Le coauteur d’un ouvrage qui poursuit un éditeur en atteinte à ses droits patrimoniaux a l’obligation de mettre en la cause l’ensemble des coauteurs sous peine d’être déclaré irrecevable à agir.
Irrecevabilité de l’action
Un éditeur a fait valoir avec succès que l’une des coauteures qui a agit en contrefaçon pour faire valoir ses droits notamment patrimoniaux, n’a pas appelé dans la cause les autres coauteures mentionnées sur le livre, ni même la compagnie de théâtre à l’origine de l’adaptation du livre, de sorte que celle-ci a été déclarée irrecevable.
La violation du droit moral
Pour agir seul pour la défense de son droit moral, le coauteur doit invoquer et démontrer que sa contribution peut être individualisée.
La propriété commune des coauteurs
En vertu de l’article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle, « L’oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs. Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord. En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer.
Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’oeuvre commune.»
Notion d’oeuvre de collaboration
L’oeuvre de collaboration est définie à l’article L.113-2 du même code selon lequel «est dite oeuvre de collaboration l’oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.»
La recevabilité de l’action en contrefaçon sur le fondement d’une oeuvre de collaboration, propriété commune des auteurs, est subordonnée à la mise en cause de l’ensemble de ceux-ci, dès lors que leur contribution ne peut être séparée, quelle que soit la nature des droits d’auteur invoqués par le demandeur à l’action.
En outre, si un coauteur d’une telle oeuvre peut agir seul pour la défense de son droit moral, c’est à la condition que sa contribution puisse être individualisée. À défaut, il doit, à peine d’irrecevabilité, mettre en cause les autres auteurs de l’oeuvre à laquelle il a contribué.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 23 NOVEMBRE 2022
Numéro d’inscription au répertoire général : 20/10015 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCCRC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Juin 2020 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – 3ème chambre – 2ème section – RG n° 19/04585
APPELANTE
Madame [M] [U]
Née le 12 juillet 1966 à ORAN (ALGERIE)
De nationalité algérienne
Sans emploi
Demeurant [Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée et assistée de Me Mohamed El Monsaf HAMDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E1005
INTIMEE
S.A.R.L. MAX MILO EDITIONS
Société au capital de 33 275 euros
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 429 .828.585
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148
Assistée de Me Ariane BOUCHER, substituant Me Baudouin GOGNY-GOUBERT, avocats au barreau de PARIS, toque G602
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente et Mme Déborah BOHÉE, conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [M] [U] expose être à l’origine du récit objet du livre ayant pour titre «Laissées pour mortes » relatant les exactions perpétrées en 2001 par une foule d’hommes à l’encontre de femmes dans la ville de Hassi Messaoud, au sud de l’Algérie. Cet ouvrage, dont le projet a été conçu en 2009 sur l’initiative de [E] [I] – présentée comme une actrice algérienne connue et réputée pour son engagement pour les droits des femmes en Algérie et dans le monde – avec le concours de [T] [Z], a été publié le 10 février 2010 par la société MAX MILO EDITIONS. Il a reçu le prix des Droits de l’Homme 2010 et a fait l’objet d’une adaptation théâtrale sous le titre « Haine des femmes » présentée au public du 6 au 18 janvier 2015.
La société MAX MILO EDITIONS SARL se présente comme une maison d’édition indépendante et engagée, créée en mars 2000.
Exposant n’avoir jamais accepté de céder ses droits d’auteur à cette fin et avoir cependant appris l’existence d’un contrat de cession de droits d’édition et d’adaptation audiovisuelle signé le 18 mai 2009, Mme [M] [U] a, par acte d’huissier en date du 20 mars 2019, fait assigner la SARL MAX MILO EDITIONS afin de voir prononcer la nullité de cet acte de cession, constater la commission d’actes de contrefaçon et obtenir de mesures indemnitaires et d’interdiction.
Par jugement du 19 juin 2020, le tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes:
— DECLARE les demandes prescrites;
— DEBOUTE la société MAX MILO EDITION de ses demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile;
— CONDAMNE [M] [U] aux dépens ;
— DIT n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.
Le 20 juillet 2020, Madame [M] [U] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses conclusions transmises le 20 octobre 2020, Mme [M] [U] demande à la cour de :
— Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Paris le 19 juillet 2020.
