Production Audiovisuelle : 31 août 2022 Cour d’appel de Paris RG n° 19/09270

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Production Audiovisuelle : 31 août 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
19/09270

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRÊT DU 31 AOÛT 2022

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/09270 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CASLH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juillet 2019 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 17/08100

APPELANT

Monsieur [T] [G]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Clara LARTIGUE, avocat au barreau de PARIS, toque : R005

INTIMÉE

SAS LES PRODUCTIONS DU CHICON

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jean-Philippe DESANLIS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2130

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Mai 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller

Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile prorogé à ce jour.

– signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 avril 2013, M. [G] a été engagé en qualité de directeur du développement et de la création, statut cadre, par la société Les Productions du Chicon, ladite société employant habituellement moins de 11 salariés et appliquant la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984.

M. [G] a exercé les mandats sociaux de président des sociétés HBB26, Les Productions du Ch’timi et Komik Spirit faisant également partie du groupe, et ce jusqu’au 26 décembre 2016, date à laquelle il a démissionné de ses différents mandats.

Après avoir été convoqué à un entretien préalable suivant courrier recommandé du 11 janvier 2017, M. [G] a été licencié pour motif économique suivant courrier recommandé du 27 février 2017.

Contestant le bien fondé de son licenciement et s’estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [G] a saisi la juridiction prud’homale le 28 septembre 2017.

Par jugement du 9 juillet 2019, le conseil de prud’hommes de Paris a :

– débouté M. [G] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamné aux entiers dépens,

– débouté la société Les Productions du Chicon de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 16 septembre 2019, M. [G] a interjeté appel du jugement notifié le 31 août 2019.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 avril 2022, M. [G] demande à la cour de :

– infirmer le jugement,

– dire son licenciement irrégulier, abusif et dénué de cause réelle et sérieuse,

– condamner la société Les Productions du Chicon à lui payer les sommes suivantes à titre de rappel d’heures supplémentaires :

– 52 643,95 euros bruts pour l’année 2014,

– 40 384,44 euros bruts pour l’année 2015,

– 53 365,10 euros bruts pour l’année 2016,

avec remise de bulletins de salaire conformes,

– condamner la société Les Productions du Chicon à lui payer les sommes suivantes à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur rappel d’heures supplémentaires :

– 5 264,39 euros bruts pour l’année 2014,

– 4 038,44 euros bruts pour l’année 2015,

– 5 336,51 euros bruts pour l’année 2016,

– condamner la société Les Productions du Chicon à lui payer les sommes suivantes :

– 15 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement irrégulier,

– 180 000 euros à d’indemnité pour licenciement abusif, dépourvu de cause réelle et sérieuse et entouré de circonstances vexatoires,

avec intérêts de droit à compter de la saisine et capitalisation des intérêts,

– rejeter les demandes de la société Les Productions du Chicon en appel,

– condamner la société Les Productions du Chicon au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er avril 2022, la société Les Productions du Chicon demande à la cour de :

sur la rupture du contrat de travail,

– à titre principal, confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [G] de l’intégralité de ses demandes,

– à titre subsidiaire, limiter l’indemnisation à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif à la somme de 15 000 euros correspondant à 1 mois de salaire,

sur la durée du travail,

– à titre principal, confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. [G] de l’intégralité de ses demandes, ce dernier relevant du statut de cadre dirigeant,

– à titre subsidiaire, débouter M. [G] de l’intégralité de ses demandes au titre des heures supplémentaires et congés payés y afférents,

sur l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter M. [G] de sa demande à ce titre,

– condamner M. [G] au paiement de la somme de 5 000 euros à ce titre.

L’instruction a été clôturée le 19 avril 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 11 mai 2022.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

L’appelant soutient qu’alors que la société intimée fait partie d’un groupe de sociétés de production comportant, en 2017, des sociétés en France, en Belgique, au Royaume Uni et aux USA, celle-ci ne l’a pas informé de la possibilité de recevoir des offres de reclassement en dehors du territoire national et qu’en conséquence, la procédure au titre de l’obligation de reclassement n’a pas été observée.

Il souligne qu’il appartient à l’employeur qui propose au salarié un contrat de sécurisation professionnelle de lui exposer par écrit le motif économique à l’origine de la procédure avant la fin du délai de réflexion pour accepter ledit contrat de sécurisation professionnelle, à défaut de quoi la rupture est dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Il précise que la réalité des difficultés économiques doit être appréciée au sein du groupe au regard du secteur d’activité auquel appartient l’entreprise, soit l’activité de production audiovisuelle, artistique et cinématographique, et qu’il doit également être tenu compte des résultats du secteur d’activité à l’étranger, soulignant qu’il s’agit en l’espèce d’un groupe de sociétés détenues et contrôlées par un même actionnaire, intégrant la production audiovisuelle, cinématographique ainsi que de spectacles vivant, animé par une stratégie de développement multi-supports visant à rassembler tous les segments de marché constitués par le public de l’artiste et s’appuyant sur des réseaux et des modes de distribution imbriqués et complémentaires. Il ajoute qu’il existe au sein du groupe une interdépendance entre les produits des diverses entreprises, les spectacles pouvant donner lieu à des longs métrages, des ‘uvres cinématographiques et par exemple être diffusées sur Netflix, l’objectif étant la synergie.

Il indique que la société intimée avait un résultat positif au titre de I’exercice 2016 avec une marge opérationnelle de haut niveau, de belles perspectives et une rentabilité correcte au regard des critères du marché de la production des ‘uvres artistiques.

Il fait enfin valoir que l’intimée n’a pas respecté son obligation de reclassement.

L’intimée réplique que, s’agissant de l’absence de notification du motif économique dans le délai d’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, l’appelant avait, en tant que dirigeant de la société et mandataire d’autres sociétés du groupe, une parfaite connaissance de leur situation économique et qu’il ne peut donc sérieusement prétendre avoir ignoré le motif économique de la suppression de son poste, que la documentation éditée par Pôle Emploi relative au contrat de sécurisation professionnelle lui a bien été remise lors de l’entretien préalable et, qu’enfin, la jurisprudence sur laquelle se fonde l’appelant concerne uniquement l’hypothèse dans laquelle le salarié a accepté le contrat de sécurisation professionnelle sans avoir connaissance des motifs économiques, ce qui n’est pas son cas en ce qu’il a refusé d’adhérer audit contrat de sécurisation professionnelle.

Elle souligne par ailleurs démontrer la réalité des difficultés économiques de la société, précisant que, fin 2015, la continuité de l’exploitation de la société était véritablement en péril et qu’en 2016, ce n’est que grâce au soutien de l’actionnaire que la société a échappé à la cessation des paiements, ce dernier ayant alors en effet renoncé au versement de ses droits d’auteurs au titre de l’année concernée.

Elle affirme que seul le secteur d’activité du spectacle vivant doit être retenu comme cadre d’appréciation des difficultés économiques, celles-ci ne pouvant aucunement s’apprécier au niveau de l’ensemble des sociétés exerçant une activité de production « audiovisuelle, artistique et cinématographique » au sein du groupe comme le soutient de mauvaise foi l’appelant, les secteurs de la production cinématographique et du soutien au spectacle vivant ne pouvant être considérés comme un seul et même secteur d’activité.

Elle précise que la réalité du motif économique s’apprécie à la date de la notification du licenciement, les allégations de l’appelant concernant les succès artistiques et commerciaux postérieurs au licenciement ne pouvant être pris en considération, de même que la situation personnelle de M. [O] [N], ce dernier n’ayant pas à assumer sur son patrimoine personnel les difficultés économiques rencontrées par l’une des sociétés dont il est actionnaire.

Elle ajoute que les éléments comptables produits permettent de rapporter la preuve des difficultés économiques de la société ainsi que des autres sociétés du groupe et affirme avoir parfaitement respecté son obligation préalable de reclassement.

La lettre de licenciement est rédigée de la manière suivante :

« La société les Productions du Chicon est confrontée depuis de nombreuses années à des difficultés financières importantes.

Nous avons tenté de développer l’activité à travers la production de nouveaux talents [X] [M] et [B] [J], la production d’un clip « SAMBA », le lancement d’une filiale Komik Spirit chargée d’exploiter sur le net le catalogue des spectacles de [H] [N] avec pour partenaires les sociétés Webedia et Trois S, filiales du groupe FIMALAC mais nous n’avons pas eu les résultats escomptés.

Au contraire, malgré des investissements importants ces opérations se sont soldées par des pertes comme le démontrent les résultats des deux derniers exercices.

