Propriété intellectuelle : Le conseil en propriété industrielle soumis au secret professionnel

Notez ce point juridique

Les dispositions de l’article L 422-11 du code de la propriété intellectuelle imposent au conseil en propriété industrielle d’observer en toute matière le secret professionnel.

Ce secret s’étend aux consultations adressées ou destinées à son client, aux correspondances professionnelles échangées avec son client, un confrère ou un avocat, à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention “ officielle ”, aux notes d’entretien et, plus généralement, à toutes les pièces du dossier.

Finalité du texte

Ce texte a pour objet de protéger le client dudit conseil contre toute diffusion de correspondances ou pièces en relation avec le dossier dont il a la charge.

Réponse apportée par un avocat

Une réponse apportée par un avocat à la mise en demeure qui lui a été adressée par le conseil en propriété intellectuelle de son adversaire lui impartissant de cesser d’utiliser une marque / dénomination peut être versée à la procédure.

Seul le client de l’avocat serait fondé à se plaindre d’un manquement à l’obligation de secret professionnel, commise par un avocat et non par un conseil en propriété intellectuelle.

Demande de retrait inopposable

En l’espèce, le courrier en cause a été produit par l’avocat de l’intimée au soutien des prétentions de sa cliente, qui seule serait fondée à se plaindre d’un manquement à l’obligation de secret professionnel, commise par un avocat et non par un conseil en propriété intellectuelle. La demande de retrait de cette pièce a donc été écartée.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
 
COUR D’APPEL DE NANCY
Première Chambre Civile
ARRÊT N°2022 DU 26 SEPTEMBRE 2022
 
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01199 – N° Portalis DBVR-V-B7F-EYS4
 
Décision déférée à la Cour : jugement du tribunal judiciaire de NANCY,
 
R.G.n° 18/02725, en date du 17 mars 2021, et jugement rectificatif du tribunal judiciaire de NANCY, R.G.n°21/00886, en date du 12 mai 2021
 
Jonction n° 879/22 en date du 29 mars 2022 avec le dossier RG n° 21/01723
 
APPELANT dans les deux dossiers :
 
Monsieur [G] [F]
 
exerçant sous l’enseigne ‘PATISSERIE ST EPVRE’
 
domicilié [Adresse 1] – [Localité 6]
 
Représenté par Me Stéphanie GERARD, avocat au barreau de NANCY, avocat postulant
 
Plaidant par Me Myriam JEAN, avocat au barreau de METZ
 
INTIMÉE dans les deux dossiers :
 
E.U.R.L. BOUTEILLE Didier, prise en la personne de son représentant légal, pour ce domicilié au siège social, sis [Adresse 2] – [Localité 6]
 
Représentée par Me Aline FAUCHEUR-SCHIOCHET de la SELARL FILOR AVOCATS, substituée par Me Charles EVRARD, avocats au barreau de NANCY
 
COMPOSITION DE LA COUR :
 
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 28 juin 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Présidente, et Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire, chargée du rapport,
 
Greffier, lors des débats : Madame Céline PERRIN ;
 
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
 
Madame Nathalie CUNIN-WEBER, Président de Chambre,
 
Madame Mélina BUQUANT, Conseiller,
 
Madame Claude OLIVIER-VALLET, Magistrat honoraire,
 
A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 26 Septembre 2022, en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
 
ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 26 Septembre 2022, par Madame PERRIN, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
 
signé par Madame CUNIN-WEBER, Président, et par Madame PERRIN, Greffier ;
 
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Copie exécutoire délivrée le à
 
Copie délivrée le à
 
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FAITS ET PROCÉDURE :
 
Monsieur [G] [F] exerce une activité de pâtissier depuis 1983 date d’acquisition de son fonds de commerce sis [Adresse 4].
 
Monsieur [F] est titulaire de deux marques françaises semi-figuratives :
 
— la première, déposée le 6 juin 1985, enregistrée sous le numéro 1338053 (précédemment déposée le 11 juin 1975 et enregistrée sous le numéro 926285) et régulièrement renouvelée pour désigner les produits de pâtisserie en classe 30 de la classification internationale ;
 
— la seconde, déposée le 6 juin 1995, enregistrée sous le numéro 95574956 et régulièrement renouvelée pour désigner les produits de pâtisserie en classe 30 de la classification internationale.
 
L’Eurl Bouteille Didier qui a acquis au mois d’août 2010 un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie situé dans le quartier [Adresse 5] de [Localité 6] ([Localité 6]), lequel propose à la vente un gâteau dénommé ‘St Evre’.
 
