Production Audiovisuelle : 16 janvier 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 16/05718

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Production Audiovisuelle : 16 janvier 2020
Cour d’appel de Versailles
RG n°
16/05718

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 JANVIER 2020

N° RG 16/05718 – N° Portalis DBV3-V-B7A-RFRJ

AFFAIRE :

SAS MARTANGE PRODUCTION

C/

[H] [O]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Novembre 2016 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : F16/00995

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Marie-Laure ABELLA

Me David METIN

Expédition numérique délivrée à : Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE JANVIER DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

SAS MARTANGE PRODUCTION

N° SIRET : 480 915 032

[Adresse 4]

[Localité 5]

Autre(s) qualité(s) : Intimé au RG16/05724 (Chambre Sociale)

Représentant : Me Marie-laure ABELLA, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 443 – N° du dossier MART/LAP – Représentant : Me Jean-Marie GUILLOUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0818 substitué par Me Pierre Marie CHAPOUTOT, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Madame [H] [O]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 6] (91)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Autre(s) qualité(s) : Appelant au RG16/05724 (Chambre Sociale)

Représentant : Me Sylvain ROUMIER de la SELARL ROUMIER SPIRE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2081 – Représentant : Me David METIN, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 159 – N° du dossier [O]

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 25 Novembre 2019, Monsieur Eric LEGRIS, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE

Le 21 janvier 2010, Mme [H] [O] était embauchée par la société Martange Production en qualité de chef monteur (salariée cadre) par contrat à durée déterminée d’usage d’une durée renouvelée chaque mois pendant 76 mois.

Le contrat de travail était régi par la convention de la production audiovisuelle.

Cette succession de collaborations mensuelles prenait fin le 6 juin 2016 date à laquelle la société Martange cessait de fournir du travail à la salariée.

Le 17 mai 2016, Mme [H] [O] saisissait le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt d’une demande de requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée à compter du 21 janvier 2010.

Vu le jugement du 24 novembre 2016 rendu en formation paritaire par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt qui a :

– fixé le salaire mensuel brut de Mme [H] [O] à 7 074,00 euros ;

– dit qu’il y a lieu de requalifier les contrats à durée déterminée conclus entre Mme [H] [O] et la SAS Martange Production entre le 21 janvier 2010 et le 6 juin 2016, en contrat à durée indéterminée à temps complet ;

– dit que la rupture de la relation contractuelle entre Mme [H] [O] et la SAS Martange Production prend les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné la SAS Martange Production à verser à Mme [H] [O] :

– A titre d’indemnité de requalification : 7 074,00 euros (sept mille soixante-quatorze euros)

– A titre d’indemnité conventionnelle de licenciement: 8 960,40 euros

– A titre d’indemnité compensatrice de préavis: 14 148,00 euros

– A titre de congés payés afférents: 1 414,80 euros

– A titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 42 444,00 euros

– A titre de rappel de salaire : 91 843,00 euros

– A titre de congés payés afférents: 9 184,30 euros

– Au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 1 000,00 euros

– reçu Mme [H] [O] en sa demande de rappel de majoration d’heures supplémentaires et l’en déboute ;

– reçu Mme [H] [O] en sa demande indemnitaire pour exécution déloyale de son contrat de travail par la SAS Martange Production et l’en déboute ;

– reçu Mme [H] [O] en sa demande indemnitaire pour non-respect de la protection de la santé par la SAS Martange Production et l’en déboute ;

– ordonné à la SAS Martange Production de remettre à Mme [H] [O] des bulletins de paie, un certificat de travail et une attestation pôle emploi rectifiés et conformes à la décision sous astreinte de 20,00 euros par jour de retard pour l’ensemble des documents, à compter du vingtième jour suivant la notification du présent jugement, pendant une durée maximum de 30 jours, le conseil de prud’hommes s’en réservant la liquidation ;

– dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire du présent jugement au- delà des dispositions de l’article R 1454-28 du code du travail ;

– ordonné en application de l’article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS Martange Production aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [H] [O], dans la limite de trois mois.

