Production Audiovisuelle : 3 décembre 2019 Cour d’appel de Paris RG n° 18/10602

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Production Audiovisuelle : 3 décembre 2019
Cour d’appel de Paris
RG n°
18/10602

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 11

ARRÊT DU 03 DÉCEMBRE 2019

(n° , 16 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/10602 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6NHQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Juillet 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 17/10370

APPELANT

Monsieur [R] [N]

[Adresse 2]

93160 NOISY LE GRAND

Représenté par Me Jérémie ASSOUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0021

INTIMÉE

SAS SONY PICTURES TELEVISION PRODUCTION FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilé en cette qualité audit siège.

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Hélène DE SAINT GERMAIN SAVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0098

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 Octobre 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sylvie HYLAIRE, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Sylvie HYLAIRE, président

Denis ARDISSON, président

Didier MALINOSKY, vice-président placé

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Sylvie HYLAIRE, présidente de chambre et par Madame Mathilde SARRON, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS Sony Pictures Télévision Production (France) est spécialisée dans la production, la commercialisation et la conception de programmes audiovisuels, cinématographiques et publicitaires et produit notamment des jeux télévisés qu’elle fabrique à destination et sur commandes des chaînes de télévision.

Dans ce cadre, elle produit depuis l’année 1995 un jeu télévisé dénommé « Les Z’amours », diffusé chaque jour de la semaine en fin de matinée, sur la chaîne France 2 dans lequel s’affrontent plusieurs couples, le gagnant du voyage en jeu étant celui dont les conjoints sont les plus aptes à répondre à des questions censées évaluer la connaissance qu’ils ont de leurs partenaires respectifs.

Entre septembre 2000 et décembre 2017, la société Sony Pictures Télévision Production a employé M. [R] [N], né en 1960, humoriste connu sous le nom de scène « [B] », pour l’animation de ce jeu, dans le cadre de 144 contrats de travail à durée déterminée d’usage, à raison de sessions de tournage d’une durée de 6 jours toutes les 4 à 5 semaines jusqu’à la fin de l’année 2012, puis, depuis 2013, d’une dizaine de jours toutes les 7 semaines, soit une durée moyenne de travail de l’ordre de 45 jours par an sur la totalité de la durée de la relation contractuelle.

M. [N] verse aux débats les contrats conclus entre mars 2012 et 2017 (sa pièce 1), dont le dernier, en date du 1er décembre 2017, prévoit 9 jours de tournage fixés au 1er  décembre, puis les 4, 5, 7, 8, 11, 12, 14 et 15 décembre à raison de 6 puis 7 émissions par jour, chacune d’elle étant rémunérée moyennant un cachet de 1.160 euros bruts, soit un total de 71.920 euros bruts pour les 62 émissions enregistrées.

L’emploi mentionné dans les contrats est celui d’animateur, statut cadre de la convention collective nationale de la production audiovisuelle.

Aux conditions particulières des contrats, figure une clause par laquelle l’animateur reconnaît avoir pris connaissance et s’engager à respecter l’ensemble des dispositions du cahier des missions et des charges de France 2 et de la Charte des antennes de France Télévisions et notamment « le respect des droits de la personne », comme constituant « une des caractéristiques majeures de l’esprit devant animer les programmes des chaînes publiques de télévision » ; la clause figurant à l’article 4.2 du contrat précise que « toute atteinte à ce principe par [B], qu’elle se manifeste à l’antenne ou sur d’autres médias, constituerait une faute grave permettant à Sony Pictures Télévision Production, dès que celle-ci en serait informée, de rompre immédiatement le contrat […] ».

La Charte des antennes France Télévisions prévoit au chapitre « Respect de la personne et de la dignité », §2.9, le refus de toute complaisance à l’égard des propos risquant d’exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris, notamment pour des motifs fondés sur le sexe, §2.11, le refus de toute valorisation de la violence et plus particulièrement des formes perverses qu’elle peut prendre telles que le sexisme et l’atteinte à la dignité humaine.

*

Dans le cadre de la promotion d’un DVD de son dernier spectacle sorti en septembre 2017, M. [N] a été invité le 30 novembre 2017 sur le plateau d’une émission de la chaîne C8, présentée par M. [A] [E] et intitulée « C’est que de la télé’! ».

Pressé en fin d’émission de formuler un dernier trait d’humour, M. [N] a alors tenu les propos suivants . « Comme c’est un sujet super sensible, je la tente : les gars vous savez c’qu’on dit à une femme qu’a déjà les deux yeux au beurre noir ‘ – Elle est terrible celle-là ! – on lui dit plus rien on vient déjà d’lui expliquer deux fois ! ».

L’actualité médiatique d’alors était mobilisée autour de la révélation début octobre de « l’affaire [Z] » et de la création de blogs d’expression de la parole de femmes tels que « #metoo » et « #balanceton porc ».

Quelques jours auparavant, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes du 25 novembre 2017, le Président de la République venait d’annoncer des mesures visant à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, rappelant que 123 femmes étaient décédées sous les coups, en France, au cours de l’année 2016.

Les propos tenus par M. [N] ont provoqué des réactions contrastées sur les réseaux sociaux, certains soutenant l’animateur au nom de la liberté d’expression et du « droit de rire de tout », d’autres s’insurgeant avec véhémence contre la violence et l’indignité d’une telle « blague ».

Le soir même, la chaîne C8 réagissait sur les réseaux sociaux en indiquant : « La blague de [B] était évidemment de l’humour mais nous ne cautionnons en aucun cas les violences faites aux femmes ! C’est important de le rappeler ».