Par lettre recommandée avec avis de réception du 28 novembre 2017, Monsieur [F] a notifié à l’Eurl Bouteille que la commercialisation de ce gâteau portait atteinte à ses droits exclusifs de marque et l’a sommé d’y mettre fin.
 
L’Eurl Bouteille a répondu qu’elle commercialisait ce gâteau depuis l’achat de son fonds de commerce sous le nom du quartier dans lequel elle était installée à [Localité 6], sans qu’il existe à son sens un quelconque risque de confusion. Elle a néanmoins pris l’engagement de cesser d’utiliser l’appellation « St Evre » pour ce gâteau et à le renommer « Le Toulois ».
 
Par acte d’huissier du 29 mai 2018 Monsieur [F] a fait constater que la page Google Maps de l’Eurl Bouteille montrait une photographie datée du 28 mai 2018 représentant les gâteaux en cause sous la dénomination « [Adresse 5] ».
 
Par acte du 25 juillet 2018, Monsieur [F] a fait assigner l’Eurl Bouteille Didier devant le tribunal de grande instance de Nancy en contrefaçon de marque et concurrence déloyale afin d’obtenir la réparation de son préjudice.
 
Par jugement contradictoire du 17 mars 2021, rectifié par jugement du 12 mai 2021, le tribunal judiciaire de Nancy a :
 
— constaté que l’EURL Bouteille Didier a commis des actes de contrefaçon par usage des marques appartenant à Monsieur [F] d’août 2010 au 8 décembre 2017,
 
— interdit à l’EURL Bouteille Didier d’utiliser la dénomination St Evre pour désigner des pâtisseries, et ce sous astreinte de cinq cents euros par infraction constatée,
 
— condamné l’EURL Bouteille Didier à payer à Monsieur [G] [F] la somme de cinq cents euros en réparation de son préjudice moral,
 
— condamné l’Eurl Bouteille Didier à payer à Monsieur [G] [F] la somme de mille cinq cents euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
 
— débouté les parties de leurs autres demandes,
 
— condamné l’Eurl Bouteille Didier aux dépens, dont seront exclus les frais d’établissement du constat d’huissier dresse le 29 mai 2018 par l’étude ACTA.
 
Pour statuer ainsi, le tribunal a relevé que l’EURL Bouteille reconnaissait l’usage de la dénomination « St Evre », cet usage étant confirmé par une facture émise le 16 septembre 2017 et a considéré cet usage contrefaisant du fait de la similitude des signes et ce pour la période d’août 2010 au 8 décembre 2017. Par contre, le tribunal a estimé que le constat d’huissier du 29 mai 2018 ne permettait pas d’établir la date de la photographie présentant l’usage de la dénomination « St Evre » et donc un usage de la dénomination au-delà du 8 décembre 2017, date à laquelle la société défenderesse s’était engagée à renommer la pâtisserie litigieuse.
 
Le tribunal a considéré que Monsieur [F] ne rapportait pas la preuve d’un préjudice économique en l’absence de conséquences sur son chiffre d’affaire ou encore des économies d’investissement de la part de la société Bouteille sachant que les zones de chalandise sont assez éloignées (Nancy et Toul). Le tribunal a rejeté la demande fondée sur la concurrence déloyale au motif qu’il n’existait pas de faits distincts.
 
Par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 10 mai 2021, Monsieur [F] a relevé appel de ce jugement, le recours a été enregistré sous le numéro de RG 21/01199 ; ce dernier a aussi interjeté appel contre le jugement rectificatif du 12 mai 2021, son recours a été enregistré sous le numéro RG 21/01723.
 
Par ordonnance du 29 mars 2022, la jonction des instances a été prononcée.
 
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 27 avril 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [F] demande à la cour, au visa des articles L. 711-1 et L. 711-4, L. 714-1 et L. 714-3, L 713, 2, L. 713-3, L. 713-4, L. 716-1, L. 716-4, L. 716-7 et L. 422-11 du code de la propriété intellectuelle, les articles 1240 et 1241 du code civil, de :
 
— déclarer les appels interjetés à l’encontre des jugements rendus par le tribunal judiciaire de Nancy, le 17 mars 2021 et le 12 mai 2021 recevables et bien fondés,
 
Avant dire droit,
 
— ordonner la jonction des appels interjetés à l’encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 17 mars 2021 et à l’encontre du jugement rectificatif rendu par le tribunal judiciaire de Nancy le 12 mai 2021,
 