– reçu la SAS Martange Production en sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile et l’en déboute ;

– condamné la SAS Martange Production aux dépens

Vu la notification de ce jugement le 26 novembre 2016.

Vu l’appel interjeté par la SAS Martange Production le 20 décembre 2016.

Vu les conclusions de l’appelante, la SAS Martange Production, notifiées le 25 novembre 2019 et soutenues à l’audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé ; il est demandé à la cour d’appel de :

A titre principal :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a :

– requalifié les contrats à durée déterminée de Mme [H] [O] en un contrat à durée indéterminée à temps plein à effet au 21 janvier 2010 et condamné en conséquence la SAS Martange Production au paiement de diverses sommes au titre de cette requalification,

– dit que la rupture de la relation contractuelle entre Mme [H] [O] et la SAS Martange Production prend les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a débouté Mme [H] [O] du surplus de ses demandes,

Statuant à nouveau :

– dire et juger que la SAS Martange Production n’a commis aucun abus lors du renouvellement des contrats à durée déterminée d’usage la liant à Mme [H] [O] et a respecté l’ensemble des dispositions légales et conventionnelles en vigueur prescrites pour ce type de contrats,

– constater la mauvaise foi et la déloyauté de Mme [H] [O] dans l’exécution de son contrat de travail,

– dire et juger la demande de requalification de Mme [H] [O] infondée,

En conséquence :

– débouter Mme [H] [O] de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner Mme [H] [O] à verser à la SAS Martange Production la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [H] [O] aux entiers dépens,

A titre subsidiaire : Si par extraordinaire la cour devait ‘ confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a fait droit à la demande de requalification en CDI de la relation contractuelle avec la salariée :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a :

– fixé la moyenne des salaires à 7.074 euros ;

– fixé l’indemnité de requalification du contrat de travail à la somme de 7 074 euros ;

– requalifié les contrats à durée déterminée de Mme [H] [O] en un contrat à durée indéterminée à temps plein à effet au 21 janvier 2010 ;

– condamné la SAS Martange Production au paiement de la somme de 91 843,00  euros à titre de rappel de salaire et à la somme de 9 184,30 euros au titre des congés payés y afférent ;

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a débouté Mme [H] [O] du surplus de ses demandes ;

Statuant à nouveau :

A titre principal :

– fixer le salaire de référence de Mme [H] [O] à la somme de 3 215 euros ;

En conséquence, sur l’indemnité de requalification :

– fixer l’indemnité de requalification à 3.215 euros soit à un mois de salaire ;

A titre subsidiaire :

– fixer le salaire de référence de Mme [H] [O] à la somme de 4 216,7 euros

En conséquence, sur l’indemnité de requalification

– fixer l’indemnité de requalification à 4 216,7 euros soit à un mois de salaire ;

En tout état de cause :

Sur la requalification en un contrat a temps plein ;

– dire que la SAS Martange Production a respecté le formalisme exigé pour les contrats à durée déterminée à temps partiel ;

– dire que Mme [H] [O] n’était pas dans l’obligation de se tenir en permanence à la disposition de la SAS Martange Production durant toute la durée de la relation contractuelle ;

En conséquence :

– débouter Mme [H] [O] de sa demande de rappels de salaire à temps plein ;

Sur la rupture du contrat de travail

A titre principal :

– dire que la rupture du contrat de travail de Mme [H] [O] est fondée et repose sur une cause réelle et sérieuse ;

En conséquence :

– débouter Mme [H] [O] de ses demandes indemnitaires au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– débouter Mme [H] [O] du surplus de ses demandes ;

A titre très subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait ‘ confirmer le jugement en ce qu’il a dit que la rupture de la relation contractuelle entre Mme [H] [O] et la SAS Martange Production prend les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a :