Le 1er décembre 2017, la direction de Sony Pictures Télévision Production exigeait que M. [N] présente des excuses publiques, ce qu’il finissait par faire, après avoir initialement refusé, en publiant un tweet ainsi rédigé : « Mes excuses les plus sincères à toutes les personnes que ma blague a pu blesser. Je m’oppose fermement à toutes formes de violences faites aux femmes ».

Le 2 décembre 2017, Mme [K], alors secrétaire d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, indiquait avoir adressé un signalement au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel qui, dans un courrier adressé ultérieurement à la chaîne C8, le 21 mars 2018, a indiqué que la diffusion d’une telle séquence pouvait être perçue comme contribuant à la banalisation de comportements inacceptables et évoquait l’article 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, rappelant ses missions parmi lesquelles, celle de veiller à l’image des femmes et des hommes dans les programmes, notamment en luttant contre les stéréotypes, les préjugés sexistes, les images dégradantes, les violences faites aux femmes et les violences commises au sein des couples.

Le tournage du jeu « Les Z’amours » s’est poursuivi les jours suivants l’émission de la chaîne C8, les 1er, 4 et 5 décembre 2017, selon le planning prévu par le contrat conclu entre les parties.

Par lettre remise en mains propres le 6 décembre 2017, M. [N] a été convoqué par son employeur à un entretien préalable en vue d’une possible sanction pouvant aller jusqu’à la rupture de son contrat de travail, entretien fixé au 11 décembre 2017, avec notification d’une mise à pied à titre conservatoire.

Le 14 décembre 2017, la société Sony Pictures Télévision Production a notifié à M. [N] la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants :

« […]

Lors de l’entretien, nous vous avons expliqué les griefs à votre encontre, liés à votre intervention du jeudi 30 novembre 2017 au cours de l’émission « C’est que de la télé  » diffusée sur la chaîne C8.

Lors de cette émission en direct, vous avez tenu des propos inacceptables sur les violences faites aux femmes : « Comme c’est, c’est un, c’est un sujet super sensible, je la tente… Les gars, vous savez ce qu’on dit à une femme qui a déjà les deux yeux ou beurre noir ‘ Elle est terrible celle-là… On lui dit plus rien ! On vient déjà de lui expliquer deux fois ! »

Ces propos sont misogynes, dégradants et attentatoires à la dignité des femmes. Ils banalisent les violences faites aux femmes, ce que nous ne pouvons tolérer de la part d’un de nos animateurs.

Vos propos n’ont d’ailleurs pas manqué de provoquer de nombreuses réactions : l’animateur de l’émission « C’est que de la télé », Monsieur [A] [E], a immédiatement présenté en direct ses excuses aux téléspectateurs de C8, votre intervention a été reprise et condamnée par l’ensemble des médias et de nombreux téléspectateurs ont exprimé leur indignation, notamment sur les réseaux sociaux.

Cela a généré de très nombreux signalements, notamment celui de la Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Madame [S] [K] auprès du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. TF1 a également décidé d’annuler votre participation à l’émission « Le Grand Concours des Humoristes  », ne souhaitant pas être associée à un tel dérapage.

Malgré tout, lorsque nous vous avons appelé le vendredi 1er décembre, vous n’aviez aucun regret et refusiez catégoriquement de présenter vos excuses aux personnes que vos propos avaient pu blesser. Ce n’est qu’après de multiples appels et textos de notre part et à 20 heures que vous avez daigné tweeter un message d’excuse.

Pourtant, lors des tournages des « Z’Amours  » du lundi 4 et du mardi 5 décembre, vous avez récidivé en multipliant les déclarations sexistes et les allusions à la polémique et à la prétendue censure dont vous feriez l’objet. Ces comportements démontrent qu’en réalité vous assumez totalement votre intervention dans l’émission « C’est que de la télé  » et ses conséquences et que vous êtes décidé à poursuivre dans cette voie.

Or, ces faits caractérisent une violation manifeste de vos obligations contractuelles.

En effet, votre contrat de travail d’animateur de l’émission « Les Z’Amours  », s’il ne vous empêche pas de participer à d’autres émissions en tant qu’invité, candidat ou intervenant ni d’exercer votre activité d’humoriste, vous oblige en revanche à respecter un ensemble d’obligations notamment éthiques, auxquelles sont d’ailleurs soumises l’ensemble des animateurs du service public, afin de ne pas nuire à l’image et à la réputation de rémission, de notre société et de France Télévisions.

Et pour cause, même en dehors du plateau des « Z’Amours  », vous êtes assimilé, aux yeux du grand public, à un animateur de France Télévisions. D’ailleurs, l’immense majorité des articles de presse qui ont fait état de votre dérapage vous ont présenté comme l’animateur des « Z’amours  » et non comme humoriste, ce qui démontre s’il en était besoin que les propos que vous avez tenus rejaillissent négativement sur l’émission, notre société et la chaîne.

Vos propos inacceptables n’ont pas été tenus au cours de l’un de vos spectacles devant votre public, mais dans une émission familiale en direct et en access Prime Time, sans montage possible et à une heure de grande écoute. Dès lors, il ne pouvait y avoir de séparation stricte entre votre activité d’humoriste et celle d’animateur des « Z’amours  ».

Vous vous étiez pourtant engagé aux termes de votre contrat de travail « à respecter l’ensemble des dispositions du Cahier des missions et des charges de France 2 et de la charte de l’antenne de France Télévisions  » et étiez tenu par une clause d’éthique selon laquelle « Le respect des droits de la personne constitue une des caractéristiques majeures de I’esprit devant animer les programmes des chaînes publiques de télévision. Les parties reconnaissent que si elles n’avaient pas partagé une telle conviction, elles ne contracteraient pas ensemble. Ainsi, toute atteinte à ce principe par [B], qu’elle se manifeste à l’antenne ou sur d’autres médias, constituerait une faute grave permettant à Sony Pictures Télévision Production, dès que celle-ci en serait informée, de rompre immédiatement le contrat qui serait en cours entre [B] et Sony Pictures Télévision Production  » (articles 4 et 4.2 des conditions particulières de votre contrat de travail).

