Ă©tablissent l’importance de ses investissements en marketing et publicitĂ© rĂ©alisĂ©s pour promouvoir ses produits et ses marques, lesquelles sont prĂ©sentes sous la forme de la marque de l’Union europĂ©enne no00114312, sur les canettes vendues en France, dans de nombreuses publicitĂ©s et dans des opĂ©rations de sponsoring sportif. 

Il est Ă©galement Ă©tabli que la boisson Ă©nergĂ©tique Red Bull, a Ă©tĂ© lancĂ©e en Autriche en 1987, soit il y a environ 35 ans, et qu’elle est dĂ©sormais vendue dans 173 pays dans le monde, et en France, depuis près de 15 ans, oĂą elle a atteint 173,3 millions d’unitĂ©s vendues en 2019, ce qui reprĂ©sente plus de la moitiĂ© des parts de ce marchĂ©. 

L’ensemble de ces Ă©lĂ©ments doit conduire Ă  reconnaĂ®tre que cette marque est connue d’une partie significative du public et qu’elle est de ce fait renommĂ©e. 

En l’occurrence, le public pertinent, en l’état des emprunts des signes Ă  la marque no00114312 (le code couleur bleu et gris argentĂ©, la reprĂ©sentation d’un taureau en position de charge, aggravĂ© par l’usage du mot « Toro » ), sera conduit Ă  faire un lien immĂ©diat avec la marque de la sociĂ©tĂ© demanderesse, laquelle jouit d’une très importante renommĂ©e dans le secteur des boissons Ă©nergisantes.Et comme le soulève la demanderesse, ce lien sciemment entretenu permet manifestement aux dĂ©fenderesses de s’inscrire dans le sillage de cette renommĂ©e pour s’épargner le coĂ»t de dĂ©veloppement de leur marque, ce qui, sans juste motif, tire indument profit de la renommĂ©e de la marque. 

L’atteinte à la renommée de la marque de l’Union européenne no00114312 est dès lors caractérisée, sous la forme d’une importation et d’une exportation imputables aux sociétés défenderesses.

Le règlement sur la marque de l’Union européenne 

Pour rappel, aux termes de l’article 9 « Droit confĂ©rĂ© par la marque de l’Union europĂ©enne » du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement europĂ©en et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union europĂ©enne : 

« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union europĂ©enne confère Ă  son titulaire un droit exclusif. 

2. Sans prĂ©judice des droits des titulaires acquis avant la date de dĂ©pĂ´t ou la date de prioritĂ© d’une marque de l’Union europĂ©enne, le titulaire de cette marque de l’Union europĂ©enne est habilitĂ© Ă  interdire Ă  tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque : (…) 

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ; (…)

3. Il peut notamment ĂŞtre interdit, en vertu du paragraphe 2: 

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; 

b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marchĂ© ou de les dĂ©tenir Ă  ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe; 

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe; (…). » 


TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS 

3ème chambre 

3ème section

No RG 21/15800 – 

No Portalis 352J-W-B7F-CVQNN

No MINUTE : 

Assignation du :

12 Novembre 2021

JUGEMENT 

rendu le 27 Septembre 2022 

DEMANDERESSE

Société RED BULL GMBH

[Adresse 3]

[Adresse 3] (AUTRICHE)

représentée par Maître Clara STEINITZ de la SELARL TALIENS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0320

DÉFENDERESSES

Société CANHAIDOM TRADING

[Adresse 1]

[Adresse 1] (HAĂŹTI)

défaillante

S.A.S.U. LIDY SERVICES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

défaillante

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe

Arthur COURILLON-HAVY, juge

Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière

DEBATS

A l’audience du 08 juin 2022 tenue en audience publique devant Nathalie SABOTIER et Arthur COURILLON-HAVY, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2022 et prorogé en dernier lieu au 27 septembre 2022.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Réputé contradictoire

En premier ressort

Exposé du litige

1. La société de droit autrichien Red Bull GmbH se présente comme un leader mondial des boissons énergétiques qu’elle commercialise également en France depuis le 1er avril 2008. Aux fins de cette activité, la société Red Bull est titulaire de plusieurs marques :

— la marque semi-figurative de l’Union européenne no001143122 enregistrée le 14 avril 2000 pour désigner notamment les « boissons non-alcooliques, en particulier les boissons énergétiques » en classe 32:

— la marque figurative internationale désignant l’Union européenne no969260 enregistrée le 10 juin 2009 pour désigner notamment les « boissons non-alcooliques, en particulier les boissons énergétiques » en classe 32 :

2. Le 15 octobre 2021, la Direction régionale des douanes du Havre a informé la société Red Bull de la mise en retenue de 2.400 bouteilles de boisson énergétique « TORO » en provenance de Haïti et potentiellement contrefaisantes des marques RED BULL, se présentant comme suit :

3. Le 22 octobre 2021, les douanes ont fait droit à la demande de levée du secret professionnel formulée par la société Red Bull, en lui transmettant les informations suivantes à propos des produits litigieux:

« Expéditeur : CANHAIDOM TRADING, [Adresse 1].