– fixé le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 8 960,4euros ;

– fixé le montant de l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 14 148  euros ;

– fixé le montant des congés payés y afférent à la somme de 1 414,80 euros ;

– fixé le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 42 444,00 euros ;

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a débouté Mme [H] [O] du surplus de ses demandes ;

Statuant à nouveau :

A titre principal :

– fixer le salaire de référence de Mme [H] [O] à la somme de 3 215 euros,

– fixer l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 4 072,33 euros,

– fixer les dommages et intérêts qui seront alloués à la somme de 19 290 euros, correspondant à six mois de salaire,

– débouter Mme [H] [O] de ses demandes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– débouter Mme [H] [O] du surplus de ses demandes,

Subsidiairement :

– fixer l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 6 430 euros,

– fixer l’indemnité de congés payés y afférent à la somme de 643 euros,

A titre subsidiaire :

– fixer le salaire de référence de Mme [H] [O] à la somme de 4 216,7 euros

– fixer l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 5 341,15 euros

– fixer les dommages et intérêts qui seront alloués à la somme de 25 300,2 euros, correspondant à six mois de salaire,

– débouter Mme [H] [O] de ses demandes au titre de l’indemnité compensatrice de préavis

– débouter Mme [H] [O] du surplus de ses demandes Subsidiairement :

– fixer l’indemnité compensatrice de préavis à la somme de 8 433,4,5 euros,

– fixer l’indemnité de congés payés y afférent à la somme de 843,34 euros,

En tout état de cause :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en ce qu’il a dit et jugé Mme [H] [O] mal fondée en ses demandes indemnitaires au titre :

– d’une prétendue exécution déloyale de son contrat de travail par la SAS Martange Production ;

– du prétendu non-respect de l’obligation de protection de sa santé par la SAS Martange Production ;

– d’un prétendu rappel d’heures supplémentaires, de congés payés y afférent et de travail dissimulé ;

Vu les écritures de l’intimée, Mme [H] [O], notifiées le 12 novembre 2019 et développées à l’audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé ; il est demandé à la cour d’appel de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 24 novembre 2016 en ce qu’il a :

– requalifié la collaboration de Mme [H] [O] en CDI du 21 janvier 2010 au 6 juin 2016 ;

– requalifié le contrat à durée indéterminée de Mme [H] [O] à temps complet ;

– fixé le salaire mensuel brut de Mme [H] [O] à 7 074 euros ;

– condamné la société Martange à verser à Mme [H] [O] la somme de 91 843  euros à titre de rappel de salaire équivalent temps plein et 9 184 euros de congés payés y afférents

– jugé que la rupture de la relation contractuelle entre Mme [H] [O] et la société Martange Production avait les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence condamné la société Martange Production à verser à Mme [H] [O] les sommes suivantes :

– 8 960,40 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

– 14 148,00 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 1 414,80 euros au titre de congés payés afférents au préavis ;

– infirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions

Statuant à nouveau

– condamner la SAS Martange Production à payer à Mme [H] [O] au titre de l’indemnité de requalification des CDD illicites en CDI, une somme de 55 177,20 euros sur le fondement de l’article L. 1245-2 du code du travail,

– condamner la SAS Martange Production à payer à Mme [H] [O] à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation du préjudice de la perte injustifiée de son emploi, en application de l’article L.1235-3 ancien du code du travail : 200 000 euros ;

– condamner la SAS Martange Production à payer à Mme [H] [O] la somme de 21 222 euros (3 mois) au titre de la déloyauté contractuelle de l’employeur pour préjudice distinct sur le fondement des articles L.1222-1 du code du travail et 1103 alinéa 3, 1104 et 1231-1 du code civil ;

– condamner la SAS Martange Production à payer à Mme [H] [O] la somme de 42 444 euros (6 mois) au titre du non-respect de la protection de la santé sur le fondement des articles R.4624-10, R.4624-16, L.4121-1 et L4121-2 du code du travail ainsi que 1240 du code civil ;