Or, c’est de manière totalement délibérée que vous avez choisi de violer vos obligations contractuelles : votre intervention était préparée et vous mesuriez parfaitement les réactions qu’elle allait entraîner dans le contexte actuel (« Comme c’est, c’est un, c’est un sujet super sensible, je la tente… »). En pleine campagne nationale contre les violences faites aux femmes, vos propos ne pouvaient que nuire à l’image des « Z’Amours  » et du service public de l’audiovisuel.

Ces propos sont d’autant plus inacceptables que nous vous avons par le passé rappelé à l’ordre à plusieurs reprises suite à certaines de vos interventions sexistes en plateau et avons eu de nombreuses discussions sur la nécessité de vous défaire impérativement de l’image misogyne que vous véhiculez. Mais, vous avez choisi de manière délibérée de réitérer vos dérapages, au mépris des consignes que nous vous avions données et des conséquences qu’allaient entraîner vos propos sur l’émission « Les Z’amours  ».

Vous connaissiez pourtant parfaitement la situation de notre Société : « Les Z’Amours  » est actuellement notre seule émission diffusée de manière régulière à la télévision. France Télévisions décidera en avril prochain de reconduire ou non la diffusion des « Z’Amours » et il est vital pour notre société de conserver cette émission.

Or, vous mettez en péril nos relations commerciales avec France Télévisions. La chaîne a très vivement réagi à vos propos, totalement contraires aux valeurs défendues par le service public, et considère que votre intervention caractérise une violation des contrats de diffusion. En effet, ces contrats comportent une clause d’éthique, par laquelle nous sommes engagés à obtenir de notre animateur qu’il s’abstienne de tenir des propos publics contraires à l’ordre public et aux bonnes m’urs, susceptibles de porter atteinte à l’image ou à la réputation de France Télévisions. La violation de cet engagement par l’animateur en dehors de l’enregistrement des émissions constitue pour France Télévisions une cause légitime de demande de remplacement sans délai de l’animateur. France Télévisions a décidé d’exécuter cette clause et a exigé votre remplacement. Nous avons été contraints à ce jour d’annuler 5 jours de tournages en extrême urgence, ce qui nous cause d’ores et déjà un très gros préjudice financier.

Vos explications recueillies lors de l’entretien préalable – sur une prétendue « police de l’humour  » et sur votre qualité de « fer de lance  » de la liberté d’expression – démontrent que vous ne comprenez pas les obligations incombant à l’animateur d’une émission telle que « Les Z’Amours » et que, malheureusement, vous continuerez à privilégier vos provocations d’humoriste à l’avenir, sans vous soucier un seul instant des conséquences pour l’émission, pour les personnes qui y collaborent et pour notre société.

Ce comportement inacceptable rend impossible la poursuite de votre contrat de travail à durée déterminée et justifie sa rupture anticipée pour faute grave, à effet immédiat et privative de tout préavis et indemnité de rupture.

Nous vous rappelons que vous faites l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire et que par conséquent, la période non travaillée correspondant à cette mise à pied ne sera pas rémunérée.

Nous vous précisons que nous vous libérons par la présente de l’engagement d’exclusivité s’agissant des prestations télévisuelles d’animateur de programmes de flux, prévu à l’article 3 des conditions particulières de votre contrat de travail. En revanche, vous restez tenu par l’obligation de confidentialité prévue à l’article 6 des conditions générales de votre contrat de travail et qui demeure après l’expiration de celui-ci.

Nous vous adresserons par courrier vos documents de fin de contrat, à savoir votre certificat de travail, votre reçu pour solde de tout compte ainsi que votre attestation Pôle Emploi.[…] ».

Sollicitant la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée et diverses indemnités consécutives à la rupture du contrat, M. [N] a saisi le 20 décembre 2017 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement en date du 27 juillet 2018, a :

– requalifié les contrats de travail à durée déterminée d’usage de M. [N] [R] en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel,

– condamné la SAS Sony Pictures Télévision Production France à verser à M. [N] [R] la somme de 45.000 euros à titre d’indemnité de requalification avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement et celle de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– analysé la lettre de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée d’usage pour faute grave en lettre de licenciement pour faute grave, jugé motivée la rupture des relations contractuelles et débouté M. [N] [R] du surplus de ses demandes,

– débouté la SAS Sony Pictures Télévision Production France de sa demande reconventionnelle,

– condamné la SAS Sony Pictures Télévision Production France aux dépens.

Par déclaration du 18 septembre 2018, M. [N] a relevé appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 5 septembre.

Par conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 juin 2019, M. [N] demande à la cour de le déclarer recevable en ses demandes, de confirmer le jugement rendu par le conseil des prud’hommes le 27 juillet 2018 en ce qu’il a requalifié ses contrats de travail à durée déterminée d’usage en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, de l’infirmer pour le surplus et de :

– prononcer la nullité de son licenciement,

– subsidiairement, dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

– fixer le salaire de référence à la somme de 27.847,34 euros bruts,

– condamner la société Sony Pictures Télévision Production (France) à lui verser les sommes suivantes, avec intérêt au taux légal et anatocisme :

* 27.847,34 euros bruts à titre d’indemnité pour transmission tardive des contrats de travail à durée déterminée d’usage, correspondant à 1 mois de salaire,

* 5.000 euros au titre de l’indemnité pour irrespect des mentions impératives imposées lors de la conclusion de tout contrat de travail à durée déterminée d’usage,

