Prestation de service : le passage à l’appel d’offres est loyal

Notez ce point juridique

La société Creative Content ne démontre pas que la société Total a fait preuve de mauvaise foi ou de déloyauté en mettant en oeuvre cet appel d’offres pendant la durée du Contrat.

La société Creative Content ne peut davantage soutenir que la société Total lui aurait assuré ‘Un maintien de flux d’affaires’. Le Contrat ne le prévoit pas. Le courriel de la société Total du 30 septembre 2016 (pièce 34 – Creative Content), seul document produit par l’appelante à l’appui de son argumentation, l’informe de ce qu’elle ne sera pas retenue à l’issue de l’appel d’offres et s’achève ainsi : ‘Nous remercions toute votre équipe pour sa participation sur ce dossier et ne manquerons pas de vous solliciter sur d’autres sujets le cas échéant’ (souligné par la cour) ce qui ne peut être assimilé à une garantie de maintien d’un flux d’affaires.

Enfin, dans le contexte rappelé ci-dessus, la société Total était libre d’organiser comme elle l’entendait la procédure d’appel d’offres, lancée le 26 juillet 2016, en limitant sa consultation à quatre sociétés de son choix dont la société Creative Content.

Nos conseils :

1. Attention à bien respecter les obligations de bonne foi et de coopération prévues dans les contrats conclus, notamment en ce qui concerne la communication d’informations utiles pour l’exécution des prestations.

2. Il est recommandé de vérifier les dispositions contractuelles relatives à la confidentialité et à la propriété intellectuelle pour éviter tout litige ultérieur concernant la divulgation d’informations confidentielles.

3. Il est conseillé de documenter et de prouver tout acte de concurrence déloyale ou de parasitisme afin de pouvoir établir la responsabilité des parties en cas de litige.

Résumé de l’affaire

Introduction


A titre liminaire, la cour rappelle que les demandes de ‘dire et juger’, ‘constater’, ‘dire’, dans la mesure où elles consistent en une reprise de simples moyens ou arguments ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile de sorte que la cour ne statuera pas sur celles-ci.

Sur la demande de dommages-intérêts de 2.288.451 €


C’est par de justes et pertinents motifs, dont les débats devant la cour n’ont pas altéré la pertinence, que les premiers juges ont débouté les appelantes de leurs demandes, de sorte qu’ils seront adoptés et complétés par la cour.

Sur la responsabilité de la société Total


La société Creative Content, au visa de l’article 1104 du code civil et des articles 7 et 15.1 du contrat litigieux conclu le 26 octobre 2016 entre les deux parties, fait valoir que dans le contexte d’un appel d’offres, la bonne foi contractuelle doit conduire l’organisateur de cet appel d’offres à respecter une égalité de traitement entre les candidats.

Elle soutient en l’espèce que la société Total a manqué à son obligation de bonne foi en premier lieu, en reprenant dans le cadre d’un appel d’offres, procédure à laquelle elle n’avait jamais été soumise auparavant, les prestations qui lui avait été confiées depuis plusieurs années, en second lieu en lui laissant croire qu’elle pouvait espérer un flux d’affaires pour l’année 2017, enfin en troisième lieu en mettant en oeuvre une procédure d’appel d’offres, biaisée et déloyale, destinée à seulement quatre soumissionnaires dont l’agence Sustain créée par deux de ses anciennes collaboratrices (Mmes [F] et [L]).

Elle sollicite la condamnation de la société Total, solidairement avec les autres intimées, à la somme de 2.288.450 € avec intérêt légal à compter du 31 décembre 2016.

La société Total fait valoir qu’aucun prestataire ne dispose d’un droit absolu au maintien de son contrat et que tout opérateur économique est libre de changer de prestataire, que ce soit via l’organisation d’une mise en concurrence ou non.

Elle précise que la société Creative Content a été informée de la mise en oeuvre d’un appel d’offres quatre mois avant son lancement sans émettre la moindre réserve quant à l’organisation de l’appel d’offres, auquel elle a participé de son plein gré, sachant qu’elle était mise en concurrence avec d’autres agences.

