Préavis de rupture de relation commerciale : les usages professionnels priment

Notez ce point juridique

Une relation commerciale établie présente un caractère suivi, stable et habituel et permet raisonnablement d’anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu’elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

Le respect des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce implique que le préavis accordé à la suite de la rupture de la relation commerciale établie soit effectif, de sorte que pendant cette période, sauf circonstances particulières, la relation doit se poursuivre aux conditions antérieures (Com., 10 février 2015, n° 13-26.414, publié au Bulletin).

Selon l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable au jour de la rupture litigieuse, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

L’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce précise que le préavis écrit doit respecter la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

En l’occurrence, le Galec est bien-fondé à invoquer la référence aux usages dans le secteur de la publicité résultant de l’avis relatif à la formule type de contrat établi en application de l’article 1er, premier alinéa, de l’arrêté du 15 décembre 1959 « entre annonceurs et agents de publicité pour régler leurs rapports », qui prévoit un délai de six mois de préavis avant de mettre fin à une relation.

La société Australie ne fait, en effet, état d’aucun élément utile pour soutenir que ce contrat type, en dépit de son ancienneté, serait obsolète. Force est de constater que le délai de quatorze mois concédé par le Galec, en application des stipulations du contrat-cadre du 12 mai 2016, excède largement le délai minimal ainsi fixé par les usages dans le secteur de la publicité, qui conservent une fonction référentielle, même si les parties ont fait le choix d’y déroger.

L’existence d’usages professionnels comme d’une stipulation contractuelle, implique néanmoins d’examiner si le préavis concédé, quoique conforme à ces usages et aux prévisions du contrat, tient compte de la durée de la relation commerciale établie et des autres circonstances de l’espèce, notamment l’état de dépendance économique de l’entreprise évincée (Com., 3 mai 2012, n° 11-10.544, publié au Bulletin ; Com., 20 mai 2014, n° 13-16.398, publié au Bulletin).

Nos conseils :

1. Attention à la durée du préavis contractuel : il est recommandé de tenir compte de la durée de la relation commerciale établie entre les parties pour déterminer un délai de préavis suffisant, en référence aux usages du commerce et aux accords interprofessionnels.

2. Il est recommandé d’évaluer l’état de dépendance économique de l’entreprise évincée : la dépendance économique peut résulter de la difficulté à trouver d’autres fournisseurs ou clients équivalents dans des conditions comparables, et doit être prise en compte pour déterminer la durée du préavis.

3. Veillez à ce que le préavis accordé soit effectif : pendant la période de préavis, la relation commerciale doit se poursuivre aux conditions antérieures, sauf circonstances particulières. Il est important de respecter les dispositions légales pour éviter tout litige ultérieur.


L’affaire concerne un litige entre la société coopérative Groupements d’achats des Centres E. Leclerc (le Galec) et l’agence de publicité SAS Australie. Le Galec a confié à Australie des missions de communication publicitaire pour l’enseigne E. Leclerc à travers plusieurs contrats successifs. En octobre 2017, le Galec a informé Australie de la résiliation du contrat-cadre les liant, avec un préavis de quatorze mois. Australie a contesté cette rupture et a assigné le Galec en justice pour obtenir réparation de son préjudice. Le tribunal de commerce de Paris a jugé en faveur du Galec, estimant que la rupture n’était pas brutale. Australie a interjeté appel et demande à la cour de reconnaître le caractère brutal de la rupture et de condamner le Galec à lui verser une importante somme en réparation de son préjudice. Le Galec, de son côté, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de commerce et de débouter Australie de ses demandes.

Sur la rupture d’une relation commerciale établie

La société Australie conteste le délai du préavis contractuel et invoque un état de dépendance économique à l’égard du groupe Leclerc. Elle affirme également ne pas avoir pu mettre à profit la période de préavis concédée.