– condamner la SAS Martange Production à payer à Mme [H] [O] la somme de 28 313 euros au titre de rappels de majoration d’heures supplémentaire ainsi que 2 831 euros au titre des congés payés y afférents ;

– condamner la SAS Martange Production à payer à Mme [H] [O] l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L.8223-1 du code du travail, soit la somme de 42 222 euros (6 mois), en ce qu’elle s’est rendue coupable de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié et non-paiement des charges sociales ;

– condamner la SAS Martange Production à délivrer à Mme [H] [O] des bulletins de salaire conformes et ce sous astreinte de 250 euros par document et par jour de retard,

– ondamner la SAS Martange Production à régulariser la situation de Mme [O] auprès des organismes sociaux (URSSAF, caisse d’assurance vieillesse, caisse de retraite complémentaire) sous astreinte et à fournir à Mme [O] le justificatif de cette régularisation dans le mois qui suit la notification de l’arrêt à intervenir le tout sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document ;

– dire que la cour se réserve la liquidation des astreintes ;

– condamner la SAS Martange Production à verser à Mme [H] [O] une somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens et aux éventuels frais d’exécution.

Vu l’ordonnance de clôture du 25 novembre 2019.

SUR CE,

Sur la demande de requalification en contrat à durée indéterminée :

Si en application de la directive 1999/70 du 28 juin 1999 du Conseil de l’Union européenne et de l’accord-cadre du 18 mars 1999 qui figure en son annexe, sont sanctionnées les dispositions nationales qui se bornent à autoriser, de manière générale et abstraite, le recours à des contrats à durée déterminée successifs, des raisons objectives, entendues comme des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée, peuvent justifier l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs ;

Selon l’article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;

L’article L.1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié (1°), l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2°) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3°) ;

L’article D. 1242-1 vise l’audiovisuel parmi les secteurs d’activité dans lesquels, en application du 3° de l’article L.1242-2, des contrats à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;

Aux termes de l’article L.1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif, et notamment les mentions énumérées par ce texte ;

En vertu de l’article L.1242-13 du code du travail, ce contrat est remis au salarié au plus tard dans les deux jours ouvrables suivant l’embauche ;

Selon l’article L.1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L.1242-1 à L.1242-4, L.1242-6 à L.1242-8, L.1242-12 alinéa 1, L.1243-11 alinéa 1, L.1243-13, L.1244-3 et L.1244-4 du même code ;

En application de l’ensemble des dispositions du code du travail susvisées, s’inscrivant dans le respect du droit de l’Union européenne, le contrat de travail à durée déterminée ne peut ainsi avoir d’autre objet que de pourvoir un emploi présentant par nature un caractère temporaire, y compris lorsqu’il est conclu dans le cadre de l’un des secteurs d’activité visés par les articles L.1242-2.3° et D.1242-1 du code du travail ;

L’article V.2 de la convention collective applicable prévoit ainsi que « (‘) le recours au contrat à durée déterminée d’usage dans le spectacle n’est possible que pour un objet déterminé, dont le caractère temporaire doit être incontestable, et dont le terme est soit connu par sa date, soit déterminé par l’intervention d’un événement certain » ;

Si l’audiovisuel figure parmi les secteurs visés par l’article D. 1242-1 du code du travail et que la possibilité de conclure des contrats à durée déterminée d’usage est prévue et encadrée par l’accord collectif national de la branche de télédiffusion du 22 décembre 2006 et la convention collective de la production audiovisuelle du 13 décembre 2006, visant l’emploi de « chef monteur », il convient de vérifier l’existence d’éléments concrets et précis susceptibles de justifier la conclusion des contrats à durée déterminée d’usage successifs avec Mme [O] ;