Et jugeant à nouveau;
— Dire et juger que l’action en contrefaçon formée par Mme [M] [U] n’est pas prescrite ;
— Dire et de juger que Mme [M] [U] est co-auteur du livre « Laissées pour mortes » édité par la société MAX MILO EDITIONS en 2010 ;
— Dire et juger que la société MAX MILO EDITION, en adaptant le livre « Laissées pour mortes» au théâtre a commis un acte de contrefaçon dont elle doit réparation au titre de l’atteinte aux droits moraux et patrimoniaux de la demanderesse ;
— Condamner la société MAX MILO EDITIONS au paiement à Mme [M] [U] des sommes forfaitaires suivantes, sauf à parfaire :
+ 80 000 euros au titre du droit moral,
+ 100 000 euros au titre des droits patrimoniaux,
— Ordonner la remise par la société MAX MILO EDITIONS, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de l’ensemble des ses documents commerciaux, budgétaires et financiers relatifs à l’édition et la commercialisation du livre « Laissées pour mortes » et de son adaptation au théâtre;
— Ordonner l’exécution des mesures suivantes, aux frais de la société MAX MILO EDITIONS, au visa de l’article L.331-1-4 du code de la propriété intellectuelle :
+ l’affichage et la publication de la décision à intervenir, en intégralité ou par extraits, dans tous journaux au choix du demandeur et sur le site internet de la société MAX MILO EDITIONS, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard;
+ la confiscation au profit de Mme [M] [U] du tiers de toutes les recettes à déterminer provenant de la vente du livre « Laissées pour mortes» et de l’adaptation de l’ouvrage au théâtre ;
— Assortir les condamnations financières du paiement des intérêts au taux légal ;
— Ordonner la capitalisation de ces intérêts dans les termes et conditions fixés par l’article 1154 du Code civil ;
— Condamner la société MAX MILO EDITIONS à payer à Mme [M] [U] d’une somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, avec distraction au profit de son conseil Maître HAMDI Mohamed en application de l’article 699 du Code de procédure civile ;
— Condamner la société MAX MILO EDITIONS aux dépens ;
— Prononcer l’exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel.
Dans ses conclusions signifiées par RPVA le 18 janvier 2021, la société MAX MILO EDITIONS demande à la cour de :
A titre principal :
— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré prescrites les demandes de Mme [U],
En conséquence :
— Déclarer prescrite l’action en nullité du contrat,
— Déclarer prescrite l’action en contrefaçon,
A titre subsidiaire, au cas où par extraordinaire la Cour croirait devoir infirmer le jugement entrepris sur la prescription :
— Déclarer Madame [M] [U] irrecevable en son action en contrefaçon, tant au titre de l’ouvrage que de la pièce de théâtre, faute de qualité d’auteur et de mise en cause des co-auteurs de l »uvre arguée de contrefaçon,
A titre encore plus subsidiaire :
— La débouter de son action en contrefaçon,
A titre infiniment subsidiaire
— Réduire les dommages et intérêts alloués à Madame [M] [U] au titre de la contrefaçon et les limiter à un montant symbolique.
En tout état de cause,
— Condamner Madame [M] [U] au paiement de la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 10 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la prescription de l’action en contrefaçon introduite par Mme [M] [U]
L’appelante rappelle que le contrat entre la société MAX MILO EDITIONS et la compagnie KALAAM pour l’adaptation au théâtre du livre « Laissées pour mortes » a été signé le 22 mai 2015, de sorte que selon elle, son action introduite par acte d’huissier de justice le 20 mars 2019 n’est pas prescrite.
La société MAX MILO EDITIONS soutient que, sous prétexte d’une action en contrefaçon s’agissant de l’exploitation de l’adaptation du livre en cause, l’appelante intente en réalité une action en contrefaçon relative à la parution de l’ouvrage lui-même, justement jugée prescrite par le tribunal, puisque le contrat de cession d’adaptation télévisuelle a été signé notamment par Mme [M] [U] le 18 mai 2009.
La cour constate qu’en appel, Mme [M] [U] a modifié ses demandes, ne sollicitant plus, comme devant le tribunal, à titre principal, la nullité du contrat du 18 mai 2009 pour vice du consentement, mais la condamnation de la société MAX MILO EDITIONS pour contrefaçon lui reprochant d’avoir adapté le livre «Laissées pour mortes» au théâtre.