Le Galec soutient que la relation commerciale a duré dix-huit ans et non dix-neuf ans, et conteste l’état de dépendance économique de la société Australie. Il affirme avoir respecté ses obligations pendant le préavis.

Réponse de la cour

La cour reconnaît l’existence d’une relation commerciale établie entre les parties, mais estime que le préavis de quatorze mois concédé par le Galec était suffisant. Elle considère que l’état de dépendance économique de la société Australie n’est pas caractérisé et que le préavis a été effectif.

La cour confirme le rejet des demandes de la société Australie et la condamne aux dépens, ainsi qu’à verser une indemnité de 8.000 € au Galec sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– Somme allouée à la société Coopérative Groupements d’achats des Centres E. Leclerc (SC Galec) : 8.000 €
– Somme allouée pour les dépens de l’appel : non spécifiée


Réglementation applicable

– Code de commerce, article L. 442-6, I, 5°

« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. »

– Code de commerce, article L. 442-6, I, 5°

« Le respect des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce implique que le préavis accordé à la suite de la rupture de la relation commerciale établie soit effectif, de sorte que pendant cette période, sauf circonstances particulières, la relation doit se poursuivre aux conditions antérieures. »

– Code de procédure civile, article 700

« La cour la condamnera aux dépens, ainsi qu’à payer au Galec une indemnité de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. »

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Jean-claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS
– Me Renault THOMINETTE, avocat au barreau de PARIS
– Me Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS
– Me Bertrand JANSSENS, avocat au barreau de PARIS

Mots clefs associés

– Motifs de la décision
– Rupture d’une relation commerciale établie
– Préavis contractuel
– Durée de la relation commerciale
– Accord professionnel
– Etat de dépendance économique
– Clause d’exclusivité
– Notoriété de l’enseigne
– Réorganisation pendant le préavis
– Relation commerciale avec le groupe Leclerc
– Usages du commerce
– Publicité
– Contrat-type du 15 décembre 1959
– Durée minimale de préavis
– Accords interprofessionnels
– Relation commerciale établie
– Caractère suivi, stable et habituel
– Continuité du flux d’affaires
– Brutalité de la rupture
– Durée du préavis
– Usages du commerce dans le secteur de la publicité
– Dépendance économique
– Chiffre d’affaires avec le Galec
– Clause de non-concurrence
– Exclusivité
– Solutions de substitution
– Notification de la rupture
– Exécution du préavis
– Respect des conditions antérieures
– Participation à un appel d’offres
– Baisse du chiffre d’affaires
– Conditions inchangées
– Confirmation du jugement
– Dépens
– Frais irrépétibles
– Indemnité de 8.000 €