Elle expose que cet appel d’offre s’inscrivait, d’une part, dans le cadre d’une réorganisation de son service Achats visant notamment à optimiser et harmoniser les process de sélection des prestataires et, d’autre part, résultait d’une volonté d’améliorer et d’optimiser les prestations de ‘brand content’, que le choix d’un appel d’offres fermé et réservé à 4 agences dont la société Creative Content qui collaborait avec elle depuis trois ans, n’est pas une procédure inhabituelle et n’est donc pas déloyale.

Elle affirme qu’à aucun moment elle n’a fait croire à la société Creative Content qu’elle était assurée de remporter l’appel d’offres, qu’elle a fait preuve d’une parfaite transparence en lui indiquant qu’elle était insatisfaite de ses prestations à plusieurs reprises, que la société Creative Content a été informée dès le 30 septembre 2016 qu’elle n’était pas retenue de sorte que lorsqu’elle a signé le contrat de prestations de services le 25 octobre 2016, elle était déjà informée qu’elle n’était pas retenue pour participer au deuxième tour de l’appel d’offres et ne serait pas sélectionnée pour fournir de prestations de brand content pour l’année 2017, qu’elle n’ignorait pas en outre, dès le 29 août 2016, que Mme [F] avait participé à l’appel d’offres de sorte que la société Creative Content ne pouvait pas sérieusement croire au maintien d’un volume d’affaire significatif en 2017.

Elle réfute l’argument de la société Creative Content et de son liquidateur selon lequel l’appel d’offres aurait été déloyal. Elle rappelle qu’elle n’avait aucune obligation de procéder à une mise en concurrence avant de changer de prestataire, ni de justifier son choix et qu’au demeurant l’appelante ne justifie pas de ses allégations.

Elle fait valoir qu’elle n’a commis aucune faute en consultant la société Sustain, animée par les anciennes collaboratrices de la société Creative Content, rappelant qu’un ancien salarié est libre de concurrencer son ancien employeur en utilisant les compétences acquises auprès de celui-ci, le cas échéant en participant au même appel d’offres que lui, ce qui vaut pour Mme [L], ancienne salariée de l’appelante, et a fortiori pour Mme [F] qui n’était que prestataire de services de cette dernière.

Enfin elle ajoute qu’il n’est pas démontré que Mmes [F] et/ou [L] aient disposé de sa part de quelconques informations relatives à la candidature à l’appel d’offres de Creative Content, dont elles auraient pu se servir pour la concurrencer déloyalement, ce que l’appelante et son liquidateur ont reconnu en renonçant à interjeter appel de la décision qui a prononcé la rétractation de l’ordonnance de saisie.

Elle sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société Creative Content et son liquidateur de toutes leurs demandes.

Sur la responsabilité de Mme [F]


La société Creative Content sollicite, au visa de l’article 1104 du code civil et des articles 4 et 9 du contrat 6 octobre 2014 la liant avec Mme [F], l’infirmation du jugement entrepris qui a considéré que cette dernière n’avait pas manqué à ses obligations de bonne foi et de confidentialité.

Elle soutient que chaque partie doit s’abstenir de tout abus, adopter un comportement raisonnable et modéré sans agir dans son intérêt exclusif ni nuire de manière injustifiée à son partenaire.

Elle fait valoir qu’en l’espèce, Mme [F] a violé son obligation de loyauté et de bonne foi en agissant en qualité de prestataire pour son compte tout en poursuivant parallèlement ses prestations pour le compte de la société Total et, alors qu’elle était cofondatrice de l’agence Sustain, placée en concurrence directe avec elle pour l’attribution de l’appel d’offres, favorisant cette dernière, sans toutefois l’informer de ce conflit d’intérêts compte tenu de ses liens contractuels.

Elle expose également que Mme [F] a violé son obligation de confidentialité en transmettant à l’agence Sustain des informations confidentielles lui appartenant relatives notamment à sa réponse à l’appel d’offres destinées à la société Total puisqu’elle a continué de collaborer avec elle après la création de l’agence Sustain ainsi qu’elle en rapporte la preuve aux termes d’un procès-verbal d’huissier du 19 juin 2018.

Mme [F] rappelle qu’aux termes du contrat du 6 octobre 2014 il était convenu qu’elle puisse agir en toute indépendance sans être tenue par une clause d’exclusivité ou de non-concurrence.