* 139.236,70 euros au titre de l’indemnité de requalification, correspondant à 5 mois de salaire,

* 668.336,16 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul, et subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, correspondant à 24 mois de salaire,

* 134.595,36 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

* 55.694,68 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 5.569,50 euros de congés payés y afférents,

* 24.360 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied injustifiée outre 2.436 euros de congés payés y afférents,

* 150.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et d’image tiré de la violation du droit à l’humour du salarié,

– condamner l’employeur à publier sur son site internet un communiqué faisant état de l’arrêt qui sera rendu pendant une durée de deux semaines, sous astreinte de 1.000 euros par jour,

– débouter la société Sony Pictures Télévision production de l’intégralité de ses demandes,

– condamner la société Sony Pictures Télévision Production à lui remettre une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et des bulletins de paie régularisés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

– condamner la société Sony Pictures Télévision Production au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 mars 2019, la société Sony Pictures Télévision Production demande à la cour de :

Sur le formalisme et la requalification des contrats de travail à durée déterminée

– infirmer le jugement rendu le 27 juillet 2018 par le conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a prononcé la requalification des contrats de travail à durée déterminée d’usage de M. [N] en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel,

– juger que la demande d’indemnité pour transmission tardive des contrats à durée déterminée d’usage, en suite de la rupture intervenue, ne peut porter que sur les contrats à durée déterminée d’usage conclus à compter du 21 décembre 2016,

– constater que M. [N] ne démontre aucune transmission tardive sur les contrats à durée déterminée d’usage conclus à compter du 21 décembre 2016,

– débouter en conséquence M. [N] de ses demandes au titre de la transmission tardive des contrats à durée déterminée d’usage,

subsidiairement,

– juger que l’ensemble des contrats à durée déterminée d’usage ont été transmis à M. [N] dans les délais,

– débouter en conséquence M. [N] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la transmission tardive des contrats à durée déterminée d’usage,

à titre infiniment subsidiaire,

– réduire le montant de l’indemnité pour transmission tardive des contrats à durée déterminée d’usage à la somme de 1.160 euros correspondant au cachet dû par émission,

– juger que la demande d’indemnité pour absence des mentions propres au contrat à durée déterminée d’usage ne peut porter que sur les contrats à durée déterminée d’usage conclus à compter du 21 décembre 2016,

– juger que les contrats à durée déterminée d’usage comportent les mentions requises,

– débouter en conséquence M. [N] de sa demande de dommages et intérêts au titre des mentions impératives du contrat à durée déterminée d’usage,

– juger que la demande de requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat de travail à durée indéterminée ne peut porter que sur les contrats à durée déterminée d’usage conclus à compter du 21 décembre 2016,

– juger que les contrats à durée déterminée d’usage conclus n’encourent pas la requalification en contrat de travail à durée indéterminée,

– débouter en conséquence M. [N] de l’ensemble de ses demandes au titre de la requalification de ses contrats à durée déterminée d’usage en contrat de travail à durée indéterminée,

– ordonner le remboursement des sommes réglées par la société à M. [N] au titre de l’exécution provisoire de droit,

– condamner en conséquence M. [N] à verser à la société la somme de 45.000 euros avec intérêts aux taux légal et anatocisme à compter du 16 octobre 2018, date d’exécution provisoire de droit,

subsidiairement

– réduire le montant de l’indemnité de requalification à de plus justes proportions, soit à la somme de 22.327 euros correspondant à un mois de salaire brut,

– ordonner la compensation judiciaire avec les sommes réglées par la société à M. [N] au titre de l’exécution provisoire de droit,

– condamner en conséquence M. [N] à verser à la société la somme de 22.673 euros avec intérêts aux taux légal et anatocisme à compter du 16 octobre 2018, date d’exécution provisoire de droit,

– débouter M. [N] de sa demande indemnitaire au titre de l’irrespect des mentions impératives et de la transmission tardive des contrats à durée déterminée d’usage ;

sur le bien fondé de la rupture du contrat de travail

– confirmer le jugement rendu le 27 juillet 2018 par le conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a jugé bien fondée et motivée la rupture du contrat de travail pour faute grave et débouté M. [N] du surplus de ses demandes,

à titre principal,

– dire que les agissements de M. [N] sont totalement contraires à ses engagements contractuels et attentatoires à la dignité de la personne humaine,

– juger régulière et bien fondée la rupture du contrat de travail pour faute grave de M. [N],

– juger régulière et bien fondée la mise à pied conservatoire de M. [N],

– juger que la rupture du contrat de travail de M. [N] n’encourt pas la nullité,

– débouter M. [N] de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail,

– débouter M. [N] de sa demande de rappel de salaires formée au titre de la mise à pied conservatoire,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour devait requalifier les contrats de travail conclus avec M. [N] en contrat à durée indéterminée,

– dire que la lettre de rupture pour faute grave du contrat de travail de M. [N] doit s’analyser comme une lettre de licenciement pour faute grave,

– juger que les agissements de M. [N] sont totalement contraires à ses engagements contractuels et attentatoires à la dignité de la personne humaine,

– juger régulières et bien fondées la rupture du contrat de travail pour faute grave et la mise à pied conservatoire de M. [N],

– débouter M. [N] de l’ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail,

– débouter M. [N] de sa demande de rappel de salaires formée au titre de la mise à pied conservatoire,

à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la cour devait considérer que la rupture du contrat de travail pour faute grave n’était pas justifiée,

– juger que la rupture du contrat de travail de M. [N] n’encourt pas la nullité,

– juger que la rupture du contrat de travail de M. [N] repose sur une cause réelle et sérieuse,

– réduire l’indemnité légale de licenciement à son exact montant soit la somme de 107.913,83 euros bruts,

