Propriété intellectuelle : Nullité de marque : tout le monde ne peut pas agir

Notez ce point juridique

Un opérateur économique ne justifie d’un intérêt légitime à demander l’annulation d’une marque que lorsque, étant détenteur d’un droit sur un signe identique ou similaire à cette marque, sa demande tend à lever une entrave à l’utilisation du signe pour les besoins de son activité économique ou lorsque, poursuivi en contrefaçon d’une marque, il agit en annulation de celle-ci.

Une société qui n’est pas poursuivie en contrefaçon des marques françaises qu’elles contestent et qui ne se prévaut d’aucune atteinte à des droits antérieurs sur les signes déposés, ne justifie pas d’une entrave à l’exercice licite de son activité économique du fait des dépôts de marques françaises incriminés, en conséquence, faute d’intérêt, la société doit être déclarée irrecevable en sa demande d’annulation de ces marques.


COMM.

FB

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 7 décembre 2022

Rejet

M. VIGNEAU, président

Arrêt n° 734 F-D

Pourvoi n° A 20-21.102

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 DÉCEMBRE 2022

La société Simizy, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 20-21.102 contre l’arrêt rendu le 10 juillet 2020 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l’opposant à la société MHCS, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.

EN PRESENCE :

— de la société Silvestri-Baujet, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Simizy,

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mollard, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Simizy, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société MHCS, après débats en l’audience publique du 18 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Mollard, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 10 juillet 2020), la société MHCS est titulaire de nombreuses marques françaises, de l’Union et internationales comportant l’un ou l’autre des termes « Dom Pérignon », « Ruinart », « Clicquot » et « Moët & Chandon ».

2. La société Simizy a assigné la société MHCS en annulation de ces marques.

3. La société Simizy a été placée en redressement judiciaire sans dessaisissement le 22 septembre 2021, la société civile professionnelle Silvestri-Beaujet étant nommée mandataire judiciaire.

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. La société Simizy fait grief à l’arrêt de la déclarer irrecevable en son action en annulation des marques françaises de la société MHCS, objet de la présente procédure, alors :

« 1°/ que l’action en nullité de l’enregistrement d’une marque peut être exercée par toute personne intéressée, ayant un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ; que l’intérêt à agir en nullité de l’enregistrement d’une marque doit être apprécié au regard de la finalité de l’action ; que cet intérêt est légitime lorsque le demandeur demande la nullité de l’enregistrement de la marque en vue d’échapper aux conséquences d’une action en contrefaçon à laquelle il est exposé, afin de pouvoir librement poursuivre l’exercice de son activité ; qu’en l’espèce, il était constant que la société MHCS avait assigné la société Simizy dans deux instances distinctes, l’une pour contrefaçon de marques devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire, par assignation du 25 novembre 2016, l’autre pour contrefaçon par importation parallèle de produits décodés devant le tribunal de la Haye, par assignation du 12 janvier 2017 ; que c’est dans ce contexte que la société Simizy soutenait avoir à son tour été contrainte d’assigner la société MHCS en nullité des marques qui incorporaient les dénominations « Dom Pérignon », « Ruinart », « Moët & Chandon« et »Veuve Clicquot », aux fins d’établir l’absence de contrefaçon dans les autres instances initiées par la société MHCS et de pouvoir poursuivre de manière licite son activité de spécialiste de la vente hors réseau de boissons alcooliques ; qu’en jugeant toutefois, pour nier son intérêt à agir, que la société Simizy ne justifiait d’aucune entrave à l’exercice licite de son activité économique du fait des dépôts des marques françaises incriminées, sans s’interroger sur ces actions en contrefaçon exercées par la société MHCS et sur l’atteinte qu’elles portaient à l’exercice de l’activité de l’exposante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 31 du code de procédure civile ;

2°/ qu’en écartant tout intérêt de la société Simizy à agir en nullité de l’enregistrement des marques incorporant les dénominations « Dom Pérignon », « Ruinart », « Moët & Chandon« et »Veuve Clicquot« au motif qu’elle ne justifiait pas être poursuivie en France pour les marques »Ruinart« , »Moët & Chandon« et »Veuve Clicquot« , tout en relevant par ailleurs qu’outre l’instance introduite en France, la société Simizy était également poursuivie par la société MHCS devant le juge des référés du tribunal de la Haye pour les marques »Dom Pérignon« , »Ruinart« , »Moët & Chandon« et »Veuve Clicquot », la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, a violé l’article 31 du code de procédure civile ;