Elle fait valoir qu’au terme du contrat signé le 25 octobre 2016 entre la société Total et la société Creative Content cette dernière a cédé tous droits sur toutes éventuelles créations réalisées au profit de la société Total de sorte qu’elle ne peut revendiquer la propriété d’une quelconque création ainsi réalisée.

Elle réfute toute violation de son obligation de bonne foi. Elle fait valoir que l’obligation de bonne foi participe du contrôle de la bonne exécution du contrat mais ne peut ajouter de nouvelles obligations, qu’à aucun moment la société appelante ne lui a reproché un quelconque manquement au titre de l’exécution du contrat, que le contrat ne comporte aucune obligation d’information réciproque, que dès lors les appelantes sont mal fondées à lui reprocher de ne pas les avoir averties de l’existence de ses propres projets professionnels, lesquels ne ressortent pas de l’exécution du contrat de prestations de services et n’étaient pas susceptibles d’avoir un impact sur la qualité des prestations fournies et ce, même au cours de l’exécution de son préavis.

Elle soutient qu’en l’absence de dispositions contractuelles lui interdisant l’exercice d’une activité concurrente de celle de la société Creative Content, elle était, en qualité de prestataire indépendante, libre de soumettre à la société Total une offre de services, dans le cadre du libre jeu de la concurrence entre opérateurs économiques et de créer pour ce faire l’agence Sustain avec Mme [L].

Elle expose que les appelantes ne rapportent pas la preuve d’une quelconque violation d’informations confidentielles dont le contrat ne précise pas la définition, le procès-verbal produit par les appelantes étant sur ce point silencieux.

Sur la responsabilité de Mme [L]


La société Creative Content sollicite l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a considéré que Mme [L] n’avait pas commis d’actes de concurrence déloyale à son encontre.

Elle fait valoir, au visa de l’article 1240 du code civil, que l’action en concurrence déloyale suppose seulement l’existence de faits générateurs d’un préjudice sans avoir à rapporter la preuve d’éléments additionnels tels qu’un rapport de concurrence. Elle fait sien le principe posé selon elle par la jurisprudence selon lequel le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de ce dernier et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale.

Elle soutient, au visa de l’article 1137 du code civil, que Mme [L] a employé des ‘méthodes dolosives’ par dissimulation intentionnelle d’une information, la création d’une agence concurrente, dont elle savait le caractère déterminant pour les appelantes afin d’obtenir la levée de sa clause de non-concurrence prévue à son contrat de travail.

Elle affirme que Mme [L] a bénéficié de documents confidentiels adressés par l’une de ses collaboratrices (Mme [Y]) relatifs à sa réponse à l’appel d’offres de la société Total qu’elle a communiqués à Mme [F], toujours en relation avec elle ainsi qu’avec la société Total.

Elle dénonce le comportement adopté par Mme [L] et Mme [F] qui a conduit au départ de deux de ses quatre collaborateurs en vue de créer une agence concurrente puis au détournement de son client, la société Total, représentant entre 50 et 75 % de son chiffre d’affaires sur la période 2014 ‘ 2016, provoquant ainsi sa désorganisation menant à son redressement puis à sa liquidation judiciaire.

Mme [L] sollicite la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société Creative Content et son liquidateur de l’ensemble de leurs demandes à son encontre.

Elle fait valoir, au visa des articles 6 et 9 du code de procédure civile et des articles 1315 et 1382 anciens du code civil, que seules des manoeuvres déloyales sont de nature à rendre illicite une action consistant à conquérir le client d’un opérateur concurrent, que tel n’est pas le cas d’une personne qui met à profit son expérience et ses connaissances acquises au profit d’un autre employeur même agissant dans le même secteur que celui de la société dont elle était antérieurement salariée, qu’il ne peut être présumé que les informations confidentielles ont été transmises à l’entreprise du seul fait de la création d’une entreprise concurrente par l’ex salarié.

Elle rappelle qu’il appartient aux appelantes de rapporter la preuve d’une part d’un débauchage illicite et d’autre part d’une désorganisation qui en est la conséquence.

Elle soutient qu’en l’espèce la rupture conventionnelle a été conclue et la clause de non-concurrence levée par la société Creative Content en toute connaissance de cause, cette dernière étant informée de son projet de création de l’agence Sustain, ainsi que les échanges de correspondance permettent de le constater, de sorte qu’elle était libre, en accord avec son ancien employeur, d’exercer une activité concurrente et notamment de soumissionner à l’appel d’offres de la société Total.