– Motifs de la décision: Raisons qui ont conduit à prendre une décision
– Rupture d’une relation commerciale établie: Fin d’une relation commerciale qui était établie depuis un certain temps
– Préavis contractuel: Délai à respecter avant la fin d’un contrat
– Durée de la relation commerciale: Temps pendant lequel une relation commerciale a été établie
– Accord professionnel: Entente entre professionnels
– Etat de dépendance économique: Situation où une partie dépend économiquement d’une autre
– Clause d’exclusivité: Clause dans un contrat qui accorde l’exclusivité à une partie
– Notoriété de l’enseigne: Renommée d’une marque ou d’une enseigne
– Réorganisation pendant le préavis: Changements effectués pendant la période de préavis
– Relation commerciale avec le groupe Leclerc: Relation d’affaires avec le groupe Leclerc
– Usages du commerce: Pratiques habituelles dans le domaine commercial
– Publicité: Promotion d’un produit ou d’un service
– Contrat-type du 15 décembre 1959: Modèle de contrat établi le 15 décembre 1959
– Durée minimale de préavis: Durée minimale à respecter avant la fin d’un contrat
– Accords interprofessionnels: Ententes entre différentes professions
– Relation commerciale établie: Relation d’affaires établie entre deux parties
– Caractère suivi, stable et habituel: Caractéristiques d’une relation commerciale stable et régulière
– Continuité du flux d’affaires: Maintien d’un flux d’affaires constant
– Brutalité de la rupture: Caractère soudain et inattendu de la fin d’une relation commerciale
– Durée du préavis: Temps à respecter avant la fin d’un contrat
– Usages du commerce dans le secteur de la publicité: Pratiques habituelles dans le secteur de la publicité
– Dépendance économique: Situation où une partie dépend économiquement d’une autre
– Chiffre d’affaires avec le Galec: Montant des ventes réalisées avec le Galec
– Clause de non-concurrence: Clause interdisant à une partie de concurrencer l’autre
– Exclusivité: Situation où une partie a l’exclusivité dans un contrat
– Solutions de substitution: Alternatives possibles
– Notification de la rupture: Communication de la fin d’une relation commerciale
– Exécution du préavis: Respect du délai de préavis
– Respect des conditions antérieures: Maintien des conditions établies précédemment
– Participation à un appel d’offres: Présence dans un processus d’appel d’offres
– Baisse du chiffre d’affaires: Diminution du montant des ventes réalisées
– Conditions inchangées: Conditions qui restent les mêmes
– Confirmation du jugement: Validation de la décision prise par un jugement
– Dépens: Frais engagés dans une procédure judiciaire
– Frais irrépétibles: Frais non récupérables
– Indemnité de 8.000 €: Montant d’indemnisation de 8.000 euros

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRET DU 26 AVRIL 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/01802 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFDIV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Décembre 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2019041850

APPELANTE

SAS AUSTRALIE

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 3]

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 378 899 363

Représentée par Me Jean-claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

Assistée de Me Renault THOMINETTE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.C.O.P. S.A. SOCIETE COOPERATIVE GROUPEMENTS D’ACHATS DES CENTR ES LECLERC (SC GALEC)

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Localité 4]

immatriculée au RCS de CRETEIL sous le numéro 642 007 991

Représentée par Me Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

Assistée de Me Bertrand JANSSENS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 25 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Caroline GUILLEMAIN, Conseillère, chargée du rapport, et devant Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Denis ARDISSON, Président de chambre,

Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère,

Madame CAROLINE GUILLEMAIN, Conseillère,

Qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, conseillère pour le président empêché et par Damien GOVINDARETTY, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

 

La société coopérative Groupements d’achats des Centres E. Leclerc (le Galec) est la centrale nationale de référencement du Mouvement E. Leclerc, chargée de mettre en oeuvre la politique publicitaire nationale de ce Mouvement.

En 1999, le Galec est entré en contact avec l’agence de publicité, la SAS Australie.

Aux termes d’un contrat de communication publicitaire, signé le 26 juin 2000, le Galec a donné pour mission à la société Australie de concevoir des campagnes nationales de l’enseigne E. Leclerc pour les opérations suivantes : OPN 1, 2, 3, « pouvoir d’achat », « assortiments » et charte thématique. Ces prestations ont été confiées en exclusivité à la société Australie qui s’est engagée, en contrepartie, à ne pas effectuer d’actions de communication en faveur de marques ou d’enseignes concurrentes, sauf accord écrit préalable de l’annonceur (article 6). Ce contrat est entré en vigueur rétroactivement à compter du 1er septembre 1999, pour une durée déterminée de seize mois, renouvelable par tacite reconduction (article 9).

Le 1er novembre 2002, le Galec, agissant au nom et pour le compte des centres E. Leclerc, a conclu un contrat de prestation de conseil avec la société Australie, à laquelle il a confié, en exclusivité, la gestion du budget de communication institutionnelle de l’enseigne E. Leclerc (article 1), l’agence ayant pour mission d’élaborer et de mettre en oeuvre, pour l’année 2003, une campagne « Info consommateurs », des actions nées du travail de « vigie », une campagne « Prix », des actions diverses, une campagne sur les partenariats culturels nationaux, et de préparer la présence de l’enseigne E. Leclerc en publicité à la télévision en prévision de l’ouverture des écrans à la distribution (article 2). Comme dans le contrat précédent, la société Australie, qui bénéficiait d’une exclusivité, avait l’obligation de ne pas effectuer d’actions de communication en faveur de distributeurs ou de services concurrents (article 6). Ce contrat a pris lui-même effet à compter du 1er janvier 2003, pour une durée déterminée de douze mois, renouvelable par tacite reconduction (article 11).