— écarter des débats la pièce n°1 produite par la défenderesse et ordonner son retrait des conclusions de la société Bouteille Didier,
 
Au fond,
 
— réformer le jugement en ce qu’il a :
 
— omis de statuer sur la demande visant à écarter des débats la pièce n°1 produite par l’intimé en première instance et ordonner son retrait des conclusions de la société Bouteille Didier,
 
— constaté que l’EURL Bouteille Didier a commis des actes de contrefaçon par usage des marques appartenant à Monsieur [F] mais uniquement d’août 2010 au 8 décembre 2017,
 
— débouté Monsieur [F] de sa demande fondée sur la concurrence déloyale,
 
— interdit à l’EURL Bouteille Didier d’utiliser la dénomination pour désigner des pâtisseries en fixant une astreinte d’un montant de 500 euros,
 
— débouté Monsieur [F] de sa demande de publication de la décision à intervenir dans deux périodiques au choix de Monsieur [F] et aux frais de la Société Bouteille Didier dans la limite de 5000 euros/parution,
 
— débouté Monsieur [F] de sa demande de condamnation de l’EURL Bouteille Didier à la somme de 63000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique,
 
— condamné l’EURL Bouteille Didier au paiement d’une somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral,
 
— condamné l’EURL Bouteille Didier à payer à Monsieur [F] une somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
 
— exclu des dépens les frais d’établissement du constat d’huissier dressé le 29 mai 2018 par l’étude ACTA,
 
Statuant à nouveau:
 
— dire et juger que la société Bouteille Didier a accompli depuis 2010 des agissements de contrefaçon par imitation des marques appartenant à Monsieur [F],
 
— dire et juger que la société Bouteille Didier a accompli depuis 2010 des agissements de concurrence déloyale par imitation de nom commercial et enseigne et par imitation de la présentation du produit au préjudice de Monsieur [F],
 
— prononcer l’interdiction à l’égard de la société Bouteille Didier d’avoir à utiliser l’appellation « ST EVRE » à des fins commerciales et/ou publicitaires dans le cadre de l’activité de pâtisserie, sous astreinte de 5000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir,
 
— ordonner la communication par la société Bouteille Didier du nombre de ventes des produits contrefaisant réalisées par celle-ci à partir du 1er août 2010, certifié par son expert-comptable, avec les factures correspondantes, sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,
 
— réserver à l’appelant le droit de parfaire ses demandes de dommages intérêts à réception
 
de ces informations certifiées,
 
— ordonner la publication de la décision à intervenir dans deux périodiques aux choix de Monsieur [F] et aux frais de la société Bouteille Didier dans la limite de 5000 euros par parution,
 
— condamner la société Bouteille Didier à lui payer la somme de 63000 euros à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique subi du fait des agissements de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale,
 
— condamner la société Bouteille Didier à lui payer la somme de 10000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des agissements de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale,
 
— condamner la société Bouteille Didier à lui payer la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des agissements de concurrence déloyale,
 
— condamner la société Bouteille Didier à lui payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure en première instance, et 10000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de la procédure en première instance en ce y compris les frais de constats d’huissier,
 
— confirmer le jugement sur le surplus et notamment en ce qu’il a débouté l’intimée de sa demande reconventionnelle.
 
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d’appel sous la forme électronique le 30 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, l’EURL Bouteille Didier demande à la cour de :
 
— déclarer l’appel interjeté par Monsieur [F] recevable mais mal fondé,
 
— l’en débouter,
 
Faire en revanche droit à l’appel incident formé par l’EURL Bouteille et infirmer la décision,
 
— débouter Monsieur [F] de ses demandes sur le fondement de la contrefaçon de marque,
 
A titre subsidiaire, si la Cour estimait devoir retenir un acte de contrefaçon,
 
— confirmer en toutes ses dispositions, la décision rendue le 17 mars 2021 ainsi que le jugement rectificatif du 12 mai 2021 ;
 
En tout état de cause,
 
— condamner Monsieur [F] au paiement d’une somme de 63 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et injustifié,
 
— condamner Monsieur [F] au paiement d’une somme de 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens, tant d’instance que d’appel.
 
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 7 juin 2022.
 
L’audience de plaidoirie a été fixée le 28 juin 2022 et le délibéré au 26 septembre 2022.
 
MOTIFS
 
Sur la demande de jonction des procédures d’appel
 
Cette demande est devenue sans objet du fait de l’ordonnance rendue par le conseiller de la mise en état le 29 mars 2022.
 