Destinataire : LIDY SERVICES, [Adresse 2]. »

4. A rĂ©ception de ces informations, la sociĂ©tĂ© Red Bull a exercĂ© son droit d’inspection des produits litigieux et c’est dans ce contexte que, par actes d’huissier des 12 et 15 novembre 2021, cette sociĂ©tĂ© a fait assigner les sociĂ©tĂ©s Canhaidom Trading et Lidy Services devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de marques internationale et de l’Union europĂ©enne et atteinte Ă  la renommĂ©e de ses marques. 

5. Les défenderesses ont été citées, l’une par dépôt de l’acte à l’étude de l’huissier, l’autre par transmission de l’acte par la voie diplomatique par l’intermédiaire du parquet, en l’absence de convention liant la France et la République d’Haïti. En dépit de la relance adressée le 25 avril 2022 aux autorités consulaires haïtiennes, aucune des sociétés défenderesses n’a constitué avocat. C’est en cet état que la procédure a été clôturée conformément aux dispositions des articles 684 à 688 du code de procédure civile le 13 mai 2022 et plaidée à l’audience du 08 juin 2022.

6. Aux termes de son assignation, la sociĂ©tĂ© Red Bull demande au tribunal au visa des articles L. 713-2, L. 713-3-1 et L. 716-7 du code de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, des articles 9 et 10 du règlement 2017/1001 du Parlement europĂ©en et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union europĂ©enne et des articles 699 et 700 du code de procĂ©dure civile de : 

1. Sur la contrefaçon de la marque de l’Union europĂ©enne no001143122 et de la marque 

internationale dĂ©signant l’Union europĂ©enne no969260 : 

– DIRE que l’importation et exportation des 2.400 bouteilles « Toro » revĂŞtues d’un signe 

similaire Ă  la marque de l’Union europĂ©enne no001143122 par les dĂ©fenderesses constituent des actes de contrefaçon de cette marque ; 

– DIRE que l’importation et exportation de 2.400 bouteilles « Toro » revĂŞtues d’un signe 

similaire Ă  la marque internationale dĂ©signant l’Union europĂ©enne no969260 par les dĂ©fenderesses constituent des actes de contrefaçon de cette marque ; 

En consĂ©quence : 

– CONDAMNER solidairement la sociĂ©tĂ© Canhaidom Trading et la sociĂ©tĂ© Lidy Services au paiement d’une somme forfaitaire de 15.000 euros, Ă  titre de dommages-intĂ©rĂŞts dus au titre de la contrefaçon de marques ; 

2. Sur l’atteinte Ă  la marque renommĂ©e de l’Union europĂ©enne no001143122 : 

– DIRE que la marque de l’Union europĂ©enne no001143122 est renommĂ©e au sens de l’article 

9 du Règlement 2017/1001 du parlement europĂ©en et du conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union europĂ©enne ; 

– DIRE que l’importation et exportation de 2.400 bouteilles « Toro » revĂŞtues d’un signe 

similaire Ă  la marque de l’Union europĂ©enne no001143122 par les dĂ©fenderesses constituent des actes de contrefaçon portant atteinte Ă  la renommĂ©e de cette marque ; 

– CONDAMNER solidairement la sociĂ©tĂ© Canhaidom Trading et la sociĂ©tĂ© Lidy Services au 

paiement d’une somme forfaitaire de 15.000 euros, Ă  titre de dommages-intĂ©rĂŞts dus au titre de l’atteinte Ă  la marque renommĂ©e ; 

3. Sur les autres demandes : 

– ORDONNER la destruction des 2.400 bouteilles « Toro » ayant fait l’objet d’une retenue douanière, conservĂ©es auprès des Douanes du Havre, solidairement aux frais de la sociĂ©tĂ© 

Canhaidom Trading et de la sociĂ©tĂ© Lidy Services ; 