– réduire le préavis et les congés payés afférents à leurs exacts montants, soit la somme de 44.654 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et celle de 4.465,40 euros bruts de congés payés afférents,

à titre très infiniment subsidiaire, si par impossible, la cour devait considérer que la rupture du contrat de travail de M. [N] était nulle,

– juger que M. [N] ne justifie d’aucun préjudice,

– débouter M. [N] de sa demande de dommages et intérêts ou ramener sa demande à de plus justes proportions ou à tout le moins à la somme de 127.720 euros correspondant aux salaires des six derniers mois,

– réduire l’indemnité légale de licenciement à son exact montant, soit la somme de 107.913,83 euros bruts,

– réduire le préavis et les congés-payés afférents à leurs exacts montants, soit la somme de 44.654 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et celle de 4.465,40 euros bruts de congés payés afférents,

en tout état de cause,

– fixer le salaire de référence à la somme de 22.327 euros bruts correspondant à la moyenne des salaires des douze derniers mois précédant la rupture du contrat de travail soit de décembre 2016 à novembre 2017,

– juger que M. [N] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice distinct à la rupture du contrat de travail,

en conséquence,

– débouter M. [N] de sa demande au titre du préjudice moral et d’image,

sur les autres demandes :

– débouter M. [N] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner reconventionnellement M. [N] à payer à la société la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dire n’y avoir pas lieu à la publication, sous astreinte, d’un communiqué publié sur le site internet de la société faisant état de l’arrêt,

– dire n’y avoir pas lieu d’ordonner la remise sous astreinte des documents de fin de contrat rectifiés,

– juger impossible en droit l’exécution provisoire de l’arrêt à intervenir,

– débouter en conséquence M. [N] de sa demande formée à ce titre,

– condamner M. [N] aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 septembre 2019 et l’affaire fixée en audience de plaidoirie le 15 octobre 2019.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites ainsi qu’au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat de travail à durée indéterminée

M. [N] sollicite tout d’abord la requalification de ses contrats à durée déterminée d’usage en contrat de travail à durée indéterminée et l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 27.847,34 euros à ce titre, au motif de la remise tardive des contrats datés des 8 novembre et 28 novembre 2000, 10 janvier et 27 février 2001 ainsi que de celui du 21 février 2002 et en veut pour preuve les courriers de transmission de ces contrats (ses pièces 35).

La société Sony Pictures Télévision Production soulève la prescription de cette demande.

*

Le délai de prescription d’une action en requalification du contrat à durée déterminée reposant soit sur l’absence d’une mention obligatoire au contrat, soit sur sa remise tardive, court à compter de la conclusion de ce contrat ou de l’expiration du délai de transmission, le salarié ayant dès cette date, connaissance de l’irrégularité commise par l’employeur.

La demande de M. [N], qui a saisi la juridiction prud’homale le 20 décembre 2017, est donc irrecevable, le délai pour solliciter la requalification des contrats conclus au cours des années 2000 à 2002 ayant expiré le 18 juin 2013, en application des dispositions de loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 promulguée le 18 juin 2008 puis de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 promulguée le 17 juin 2008 réduisant à 5 ans puis à deux ans le délai de prescription des actions liées à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail.

***

M. [N] sollicite également la requalification et l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 5.000 euros, au motif que les contrats conclus ne comportent pas les mentions obligatoires prévues par l’article L. 1242-12 du code du travail ou par l’article V.2.2 de la convention collective applicable, invoquant les éléments suivants :

– absence du motif précis du recours au contrat à durée déterminée d’usage,

– des engagements contractuels au-delà de la durée du contrat en terme de disponibilité dans les mois postérieurs au tournage, l’interdiction d’effectuer une prestation télévisuelle pendant plusieurs mois postérieurement à la conclusion du contrat, avec une rémunération future garantie,

– l’absence de mention de la durée du travail quotidienne ou hebdomadaire, du salaire de référence, du salaire minimum applicable, de la durée de la période d’essai, du lieu de consultation du règlement antérieur, du statut occupé dans la classification et de la date de la dernière visite médicale obligatoire.

La société Sony Pictures Télévision Production soulève la prescription des demandes en ce qu’elles portent sur les contrats conclus avant le 21 décembre 2016 et, sur le fond, conteste les irrégularités alléguées par l’appelant.

*

Compte tenu des modifications successives des délais de prescription résultant des lois susvisées et de la date de saisine de la juridiction prud’homale, l’action en requalification des contrats, qui se prescrit par deux ans à compter de la date de conclusion du contrat, est irrecevable pour les contrats conclus avant le 20 décembre 2015.

Les contrats produits pour la période postérieure au 20 décembre 2015 mentionnent expressément qu’il s’agit de contrats à durée déterminée d’usage destinés à pourvoir le poste d’animateur pour l’émission télévisée « Les Z’amours » ; ainsi, il y a lieu de retenir que ces contrats comportent la définition précise de leur motif de recours.

L’absence de mention de période d’essai est inopérante, du fait du caractère facultatif de celle-ci.

Contrairement à ce que soutient l’appelant, la durée de travail figure expressément pour chacune des journées de tournage sur les contrats soumis à l’examen de la cour.

Il en est de même de la fonction exercée (animateur) et du statut (cadre), de la rémunération prévue (1.104 euros par émission puis 1.160 euros), de la référence à la convention collective applicable, de l’existence d’un règlement intérieur et des conditions de sa consultation, mentions inscrites soit aux conditions générales soit aux conditions particulières des contrats.

L’absence de mention de la date de la dernière visite médicale ainsi que du salaire minimal applicable, informations certes prévues par l’article V.2.2 de la convention collective applicable, ne figurent pas au rang des mentions requises par les dispositions légales à peine de requalification du contrat.

