Propriété intellectuelle : Lutte contre les fraudes en matière artistique

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Une proposition de loi visant à lutter contre les fraudes en matière artistique a été déposée au Sénat. Celle-ci vise à abroger la loi « Bardoux » du 9 février 1895 afin de mettre en place un dispositif légal plus adapté aux nouveaux risques du numérique tant sur la datation d’une oeuvre d’art, son état, son attribution trompeuse à un artiste ou sur la contrefaçon de la signature de l’artiste.

Fausse signature d’artiste

La loi « Bardoux » a fait appel au droit pénal afin de lutter au mieux contre le principal fléau de son époque, principalement l’utilisation d’une fausse signature d’artiste.

Bien que pertinent quant à son intention de ne pas étouffer la création, ce texte apparaît aujourd’hui insuffisant face à l’évolution du marché de l’art, aux nouvelles formes de création -notamment numérisées- ainsi qu’à sa démocratisation.

Par ailleurs, l’article 4 de la loi du 9 février 1895 excluent les oeuvres tombées dans le domaine public. Cet article tend ainsi à viser aujourd’hui davantage les oeuvres récentes et à exclure en conséquence une part non négligeable des affaires de fraude.

Dispositifs de répression des fraudes artistiques

En marge de la loi « Bardoux », d’autres dispositifs de répression des fraudes pourraient s’avérer opportuns pour protéger les oeuvres. Il s’agit des qualifications d’escroquerie, de faux, de tromperie ou même de contrefaçon qui empruntent à différents codes.

L’escroquerie, punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, est définie à l’article 313-1 du code pénal :

« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».

Si cet article peut englober la fraude artistique, la référence à « l’emploi de manoeuvres frauduleuses » suppose une escroquerie faisant intervenir des éléments extérieurs ou intrinsèques (tiers personne, mise en scène, production d’écrits…) donnant au délit la forme d’un montage. Ainsi rédigé, il ne répond pas aux particularités de la fraude artistique tel que le simple mensonge qu’est par exemple l’apposition sur un tableau d’un nom usurpé.

Le faux, puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, est codifié à l’article 441-1 :

« Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ».

L’application de la qualification de faux à la fraude artistique est possible mais présente des limites. Ce sont ici les termes « un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée » qui sont réducteurs s’agissant de l’art -qu’il soit visuel ou musical- dont l’essence n’est pas seulement l’expression d’une pensée mais également la manifestation d’une sensibilité.

La tromperie, sanctionnée d’une peine d’emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros relève de l’article L. 441-1 du code de la consommation :

« Il est interdit pour toute personne, partie ou non au contrat, de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers :

1° Soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;

2° Soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;

3° Soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre.

Les dispositions du présent article sont également applicables aux prestations de services. »

Dans le cadre de la fraude artistique, cet article présente un intérêt au regard des produits de la création artistique en ce qu’il retient implicitement le simple mensonge comme modalité matérielle. En outre, les références à la « nature », à « l’origine » et aux « qualités substantielles » visant l’objet soumis peuvent correspondre à l’art.

Cependant, la dimension contractuelle ou précontractuelle posée par l’article oriente davantage le champ d’application de celui-ci vers le marché de l’art plutôt que vers l’objet d’art lui-même. La disposition sur la tromperie revêt ainsi une dimension consumériste qui ne suffit pas à couvrir tous les délits.

La contrefaçon d’oeuvre d’art 

Enfin, s’agissant de la contrefaçon, l’article L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle, dispose que « Toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit ». Ce délit est puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

La contrefaçon, telle que définie ici, renvoie à l’atteinte à la propriété. Or, cette conception patrimoniale de la fraude oublie une dimension propre à l’art. En effet, toute atteinte à l’art va au-delà de l’intérêt particulier car l’oeuvre est attachée au sens racinaire à un territoire, à un pays. En cela, elle appartient à la culture avant d’appartenir à quelqu’un, ce qui implique une législation spécifique. Il est par conséquent important, non seulement de traquer les tromperies et déloyautés préjudiciables à la création, mais aussi de protéger l’intérêt général.

En outre, dans le contexte de la démocratisation et de l’internationalisation du marché de l’art, l’oeuvre doit être protégée en tant qu’objet de vérité. Sa falsification ne constitue pas seulement un préjudice matériel

La tromperie affecte aussi le spectateur de l’art qui a reçu un faux récit qu’il est susceptible de relayer comme tel.

Compte tenu de ces spécificités, et face à l’inadaptation des dispositifs actuels de lutte contre la fraude artistique, la proposition de loi entend réformer la loi « Bardoux » en conservant le principe d’une réponse pénale.

Ce que changerait la proposition de loi 

L’article 1er redéfinit, au sein du code du patrimoine, la fraude artistique en la centrant davantage sur l’oeuvre elle-même, et non sur la seule protection de l’acheteur ou l’angle contractuel.

Le délit vient ici se greffer sur l’objet de création sans ignorer la nécessité de punir toutes les étapes de la tromperie (transmission, présentation, diffusion…). En outre, il est important de ne pas réduire l’infraction à l’usurpation du nom de l’artiste, mais d’y inclure aussi les tromperies sur la provenance, la datation ou son état.

Il s’agit également d’élargir le champ de l’art afin d’y intégrer les nouveaux supports artistiques puisque la loi « Bardoux » énumère les seuls arts classiques de son époque.

La peine d’emprisonnement est portée à cinq ans au lieu de deux ans, et l’amende à 375 000 euros contre 75 000 euros, un alignement sur les peines liées à l’escroquerie.

Lorsque les faits mentionnés à l’article 1er « sont commis par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice, sans qu’elles constituent une bande organisée » ou « lorsqu’ils sont commis de manière habituelle », l’article 1er allonge les peines à sept ans d’emprisonnement et 750 000 euros d’amende.

Les faits commis en bande organisée sont punis de dix ans d’emprisonnement et de 1.000.000 d’euros d’amende.

Le texte prévoit également les peines complémentaires de confiscation des oeuvres et de remise des oeuvres au plaignant.

L’article 2 abroge la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique. En conséquence de cette abrogation, il est procédé à une coordination, au sein du code général de la propriété des personnes publiques, afin de conserver la possibilité pour des personnes publiques d’aliéner les oeuvres affectées d’une altération de la vérité, dès lors que le vice est connu de chacun. Il s’agit en effet de permettre la vente d’un tableau tombé dans le domaine public, réalisé par l’élève d’un peintre de renom faussement attribué au maître mais néanmoins majeur dans l’histoire de l’art.


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