La société Martange Production souligne que l’émission CCVB nécessitait une certaine expérience et que, producteur audiovisuel indépendant, elle était soumise aux aléas des résultats d’audience et aux choix éditoriaux imposés par les diffuseurs, l’émission CCVB étant précisément soumise à des résultats d’audience et France Télévision, sans activer cette clause en 2015, ayant finalement indiqué à la société Martange Production par courrier du 23 février 2016 ne pas renouveler l’émission pour la saison suivante, lequel rappelait par ailleurs que cette dernière avait répondu à son nouvel appel à projet et n’était liée par aucune exclusivité à son égard ;

Il demeure que Mme [O] a travaillé pour la société Martange Production, dont elle souligne qu’elle avait pour activité principale sinon unique la production audiovisuelle, sur une période de plus de 6 années (76 mois), en exerçant les mêmes fonctions de chef monteur, spécialement dans le cadre de ce programme télévisuel, et qu’au cours de cette période elle travaillait, à l’exception principalement de certaines périodes estivales, de façon constante entre 15 et 20 jours par mois, de sorte qu’elle a pourvu durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ;

Au surplus, sont versés aux débats de nombreux exemples de contrats signés de la salarié après expiration du délai de transmission légal (par exemple, contrat de mars 2010, débutant le 1er mars 2010, signé le 6 juin 2010 ; contrat d’octobre 2011, débutant le 3 octobre, signé le 17 novembre 2011 ; contrat de septembre 2012, débutant le 3 septembre, signé le 18 octobre 2012 ; contrat débutant le 2 juillet 2012, signé le 10 septembre 2012 ; contrat de mars 2013 signé le 17 mai 2013 ; contrat de septembre 2014 signé le 3 novembre 2014) et comme le fait justement valoir l’intimée, la preuve n’est pas rapportée par l’employeur que les « lettres d’engagement » à durée déterminée ont été remises ou transmises au salarié dans le délai imparti par la loi, sans qu’il ne soit démontré par la société Martange Production, qui procède ici essentiellement par voie d’affirmation que la salariée ait sciemment refusé de signer ces contrats de travail de mauvaise foi ou dans une intention frauduleuse ou dans le cadre d’ une collusion frauduleuse ;

Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de requalifier les contrats à durée déterminée conclus entre Mme [O] et la SAS Martange Production entre le 21 janvier 2010 et le 6 juin 2016, en contrat à durée indéterminée à compter du 21 janvier 2010 ;

Sur la demande de requalification à temps plein:

La requalification d’un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat ; réciproquement, la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail ;

Il appartient au salarié d’établir qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant les périodes non travaillées séparant chaque contrat ;

La société Martange Production fait valoir que l’ensemble des contrats de travail communiqués par l’employeur sont réguliers dès lors que ces contrats précisent la répartition de la durée du travail en volume en contrepartie de la rémunération allouée, font mention des jours et heures travaillés chaque semaine et chaque mois et ont été signés le jour de l’embauche du salarié ; elle soutient que Mme [O] connaissait en amont ses périodes d’embauche et son rythme de travail et qu’elle vaquait à ses obligations personnelles lors des jours non travaillés ;

Il a déjà été retenu qu’il n’est pas justifié par la société Martange Productions de contrats régulièrement transmis sur de nombreuses périodes travaillées par Mme [O] ;

En outre, cette dernière rappelle avoir travaillé entre 175 jours et 193 jours par an ;

Les calendriers versés aux débats révèlent l’absence de régularité de son rythme de travail ;

La répartition des jours travaillés dans un mois (pièce n° 21 de l’intimée) en correspondance avec les lettres d’engagement (pièce n°11 de l’appelante) montre que certains mois étaient presque intégralement pris ; à titre d’exemple, tel était le cas pour l’année 2011 au cours des mois de janvier, mars, mai, juin, septembre, octobre, novembre, décembre 2011; au cours d’autres périodes, différents jours au cours de différentes semaines n’étaient pas travaillés ; certains jours de période estivale ont aussi été travaillés ;

