Production Audiovisuelle : 12 mai 2022
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/10212
Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRET DU 12 MAI 2022
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10212 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE2KX
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juin 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 19/02391
APPELANT
Monsieur [K] [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Marie-Catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
INTIMÉE
S.A. LA SOCIETE SON ET LUMIERE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de PARIS, toque : J044
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur FOURMY Olivier, Premier président de chambre
Madame ALZEARI Marie-Paule, présidente
Madame LAGARDE Christine, conseillère
Greffière lors des débats : Mme CAILLIAU Alicia
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile
– signé par Olivier FOURMY, Premier président de chambre et par CAILLIAU Alicia, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par contrat à durée indéterminé du 16 juin 2008, M. [K] [L] a été embauché par la société Son et Lumière en qualité de directeur des productions en contrepartie d’une rémunération brute mensuelle de 11 700 euros.
La convention collective applicable est celle de la production audiovisuelle.
La société Son et Lumière est une société familiale de production qui a pour activité la production de programmes audiovisuels et vidéographiques, produisant notamment les séries ‘Engrenages’ et ‘Mongeville’.
Elle est détenue à 98 % par la société Alcyon Augure, sa holding.
M. [L] détient 10% dans la société Alcyon Augure.
Suite au décès du dirigeant de la société Son et Lumière, M. [L] a été nommé président directeur général par le conseil d’administration du 16 juillet 2018.
Par lettre du 19 février 2019, il a annoncé sa décision de démissionner de son mandat à effet au 7 mars 2019.
Par courrier du 14 mars 2019, la société Son et Lumière a notifié à M. [L] une dispense d’activité : « (…) Compte tenu de la nomination ce jour des nouveaux mandataires sociaux de la société, la nouvelle direction entend diligenter en urgence un audit financier et juridique de la société.
Dans ces conditions, nous vous dispensons de présence et de travail à compter de ce jour et jusqu’au terme de cet audit. Bien entendu, vous pourrez nous faire part de vos commentaires et observations dans le cadre de là procédure d’audit à laquelle vous pourrez être associé. Cette dispense de présence et de travail sera rémunérée normalement ».
Le 21 mars 2019, M. [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail et de voir condamner la société Son et Lumière à lui payer différentes sommes, invoquant la dispense d’activité décidée dans des conditions vexatoires, le harcèlement moral et le manquement à l’obligation de sécurité.
Par courrier du 22 mars 2019, la société Son et Lumière a informé M. [L] de ce qu’elle envisageait de procéder à son licenciement pour faute grave et l’a convoqué à un entretien préalable au licenciement le 5 avril 2019, lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire.
Son licenciement lui a été notifié le 11 avril 2019.
Par jugement du 10 juin 2021, le conseil de prud’hommes de Paris a sursi à statuer « jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué, par les juridictions répressives, sur l’action publique et la plainte pénale déposée par la société SON ET LUMIERE à l’encontre de Monsieur [K] [L] » et a réservé les dépens.
Par ordonnance du 25 novembre 2021, M. [L] a été autorisé à interjeter appel immédiat du jugement et par acte du 23 décembre 2021, il a fait assigner la société Son et Lumière pour plaider à jour fixe.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 17 février 2022, M. [L] demande à la cour de :
« – DECLARER Monsieur [L] bien fondé en son appel formé à l’encontre du jugement du 10 juin 2021 ayant prononcé le sursis à statuer,
– INFIRMER le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris le 10 juin 2021 en ce qu’il dispose :
– Sursoit à statuer jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué, par la juridiction répressive, sur l’action publique et la plainte pénale déposée par la société SON ET LUMIERE à l’encontre de Monsieur [K] [L].