En conséquence, dans la mesure où il n’est pas contesté que la pièce de théâtre en cause intitulée «Haine des femmes» a été présentée au public notamment du 6 au 18 janvier 2015, l’action en contrefaçon introduite par Mme [M] [U], selon assignation délivrée le 20 mars 2019, n’était pas prescrite à cette date, cette demande n’étant au demeurant pas nouvelle en cause d’appel puisqu’ayant été déjà formulée devant les premiers juges.
Il convient en conséquence de rejeter la fin de non recevoir soulevée sur ce point par la société MAX MILO EDITIONS, le jugement dont appel étant infirmé de ce chef.
Sur la recevabilité de l’action en contrefaçon
La société MAX MILO EDITIONS constate que Mme [M] [U], qui se revendique coauteure de l’oeuvre en cause et agit en contrefaçon pour faire valoir ses droits notamment patrimoniaux, n’a pas appelé dans la cause les autres coauteures mentionnées sur le livre, ni même la compagnie de théâtre à l’origine de l’adaptation du livre, de sorte que celle-ci doit être déclarée irrecevable.
Mme [M] [U] ne formule aucune observation dans ses écritures sur cette fin de non recevoir qui lui est opposée.
En vertu de l’article L.113-3 du code de la propriété intellectuelle, « L’oeuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs.
Les coauteurs doivent exercer leurs droits d’un commun accord.
En cas de désaccord, il appartient à la juridiction civile de statuer.
Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’oeuvre commune.»
L’oeuvre de collaboration est définie à l’article L.113-2 du même code selon lequel «est dite oeuvre de collaboration l’oeuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.»
La cour rappelle par ailleurs que la recevabilité de l’action en contrefaçon sur le fondement d’une oeuvre de collaboration, propriété commune des auteurs, est subordonnée à la mise en cause de l’ensemble de ceux-ci, dès lors que leur contribution ne peut être séparée, quelle que soit la nature des droits d’auteur invoqués par le demandeur à l’action. En outre, si un coauteur d’une telle oeuvre peut agir seul pour la défense de son droit moral, c’est à la condition que sa contribution puisse être individualisée. À défaut, il doit, à peine d’irrecevabilité, mettre en cause les autres auteurs de l’oeuvre à laquelle il a contribué.
Sur ce, la cour constate que Mme [M] [U] qui se revendique coauteure du livre «Laissées pour morte» et formule des demandes en réparation de ses préjudices tant patrimonial que moral, n’a mis en cause dans la présente procédure que la société MAX MILO EDITIONSmais nullement les deux autres coauteures dont le nom est mentionné sur l’ouvrage, soit Mme [Y] [X] et Mme [E] [I], qui ont, au demeurant avec l’appelante, régularisé avec la société MAX MILO EDITIONS le 18 mai 2009 un contrat de cession des droits d’adaptation audiovisuelle par lequel elles ont cédé à cette dernière les droits d’exploitation du livre, en ce compris l’adaptation pour le théâtre (page 3 du contrat), moyennant le versement d’un pourcentage selon le nombre d’exemplaires vendus, ni davantage la compagnie de théâtre, ayant adaptée, selon elle, l’ouvrage en cause.
Et si, comme rappelé, une coauteure peut agir seule pour la défense de son droit moral, l’appelante n’invoque ni ne démontre que sa contribution peut être individualisée, soulignant seulement dans ses écritures, que l’ouvrage est, selon elle, le résultat d’une étroite collaboration avec Mmes [Y] [X] et [E] [I].
En conséquence, faute de mise en cause des coauteures sous les noms desquelles l’oeuvre a été divulguée, il convient de déclarer l’action en contrefaçon ainsi introduite par Mme [M] [U] irrecevable.
Sur les autres demandes :
Mme [M] [U], succombant, sera condamnée aux dépens d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
Enfin, l’équité et la situation des parties commandent de rejeter les demandes présentées par la société MAX MILO EDITIONS sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a déclaré les demandes prescrites,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription de l’action de Mme [M] [U],
Déclare irrecevable l’action en contrefaçon introduite par Mme [M] [U],
Condamne Mme [M] [U] aux dépens d’appel,
Déboute la société MAX MILO EDITIONS de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE