Avant de signer une attestation d’authenticité, le recours à un expert et la formulation de réserves sont deux pratiques à privilégier. En effet, l’héritier d’un artiste engage sa responsabilité s’il fournit à un acquéreur une attestation manuscrite selon laquelle l’oeuvre qui lui a été présentée est bien celle du défunt.
Faute par négligence
En l’occurrence, la légèreté et l’imprudence de l’héritière, Madame [T] lors de la rédaction de son attestation du 19 octobre 2011 et de la confirmation orale des termes de celle-ci le 17 octobre 2015 dans le cadre de la vente de la table, reconnaissant l’oeuvre de son père sans examen approfondi ni aucune réserve et déterminant Monsieur [N] à acquérir le bien avec la conviction qu’il s’agissait d’un meuble [O] [T], est donc en lien direct avec l’erreur substantielle révélée ensuite par l’émission d’un doute sur la paternité de l »uvre, erreur justifiant l’annulation de la vente.
Ce faisant en connaissance de cause, Madame [T] a fait preuve d’une certaine légèreté et d’imprudence alors qu’elle ne justifie d’aucune diligence particulière permettant de confirmer la paternité de l »uvre, par un examen personnel et approfondi de la table ou par une consultation dès 2011 et au plus tard au mois d’octobre 2015 d’un expert du design et du travail de [O] [T].
Cette légèreté et cette imprudence sont d’autant plus blâmables que, sachant le 27 octobre 2015 qu’il lui était demandé de sécuriser la vente de la table pour un prix de 180.000 euros, elle n’a émis aucune réserve, alors qu’il lui était loisible de préciser qu’elle n’avait pas examiné elle-même ni fait examiner la table, d’indiquer qu’elle n’était pas experte ni même spécialiste du travail de son père ou encore d’être moins affirmative quant à la paternité de la table et d’indiquer qu’elle « pourrait », seulement, correspondre à l’une de ces ‘uvres : elle ne peut se défendre en affirmant qu’elle « ne pouvait que confirmer » les termes de son attestation de 2011 alors qu’elle n’y était nullement obligée. Madame [T] ne peut pas, a posteriori, rappeler qu’elle n’est pas experte alors qu’il lui appartenait, si elle n’en avait pas les compétences, de ne pas délivrer l’attestation de 2011 et de ne pas la confirmer en 2015 puis en 2016. Elle ne peut pas non plus, dans ses écritures, affirmer que l’authenticité de l »uvre n’était pas évidente et qu’un doute était légitime, alors qu’elle n’a aux mois d’octobre 2011, octobre 2015 et février 2016 exprimé aucun doute sur cette authenticité.
L’authenticité d’une oeuvre : une condition du consentement
L’acheteur d’une oeuvre d’art peut obtenir la nullité de la vente en cas de défaut d’authenticité.
Le consentement de la partie qui s’oblige est, aux termes de l’article 1108 ancien du code civil, l’une des quatre conditions essentielles de la validité d’une convention. Il ressort ensuite de l’article 1109 du même code qu’il n’y a point de consentement valable, si celui-ci n’a été donné que par erreur. L’article 1110 alinéa 1er suivant dispose enfin que l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet.
Valeur de l’attestation manuscrite
Une attestation manuscrite ne porte pas le titre d’un « certificat » et encore moins d’un « certificat d’authenticité ». Aucune loi cependant ne définit les attestations et certificats en matière d’oeuvres d’art.
Le document rédigé par Madame [T], fille et héritière de l’artiste [O] [T], mentionne le nom de l’artiste sans aucune réserve, est adossé à une photographie de l’oeuvre, décrit cette oeuvre par sa composition et ses matières, ses formes et dimensions, rappelle la signature de l’artiste sur l’un des pieds de la table, se prononce sur la date de l »uvre, est elle-même datée et porte la mention « Pour faire valoir ce que de droit » laissant apparaître que son auteur avait conscience des conséquences juridiques attachées à sa signature. Madame [T] ne peut soutenir qu’elle n’a pas, dans ce document, reconnu la table – l »uvre – comme étant « de son père », alors même que ce sont les termes exacts qu’elle a utilisés.
Ce document peut en conséquence, ainsi que l’ont justement retenu les premiers juges, constituer un certificat d’authenticité, sans qu’il puisse alors être reproché à la galerie [N] de n’avoir pas procédé à une expertise de la table. Si par ailleurs Monsieur [W] affirme que l’attestation de Madame [T] ne vaut pas « certificat d’authenticité » (sans explication plus avant) et si Madame [T] elle-même soutient qu’un tel certificat doit être attaché à une vente particulière (ce qui n’est pas établi, alors qu’un certificat reste valable tant qu’il n’est pas remis en cause), force est d’observer que la confirmation orale des termes de ce document par l’intéressée, sur un appel du vendeur devant l’acquéreur le jour de la vente, conversation téléphonique que les trois parties reconnaissent, est venue conforter les termes de l’attestation de 2011 spécialement pour la vente du 17 octobre 2015.
Monsieur [W] ne saurait en conséquence tirer de la communication du document signé par Madame [T] à la galerie [N] lors de la vente une acceptation par celle-ci d’un aléa quant à son authenticité.
L’expert judiciaire a regretté l’absence d’informations concernant la provenance de la table pourtant demandées à Monsieur [W], d’une part, et relatives aux avis d’experts ayant amené Madame [T] à changer de position, d’autre part. Mais il a pu examiner la table de manière approfondie. Il remarqué des éléments de belle facture pouvant faire penser à une table du designer antérieure à la création de ses ateliers en 1931, mais également quelques imperfections et incohérence techniques et n’a en conséquence pas pu conclure « de façon formelle à la paternité de la table », ajoutant cependant que « rien ne s’oppose à ce qu’elle ait été réalisée par J. [T] dans sa période pré industrielle » et qu’il « s’agirait alors d’une pièce unique, non référencée ». L’expert n’est donc pas formel sur l’inauthenticité de la table : la paternité de [O] [T] n’est pas écartée, seul un doute est opposé.
Il est ainsi apparu, avec le changement de position de Madame [T], que le consentement de la galerie [N] lors de la vente avait été vicié, qu’une erreur existait sur une qualité substantielle de la chose vendue, c’est-à-dire sur la certitude de la paternité de [O] [T] sur la table en cause, doute confirmé par l’expert. Monsieur [W] ne peut donc arguer de l’inexistence d’une erreur.
Cette erreur est susceptible d’entraîner la nullité de la vente seulement si elle est excusable, point qui a d’ailleurs été confirmé par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, créant en ce sens le nouvel article 1132 du code civil.
L’autorité, l’expérience et l’expertise de Monsieur [W], antiquaire, et la filiation de Madame [T], qui n’en fait certes pas de facto une experte mais certainement une connaisseuse et une autorité de fait, ont nécessairement eu une influence, un ascendant, sur la galerie, alors dirigée par un jeune homme, qui a légitimement pu dispenser celle-ci de recherches plus approfondies sur la paternité de la table.
La galerie [N] a disposé, pour consentir à la vente du 17 octobre 2015, d’un document sans réserves émanant de Madame [T], fille et héritière de [O] [T], forgé à partir d’éléments concrets (style, technique et caractéristiques de la table), confirmé oralement le jour de la vente par son auteur et constituant un certificat d’authenticité qui a légitimement pu lui faire accroire la paternité certaine de celui-ci sur la table, de première part, qu’elle a pu vérifier les éléments constitutifs de la table et, notamment, constater la présence d’une signature portée sur l’un de ses pieds, de deuxième part, et que ces points ont ensuite suffi à la maison de vente Phillips pour se voir confier la table aux fins de vente aux enchères moyennant un prix bien supérieur à son prix d’achat, de troisième part, de sorte que l’erreur sur la substance de la chose vendue, révélée postérieurement, est excusable.
Aucune négligence ne saurait être imputée à la galerie d’art, alors dirigée par un jeune homme, alors que Monsieur [W], antiquaire, Madame [T], réputée connaître l »uvre de son père, et la prestigieuse maison de vente Phillips, spécialisée dans les ‘uvres du XXème siècle et pourvue d’experts, ont également considéré la table comme étant une ‘uvre de [O] [T].
Le jugement a été infirmé en ce qu’il a retenu une négligence de la galerie [N] et, par voie de conséquence, une erreur inexcusable de sa part, l’empêchant de solliciter l’annulation de la vente.
Statuant à nouveau, la Cour a fait droit aux demandes de la galerie [N] et prononcé la nullité de la vente pour erreur sur une qualité substantielle de la chose vendue.
Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1240 du code civil). La galerie [N] était fondée à rechercher la responsabilité personnelle de Madame [T].