Prescription de l’action du styliste

Notez ce point juridique

La contrefaçon étant un délit continu, le point de départ de la prescription se trouve reporté à chaque nouvel acte d’exploitation commis sans autorisation. Toutefois, si les droits patrimoniaux de l’auteur sont protégés durant soixante-dix ans après la mort de l’auteur et ses droits moraux imprescriptibles, les actions en paiement des créances nées des atteintes portées aux uns et aux autres de ces droits sont soumises à la prescription de droit commun.

L’action de l’auteur formée au fondement de ses droits d’auteur, qu’ils soient patrimoniaux ou moraux, est soumise aux dispositions de l’article 2224 du code civil en vertu desquelles, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

Un designer-plumassier reconnu dans le secteur du luxe et de la haute couture, qui a créé pour la manufacture Perrin plusieurs modèles, a été débouté de son action en contrefaçon de droits d’auteur.  

Par l’effet de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, le  designer-plumassier disposait d’un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de cette loi, soit jusqu’au 18 juin 2013, pour agir à l’encontre de la société. Or, ce dernier a engagé son action suivant assignation des 30 septembre et 10 octobre 2016, alors que cette action était d’ores et déjà prescrite pour des faits commis antérieurement au 17 juin 2008.

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 14 MAI 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 19/16955 – n° Portalis 35L7-V-B7D-CATFM

Décision déférée à la Cour : jugement du 11 juillet 2019 – Tribunal de grande instance de A – 3e chambre 1re section – RG n°18/01105

APPELANT

M. G X.

Né le […] à A (14e)

De nationalité française

Exerçant la profession de designer plumassier

Demeurant 140, rue d’ Aubervilliers – 75019 A

Représenté par Me Frédéric BURET, avocat au barreau de A, toque D 1998

Assisté de Me D-Antoine JOLY plaidant pour la SELARL @MARK, avocat au barreau de A, toque J 150

INTIMES

M. Y X

Né le […] à Saint-Junien (87)

De nationalité française

Exerçant la profession de gérant de sociétés

[…]

West Hollywood

CA 90210

ETATS-UNIS D’AMÉRIQUE

S.A.R.L. Manufacture Perrin , prise en la personne de son gérant en exercice domicilié en cette qualité au siège social situé

[…]

75001 A

Immatriculée au rcs de A sous le numéro 509 376 232

Représentés par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de A, toque L 0050

Assistés de Me Coline WARIN, avocate au barreau de A, toque B 548

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 mars 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme B C, Présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mme B C a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme B C, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme B C, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 11 juillet 2019 par le tribunal de grande instance de A qui a :

— dit que l’action de M. X. en contrefaçon de ses droits d’auteur sur les sacs […] et […] dirigée contre la société Manufacture Perrin  et M. X est prescrite,

— rejeté par conséquent l’ensemble des demandes fondées sur la contrefaçon,

— rejeté la demande tendant à dire que M. X. est l’auteur des ‘uvres suivantes : le gant Spider, les sacs RIVA 1, […], […], […], […], […]’, […]’, […]’ et […]’, […]’, […],

— condamné M. X. aux dépens,

— condamné M. X. à payer à la société Manufacture Perrin  ainsi qu’à M. X la somme de

10.000 euros à chacun, soit au total 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire du chef de la condamnation aux dépens et de la condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’appel de ce jugement interjeté par M. X. suivant déclaration d’appel remise au greffe de la cour le 21 août 2019.

Vu les dernières conclusions de M. X., appelant, remises au greffe et notifiées par voie électronique le 21 novembre 2019, demandant à la cour, au visa des Livres I, III et V du code de la propriété intellectuelle, du règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001 et de l’article 1240 du code civil, de :

— déclarer M. D- E recevable en ses demandes,

— le dire et juger auteur des oeuvres suivantes: le gant Spider, les sacs RIVA 1, […], […], […], […], […]’, […]’, […]’ et […]’, […]’, […], toutes tailles et quel que soit le nom employé pour désigner ces créations,

— dire et juger que l’exploitation par la société Manufacture Perrin  et M. X des oeuvres suivantes, sans autorisation, porte atteinte aux droits d’auteur de M. X. au sens des dispositions des Livres I, III et IV du code de la propriété intellectuelle : […]’ et […]’ ou encore Ball Bag,

En conséquence,

— infirmer le jugement déféré,

— interdire à la société Manufacture Perrin  et à M. X l’exploitation des sacs Ball Bag précités sous quelque forme et à quelque titre que ce soit, et ce sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée et de 10. 000 euros par jour de retard, lesdites astreintes devant être liquidées par la cour,