Sur l’omission de statuer concernant la pièce numéro 1 produite par l’intimée
 
Cette pièce représente la réponse apportée par l’avocat de l’Eurl Bouteille à la mise en demeure qui lui avait été adressée par le conseil en propriété intellectuelle de Monsieur [F] lui impartissant de cesser d’utiliser la dénomination ‘ St Evre’ pour désigner un gâteau.
 
La demande de retrait est fondée sur les dispositions de l’article L 422-11 du code de la propriété intellectuelle qui impose au conseil en propriété intellectuelle d’observer en toute matière le secret professionnel.
 
Ce texte a pour objet de protéger le client dudit conseil contre toute diffusion de correspondances ou pièces en relation avec le dossier dont il a la charge.
 
En l’espèce, le courrier en cause a été produit par l’avocat de l’intimée au soutien des prétentions de sa cliente, qui seule serait fondée à se plaindre d’un manquement à l’obligation de secret professionnel, commise par un avocat et non par un conseil en propriété intellectuelle.
 
Cette demande sera donc écartée.
 
Sur la contrefaçon de marques
 
L’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version issue de la loi du 1er juillet 1992 applicable en l’espèce, dispose que :
 
‘Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :
 
a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduites, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement,
 
b) l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement’ ;
 
La marque semi-figurative ‘Le St Epvre’ n° 133805, consiste en une pastille de couleur or d’environ cinq centimètres de diamètre aux contours irréguliers, telle que celles que les pâtissiers apposent sur les gâteaux. Sur cette pastille est apposée l’inscription ‘Le St Epvre’ en lettres cursives de couleur rouge et à la suite ‘marque déposée, fabriqué suivant la tradition avec la recette ancienne’ et sur le bas du cercle rouge qui en marque le tour, l’inscription ‘ Putasserie [F] Nancy’.
 
La marque semi-figurative ‘ Le St Epvre’ n° 95 574956 consiste en un cercle de sept centimètres environ évoquant un petit biscuit rond sur lequel est apposée une représentation stylisée d’une église dont le clocher dépasse la surface du cercle. La mention ‘ Le St Epvre’ en lettres cursives noires, dont les premières et dernières dépassent également la limite du cercle est soulignée de deux traits en forme d’arc, l’un rouge, l’autre bleu et de deux traits transversaux de mêmes couleurs barrant les précédents. Les inscriptions ‘ [Localité 3]’ et ‘marque déposée’ sont apposées respectivement en bas et en haut du cercle.
 
Il est admis par l’intimée qu’elle a commercialisé depuis l’acquisition de son fonds de commerce en août 2010 une pâtisserie, produit désigné à l’enregistrement des deux marques en cause, sous la dénomination ‘St Evre’.
 
Il convient dès lors d’examiner si, au regard de l’ensemble des facteurs pertinents, l’usage de cette dénomination est de nature à engendrer un risque de confusion dans l’esprit du public concerné, ce risque devant être apprécié globalement, en considérant l’impression d’ensemble produite par les signes en cause et en prenant en compte les éléments distinctifs et dominants, le public concerné étant ici un consommateur d’attention moyenne qui n’aurait pas simultanément les deux signes sous les yeux.
 
L’élément dominant des marques en cause est incontestablement constitué par la dénomination ‘Le St Epvre’, les éléments figuratifs apparaissant secondaires.
 
Visuellement, les deux signes ont en commun St Evre, sans article défini et sans P entre le E et le V. Le P étant muet, les signes sont phonétiquement très similaires, le consommateur portant davantage son attention sur la dénomination que sur l’article qui le précède. Conceptuellement, le public considéré, qui est un public majoritairement lorrain, associera St Evre ou St Epvre à une basilique ainsi qu’à une place et à un gâteau éponymes.
 
Ainsi le fait d’utiliser ce signe pour désigner un produit de pâtisserie est-il porteur d’un risque de confusion de sorte que la contrefaçon est constituée. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
 
La question de savoir pendant combien de temps a perduré cette situation relève de celle de l’indemnisation qui sera examinée ci-après.
 
Sur la concurrence déloyale
 
Il est de principe que les agissements fautifs constitutifs de concurrence déloyale doivent consister en des actes distincts de la contrefaçon de marque invoqués concurremment.
 
L’appelant fait d’abord valoir que l’utilisation du signe St Evre porte atteinte à son enseigne, et à son nom commercial.
 