– Résultats nets des 2 derniers exercices :

– 31/12/2014 : – 738 480 €

– 31/12/2015 : – 695 152 €

La situation nette de la société au 31/12/2015 est de – 1 713 281 €, pour un capital social de 7 622 €.

Le résultat attendu en 2016, qui devrait être très légèrement bénéficiaire grâce au dernier spectacle de [H] [N] ne permettra pas de reconstituer les fonds propres.

Dans le même temps, nous avons des coûts fixes de l’ordre de 746 K€ (une partie est prise en charge par la société Les productions du Ch’timi), auxquels s’ajoutent les redevances des droits d’auteur à [H] [N].

Par ailleurs, depuis 2013, la société Les Productions du Chicon a bénéficié de nombreux apports en compte courant de montants très significatifs :

– 350 K€ de trésorerie en 2013

– 976 K€ de trésorerie en 2014

– 925 K€ de trésorerie en 2015

– 143 K€ de trésorerie en 2016

Soit un total de 2 394 K€, qui pèse sur la situation financière de la société.

Compte tenu de ces difficultés et de l’absence de perspectives pour 2017, nous sommes dans l’obligation de supprimer votre poste de « Directeur de développement et de la création ».

En application des dispositions de l’article L. 1233-67 du code du travail, la rupture du contrat de travail résultant de l’acceptation par le salarié d’un contrat de sécurisation professionnelle devant avoir une cause économique réelle et sérieuse, l’employeur est en conséquence tenu d’énoncer la cause économique de la rupture du contrat dans un écrit remis ou adressé au salarié au cours de la procédure de licenciement et au plus tard au moment de l’acceptation du contrat de sécurisation professionnelle par le salarié, afin qu’il soit informé des raisons de la rupture lors de son acceptation.

Si l’appelant soutient que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse en ce que l’intimée n’a jamais énoncé, préalablement à l’expiration du délai de réflexion de 21 jours courant à compter de la date de remise des documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle lors de I’entretien préalable intervenu le 18 janvier 2017, soit le 8 février 2017, les raisons économiques à l’origine de la rupture de son contrat, la cour ne peut cependant que relever que le salarié n’a pas accepté le contrat de sécurisation professionnelle lui ayant été proposé, de sorte que la rupture du contrat de travail ne résulte pas de l’acceptation par le salarié d’un contrat de sécurisation professionnelle et que les dispositions précitées ne sont dès lors pas applicables aux faits de l’espèce.

Selon l’article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l’exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants, résultant de l’une des causes énoncées au présent article.

En application de ces dispositions, la cause économique d’un licenciement s’apprécie au niveau de l’entreprise ou, si celle-ci fait partie d’un groupe, au niveau du secteur d’activité du groupe dans lequel elle intervient et il incombe à l’employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif invoqué.

Il est par ailleurs établi que la spécialisation d’une entreprise dans le groupe ou son implantation dans un pays différent de ceux où sont situées les autres sociétés du groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un même secteur d’activité, au sein duquel doivent être appréciées les difficultés économiques.

En l’espèce, si l’intimée affirme dans le cadre de ses conclusions que seul le secteur d’activité du spectacle vivant doit être retenu comme cadre d’appréciation des difficultés économiques, les secteurs de la production cinématographique et du soutien au spectacle vivant ne pouvant notamment être considérés comme un seul et même secteur d’activité, étant tout d’abord observé que la seule nomenclature NAF n’a qu’une valeur indicative, il apparaît également que, de manière pour le moins contradictoire avec lesdites affirmations, la lettre de licenciement mentionne expressément que « Dans le même temps, nous avons des coûts fixes de l’ordre de 746K€ (une partie est prise en charge par la société Les productions du Ch’timi), auxquels s’ajoutent les redevances des droits d’auteur à [H] [N] », ce qui impose de retenir l’existence d’une interdépendance certaine ainsi que d’une stratégie de coordination et de partage de l’activité et des coûts entre les différentes sociétés du groupe, et ce qu’elles interviennent dans le domaine de la production cinématographique ou du spectacle vivant, comme justement relevé par l’appelant. Il sera constaté de ce même chef que la lettre de licenciement fait également référence au « lancement d’une filiale Komik Spirit chargée d’exploiter sur le net le catalogue des spectacles de [H] [N] avec pour partenaires les sociétés Webedia et Trois S, filiales du groupe FIMALAC », lesdites indications venant confirmer et étayer les affirmations de l’appelant selon lesquelles le groupe de sociétés constitué autour de M. [N] a pour activité transverse la production d »uvres artistiques caractérisées par la contribution de ce dernier, en tant qu’acteur/comédien ou en tant que producteur, ayant pour cible le public lui étant attaché, et ce quels que soient les supports utilisés, les spectacles vivants pouvant ainsi donner lieu à des longs métrages ou faire l’objet, ainsi que cela résulte des termes précités de la lettre de licenciement, d’une nouvelle exploitation sur des supports spécifiques destinés à internet.