Elle affirme que son départ n’a pas été coordonné avec Mme [F] et la société Total, contrairement aux allégations des appelantes qui n’en rapportent pas la preuve et ne démontrent pas que celui-ci a entraîné une désorganisation au point de conduire la société Creative Content à la liquidation judiciaire alors qu’elle pouvait opérer normalement.

Elle réfute avoir reçu des éléments confidentiels d’une salariée de la société Creative Content (Mme [Y]), le procès-verbal produit par les appelantes étant dépourvu de toute force probatoire à cet égard et concernant un travail de création graphique réalisé par Mme [Y] à titre personnel.

Elle conteste avoir utilisé l’expérience technique de son employeur en reproduisant prétendument à l’identique la stratégie déjà créée par celui-ci alors qu’elle disposait d’une expérience significative dans ce domaine avant son embauche par la société Creative Content.

Sur les actes de parasitisme


La société Creative Content, à titre subsidiaire, sollicite la condamnation des intimées pour parasitisme. Elle critique les premiers juges qui lui ont reproché de ne pas rapporter la preuve d’une faute spécifique définie comme le fait de s’inspirer, de copier une valeur économique d’autrui individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’un investissement, se contentant d’évoquer des « concepts stratégie » repris par l’agence Sustain sans préciser en quoi ils consistaient.

La concurrence parasitaire se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts, de son savoir-faire ainsi que de sa notoriété obtenant ainsi un avantage concurrentiel.

La société Creative Content, se limitant à revendiquer des ‘concepts et des stratégies’ sans autre précision, ne démontre pas que ceux-ci sont le résultat d’efforts et d’un savoir-faire particulier, susceptibles de représenter une valeur économique, ni, à supposer que cela soit établi, d’avoir fait l’objet d’une appropriation ou d’une exploitation non autorisées par la société Sustain qui n’est pas partie au procès, dans le cadre de l’appel d’offres que cette dernière a remporté.

La société Creative Content ne justifie pas de l’utilisation fautive par la société Total, et/ou Mme [F] et/ou Mme [L], dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, de ces ‘concepts et statégies’ à les supposer investis d’une valeur économique dont elle pourrait se prévaloir. Les documents relatifs à l’appel d’offres et aux réponses à celui-ci ne sont pas produits.

Le jugement entrepris sera également confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile


Le jugement, qui a condamné le liquidateur de la société Creative Content aux dépens et aux frais irrépétibles, doit être infirmé.

Les dépens de première instance et d’appel seront fixés au passif de la procédure collective de la société Creative Content. Compte tenu de la liquidation judiciaire de cette dernière, la distraction des dépens ne peut être ordonnée.

Par ailleurs, il conviendra de fixer au passif de la procédure collective de la société Creative Content la créance de chacune des intimées à la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les points essentiels

Les montants alloués dans cette affaire:

Réglementation applicable

– Article 1104 du code civil
– Article 7 du contrat litigieux
– Article 15.1 du contrat litigieux
– Article 3.3 du Contrat
– Article 5 du Contrat
– Article 19.1 du Contrat
– Article 4 du Contrat de Prestations
– Article 9 du Contrat de Prestations
– Article 1240 du code civil
– Article 1137 du code civil
– Article 1382 du code civil
– Article 6 du code de procédure civile

Texte des articles de Code cités:

Article 1104 du code civil:
« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. »

Article 1240 du code civil:
« L’action en concurrence déloyale suppose seulement l’existence de faits générateurs d’un préjudice sans avoir à rapporter la preuve d’éléments additionnels tels qu’un rapport de concurrence. »

Article 1137 du code civil:
« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Ils ne peuvent être révoqués que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. »

Article 1382 du code civil:
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »

Article 6 du code de procédure civile:
« Les parties doivent se faire connaître mutuellement, dès l’ouverture de l’instance et au plus tard lors de la première comparution, les pièces sur lesquelles elles fondent leurs prétentions. »

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Martine DUPUIS
– Me Emilie VERNHET LAMOLY
– Me Mélina PEDROLETTI
– Me Pascal WILHELM
– Me Emilie DUMUR
– Me Arnaud LAURENT
– Me Maïlys DERIAT
– Me Antoine DEROT

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