Enfin, le 12 mai 2016, le Galec, agissant en son nom et pour son compte et au nom et pour le compte des sociétés exploitées sous une enseigne du mouvement E. Leclerc, a régularisé avec la société Australie un contrat-cadre de prestations et de conseil « destiné tant à encadrer les relations des Annonceurs du Mouvement E. Leclerc faisant appel ou ayant déjà fait appel aux services de l’Agence qu’à tout autre Annonceur du Mouvement qui souhaiterait à l’avenir recourir à ses services ». Ce contrat-cadre permettait ainsi à d’autres entités du Mouvement E. Leclerc, qui ne l’avait pas sollicitée jusque-là, d’avoir recours aux prestations de la société Australie. Il était convenu que toute commande passée par un annonceur auprès de l’agence Australie constituerait un contrat d’application liant exclusivement l’agence et cet annonceur (article 1.1). Le contrat ne comportait, par ailleurs, aucun engagement de volumes d’affaires. Il incluait, sous certaines réserves, une exclusivité à l’égard de l’agence Australie (article 1.3), celle-ci étant elle-même soumise à une clause de non-concurrence (article 8). Conclu pour une durée indéterminée, il prévoyait qu’il pourrait y être mis un terme, en respectant un préavis d’une durée respective de quatorze mois, pour les annonceurs ACDLec et Galec, et de six mois pour les autres annonceurs (article 11.1).

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, datée du 23 octobre 2017, le Galec a informé la société Australie du lancement d’un appel d’offres concernant le choix d’une agence de communication, à laquelle il l’invitait à participer, en lui annonçant qu’il résiliait, en conséquence, le contrat-cadre du 12 mai 2016, moyennant le respect d’un délai de préavis de quatorze mois, dont l’échéance était fixée au 31 décembre 2018.

Bien qu’elle ait participé à cet appel d’offres, la candidature de la société Australie n’a pas été retenue.

Invoquant le caractère brutal de la rupture d’une relation commerciale établie, en raison de l’insuffisance du préavis concédé, la société Australie a, par acte du 10 juillet 2019, fait assigner le Galec devant le tribunal de commerce de Paris, à l’effet d’être indemnisée du préjudice consécutif.

Par jugement du 20 décembre 2021, le tribunal ayant estimé que la SC Galec ne s’était pas rendue coupable d’une rupture brutale, a débouté la société Australie de l’intégralité de ses demandes et l’a condamnée à payer au Galec une somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens, le tout sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

La SAS Australie a interjeté appel du jugement, par déclaration du 23 janvier 2022.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique, le 19 avril 2022, elle demande à la cour, au visa de l’article L. 442-6 du code de commerce, de :

« ‘ Infirmer le jugement du 20 décembre 2021 (RG 2019041850) rendu par le Tribunal de

commerce de Paris en ce qu’il a :

Dit que la SA SOCIETE GROUPEMENT DES ACHATS DES CENTRES LECLERC « SC GALEC » et la SAS à associé unique ASUTRALIE ont entretenu des relations commerciales établies entre septembre 1999 et octobre 2017, date à laquelle la SA SOCIETE GROUPEMENT DES ACHATS DES CENTRES LECLERC « SC GALEC » a notifié le terme des relations commerciales au 31 décembre 2018 ;

Dit que le préavis de 14 mois qui a été accordé était d’une durée suffisante pour des relations commerciales qui auront duré 18 ans ;