Des échanges de courriels produit par l’intimé font aussi état d’heures de travail effectuées la nuit ;

Les plannings prévisionnels de saison télévisuelle et d’autres échanges produits montrent que des ajustements étaient opérés, des diffusions et des lancements annulées, des plannings réactualisés ;

L’intimée produit aussi des attestations non seulement d’autres salariés comme M. [W], ancien producteur exécutif, confirmant la disponibilité de M. [L] ou Mme [B], ancienne directrice de production, mais aussi de professionnels de la production extérieurs à l’entreprise (Mme [C], productrice artistique), les deux derniers cités faisant état de sollicitations pour d’autres émissions de Martange ou d’offres d’engagement extérieur quotidien faites à Mme [O] mais refusées par elle en raison de son indisponibilité alors qu’elle collaborait déjà avec la société Martange Production; ces attestations d’anciens salariés, corroborées par les éléments précités, ne peuvent être considérées comme de complaisance ainsi qu’allégué au seul motif que ces salariés ont été eux-même en contentieux avec l’employeur ;

Enfin, les éléments produits par les parties ne démontrent pas que Mme [O], qui produit ses avis d’imposition, ait travaillé pour un autre employeur et perçu des rémunérations durant la période considérée ;

Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a requalifié les contrats à durée déterminée conclus entre Mme [H] [O] et la SAS Martange Production entre le 21 janvier 2010 et le 6 juin 2016, en contrat à durée indéterminée à temps plein ;

Sur le salaire de référence

La société Martange fait valoir que le salaire que percevait Mme [O] tenait compte de sa qualité d’intermittent du spectacle et se réfère au salaire minimal au 1er juillet 2012 de la convention collective applicable pour un chef monteur embauché en contrat à durée indéterminée qu’elle majore ensuite forfaitairement de 20% ;

Toutefois, elle se réfère ainsi à une rémunération minimale et ne fournit pas d’éléments de comparaison de salariés permanents exerçant cette fonction ;

Mme [O] produit pour sa part un décompte précis calculé à juste titre à partir d’un temps plein, en fonction du salaire journalier versé auquel s’ajoutent les primes perçues ; le salaire moyen ainsi reconstitué à hauteur de 7 074 euros sera retenu ; le jugement sera confirmé sur ce point ;

Sur les rappels de salaire à temps plein et au titre d’heures supplémentaires

Mme [O] sollicite la somme de 91 843 euros au titre de rappels de salaire équivalent temps plein et 9 184 euros de congés payés y afférents sur la période de mai 2011 à mars 2016 ;

Ayant saisi le conseil de prud’hommes le 17 mai 2016 et compte tenu des dispositions transitoires de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, sa demande n’est pas prescrite ;

Il y a lieu de faire droit à ces demandes, suite à la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein, selon le décompte produit par l’intimée tenant compte des salaires perçus ; le jugement sera confirmé de ces chefs ;

Mme [O] sollicite également la somme de 28 313 euros à titre de rappels de majoration d’heures supplémentaire ainsi que les congés payés y afférents ;

En application de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, la preuve des horaires de travail effectués n’incombe spécialement à aucune des parties et si l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande ;

 

En l’espèce, Mme [O] soutient, sans toutefois l’établir, que le taux journalier était identique selon qu’elle effectuait 35 ou 39 heures de travail ;

La société Martange Production produit les bulletins de salaire faisant apparaître le paiement des heures supplémentaires ; la salariée ne justifie pas avoir effectué des heures supplémentaires qui ne lui auraient pas été réglées.