— désigner un expert aux fins de donner tous les éléments pour fixer le montant des indemnités dues à M. X. après s’être fait remettre les chiffres certifiés des fabrications et des ventes des sacs Ball Bag précités réalisées par la société Manufacture Perrin ,

— condamner la société Manufacture Perrin  et M. X à payer solidairement d’ores et déjà à M. X. une indemnité à fixer à dire d’expert et par provision la somme de 200.000 euros en réparation des atteintes à ses droits patrimoniaux,

— condamner la société Manufacture Perrin  et M. X à payer à M. X. la somme de 75.000 euros en réparation des atteintes à ses droits moraux,

— ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans trois (3) journaux ou périodiques spécialisés dans le domaine du luxe et de la mode au choix de M. X. et aux frais avancés et solidaires de la société Manufacture Perrin  et de M. X, dans la limite d’un budget de 10. 000 euros HT par publication,

— ordonner la publication permanente du dispositif de la décision à intervenir sur la page d’accueil de tous les sites internet de la société Manufacture Perrin  en langue française ou anglaise, et notamment sur le site internet ‘perrinparis.com’ pendant trois mois, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard,

— dire que les publications devront s’afficher de façon visible en lettres de taille suffi sante, aux frais de la société Manufacture Perrin , en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, dans un encadré de 468 x 120 pixels : le texte qui devra s’afficher en partie haute et immédiatement visible de la page d’accueil devant être précédé du titre ‘avertissement judiciaire’ en lettres capitales et gros caractères,

— dire que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu’au jour de l’arrêt à intervenir,

— condamner la société Manufacture Perrin  à payer à M. X. la somme de 25.000 euros à titre de remboursement des peines et soins du procès, conformément à l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance, dont distraction conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 4 mai 2020 par la société Manufacture Perrin  (SARL) et M. Y X, intimés, qui demandent à la cour, au visa des Livres I et III du code de la propriété intellectuelle et de l’article 24 du règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001sur les dessins et modèles communautaires, de :

A titre principal,

— confirmer le jugement entrepris,

A titre subsidiaire,

— déclarer irrecevable M. X. en ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur à défaut d’avoir procédé à la mise en cause des autres coauteurs des oeuvres arguées de contrefaçon,

A titre infiniment subsidiaire,

— débouter M. X. de ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur à défaut d’actes de contrefaçon imputables aux défendeurs,

En tout état de cause,

— déclarer irrecevable M. X. en ses demandes d’expertise et de provision présentées devant une formation de la cour incompétente pour en connaître et le débouter,

— condamner M. F-E à verser à chacun des intimés 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Vu l’ordonnance de clôture du 7 janvier 2021.

SUR CE, LA COUR :

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, au jugement entrepris et aux écritures précédemment visées des parties.

Il suffit de rappeler que M. X., designer-plumassier reconnu dans le secteur du luxe et de la haute couture, soutient avoir créé pour la société Manufacture Perrin , spécialisée dans la ganterie et les accessoires de maroquinerie, avec laquelle il a collaboré entre 2006 et 2007, une paire de gants Spider et des sacs à main RIVA et CLUTCH que cette société exploiterait depuis sans autorisation.

Après avoir mis en demeure la société Manufacture Perrin , par un courrier de son conseil du 22 avril 2016,

de cesser de fabriquer, importer, offrir en vente et commercialiser les produits précités, M. X., suivant actes d’huissier de justice des 30 septembre et 10 octobre 2016, l’a fait assigner, ainsi que son gérant, M. Y X, devant le tribunal de grande instance de A, aux griefs de contrefaçon de ses droits d’auteur et d’atteinte à ses droits moraux d’auteur.

Le tribunal de grande instance de A, par jugement du 11 juillet 2019, dont appel, a déclaré les demandes de M. X. irrecevables comme prescrites.

M. X. critique ce jugement en ce qu’il a retenu la prescription et maintient en cause d’appel toutes ses demandes telles que soutenues en première instance.

A cet égard, la cour relève, à l’instar du tribunal, que s’il demande à être déclaré auteur du gant Spider, des sacs RIVA 1, […], […], […], […], […]’, […]’, […]’ et […]’, […]’, […], il limite ses prétentions fondées sur l’atteinte portée à ses droits d’auteur, tant patrimoniaux que moraux, aux sacs à main […]’ et […]’ également dénommés ‘ball bag’ petit et grand.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande purement déclarative.