Statuant à nouveau :
– REJETER la demande de la société SON ET LUMIERE de sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale,
– DIRE ET JUGER qu’il apparaît d’une bonne administration de la justice d’évoquer cette affaire et de lui donner une solution définitive,
En conséquence :
A titre Principal
– JUGER que la dispense d’activité de Monsieur [L] le 14 mars 2019 en dehors de toute procédure et la privation de fourniture de travail caractérisent une atteinte majeure au contrat justifiant le bien-fondé de la demande de résolution judiciaire produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse
– FIXER la date de la rupture au 11 avril 2019
A titre Subsidiaire
– JUGER que Monsieur [L] a fait l’objet d’un licenciement verbal le 14 mars 2019
– JUGER que ce licenciement verbal est nécessairement privé de cause réelle et sérieuse
A titre très Subsidiaire
– JUGER que la dispense d’activité notifiée à Monsieur [L] le 14 mars 2019 s’analyse en une sanction
– JUGER que le licenciement ultérieurement notifié à Monsieur [L] caractérise une double sanction prohibée par les textes d’autant que la Société avait épuisé son pouvoir disciplinaire
A titre infiniment Subsidiaire
– JUGER que la procédure de licenciement a été menée par une personne ne disposant pas de la qualité et du pouvoir pour représenter la Société SON ET LUMIERE
– JUGER que ce licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse
A titre éminemment Subsidiaire
– JUGER que les griefs reprochés aux termes d’une procédure non contradictoire ne sont pas établis et en toute hypothèse prescrits
– JUGER que ce licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse
En tout état de cause
– CONDAMNER la Société SON ET LUMIERE à régler à Monsieur [L] les sommes suivantes :
‘ 154.597 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
‘ 30.000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 3.000 euros de congés payés afférents ;
‘ 9.071 euros à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et 907 euros de congés payés afférents
‘ 551.040 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
‘ 165.312 euros à titre de dommages et intérêts au titre des circonstances brutales et vexatoires de la rupture
– DEBOUTER la Société SON ET LUMIERE de l’intégralité de ses demandes
– CONDAMNER la Société SON ET LUMIERE au paiement de la somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du CPC
– CONDAMNER la Société SON ET LUMIERE aux entiers dépens de l’instance.
– ASSORTIR l’arrêt à intervenir des intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes de Paris avec capitalisation des intérêts (article 1154 du Code civil) ».
Par dernières conclusions transmises par RPVA le 1er février 2022, la société Son et Lumière demande à la cour de :
« A TITRE PRINCIPAL
– CONFIRMER le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris du 10 juin 2021 en ce qu’il a sursis à statuer jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué, par les juridictions répressives, sur l’action publique et la plainte pénale déposée par la société SON ET LUMIERE à l’encontre de Monsieur [L] ;
– DEBOUTER Monsieur [L] de l’ensemble de ses demandes ;
A TITRE SUBSIDIAIRE, en cas d’infirmation du jugement du Conseil de prud’hommes et d’évocation de l’affaire :
– DEBOUTER Monsieur [L] de sa demande de résiliation judiciaire et de l’ensemble de ses demandes y afférents,
– DECLARER irrecevables ses demandes relatives au licenciement car non visées dans la requête initiale et sans lien suffisant avec la demande de résiliation judiciaire,
– JUGER que le licenciement est fondé sur une faute grave,
– DEBOUTER Monsieur [L] de toutes ses demandes afférentes au licenciement,
A titre reconventionnel :
– CONDAMNER Monsieur [L] à rembourser à la société SON ET LUMIERE la somme de 776.149,01 euros au titre des montants détournés ;
– CONDAMNER Monsieur [L] à payer à la société SON ET LUMIERE la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
– CONDAMNER Monsieur [L] à payer à la société SON ET LUMIERE le somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
– CONDAMNER Monsieur [L] aux entiers dépens ».
La clôture a été prononcée le 25 février 2022.
Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de sursis à statuer
Au soutien de sa demande, M. [L] fait valoir que :
– le 14 mars 2019 il a été privé de toute activité professionnelle, interdit de tout contact avec les collaborateurs de l’entreprise et a fait l’objet d’une mesure d’éviction à effet immédiat en dehors de toute procédure de licenciement, dans des conditions brutales, vexatoires, calomnieuses et injurieuses
– son éviction est intervenue dans un contexte de conflit familial ancien opposant les principaux actionnaires
– il était confronté à des procédés brutaux et humiliants traduisant une exécution déloyale du contrat de travail et des faits de harcèlement moral, éléments qu’il dénonçait par lettre du 18 mars 2019, ce qui l’a conduit à saisir le conseil de prud’hommes le 21 mars 2019
– le 22 mars 2019 la société Son et Lumière a tenté de régulariser une procédure de licenciement à son encontre « pour des motifs non établis » en lui adressant une lettre de convocation à un entretien préalable puis en lui notifiant son licenciement le 11 avril 2019
– en cas de demande de résolution judiciaire du contrat suivi d’un licenciement notifié ultérieurement, il appartient à la juridiction, pour statuer, d’apprécier les causes de rupture de manière chronologique.