Le rejet de cette demande et par suite de la demande au titre d’un travail dissimulé sera confirmé ;

Sur la rupture de la relation de travail :

En application de l’article L. 1232-1 du code du travail un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ;

En l’espèce, la collaboration de Mme [O] a pris fin le 6 juin 2016 lorsque la société Martange a cessé de lui fournir du travail dans le cadre de contrat à durée déterminée d’usage ;

Dans ses écritures, l’appelante invoque une rupture pour motif économique ; elle fait état d’une baisse de ses commandes et indique qu’elle n’était pas en mesure de maintenir la totalité des emplois conclus en contrat à durée déterminée et que Mme [O] a été destinataire le 4 avril 2016, comme l’ensemble des salariés ayant évolué sur CCVB, d’un « courriel de remerciement » annonçant la fin de ce programme ;

Cependant, alors que la relation de travail a été requalifiée en contrat à durée indéterminée, il n’est pas justifié par l’employeur d’un respect de la procédure de licenciement ni de l’énonciation régulière d’un motif de licenciement en ce compris d’une cause économique du licenciement et de ses conséquences sur l’emploi de Mme [O] ;

En conséquence, le jugement sera aussi confirmé en ce qu’il a dit que la rupture de la relation contractuelle entre Mme [O] et la société Martange Production produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Sur les autres conséquences financières

A la date de son licenciement Mme [O] avait une ancienneté de plus de 6 ans au sein de l’entreprise qui employait de façon habituelle plus de 11 salariés ;

En application de l’article L1235-3 du code du travail, elle peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant brut des salaires qu’elle a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement ;

Tenant compte notamment de l’âge, de l’ancienneté de la salariée et des circonstances de son éviction, étant observé que Mme [O] a perçu une indemnisation de Pôle emploi, qu’elle indique avoir pu retrouver des collaborations ponctuelles, mais d’une durée mensuelle et d’un montant inférieur, les premiers juges ont fait une exacte appréciation de la situation en lui allouant la somme de 42 444 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Compte tenu des éléments de la cause et du salaire de référence retenu il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a alloué à Mme [O] les sommes suivantes :

– à titre d’indemnité de requalification : 7 074 euros,

– à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement : 8 960,40 euros,

– à titre d’indemnité compensatrice de préavis : 14 148 euros et 1 414,80 euros au titre des congés payés afférents ;

Mme [O] ne rapporte pas la preuve d’une faute distincte ni en tout état de cause d’un préjudice distinct au titre de la déloyauté contractuelle de l’employeur qu’elle invoque ; le rejet de sa demande indemnitaire formée à ce titre sera en conséquence confirmé ;

De même, le rejet de sa demande de dommages et intérêts formée au titre d’un non-respect de la protection de la santé sera lui aussi confirmé alors que Mme [O] ne rapporte pas la preuve que la société Martange Production aurait manqué à ses obligations à ce titre et que l’appelante justifie avoir effectué les démarches utiles, en particulier auprès de la CPAM de l’Oise, à l’occasion de l’accident du travail auquel elle se réfère ;

Sur le remboursement par l’employeur à l’organisme des indemnités de chômage

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner d’office le remboursement par l’employeur à l’organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l’arrêt dans la limite de 3 mois d’indemnités ; le jugement sera confirmé sur ce point ;

Sur les autres demandes

Il y a lieu d’enjoindre à la société Martange Production de remettre à Mme [O], dans le mois suivant la signification du présent arrêt, des bulletins de salaire rectifiés ;

Le prononcé d’une astreinte ne s’avère pas nécessaire ; le jugement sera infirmé sur ce dernier point ;

Il n’y a pas plus lieu de condamner la société Martange Production à régulariser la situation de Mme [O] auprès des organismes sociaux sous astreinte ;

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens d’appel seront mis à la charge de la société Martange Production ;

La demande formée par Mme [O] au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie, à hauteur de 1 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a prononcé une astreinte,

Statuant de nouveau des dispositions infirmées,

Dit n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte,

Déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SAS Martange Production à payer à Mme [H] [O] la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

Condamne la SAS Martange Production aux dépens d’appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Sophie RIVIERE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER Le PRESIDENT

 

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