Par ailleurs, les affirmations de l’employeur selon lesquelles le domaine restreint du spectacle vivant devrait s’analyser comme un secteur d’activité spécifique et distinct au sein du groupe, ne sont pas expressément mentionnées et exposées dans la lettre de licenciement. Mais surtout, la cour relève, au vu des différents éléments justificatifs versés aux débats (éléments financiers, échanges de mails entre les parties au cours de la relation de travail ainsi qu’ordres du jour et comptes rendus des différentes réunions organisées de manière transversale par l’appelant), que lesdites affirmations apparaissent en toute hypothèse manifestement contraires à la réalité du fonctionnement des sociétés du groupe formé autour de l’activité artistique de leur actionnaire (M. [N]), l’éventuelle spécialisation d’une entreprise dans le groupe ne suffisant pas à exclure son rattachement à un même secteur d’activité plus étendu au niveau duquel doit être appréciée l’existence de difficultés économiques. En effet, les justificatifs susvisés établissent que les sociétés du groupe interviennent dans la branche d’activité du spectacle et de la production artistique, quelles que soient les différences tenant aux modes de production des biens ou de fourniture des services comme aux caractéristiques des produits ou services, s’agissant d’entreprises liées par une stratégie globale de développement et de diffusion multisupport des oeuvres artistiques créées et produites par M. [N], visant à rassembler les segments de marché constitués par le public de l’artiste en s’appuyant sur différents réseaux et modes de distribution complémentaires, ladite organisation dépassant manifestement le seul cadre de « l’entraide entre sociétés » alléguée par l’intimée.

Dès lors, étant rappelé qu’il revient à l’employeur de communiquer les informations nécessaires pour déterminer la consistance du groupe et celle du secteur d’activité concerné afin de permettre au juge de vérifier l’existence de difficultés économiques au niveau dudit secteur d’activité, outre le fait que la lettre de licenciement ne motive l’existence de difficultés économiques ainsi que la nécessité de supprimer l’emploi litigieux qu’au regard de la seule situation économique de la société intimée, et ce alors qu’il résulte des développements précédents que ladite société ne saurait constituer, à elle-seule, un secteur d’activité spécifique et distinct des autres secteurs d’activité dans lesquels interviennent les autres sociétés du groupe, il apparaît également que l’employeur s’abstient, mises à part ses propres affirmations et au vu des seuls éléments comptables et financiers produits, d’établir l’existence, au niveau du secteur d’activité du groupe auquel la société appartient, de difficultés économiques au sens des dispositions précitées, de sorte que l’élément causal du motif économique n’est ainsi pas suffisamment caractérisé.

Par conséquent, la cour infirme le jugement et dit le licenciement pour motif économique prononcé à l’encontre de l’appelant dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières de la rupture

Conformément aux dispositions des articles L. 1235-3 et L 1235-5 du code du travail, dans leur version applicable au litige, eu égard à l’ancienneté dans l’entreprise (3 ans et 10 mois), à l’âge du salarié (55 ans) ainsi qu’au montant de la rémunération de référence (15 000 euros) lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, l’intéressé, qui justifie de ses recherches d’emploi, ayant perçu l’allocation d’aide au retour à l’emploi à compter du 15 août 2017, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, la somme de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le surplus non justifié de sa demande de ce chef au titre des circonstances vexatoires devant être rejeté en ce qu’il n’est pas démontré, au vu des seules pièces versées aux débats et mises à part les propres affirmations du salarié, l’existence d’une faute ou d’un manquement de la société intimée à ses obligations en sa qualité d’employeur s’agissant de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement litigieuse, l’intéressé ne caractérisant de surcroît pas le principe et le quantum du préjudice supplémentaire allégué.