3°/ qu’en présence d’une « famille » ou d’une « série » de marques, la nullité de l’enregistrement de l’ensemble de la « famille » ou « série » de marques peut être prononcée, sans qu’il soit besoin de justifier d’une analyse marque par marque, lorsque le dépôt de certaines des marques de l’ensemble au sein d’une classe de marques permet la réalisation d’une publicité indirecte au profit d’autres marques de cet ensemble, déposées au sein d’une classe de marques pour laquelle la propagande ou publicité indirecte est prohibée ; qu’en déniant à la société Simizy tout intérêt à agir en nullité de l’entier portefeuille des familles de marques françaises incorporant les dénominations « Dom Pérignon », « Ruinart », « Moët & Chandon« et »Veuve Clicquot » en raison de la publicité indirecte que le dépôt de certaines des marques incorporant ces dénominations permettait de réaliser au profit de marques déposées au sein des classes d’alcools et de tabacs incorporant les mêmes dénominations, la cour d’appel a violé l’article 31 du code de procédure civile et l’article L. 711-3, b), du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble les articles L. 3323-3 et L. 3515-3 du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

6. Un opérateur économique ne justifie d’un intérêt légitime à demander l’annulation d’une marque que lorsque, étant détenteur d’un droit sur un signe identique ou similaire à cette marque, sa demande tend à lever une entrave à l’utilisation du signe pour les besoins de son activité économique ou lorsque, poursuivi en contrefaçon d’une marque, il agit en annulation de celle-ci.

7. Ayant relevé que la société Simizy n’était pas poursuivie en contrefaçon des marques françaises de la société MHCS mises en cause et retenu que la société Simizy, qui ne se prévalait d’aucune atteinte à des droits antérieurs sur les signes déposés, ne justifiait pas d’une entrave à l’exercice licite de son activité économique du fait des dépôts de marques françaises incriminés, la cour d’appel en a exactement déduit que, faute d’intérêt, la société Simizy devait être déclarée irrecevable en sa demande d’annulation de ces marques.

8. Inopérant en sa troisième branche, qui critique des motifs surabondants, le moyen n’est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Simizy aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Simizy et la condamne à payer à la société MHCS la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Simizy.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Simizy fait grief à la cour d’appel d’AVOIR confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris en qu’il s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de « radiation » des marques de l’Union européenne et internationales ne désignant pas la France, appartenant à la société MHCS, objets de la présente procédure,

1/ ALORS QUE l’action aux fins d’injonction faite au défendeur de radier les marques dont il est titulaire n’est pas une action en nullité de marque et n’est donc pas régie par les textes spéciaux régissant cette action, les deux actions seraient-elles fondées sur les mêmes causes et produiraient-elles les mêmes effets ; qu’une telle injonction, au besoin sous astreinte, peut donc être ordonnée par le juge français à l’encontre d’une société française, pour contrariété à l’ordre public français, peu important que ce juge n’ait pas compétence pour statuer sur la nullité des marques en cause, constituées de marques de l’Union européenne et de marques internationales ne désignant pas la France, l’existence d’un droit spécial de l’annulation des marques ne faisant pas obstacle à l’application du droit commun à une demande ne rentrant pas dans le champ d’application de ce droit spécial ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé par fausse application les articles 52 § 1 et 96 du règlement (CE) 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire, devenus les articles 59 § 1 et 124 du Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne, et les principes régissant l’annulation des marques internationales.

2/ ALORS QUE l’injonction faite au défendeur de radier les marques dont il est titulaire pour contrariété à l’ordre public peut être prononcée sans qu’il soit nécessaire de prononcer préalablement la nullité de cette marque ; qu’en déniant sa compétence, au motif que la radiation de marques pour contrariété à l’ordre public français formulée par la société Simizy à l’égard de la société MHCS ne pourrait être ordonnée sans que soit prononcée la nullité du titre, la cour d’appel a violé les articles 4 du code civil et 4 du code de procédure civile ;

3/ ALORS QUE lorsque le juge estime que l’affaire relève de la compétence d’une juridiction étrangère, il se trouve dessaisi et l’instance est éteinte ; qu’en conséquence, excède ses pouvoirs le juge qui, tout en relevant son incompétence, examine l’intérêt qu’a le demandeur à agir ; qu’en l’espèce pour débouter la société Simizy de sa demande de radiation des marques de l’Union européenne et internationales ne désignant pas la France appartenant à la société MHCS, la cour d’appel a jugé, tout en déclarant les juridictions françaises incompétentes pour statuer sur une telle demande, que la société Simizy n’était aucunement investie d’une mission d’intérêt général de surveillance de l’ordre public sanitaire français ni de défense de l’intérêt général réservé à la puissance publique et qu’elle ne justifiait dès lors pas d’un intérêt privé propre légitime à agir ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a excédé ses pouvoirs et méconnu les articles 31, 73, 81 et 122 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

La société Simizy fait grief à l’arrêt attaqué de l’AVOIR déclaré irrecevable en son action en nullité des marques françaises de la société MHCS, objets de la présente procédure,

1/ ALORS QUE l’action en nullité de l’enregistrement d’une marque peut être exercée par toute personne intéressée, ayant un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ; que l’intérêt à agir en nullité de l’enregistrement d’une marque doit être apprécié au regard de la finalité de l’action ; que cet intérêt est légitime lorsque le demandeur demande la nullité de l’enregistrement de la marque en vue d’échapper aux conséquences d’une action en contrefaçon à laquelle il est exposé, afin de pouvoir librement poursuivre l’exercice de son activité ; qu’en l’espèce, il était constant que la société MHCS avait assigné la société Simizy dans deux instances distinctes, l’une pour contrefaçon de marques devant le tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire, par assignation du 25 novembre 2016, l’autre pour contrefaçon par importation parallèle de produits décodés devant le tribunal de la Haye, par assignation du 12 janvier 2017 ; que c’est dans ce contexte que la société Simizy soutenait avoir à son tour été contrainte d’assigner la société MHCS en nullité des marques qui incorporaient les dénominations « Dom Pérignon », « Ruinart », « Moët et Chandon » et « Veuve Clicquot », aux fins d’établir l’absence de contrefaçon dans les autres instances initiées par la société MHCS et de pouvoir poursuivre de manière licite son activité de spécialiste de la vente hors réseau de boissons alcooliques ; qu’en jugeant toutefois, pour nier son intérêt à agir, que la société Simizy ne justifiait d’aucune entrave à l’exercice licite de son activité économique du fait des dépôts des marques françaises incriminées, sans s’interroger sur ces actions en contrefaçon exercées par la société MHCS et sur l’atteinte qu’elles portaient à l’exercice de l’activité de l’exposante, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 31 du code de procédure civile ;

2/ ALORS QU’en écartant tout intérêt de la société Simizy à agir en nullité de l’enregistrement des marques incorporant les dénominations « Dom Pérignon », « Ruinart », « Moët et Chandon » et « Veuve Clicquot » au motif qu’elle ne justifiait pas être poursuivie en France pour les marques « Ruinart », « Moët et Chandon » et « Veuve Clicquot », tout en relevant par ailleurs qu’outre l’instance introduite en France, la société Simizy était également poursuivie par la société MHCS devant le juge des référés du tribunal de la Haye pour les marques « Dom Pérignon », « Ruinart », « Moët et Chandon » et « Veuve Clicquot », la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales qui s’évinçaient de ses propres constatations, a violé l’article 31 du code de procédure civile ;

3/ ALORS, en tout état de cause, QU’en présence d’une « famille » ou d’une « série » de marques, la nullité de l’enregistrement de l’ensemble de la « famille » ou « série » de marques peut être prononcée, sans qu’il soit besoin de justifier d’une analyse marque par marque, lorsque le dépôt de certaines des marques de l’ensemble au sein d’une classe de marques permet la réalisation d’une publicité indirecte au profit d’autres marques de cet ensemble, déposées au sein d’une classe de marques pour laquelle la propagande ou publicité indirecte est prohibée ; qu’en déniant à la société Simizy tout intérêt à agir en nullité de l’entier portefeuille des familles de marques françaises incorporant les dénominations « Dom Pérignon », « Ruinart », « Moët et Chandon » et « Veuve Clicquot » en raison de la publicité indirecte que le dépôt de certaines des marques incorporant ces dénominations permettait de réaliser au profit de marques déposées au sein des classes d’alcools et de tabacs incorporant les mêmes dénominations, la cour d’appel a violé l’article 31 du code de procédure civile et l’article L. 711-3, b, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble les articles L. 3323-3 et L. 3515-3 du code de la santé publique.

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