Dit que le préavis a été effectif ;

Dit que la SA SOCIETE GROUPEMENT DES ACHATS DES CENTRES LECLERC « SC GALEC » ne s’est pas rendu coupable d’une rupture brutale des relations commerciales établies ;

Débouté la SAS à associé unique AUSTRALIE de l’intégralité de ses demandes ;

Condamné la SAS à associé unique AUSTRALIE à verser à la SA SOCIETE GROUPEMENT DES ACHATS DES CENTRES LECLERC « SC GALEC » la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du CPC ainsi qu’en tous les dépens;

Ordonné l’execution provisoire.

Et statuant à nouveau de :

A titre principal,

‘ Constater le caractère brutal de la rupture des relations commerciales imposée par la société coopérative Galec à la société Australie en raison de l’insuffisance de la durée du préavis concédé ; en conséquence :

‘ Condamner la société coopérative Galec à verser à la société Australie la somme de 4.240.639 euros en réparation de son préjudice ;

A titre subsidiaire,

‘ Constater le caractère brutal de la rupture des relations commerciales imposée par la société coopérative Galec à la société Australie en raison de l’insuffisance de la durée du préavis concédé ; en conséquence :

‘ Condamner la société coopérative Galec à verser à la société Australie la somme de 3.792.203 euros en réparation de son préjudice ;

En toute hypothèse

‘ Condamner la société coopérative Galec à verser à la société Australie la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 CPC, en sus des entiers dépens. »

 

Dans ses dernières conclusions, transmises par voie électronique, le 18 juillet 2022, la société Coopérative Groupements d’achats des Centres E. Leclerc (SC Galec) demande à la cour, sur le fondement des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, de :

« Dire la SAS AUSTRALIE mal fondée en son appel,

L’en débouter,

Confirmer en toutes ses dispositions le Jugement entrepris,

Et notamment en ce qu’il a retenu que le préavis de 14 mois notifié et exécuté par la SAS AUSTRALIE était suffisant au regard des relations commerciales entretenues avec le GALEC,

En conséquence,

Débouter la SAS AUSTRALIE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Subsidiairement,

Dans l’hypothèse où la Cour considèrerait fondées en leur principe tout ou partie des prétentions adverses,

Jugeant que le préjudice allégué par la SAS AUSTRALIE ne peut consister qu’en une perte de marge brute sur coûts variables, et non en une seule perte de marge brute,

Débouter la SAS AUSTRALIE de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions, l’appelante n’établissant nullement, au vu des éléments insuffisants versés aux débats, le

montant de la perte de marge brute sur coûts variables alléguée,

En tout état de cause,

Condamner la SAS AUSTRALIE à payer au GALEC la somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers dépens. »

 

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux écritures des parties susvisées quant à l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens respectifs.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 14 décembre 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

 

Sur la rupture d’une relation commerciale établie

Enoncé des moyens

La société Australie prétend, tout d’abord, que le délai du préavis contractuel était insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale entre les parties, établie depuis dix-neuf ans. Elle estime que ce délai, qui ne pouvait ainsi être inférieur à dix-neuf mois, aurait dû raisonnablement être de vingt et un mois. Elle réplique que l’existence d’un accord professionnel constitue un critère d’appréciation de la durée du préavis insuffisant, les circonstances de chaque espèce devant également être prises en compte, en particulier de l’état de dépendance économique de la victime ; elle soutient que, dans le cas présent, la référence au contrat-type du 15 décembre 1959 prévoyant un délai de six mois de préavis n’est pas pertinente, eu égard à son caractère obsolète et à la stipulation d’un délai contractuel plus long.