Enfin, l’existence d’engagements contractuels au-delà de la durée du contrat en terme de disponibilité dans les mois postérieurs au tournage, l’interdiction d’effectuer une prestation télévisuelle pendant plusieurs mois postérieurs à la conclusion du contrat, avec une rémunération future garantie ne constituent pas non plus des mentions de nature à entraîner la requalification des contrats.

M. [N] doit en conséquence être débouté de sa demande de requalification au titre des mentions obligatoires des contrats à durée déterminée d’usage.

***

M. [N] sollicite également la requalification des contrats à durée déterminée d’usage conclus avec la société Sony Pictures Télévision Production et le paiement de la somme de 139.236,70 euros au titre de l’indemnité de requalification, au motif que la nature temporaire de l’emploi qu’il a occupé n’est pas établie.

La société Sony Pictures Télévision Production soulève également la prescription de cette demande pour les contrats conclus à compter du 21 décembre 2016 et, sur le fond, invoque le caractère temporaire de l’emploi pourvu par M. [N], soulignant qu’il convient d’appliquer la méthode du faisceau d’indices et notamment de prendre en compte d’une part, la relation de dépendance du producteur de l’émission vis-à-vis de son diffuseur qui, en l’espèce, a la faculté d’interrompre unilatéralement la diffusion en cas de non réalisation des objectifs d’audience fixés contractuellement, d’autre part, le fait que l’émission « Les Z’amours », si elle est diffusée quotidiennement, n’est pas réalisée ni tournée de façon continue et fait appel à des intermittents du spectacle en contrats à durée déterminée d’usage qui répondent à un besoin ponctuel et occupent un emploi par nature temporaire.

La société Sony Pictures Télévision Production invoque enfin les dispositions de l’article V.2.4 de la convention collective relatives « aux collaborations de longue durée » définies comme la situation des salariés qui, sur une durée de trois ans, ont une durée de travail cumulée entre le 1er et le dernier contrat à durée déterminée d’usage, dépassant 70 % de cette durée, ce qui n’est pas le cas de M. [N] qui n’a travaillé en moyenne que 45 jours par an entre la date de son engagement et la rupture du dernier contrat à durée déterminée d’usage.

*

Le délai de prescription de l’action en requalification d’un contrat à durée déterminée au motif qu’il est destiné à pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise court à compter de la fin du dernier contrat conclu.

L’action de M. [N] est donc recevable.

La détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d’usage ou des conditions dans lequelles un contrat de travail à durée indéterminée doit être proposé au salarié, ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives et d’éléments concrets et précis établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.

En l’espèce, il ressort des pièces et explications produites que la production d’émissions télévisées par la société Sony Pictures Télévision Production est l’activité normale et permanente de celle-ci, qui, ne produisant aucun des contrats la liant avec la chaîne France 2, ne permet pas à la cour d’apprécier la réalité du lien de dépendance pas plus que la faculté de résiliation unilatérale à l’échéance, susceptibles de caractériser le caractère temporaire de l’emploi occupé par M. [N].

L’émission « Les Z’amours » est diffusée depuis 1995 et sa production, même si elle ne représente qu’environ 45 jours par an, correspond à une activité durable de l’entreprise, étant relevé que pendant les 22 années écoulées à la date de la rupture, se sont seulement succédé trois animateurs dont M. [N], ceci témoignant du caractère pérenne de l’emploi occupé.

Il n’est justifié d’aucun autre élément précis et concret établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

C’est donc à juste titre que les premiers juges ont requalifié l’ensemble des contrats conclus en contrat de travail à durée indéterminée.

Eu égard de la durée de la relation, il y a lieu de confirmer la décision déférée en ce qu’elle a alloué à M. [N] la somme de 45.000 euros au titre de l’indemnité de requalification prévue par l’article L. 1245-2 du code du travail.

Sur la rupture du contrat

Les contrats à durée déterminée d’usage de M. [N] étant requalifiés en contrat de travail à durée indéterminée, la rupture de la relation de travail s’analyse en un licenciement.

La procédure applicable, résultant des dispositions des articles L. 1232-2 et suivants du code du travail a été respectée, le contrat ayant pris fin après que le salarié a été convoqué à un entretien préalable au licenciement et après l’envoi d’une lettre de rupture en évoquant les motifs.

D’une part, au cours de l’entretien préalable, l’employeur n’a pas l’obligation de communiquer au salarié les pièces susceptibles de justifier la sanction.

D’autre part, la lettre adressée à M. [N] le 14 décembre 2017, qui fixe les termes du litige, repose sur une violation des obligations contractuelles par référence à la clause d’éthique insérée au contrat, violation résultant d’une part, des propos tenus lors de l’émission « C’est que de la télé ! », d’autre part, de la réitération de déclarations sexistes et des allusions à la polémique et à une prétendue censure lors des tournages du jeu « Les Z’amours » les 1er, 4 et 5 décembre 2017.

Contrairement à ce que soutient M. [N], les faits invoqués sont précis et circonstanciés, la lettre n’encourant pas la critique d’une imprécision des motifs et l’employeur n’a pas l’obligation de reproduire intégralement l’ensemble des propos incriminés, même s’il lui appartient dans le cadre d’un litige, d’apporter la preuve de ces faits invoqués à l’appui d’une faute grave.

Par ailleurs, il ressort très clairement des attestations de M. [F] [H], directeur de production de l’émission « Les Z’amours » et de M. [M] [D], directeur général de la société Studios de France, prestataire technique chargé du tournage (pièces 64 et 65 société), que le dispositif technique mis en place entraîne la transmission, en permanence et pendant toute la durée du tournage, des sons et images captés sur le plateau et ce, même pendant les interruptions du jeu télévisé. Tant M. [H] que M. [D] précisent qu’aucune interruption des flux audio-vidéo n’est envisageable pendant le tournage qui dure environ 50 minutes.