Selon l’article L. 1233-4-1 du code du travail alors applicable, lorsque l’entreprise ou le groupe dont l’entreprise fait partie comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l’employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements. Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L’employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. Ces offres sont écrites et précises.

Les modalités d’application du présent article, en particulier celles relatives à l’information du salarié sur la possibilité dont il bénéficie de demander des offres de reclassement hors du territoire national, sont précisées par décret.

Si l’appelant sollicite des dommages-intérêts pour licenciement irrégulier en conséquence de l’irrégularité de mise en ‘uvre de l’obligation de reclassement en ce que la société intimée ne l’a pas informé de la possibilité de recevoir des offres de reclassement en dehors du territoire national, étant rappelé que l’obligation de reclassement est un élément justificatif du licenciement économique et que le non-respect par l’employeur de son obligation a pour conséquence de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse et non de rendre la procédure de licenciement irrégulière, la cour ne peut en toute hypothèse que relever que l’intéressé ne justifie pas du principe et du quantum d’un préjudice supplémentaire découlant de l’irrégularité alléguée, distinct de celui déjà réparé par l’attribution des dommages-intérêts précités.

Dès lors, la cour confirme le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts formée de ce chef.

Sur les heures supplémentaires

L’appelant soutient qu’à partir du moment où un salarié est titulaire d’un contrat de travail prévoyant des règles en matière de temps de travail, il ne peut en aucun cas être considéré comme un cadre dirigeant, les clauses contractuelles faisant état d’un forfait de 218 jours n’étant pas compatibles avec la définition de cadre dirigeant non soumis aux règles concernant la durée de travail, l’intéressé ajoutant qu’en toute hypothèse, sa situation ne correspondait pas à la définition de l’article L. 3111-2 du code du travail.

Il conclut par ailleurs à l’irrégularité du forfait en jours, la clause de forfait insérée dans le contrat de travail n’étant pas conforme aux dispositions de la convention collective applicable qui limitent à 215 jours la durée du forfait de jours de travail par an, aucun document permettant de comptabiliser le nombre de jours de travail effectué n’ayant été établi par l’employeur, ni porté à sa connaissance au cours de la collaboration, de même qu’il n’a bénéficié d’aucun entretien annuel et, a fortiori, d’aucun entretien semestriel relatif au suivi de sa durée du travail.

Il indique enfin avoir accompli de nombreuses heures supplémentaires, travaillant parfois sept jours sur sept et fréquemment le soir ainsi que le week-end, notamment pour répondre aux différentes sollicitation de son employeur qui le contactait depuis les Etats-Unis avec le décalage horaire.

L’intimée réplique que, nonobstant les termes de son contrat de travail, l’appelant relevait en réalité du statut de cadre dirigeant et était en conséquence exclu de la réglementation relative à la durée du travail. Elle souligne à titre subsidiaire que l’appelant ne produit aucun élément permettant de rapporter la preuve des heures supplémentaires qu’il prétend avoir effectuées, aucun élément ne permettant notamment de rapporter la preuve de ce qu’il aurait été contraint de travailler durant le week-end pour répondre à une demande urgente de la société ou à une surcharge de travail imposée par cette dernière.

Il résulte de l’article 4 (durée du travail) du contrat de travail liant les parties que « En raison du niveau de responsabilités qui incombe à Monsieur [T] [G] et du degré d’autonomie dont il dispose dans l’organisation de son emploi du temps, le salarié fait partie de la catégorie des cadres autonomes pouvant être soumis au forfait annuel en jours. Il sera donc soumis à ce forfait dans les conditions prévues par la convention collective applicable.

En application des dispositions visées dans la convention collective « ARTISTIQUE : ENTREPRISES ARTISTIQUES ET CULTURELLES » notamment à l’article VI-15, le nombre de jours travaillés est de 218 jours par an.

Il sera tenu, dans l’entreprise, un document permettant de comptabiliser le nombre de jours de travail effectués par Monsieur [T] [G] et les modalités de suivi de l’organisation du travail de celui-ci sera conservé pendant une durée de cinq ans. […] Un point semestriel sera effectué avec Monsieur [T] [G], sur sa charge de travail et la gestion de l’organisation de son temps de travail. »

Selon l’article L. 3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III. Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

En application de ces dispositions, il sera rappelé que lorsqu’un salarié est soumis au régime du forfait en jours, l’employeur n’est pas fondé à soutenir que l’intéressé relevait de la catégorie des cadres dirigeants.