– INTERDIRE l’importation, la mise en circulation sur le marchĂ© français et l’exportation de boissons sous le signe contrefaisant, sous astreinte de 500 euros par exemplaire en infraction ; 

– CONDAMNER solidairement la sociĂ©tĂ© Canhaidom Trading et la sociĂ©tĂ© Lidy Services Ă  verser Ă  la sociĂ©tĂ© Red Bull GmbH la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procĂ©dure civile ; 

– CONDAMNER solidairement la sociĂ©tĂ© Canhaidom Trading et la sociĂ©tĂ© Lidy Services aux 

entiers dĂ©pens qui seront recouvrĂ©s par la SELARL Taliens, conformĂ©ment Ă  l’article 699 du code de procĂ©dure civile ; 

– ORDONNER l’exĂ©cution provisoire du jugement Ă  intervenir, en ce compris ses dispositions 

relatives Ă  l’article 700 et aux dĂ©pens, nonobstant appel et sans constitution de garantie. 

MOTIFS

7. A titre liminaire, il est rappelĂ© que selon l’article 472 du code de procĂ©dure civile, lorsque le dĂ©fendeur ne comparaĂ®t pas, il est nĂ©anmoins statuĂ© sur le fond et le juge ne fait droit Ă  la demande que s’il l’estime rĂ©gulière, recevable et bien fondĂ©e. De mĂŞme, conformĂ©ment Ă  l’article 473 du mĂŞme code, le jugement Ă©tant susceptible d’appel, il sera rĂ©putĂ© contradictoire. 

1) Sur la contrefaçon

Moyens des parties

8. La demanderesse soutient qu’il existe un risque de confusion entre les marchandises litigieuses et celles qui sont revĂŞtues des marques Red Bull, en ce que le signe reprĂ©sentĂ© sur les bouteilles est selon elle hautement similaire aux marques. Elle fait Ă  cet Ă©gard valoir que les marchandises sont identiques aux produits pour lesquels ses marques sont enregistrĂ©es, Ă  savoir les « boissons Ă©nergĂ©tiques » en classe 32. Elle ajoute, concernant la marque no001143122, que, sur le plan visuel, les signes reprennent le fond composĂ© de formes grises et bleues, la reprĂ©sentation d’un taureau et des inscriptions de couleur rouge. Elle soutient encore que, sur le plan conceptuel, chacun des signes sera immĂ©diatement perçu par le public pertinent comme vĂ©hiculant le mĂŞme concept par l’usage d’un taureau en position de charge. S’agissant de la marque internationale no969260, la sociĂ©tĂ© Red Bull soutient que les deux signes, en faisant l’un et l’autre usage d’un taureau sur le point de charger, partagent Ă©galement de fortes similitudes visuelle et conceptuelle. La sociĂ©tĂ© Red Bull en dĂ©duit que l’identitĂ© des produits et les nombreuses similitudes visuelles, phonĂ©tiques et conceptuelles des signes crĂ©ent un risque Ă©vident de confusion dans l’esprit du public, amenĂ© Ă  croire, Ă  tort, que les marchandises litigieuses proviennent de la sociĂ©tĂ© Red Bull ou d’une entreprise qui lui est Ă©conomiquement liĂ©e. 

9. Enfin, la sociĂ©tĂ© Red Bull rappelle qu’en expĂ©diant les marchandises vers la France, la sociĂ©tĂ© Canhaidom Trading effectue un acte d’exportation Ă  destination de l’Union europĂ©enne, tandis qu’en Ă©tant destinataire de ces marchandises, la sociĂ©tĂ© Lidy Services en est l’importatrice sur le territoire de l’Union. 

Appréciation du tribunal

10. Aux termes de l’article 9 « Droit confĂ©rĂ© par la marque de l’Union europĂ©enne » du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement europĂ©en et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union europĂ©enne : 

« 1. L’enregistrement d’une marque de l’Union europĂ©enne confère Ă  son titulaire un droit exclusif. 

2. Sans prĂ©judice des droits des titulaires acquis avant la date de dĂ©pĂ´t ou la date de prioritĂ© d’une marque de l’Union europĂ©enne, le titulaire de cette marque de l’Union europĂ©enne est habilitĂ© Ă  interdire Ă  tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque : (…) 

b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l’Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ; (…)

3. Il peut notamment ĂŞtre interdit, en vertu du paragraphe 2: 

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; 

b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marchĂ© ou de les dĂ©tenir Ă  ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe; 

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe; (…). » 

11. Afin d’apprĂ©cier le degrĂ© de similitude existant entre les signes en conflit, il y a lieu de dĂ©terminer leur degrĂ© de similitude visuelle, phonĂ©tique et conceptuelle et, le cas Ă©chĂ©ant, d’évaluer l’importance qu’il convient d’accorder Ă  ces diffĂ©rents Ă©lĂ©ments, en tenant compte de la catĂ©gorie de produits ou de services en cause ou des conditions dans lesquelles ils sont commercialisĂ©s (arrĂŞts du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, EU:C:1999:323, point 27, et du 12 juin 2007, OHMI/Shaker, C-334/05 P, EU:C:2007:333, point 36 ; et rĂ©cemment arrĂŞt du 4 mars 2020, Equivalenza Manufactory SL, C-328/18 P, point 68). 

12. Les produits en cause sont identiques s’agissant dans les deux cas de boissons énergétiques. Le public pertinent est ici le grand public, vu le mode de commercialisation des boissons énergétiques. Son degré d’attention est modéré voire faible.

13. D’un point de vue visuel, la marque de l’Union européenne no001143122 invoquée est constituée d’un fond composé d’un damier penché, bleu et argenté, avec en son centre, apposé en police rouge, les mentions « Red Bull » et « ENERGY DRINK ». Entre ces deux éléments sont représentés deux taureaux de couleur rouge, positionnés de profil et en position d’attaque. En arrière plan de ces deux taureaux se trouve un cercle de couleur jaune. La marque internationale no969260 invoquée porte sur la représentation d’un taureau de profil de couleur noire sur le point de charger.

14. Le signe dont sont revêtues les marchandises litigieuses reprend le fond de couleur bleue à l’intérieur d’un arc de cercle sur un fond gris argenté, les coloris choisis étant identiques à ceux de la marque no001143122. Le signe comporte également au premier plan deux ensembles de termes, à savoir en partie haute, en rouge, le terme « TORO » et en bleu la mention « ENERGY DRINK ». Le signe comporte encore, en position centrale un taureau de couleur principalement noir, positionné de 3/4 sur le point de charger.

15. Il en résulte que les signes sont, visuellement, faiblement similaires et, phonétiquement, de la même manière faiblement similaires, les termes d’attaques « Red Bull » et « Toro » étant distincts. En revanche, la ressemblance conceptuelle entre les marques opposées et le signe litigieux, par l’usage dans les deux cas des synonymes « Bull » et « Toro », ainsi et surtout que de la représentation d’un taureau en situation de charger, symbole de puissance, apparaît forte.

16. En l’occurrence, malgrĂ© l’identitĂ© des produits concernĂ©s et le faible degrĂ© d’attention du public pertinent, ce public, en l’état des diffĂ©rences visuelle et phonĂ©tique entre les marques et le signe, lesquelles ne sont pas compensĂ©es par leur ressemblance conceptuelle, n’apparaĂ®t pas susceptible d’attribuer une origine commune aux produits en cause. La contrefaçon de marque n’est donc pas constituĂ©e. 

2) Sur l’atteinte Ă  la renommĂ©e 

Moyens des parties

17. La demanderesse soutient que la marque no001143122 bĂ©nĂ©ficie d’une grande renommĂ©e dans le monde, et notamment en France et en Europe, en relation avec les boissons Ă©nergĂ©tiques. Elle fait Ă  cet Ă©gard valoir que la boisson Ă©nergĂ©tique Red Bull, lancĂ©e en Autriche en 1987, est dĂ©sormais vendue dans 173 pays dans le monde, et notamment en France, depuis le 1er avril 2008. La marque en cause est en outre largement utilisĂ©e en relation avec la promotion et la vente des boissons dont le volume a atteint 173,3 millions d’unitĂ©s en 2019, ce qui reprĂ©sente plus de la moitiĂ© des parts de ce marchĂ©. Elle fait Ă©galement valoir que l’EUIPO, l’INPI et ce tribunal ont reconnu Ă  diffĂ©rentes reprises la renommĂ©e de la marque no001143122. 

18. La sociĂ©tĂ© Red Bull en dĂ©duit que les dĂ©fenderesses cherchent Ă  profiter de la connaissance par le public de la marque en cause dans le secteur des boissons Ă©nergĂ©tiques en se mĂ©nageant les risques et les coĂ»ts liĂ©s Ă  l’introduction d’une marque nouvelle et inconnue dans ce mĂŞme secteur et en s’abstenant d’entreprendre ses propres efforts de marketing. 