Ces déclarations ne sont nullement en contradiction avec celles faites par M. [O] [G] (pièce 40 appelant) qui indique seulement que dans une même journée, il y a des arrêts ou coupures de tournage (coupure repas, changement de décor, …), pendant lesquelles les conversations privées ne sont pas enregistrées.

Elles sont au demeurant confortées par celles de Mme [W] [C], productrice artistique de l’émission, qui indique que le passage en tournage dématérialisé, en 1993, a entraîné l’enregistrement des sons et images sous forme numérique (et non plus sur bandes) et leur envoi dans un serveur ; Mme [C] précise qu’entre le moment où le tournage d’une émission commence et celui où il se termine, l’enregistrement des images et des sons continue, y compris pendant les pauses inter-plateaux.

Elle ajoute qu’en 2017, elle a commencé à poster sur Facebook, des extraits de séquences « off » de ces inter-plateaux et que « [B] lui faisait régulièrement part de ses remarques pour en améliorer le contenu ».

Elle précise enfin que si « [B] » voulait lui parler discrètement, il couvrait son micro de sa main afin que personne ne puisse les entendre.

M. [N] ne peut donc valablement soutenir qu’il ignorait avoir été enregistré lors des tournages réalisés les 1er, 4 et 5 décembre 2017 et, par conséquent qu’il se serait trouvé dans l’impossibilité d’identifier les propos qui lui ont ensuite été reprochés par son employeur, étant ajouté que celui-ci justifie que les extraits régulièrement communiqués tant en première instance qu’en cause d’appel, correspondent à des «rushes » de tournage et non à des conversations privées enregistrées entre deux émissions, les micros étant coupés lors du lancement du générique de fin de l’émission, ce dont atteste M. [H].

M. [N] ne peut pas non plus dès lors invoquer le caractère déloyal du mode de preuve ainsi utilisé par la société Sony Pictures Télévision Production.

S’agissant du premier motif invoqué à l’appui de la rupture, il est incontestable qu’un humoriste dispose et doit disposer d’une liberté d’expression plus grande que d’autres acteurs du monde médiatique tels que les journalistes ou les critiques. Cependant, il n’existe pas d’impunité de principe et la liberté d’expression de l’humoriste doit demeurer dans certaines limites et, même si l’excès, l’outrance sont la loi du genre, la frontière séparant le comique et la dérision de la polémique grave ne peut pas être franchie.

Or, en l’espèce, d’une part, en vertu de la clause d’éthique figurant à son contrat, M. [N] s’était engagé au respect des droits de la personne, et notamment des femmes, et donc à refuser toute valorisation de la violence à leur égard par des propos tenus sur des antennes de télévision.

D’autre part, il ne pouvait ignorer le contexte particulier dans lequel il a tenu les propos litigieux, s’inscrivant à la suite de la révélation d’abus de pouvoir commis par une personnalité connue sur des jeunes femmes et de la journée de mobilisation pour la lutte contre les violences faites aux femmes.

Enfin, cette « blague » a été racontée à une heure de grande écoute, en direct, à l’issue de la prestation de l’humoriste juste avant qu’il ne quitte le plateau, situation rendant impossible une mise à distance de celui-ci par rapport aux propos tenus, distanciation seule de nature à en atténuer et à en contre-balancer la portée.

Les précautions oratoires utilisées par M. [N] traduisent d’ailleurs la conscience qu’il avait lui-même de dépasser les limites acceptables de l’exercice de sa liberté d’expression, le présentateur de l’émission ayant également réalisé immédiatement le caractère particulièrement déplacé de cette « blague » puisqu’il évoque la possibilité de perdre sa place.

Par ailleurs, sous prétexte du support du mode comique, il a réitéré des propos particulièrement dégradants et indignes de sa fonction lors des tournages qui ont suivi ; après s’être vanté auprès d’un collègue le 1er décembre 2017, en réitérant la « blague » sortie dans l’émission « C’est que de la télé ! », d’avoir « fait son petit buzz » ; le 4 décembre 2017, il parle de l’une des candidates du jeu qui attend sur le plateau, en ces termes : « Hey, tu sais quoi ‘ Elle est un peu grosse mais je suis sûr que ça doit être une chiennasse . Elle a un pompier dans le dos. 37 ans ! Putain, ça ça doit être … 37 ans elle a ! Je suis sûre qu’au lit ça c’est…. Tu sais où ça doit être le mieux ‘ Parce qu’elle a l’air d’avoir une belle paire de meules. C’est quand elle te pompe le dard et que tu as les loches qui viennent taper sur tes couilles. Là c’est le meilleur passage […] » ; à la fin de cette conversation avec un collègue en coulisses, celui-ci répond : « Du coup c’est bien je vais la voir de profil », M. [N] déclarant alors, avant de repartir sur le plateau interroger les candidats  : « Ah mais moi qui l’ai vue de profil, tu ne vois que ça, elle est surlochée […] » ; ces échanges, tels que reproduits dans leur intégralité dans les écritures et en pièce 18c de la société, qui correspondent à l’enregistrement vidéo communiqué, sont particulièrement contraires à l’engagement éthique pris par le salarié ainsi qu’aux fonctions qu’il exerçait et spécialement inopportuns, compte tenu de la vague de critiques qu’avaient déjà suscitée ses propos précédents sur la chaîne C8.