Il résulte des dispositions de l’article VI-15 (mesures applicables aux cadres) de la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles que les cadres autonomes, qui ne sont pas occupés selon un horaire collectif applicable au sein de l’équipe ou du service et qui disposent d’une large autonomie dans l’organisation de leur travail, peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l’année, que la mise en place du forfait jours sur une base annuelle est déterminée par le contrat de travail du salarié concerné ou par avenant à celui-ci, que la détermination du nombre de jours travaillés est calculée au regard de la demi-journée de repos supplémentaire accordée aux cadres autonomes, du nombre de jours de repos hebdomadaire, des jours fériés chômés, des jours de congés légaux et conventionnels dans l’entreprise auxquels le salarié peut prétendre, le plafond des jours travaillés ne pouvant en aucun cas excéder le plafond annuel prévu à l’article L. 3121-45 du code du travail, le forfait jours annuel devant faire apparaître le nombre de jours travaillés, au moyen d’un document de contrôle indiquant précisément le nombre et les dates des journées travaillées et les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés.

Étant rappelé qu’il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les dispositions conventionnelles destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours, la cour ne pouvant que relever en l’espèce qu’il n’est pas établi par la société intimée que, dans le cadre de l’exécution de la convention de forfait en jours, l’appelant a effectivement été soumis à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail, et ce conformément aux stipulations contractuelles ainsi qu’aux dispositions conventionnelles précitées, il s’en déduit que la convention de forfait en jours litigieuse est privée d’effet et dès lors inopposable au salarié, de sorte que ce dernier est fondé à revendiquer le décompte de son temps de travail selon le droit commun et à réclamer, le cas échéant, le paiement d’heures supplémentaires.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

En l’espèce, au vu des pièces communiquées par l’appelant et notamment du décompte de ses jours et de son temps de travail ainsi que des tableaux récapitulatifs des heures supplémentaires réclamées au titre de la période litigieuse (années 2014 à 2016), des copies d’agenda afférentes aux années litigieuses, des courriels échangés dans le cadre de son activité professionnelle ainsi que des comptes rendus de réunions ou de séminaires de travail, il apparaît que l’intéressé présente à l’appui de sa demande des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il indique avoir accomplies pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

L’employeur, qui se limite en réponse à critiquer les pièces produites par le salarié et à contester les demandes formées par ce dernier en indiquant qu’aucun élément objectif ne permet de confirmer la réalité des jours travaillés, qu’il ne lui a jamais été imposé de travailler le week-end, qu’il était totalement libre pour s’organiser comme il le souhaitait et qu’il aurait d’ailleurs très mal vécu d’être questionné et contrôlé sur l’organisation de ses journées de travail, ne fournit donc pas d’éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par son salarié.

Dès lors, au vu de l’ensemble de ces éléments et au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées, après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, la cour retient la réalisation d’heures supplémentaires rendues nécessaires par les tâches confiées au salarié, dans une moindre mesure toutefois qu’allégué, et accorde à l’intéressé la somme totale de 43 000 euros à ce titre outre 4 300 euros au titre des congés payés y afférents, par infirmation du jugement.

Sur les autres demandes

Il convient d’ordonner la remise à l’appelant d’un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision.

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, il y a lieu de rappeler que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, l’employeur sera condamné, par infirmation du jugement, à payer au salarié la somme de 2 500 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement sauf en qu’il a débouté M. [G] de sa demande d’indemnité pour licenciement irrégulier et débouté la société Les Productions du Chicon de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit le licenciement prononcé à l’encontre de M. [G] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne la société Les Productions du Chicon à payer à M. [G] les sommes suivantes :

– 60 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 43 000 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires outre 4 300 euros au titre des congés payés y afférents ;

Rappelle que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Les Productions du Chicon de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires ;

Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l’article 1343-2 du code civil ;

Ordonne à la société Les Productions du Chicon de remettre à M. [G] un bulletin de paie récapitulatif conforme à la présente décision ;

Condamne la société Les Productions du Chicon à payer à M. [G] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [G] du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Les Productions du Chicon aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 

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