ApprĂ©ciation du tribunal 

19. Aux termes de l’article 9 du règlement (UE) 2017/1001 prĂ©citĂ© : 

« (…) 2. Sans prĂ©judice des droits des titulaires acquis avant la date de dĂ©pĂ´t ou la date de prioritĂ© d’une marque de l’Union europĂ©enne, le titulaire de cette marque de l’Union europĂ©enne est habilitĂ© Ă  interdire Ă  tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour des produits ou services lorsque: (…) 

c) ce signe est identique ou similaire Ă  la marque de l’Union europĂ©enne, indĂ©pendamment du fait que les produits ou services pour lesquels il est utilisĂ© soient identiques, similaires ou non similaires Ă  ceux pour lesquels la marque de l’Union europĂ©enne est enregistrĂ©e, lorsque celle-ci jouit d’une renommĂ©e dans l’Union et que l’usage de ce signe sans juste motif tire indĂ»ment profit du caractère distinctif ou de la renommĂ©e de la marque de l’Union europĂ©enne ou leur porte prĂ©judice. 

3. Il peut notamment ĂŞtre interdit, en vertu du paragraphe 2: 

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement; 

b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marchĂ© ou de les dĂ©tenir Ă  ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe; 

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe; (…). » 

20. La notion de « renommée » suppose, au sein du public pertinent, un certain degré de connaissance qui doit être considéré comme atteint lorsque la marque est connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou services couverts par cette marque. Dans l’examen de cette condition, le juge doit prendre en considération tous les éléments pertinents de la cause, à savoir, notamment, la part de marché détenue par la marque, l’intensité, l’étendue géographique et la durée de son usage, ainsi que l’importance des investissements réalisés par l’entreprise pour la promouvoir (arrêt PAGO International, C-301/07, points 21 à 25 ; arrêt du 3 septembre 2015, Iron & Smith kft c/ Unilever NV, C-125/14, points 18 et 19). Dans cette dernière affaire, interprétant les dispositions identiques de la directive no2008/95/CE rapprochant les législations des États membres sur les marques,la Cour de justice de l’Union européenne a également dit pour droit que la renommée d’une marque établie sur une partie substantielle du territoire de l’Union européenne, pouvait, le cas échéant, coïncider avec le territoire d’un seul État membre.

21. En outre, la protection des marques renommées s’applique à des situations d’usage sans juste motif d’un signe qui tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée d’une marque ou lui porte préjudice (voir arrêt du 22 juin 2000, Marca Mode, C-425/98, Rec. p. I-4861, points 34 et 36), en présence d’éléments de ressemblance visuelle, auditive ou conceptuelle (arrêts du 11 novembre 1997, SABEL C-251/95, Rec. p. I-6191, point 23 in fine, et du 22 juin 1999, Lloyd Schuhfabrik Meyer, C-342/97, Rec. p. I-3819, points 25 et 27 in fine). Les atteintes, lorsqu’elles se produisent, sont la conséquence d’un certain degré de similitude entre la marque et le signe, en raison duquel le public concerné effectue un rapprochement entre le signe et la marque, c’est-à-dire établit un lien entre ceux-ci, alors même qu’il ne les confond pas (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1999, General Motors, C-375/97, Rec. p. I-5421, point 23). L’existence d’un tel lien doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce (voir l’arrêt du 23 octobre 2003, Adidas-Salomon AG, Adidas Benelux BV et Fitnessworld Trading Ltd, C-408/01, point 31)

22. Les documents produits par la sociĂ©tĂ© demanderesse Ă©tablissent l’importance de ses investissements en marketing et publicitĂ© rĂ©alisĂ©s pour promouvoir ses produits et ses marques, lesquelles sont prĂ©sentes sous la forme de la marque de l’Union europĂ©enne no00114312, sur les canettes vendues en France, dans de nombreuses publicitĂ©s et dans des opĂ©rations de sponsoring sportif. Il est Ă©galement Ă©tabli que la boisson Ă©nergĂ©tique Red Bull, a Ă©tĂ© lancĂ©e en Autriche en 1987, soit il y a environ 35 ans, et qu’elle est dĂ©sormais vendue dans 173 pays dans le monde, et en France, depuis près de 15 ans, oĂą elle a atteint 173,3 millions d’unitĂ©s vendues en 2019, ce qui reprĂ©sente plus de la moitiĂ© des parts de ce marchĂ©. L’ensemble de ces Ă©lĂ©ments doit conduire Ă  reconnaĂ®tre que cette marque est connue d’une partie significative du public et qu’elle est de ce fait renommĂ©e. 

23. En l’occurrence, le public pertinent, en l’état des emprunts des signes à la marque no00114312 (le code couleur bleu et gris argenté, la représentation d’un taureau en position de charge, aggravé par l’usage du mot « Toro » ), sera conduit à faire un lien immédiat avec la marque de la société demanderesse, laquelle jouit d’une très importante renommée dans le secteur des boissons énergisantes.Et comme le soulève la demanderesse, ce lien sciemment entretenu permet manifestement aux défenderesses de s’inscrire dans le sillage de cette renommée pour s’épargner le coût de développement de leur marque, ce qui, sans juste motif, tire indument profit de la renommée de la marque. L’atteinte à la renommée de la marque de l’Union européenne no00114312 est dès lors caractérisée, sous la forme d’une importation et d’une exportation imputables aux sociétés défenderesses.

3) Sur les mesures indemnitaires et réparatrices

24. L’article L. 716-14 du code de la propriété intellectuelle dispose que  » Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1o Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2o Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3o Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée. »

25. L’article L. 716-4-11 du même code prévoit qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants, les matériaux ou instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise. Ces mesures sont ordonnées aux frais du contrefacteur.

26. L’apposition du signe litigieux portant atteinte Ă  la renommĂ©e de la marque no001143122 sur les bouteilles en cause, leurs mise sur le marchĂ©, importation et exportation vers la France, cause un prĂ©judice financier et moral certain Ă  la sociĂ©tĂ© Red Bull, par l’atteinte Ă  ses investissements aux fins d’assurer la promotion de cette marque. Cette sociĂ©tĂ© en sollicite ici la rĂ©paration forfaitaire et il convient de faire droit Ă  sa demande Ă  hauteur de 4 500 euros, cette somme tenant compte du volume de 2 400 bouteilles saisies et de leur retrait des circuits commerciaux. 

27. Des mesures d’interdiction et de destruction doivent être ordonnées selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision. Le préjudice étant entièrement réparé par ces différentes mesures, la demande de publication de la présente décision sera rejetée.

4) Dispositions finales

28. Parties perdantes au sens de l’article 696 du code de procédure civile, les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services seront condamnées in solidum aux dépens, ainsi qu’à payer à la société Red Bull, sous la même solidarité imparfaite, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

29. L’exécution provisoire est de droit, et aucun motif ne commande de l’écarter au cas présent y compris en ce qui concerne la destruction des bouteilles de boissons énergisantes contrefaisantes saisies.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

CONDAMNE in solidum les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services à payer à la société Red Bull la somme de 4.500 euros au titre de l’atteinte à la renommée de sa marque no001143122 ;

ORDONNE la destruction des 2 400 bouteilles « Toro » faisant l’objet d’une retenue douanière auprès des douanes du Havre, dont les frais seront supportĂ©s in solidum par les sociĂ©tĂ©s Canhaidom Trading et Lidy Services ; 

FAIT INTERDICTION aux sociétés Canhaidom Trading et Lidy Servicesd’exporter, importer, mettre en circulation sur le territoire de l’Union européenne des boissons énergétiques sous le signe constitué d’un arc de cercle bleu sur fond argenté avec en son centre le signe « Toro » ainsi que la représentation d’un taureau de couleur noir, de 3/4, sur le point de charger, ce signe portant atteinte à la renommée de la marque no001143122, et ce, sous astreinte de 50 euros par infraction constatée (c’est à dire par bouteille contrefaisante) courant à l’expiration d’un délai de 15 jours suivant la signification de la présente décision et pendant 180 jours ;

REJETTE les demandes fondĂ©es sur la contrefaçon de marques ainsi que la demande de publication de la prĂ©sente dĂ©cision ; 

CONDAMNE in solidum les sociétés Canhaidom Trading et Lidy Services aux dépens et autorise la société d’avocats Taliens à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l’avance sans avoir reçu provision;

CONDAMNE in solidum les sociĂ©tĂ©s Canhaidom Trading et Lidy Services Ă  Ă  payer Ă  la sociĂ©tĂ© Red Bull la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procĂ©dure civile ; 

RAPPELLE que la prĂ©sente dĂ©cision est de plein droit assortie de l’exĂ©cution provisoire y compris en ce qui concerne la destruction des produits saisis. 

Fait et jugé à Paris le 27 Septembre 2022.

La Greffière La Présidente

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