La société Son et Lumière oppose que :
– la saisine de M. [L] d’une demande de résiliation judiciaire visait uniquement à se prémunir contre la procédure de licenciement qui allait être engagée et qu’il ne pouvait ignorer
– la demande de résiliation judiciaire est uniquement fondée sur la dispense d’activité, M. [L] ayant abandonné depuis sa saisine les « prétendus faits de harcèlement moral et d’heures supplémentaires non rémunérées »
– la dispense d’activité et l’audit ont été décidés compte-tenu des infractions découvertes, des rémunérations très importantes que s’est octroyées M. [L] lui-même, ce qui a donné lieu à la plainte pénale qui vise ce dernier en sa qualité de salarié
– M. [L] cumulait un mandat social et un contrat de travail, l’ensemble des infractions ayant été commises tout autant au titre de son mandat que de ses fonctions salariées
– la plainte pénale qui vise M. [L] en sa qualité de salarié présente un lien avec la demande de résiliation judiciaire, et les suites susceptibles d’être données à cette plainte ne seront pas indifférentes au fait de devoir trancher sa demande de résiliation judiciaire
– les griefs visés par la lettre de licenciement et contestés par M. [L] sont similaires à ceux visés dans la plainte pénale.
Sur ce,
Aux termes de l’article 4 du code de procédure pénale, « l’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction prévue par l’article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l’action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil ».
Aux termes de l’article 378 du code de procédure civile, « la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps où jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine.»
Il s’agit d’une simple mesure d’administration judiciaire et, hors le cas où cette mesure est prévue par la loi, les juges apprécient discrétionnairement l’opportunité du sursis à statuer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Ils ne sont pas tenus de motiver sur ce point leur décision.
En l’espèce, la présente procédure a été engagée par M. [L] devant la juridiction prud’homale le 21 mars 2019, aux fins de faire examiner des faits imputés à son employeur à l’appui de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, s’agissant de son éviction dans des conditions brutales et vexatoires.
Le 22 mars 2019 la société Son et Lumière a initié une procédure de licenciement à l’encontre de M. [L] le convoquant à un entretien préalable puis lui a notifié son licenciement le 11 avril 2019.
Aux termes de cette lettre de licenciement, la société Son et Lumière lui reprochait, d’avoir fait régler des dépenses personnelles par la société non conformes à son intérêt social, de s’être octroyé des primes pour des montant considérables, une augmentation de salaire sans autorisation et d’avoir contacté des professionnels travaillant avec elle pour la dénigrer dans le but de la déstabiliser et que de fait il n’a pas respecté son obligation de loyauté.
Postérieurement, le 5 juillet 2019, la société Son et Lumière a déposé plainte avec constitution de partie civile devant le procureur de la République à l’encontre de M. [L] et de son épouse pour les infractions d’abus de biens sociaux et de recel d’abus de biens sociaux, faux et usage de faux, abus de pouvoirs.
La procédure est toujours en cours.
En cas de demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur suivi d’un licenciement notifié ultérieurement, ce qui est le cas en l’espèce, il appartient à la juridiction, pour statuer, d’apprécier les causes de la rupture de manière chronologique, soit en l’espèce la demande de résiliation du contrat de travail.
Il en résulte que la décision à intervenir au pénal n’est pas de nature à avoir une influence sur cette appréciation et qu’en tout état de cause le conseil de prud’hommes dispose du pouvoir d’apprécier les éléments du litige, sans attendre l’issue de la procédure pénale.
En effet, en opportunité la cour estime que les éléments connus des parties et susceptibles d’être produits aux débats sont suffisants pour permettre à la juridiction de statuer sur les demandes des parties.
Il convient donc d’infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a ordonné le sursis à statuer, et de rejeter la demande formée à cette fin par l’intimée.
M. [L] sollicite de la cour d’évoquer et de statuer au fond.
Sur ce,
L’article 88 du code de procédure civile dispose que « lorsque la cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction ».
Ainsi, la cour d’appel a la faculté d’évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution immédiate.
En l’espèce, aucun motif grave et légitime ne justifie d’évoquer au niveau de la cour d’appel les points non jugés au stade de la première instance, alors même que la rupture du contrat de travail est en date du 14 mars 2019 et que cela serait de nature à priver les parties d’un degré de juridiction.
Il n’y a donc pas lieu d’évoquer l’affaire au fond, et il convient en conséquence de la renvoyer pour être jugée devant le conseil de prud’hommes de Paris.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
la société Son et Lumière, qui succombe, supportera les entiers dépens d’appel et sera condamnée à payer à M. [L] une somme de 2 000 euros pour la procédure d’appel et débouté de sa demande à cet égard.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud’ hommes de Paris le 10 juin 2021 sauf en ce qu’il a réservé les dépens ;
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute la société Son et Lumière de sa demande de sursis à statuer ;
Décide qu’il n’y a pas lieu à évocation ;
Condamne la société Son et Lumière aux entiers dépens de la procédure d’appel et la déboute de sa demande fondée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Son et Lumière à payer à M. [K] [L] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière, Le Président,