Il y a lieu de relever que les pièces produites montrent que l’appelant exerce son activité individuelle de pâtissier sous la dénomination de ‘Pâtisserie [F]’ qui figure sur la devanture du magasin étant précisé qu’aucun extrait du registre du commerce n’est versé aux débats.
 
Cette partie de la demande n’est donc pas fondée.
 
L’appelant expose en second lieu que la présentation utilisée par l’intimée pour vendre le gâteau St Evre est semblable à celle de son produit en ce qu’il est entouré d’un fin ruban noué de couleur rouge ou bleue, dont les pans sont revêtus d’une étiquette reproduisant la marque.
 
La pièce n°14 est une photographie du gâteau commercialisé par l’intimée qui est présenté avec un fin ruban bleu noué au bas duquel est apposée une pièce ronde en chocolat, étant précisé que le gâteau lui même est d’une apparence extérieure très proche. Si comme le relève l’intimée, il est assez courant de présenter des gâteaux ornés d’un ruban, la comparaison des photographies établit clairement une imitation de présentation qui, loin d’être fortuite, vient au contraire renforcer le risque de confusion résultant de la contrefaçon de la marque, l’ensemble étant de nature à laisser croire au consommateur que l’Eurl Bouteille offre à la vente le même gâteau que celui qui fait la notoriété de l’activité de l’appelant.
 
Le jugement contesté sera donc réformé sur ce point.
 
Sur l’indemnisation du préjudice de contrefaçon et les mesures d’interdiction et de publication
 
Aux termes des dispositions de l’article L 716-14 du code de la propriété intellectuelle, la fixation du préjudice de contrefaçon prend en compte distinctement les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subie, le préjudice moral et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements retirées de la contrefaçon. A la demande de la partie lésée, la juridiction peut alternativement allouer une somme forfaitaire à titre de dommages et intérêts.
 
— La durée de la contrefaçon de marques.
 
L’appelant soutient que le premier juge a considéré à tort que les faits avaient cessé à la date de la mise en demeure du 8 décembre 2017, alors que le constat d’huissier en date du 28 mai 2018 établissait qu’à cette date des gâteaux étaient encore vendus par l’intimée sous la dénomination ‘St Evre’ ainsi que le montrait une photographie de la vitrine du magasin publiée à cette date sur ‘Google Maps’.
 
Rien ne permet cependant de dater avec certitude cette photographie dont il n’est en outre pas établi que l’intimée soit à l’origine de la diffusion.
 
Ainsi c’est à bon droit que le premier juge a estimé que la contrefaçon avait pris fin le 8 décembre 2017.
 
Sur l’indemnisation du préjudice économique et la demande de production de pièces comptables sous astreinte
 
Pour débouter l’appelant de son préjudice économique le jugement contesté a retenu qu’il n’était pas établi que la zone de chalandise de celui-ci s’étendait jusqu’à [Localité 6] et que la preuve d’une perte de chiffre d’affaires n’était pas rapportée.
 
L’appelant demande désormais à hauteur de cour et sur le fondement de l’article L 716-7-1 du code de la propriété intellectuelle, qu’il soit ordonné à l’intimée de produire ses documents comptables sous astreinte.
 
Le texte visé prévoit que la juridiction saisie au fond ou en référé peut ordonner la production tous documents détenus par le défendeur ou par un tiers trouvé en possession de produits contrefaisant ou impliqué dans le circuit de fabrication ou de distribution afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution de ces produits.
 
Ce texte ne trouve donc pas à s’appliquer dans la détermination du préjudice économique.
 
Il doit être ici rappelé qu’en matière de contrefaçon comme en toute autre matière, il incombe à la partie lésée de rapporter la preuve de l’importance de son préjudice. Le code de la propriété intellectuelle lui permet en outre d’obtenir sur requête les documents nécessaires à l’évaluation de son préjudice par le biais d’une saisie-contrefaçon sur le fondement de l’article L 716-4-7 du même code, ou solliciter de la juridiction saisie toute mesure d’instruction légalement admissible sur le fondement de l’article L 716-4-8.
 
La cour estime dès lors que cette demande, présentée par l’appelant après trois années de procédure alors qu’il n’a utilisé aucune des voies de droit dont il disposait, est tardive et sera de ce fait rejetée.
 
Il sera également relevé que l’appelant n’a pas sollicité le bénéfice d’une indemnisation forfaitaire.
 
La cour ne disposant d’aucun élément probant lui permettant de calculer le préjudice économique résultant des actes de contrefaçon, il sera alloué de ce chef la somme de UN euro.
 