La cour observe encore que si l’appelant, dans les motifs de ses conclusions, invoque le dépôt frauduleux par la société Manufacture Perrin  et M. X de ces deux sacs à main, le 7 décembre 2007, à titre de dessins et modèles communautaires et formule de ce chef une demande en réparation à hauteur de 40.000 euros, il s’abstient de reprendre cette demande dans le dispositif de ses conclusions. Or, selon les dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions des parties énoncées au dispositif de leurs conclusions. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande en dommages-intérêts pour dépôt frauduleux de dessins et modèles communautaires, dont la cour n’est pas saisie dès lors que cette demande n’apparait pas au dispositif des conclusions de l’appelant.

Sur la prescription,

M. X. fait valoir que la prescription ne peut être en l’espèce retenue car, la contrefaçon étant un délit continu, le point de départ de la prescription se trouve reporté à chaque nouvel acte d’exploitation commis sans autorisation.

Ainsi qu’il a été rappelé par les premiers juges, si les droits patrimoniaux de l’auteur sont protégés durant soixante-dix ans après la mort de l’auteur et ses droits moraux imprescriptibles, les actions en paiement des créances nées des atteintes portées aux uns et aux autres de ces droits sont soumises à la prescription de droit commun.

En conséquence, l’action de l’auteur formée au fondement de ses droits d’auteur, qu’ils soient patrimoniaux ou moraux, est soumise aux dispositions de l’article 2224 du code civil en vertu desquelles, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

En la cause, M. X. expose avoir collaboré avec la maison Manufacture Perrin  entre 2006 et 2008 et, dans le cadre de cette collaboration, avoir créé, pour la collection de l’hiver 2007, les sacs à main […]’ et […]’, qui ont été divulgués le 25 février 2007 et régulièrement commercialisés depuis. Il ajoute qu’après avoir fait mention de son nom en qualité de créateur des sacs litigieux dans les premiers mois qui ont suivi leur exploitation, la société Manufacture Perrin  s’est ensuite enorgueillie de ce produit ‘iconique’ tout en se gardant de lui en attribuer la paternité, allant même jusqu’à se constituer frauduleusement des droits de propriété intellectuelle sur ces sacs à main en les faisant déposer, le 7 décembre 2007, à titre de dessins et modèles communautaires.

Ainsi, M. X. ne conteste pas avoir eu connaissance dès l’année 2007 des faits articulés à l’encontre de la société Manufacture Perrin  et de M. X, à savoir l’exploitation sans autorisation des sacs à main […]’ et […] également dénommés ‘ball bag’ petit et grand, et l’atteinte à ses droits moraux d’auteur en particulier son droit de paternité.

Par l’effet de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, M. X. disposait d’un délai de cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de cette loi, soit jusqu’au 18 juin 2013, pour agir à l’encontre de la société X et de M. X au fondement des faits précités commis antérieurement au 17 juin 2008. Or, M. X. a engagé son action suivant assignation des 30 septembre et 10 octobre 2016, alors que cette action était d’ores et déjà prescrite pour des faits commis antérieurement au 17 juin 2008.

C’est en vain que M. X. se prévaut d’une exploitation continue des sacs litigieux par la société Perrin, depuis 2007, au mépris de ses droits d’auteur. S’il produit les catalogues des collections de cette société pour 2007 et 2008, il ne verse aux débats, pour justifier d’une telle exploitation sur la période postérieure, que des pièces dénuées de valeur probante, telles des captures d’écran de sites internet, dont les conditions de réalisation ne sont pas renseignées et la date certaine n’est pas établie. L’appelant produit enfin un procès-verbal de constat dressé par un huissier de justice le 27 mars 2019, mais qui ne saurait constituer la preuve de faits antérieurs à l’assignation introductive d’instance de septembre-octobre 2016.

Pour les mêmes motifs que ceux qui précèdent, la demande de M. X. qui, dans le corps de ses écritures, parait reprocher à la société Manufacture Perrin  de commercialiser, à compter d’une date qui n’est pas précisée, une version modifiée du sac ‘ball bag’, sans autorisation de l’auteur et d’atteindre ainsi au respect de l’oeuvre, ne peut, en l’absence de tout élément probant, prospérer.

Le sens de l’arrêt conduit en conséquence à confirmer le jugement déféré y compris en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

Sur les autres demandes,

Il n’est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles d’appel.

En revanche, la charge des dépens d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, incombera à l’appelant, partie perdante.

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles d’appel,

Condamne M. X. aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière

La Présidente

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