Or, contrairement à ce que prétend M. [N], au-delà de son engagement éthique contractuel, il avait été alerté à plusieurs reprises sur la nécessité d’évoluer dans son rôle d’animateur, notamment dans l’attitude et le comportement qu’il pouvait avoir sur le plateau avec les femmes, ainsi qu’en attestent Mmes [C] et [L] (pièce 48 et 49 société), qui précisent qu’il s’était engagé, à l’issue d’une réunion en novembre, à « faire un effort pour s’intéresser plus aux femmes dans l’émission » ; Mme [C] indique qu’elle avait appelé son attention sur le fait qu’il « faisait de l’humour au détriment des candidates plutôt qu’avec elles » et qu’elle avait tenté de faire comprendre à « [B] » que lui aussi devait évoluer ; elle ajoute qu’elle avait demandé aux membres de l’équipe post prod d’être de plus en plus vigilants lors du montage des émissions.

L’attitude adoptée le 4 décembre 2017 vis-à-vis d’une autre candidate, telle qu’elle est décrite en pièce 18 b de la société, consistant en plusieurs questions sur la fréquence de ses relations sexuelles avec son compagnon, ne correspondait manifestement pas à cet engagement, l’animateur persistant dans son comportement malgré la gêne manifeste dans laquelle il plaçait cette jeune femme.

Ainsi que l’employeur l’a relevé dans la lettre de rupture, le comportement adopté par M. [N] dans les jours qui ont suivi son intervention dans l’émission « C’est que de la télé ! », loin de le distancier de la banalisation apparente de la violence vis-à-vis des femmes résultant des termes de la « blague » proférée, renforçait au contraire cette banalisation, sous le prétexte d’une censure imputée à son employeur, indirectement mis en cause à plusieurs reprises au cours de ces tournages.

La réitération de propos misogynes, déplacés et injurieux ne permet pas de retenir la légitimité des transgressions que s’est autorisées le salarié en abusant de sa liberté d’expression sous le prétexte de sa qualité d’humoriste et en s’affranchissant de la clause d’éthique à laquelle il avait contractuellement souscrit.

L’ensemble de ces faits caractérisent la faute alléguée de nature à ternir durablement sa propre image mais aussi celle de la société qui l’employait, clairement menacée par un courrier du 5 décembre 2017 de France Télévisions, exigeant le remplacement « sans délai » de l’animateur en application des clauses contractuelles liant les parties (pièce 17 société).

Enfin, M. [N] ne saurait valablement se retrancher derrière le fait que le tournage a continué pendant trois jours et que les émissions alors réalisées ont néanmoins été diffusées jusqu’à la fin du mois de janvier 2018.

En effet, liée par contrat avec la chaîne de télévision, la société Sony Pictures Télévision Production ne pouvait, sans risquer une résiliation anticipée et à ses torts de ce contrat, cesser d’honorer ses engagements.

Par ailleurs, la prétendue volonté de la société Sony Pictures Télévision Production d’évincer M. [N] de l’animation de cette émission ne saurait se déduire de contacts pris par l’employeur, à une date non précisée, mais en tout cas, largement antérieure à la rupture, auprès de deux autres humoristes (pièce 19 appelant), une telle intention étant au demeurant démentie par les attestations précitées de Mme [C] et [L].

En considération de l’ensemble de ces éléments, la décision déférée qui a considéré que le licenciement reposait sur une faute grave et débouté M. [N] de ses demandes à ce titre, sera confirmée.

***

M. [N] sollicite la réparation du préjudice moral et d’image tiré de la violation de son droit à l’humour, invoquant les circonstances vexatoires et brutales de son licenciement et l’animosité manifestée tant par sa direction que par la société France Télévisions, qui ont encouragé l’ouragan médiatique qu’il a subi à la suite de son licenciement.

Le conseil de prud’hommes n’a pas statué sur cette demande dont la société Sony Pictures Télévision Production sollicite le rejet.

*

D’une part, la demande de M. [N] ne peut prospérer en ce qu’elle repose sur le comportement prétendument critiquable qu’aurait eu la société France Télévisions, qui n’est pas partie à l’instance.

D’autre part, compte tenu de la nature des propos tenus et de leur contexte dont il résulte un usage abusif du droit à l’humour, la demande de l’employeur faite au salarié de présenter des excuses ne présente pas un caractère brutal ou vexatoire, les circonstances de la rupture justifiant également que M. [N] n’ait pas eu à faire ses adieux sur la chaîne France 2, étant observé qu’il n’est au surplus pas justifié qu’il en ait exprimé le souhait auprès de son employeur.

Enfin, il ne peut être valablement soutenu que M. [N] ait subi un préjudice d’image, ayant su, au vu des pièces produites par l’intimée (pièces 29, 30a et 62), tirer profit des circonstances de cette rupture.

Il sera en conséquence débouté de sa demande à ce titre.

Sur les autres demandes

La nature de la présente décision ne justifie pas sa publication sur un site internet, demande de M. [N] sur laquelle le jugement déféré a omis de statuer.

La société Sony Pictures Télévision Production, condamnée en paiement au titre de la requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat de travail à durée indéterminée, supportera les dépens mais, M. [N], succombant en son recours, sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré dans l’ensemble de ses dispositions,

Y ajoutant,

DÉCLARE irrecevable la demande d’indemnité de M. [R] [N] pour transmission tardive des contrats à durée déterminée,

DÉCLARE irrecevable pour partie et non fondée pour le surplus la demande d’indemnité de M. [R] [N] pour non-respect des mentions impératives devant figurer aux contrats à durée déterminée,

DÉBOUTE M. [R] [N] de sa demande à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et d’image tiré de la violation de son droit à l’humour, de sa demande de publication de la présente décision et de celle formulée au titre des frais irrépétibles exposés en cause d’appel,

CONDAMNE la société Sony Pictures Télévision Production France aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 

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