Il n’est pas demandé de réparation distincte au titre des bénéfices indus réalisés par l’intimée.
 
Il sera en revanche fait droit aux demandes d’interdiction et de publication selon les modalités fixées au dispositif ci-dessous.
 
Sur le préjudice moral
 
Ce préjudice qui s’évince de la dévalorisation des marques contrefaites sera intégralement réparé par l’allocation de la somme de 1000 euros à titre de dommages et intérêts.
 
Sur l’indemnisation du préjudice résultant de la concurrence déloyale
 
Les pièces produites par l’appelant démontrent que le gâteau dénommé ‘Le Saint Epvre’ est le produit sur lequel celui-ci a construit sa réputation de pâtissier, gâteau qui est parfaitement connu à [Localité 3] et dans sa proche région, incluant [Localité 6]. Le fait qu’un concurrent s’inscrive dans ce sillage en profitant indûment sans bourse délier des importants investissements réalisés et dont il est justifié à hauteur de 13000 euros par an en moyenne sur les cinq dernières années (cf pièces n°16), a pour effet de porter atteinte à la réputation dudit produit.
 
Le préjudice qui en résulte sera intégralement indemnisé par l’allocation de la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts.
 
Sur le caractère abusif de la procédure
 
L’intimé qui succombe en l’essentiel de ses moyens de défense sera débouté de sa demande reconventionnelle fondée sur l’abus du droit d’agir en justice.
 
Sur les dépens et les frais irrépétibles.
 
L’Eurl Bouteille, partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel, à l’exclusion des frais afférents au constat d’huissier en date du 29 mai 2018. Il serait inéquitable que Monsieur [F] supporte la charge de ses frais non compris dans les dépens. Il lui sera alloué la somme globale de 2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
 
PAR CES MOTIFS,
 
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
 
Dit que la demande de jonction des procédures d’appel est devenue sans objet,
 
Infirme le jugement déféré sauf sur le principe de la condamnation de l’Eurl Bouteille Didier du chef de contrefaçon de marques pour la période de décembre 2010 au 8 décembre 2017,
 
Y ajoutant,
 
Rejette la demande de retrait de la pièce n°1 produite par l’intimé,
 
Statuant à nouveau,
 
Dit qu’en faisant usage de la dénomination ‘St Evre’ pour désigner une Pâtisserie entre août 2010 et le 8 décembre 2017, l’Eurl Bouteille Didier a commis des actes de contrefaçon des marques françaises semi-figuratives n°1338053 et 95574956 dont est titulaire Monsieur [G] [F],
 
Dit qu’en adoptant une présentation du gâteau dénommé ‘St Evre’ similaire à celle de celui commercialisé par Monsieur [G] [F], l’Eurl Bouteille a commis des actes distincts de concurrence déloyale,
 
En conséquence,
 
Fait interdiction à l’Eurl Bouteille de faire usage de la dénomination ‘St Evre’ pour désigner une pâtisserie et ce, sous astreinte de 300 euros (trois cents euros) par infraction constatée,
 
Ordonne la publication du dispositif de la présente décision dans les éditions de [Localité 3] et de [Localité 6] du journal l’Est Républicain aux frais de l’Eurl Bouteille dans la limite d’un coût de 2500 euros (deux mille cinq cents euros) pour ces deux éditions,
 
Déboute Monsieur [G] [F] de sa demande tendant à ordonner à l’Eurl Bouteille Didier la communication de pièces comptables sous astreinte,
 
Condamne l’Eurl Bouteille Didier à payer à Monsieur [G] [F] la somme de un euro en réparation de son préjudice économique et la somme de 1000 euros (mille euros) en réparation de son préjudice moral du chef de contrefaçon de marques,
 
Condamne l’Eurl Bouteille Didier à payer à Monsieur [G] [F] la somme de 3000 euros (trois mille euros) en réparation de son préjudice du chef de concurrence déloyale,
 
Déboute l’Eurl Bouteille Didier de sa demande en dommages et intérêts pour appel abusif et injustifié,
 
Condamne l’Eurl Bouteille Didier à payer à Monsieur [G] [F] la somme de 2500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure de première instance et d’appel,
 
Le condamne aux entiers dépens de première instance et d’appel, à l’exclusion de ceux afférents au constat d’huissier en date du 29 mai 2018.
 
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
 
Signé : C. PERRIN.- Signé : N. CUNIN-WEBER.-
 
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