L’appelante se prévaut, ensuite, d’un état de dépendance économique à l’égard du groupe Leclerc, résultant de la part du chiffre d’affaires qu’elle réalisait avec celui-ci, comprise entre 35,9 % et 41,5 %, selon les différentes périodes de temps. Elle considère qu’il ne peut lui être reproché d’avoir créé cet état de dépendance, dès lors qu’elle était liée au Groupe Leclerc par une clause d’exclusivité et qu’elle disposait, en tout état de cause, d’un portefeuille de clients diversifiés. Elle ajoute que la notoriété de cette enseigne a eu pour effet de rendre plus complexe une substitution de clientèle. Selon elle, les termes de la convention qu’elle a conclue ultérieurement avec la société Lidl ne sont, en tout état de cause, pas comparables aux conditions du contrat conclu avec le Groupe Leclerc.

La société Australie soutient, enfin, qu’elle n’a pas été à même de mettre à profit la période de préavis concédé, qui n’a pas été effectif. Elle explique, plus précisément, qu’elle s’est trouvée dans l’incapacité de procéder à sa réorganisation, avant la notification de l’échec de sa candidature à l’appel d’offres du Groupe Leclerc, à laquelle a succédé un plan de sauvegarde de l’emploi, et de participer à un autre appel d’offres. Elle fait valoir que, durant le délai de préavis, elle restait liée par la clause d’exclusivité et que l’ensemble de ses équipes travaillait à la réalisation des travaux publicitaires pour le compte du groupe Leclerc.

Le Galec rappelle, pour sa part, que la relation commerciale, qui a débuté le 1er septembre 1999, a duré en réalité dix-huit ans, et non pas dix-neuf ans, jusqu’à l’envoi du courrier de résiliation. Elle invoque le bénéfice des usages du commerce, dans le domaine de la publicité, en soulignant que le contrat-type établi en application de l’arrêté du 15 décembre 1959 prévoit un délai de préavis de six mois, largement inférieur à celui concédé.

La partie intimée prétend que la part de chiffres d’affaires invoquée par la société Australie ne caractérise pas en soi un état de dépendance économique, et que rien ne l’empêchait, à supposer que ce fût le cas, de développer d’autres marchés et de trouver de nouveaux clients pour diluer la part de son chiffre d’affaires avec le Galec, quand la clause d’exclusivité couvrait uniquement le secteur de la Grande Distribution. Elle fait valoir notamment que la société Australie a conclu avec la société Lidl, premier annonceur dans ce secteur, un contrat équivalent immédiatement après la fin du préavis, ce qui démontre, selon elle, que l’appelante disposait d’évidentes solutions de substitution.

Le Galec fait aussi observer que la résiliation du contrat a été notifiée sans ambiguïté à la société Australie dans la lettre du 23 octobre 2017, et qu’il est constant que le point de départ du préavis ne peut être reporté à la date où la victime a eu connaissance de l’échec de sa candidature à un appel d’offres. D’après ses explications, la société Australie n’avait aucune obligation de participer à l’appel d’offres, ce dont il déduit que celle-ci ne peut exciper de l’impossibilité de se réorganiser. Il fait valoir que l’appelante a, en outre, participé à l’appel d’offre de la société Lidl, en dépit de la clause d’exclusivité, et qu’il a, en tout état de cause, respecté son obligation de maintenir la relation commerciale durant le préavis, dans les mêmes conditions que précédemment.

 

Réponse de la cour

Selon l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, applicable au jour de la rupture litigieuse, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

– Sur l’existence d’une relation commerciale établie

 

Une relation commerciale établie présente un caractère suivi, stable et habituel et permet raisonnablement d’anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu’elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

 Dans le cas présent, les parties s’accordent à reconnaître qu’il existait entre elles une relation commerciale établie. Les parties ont conclu un premier contrat le 26 juin 2000, entré rétroactivement en vigueur le 1er septembre 1999, suivi de deux autres contrats signés respectivement les 1er novembre 2002 et 12 mai 2016, le dernier d’entre eux ayant été résilié à la date du 23 octobre 2017. Il en résulte que la relation commerciale a duré effectivement 18 ans et près de deux mois, et non pas dix-neuf ans, comme le soutient la société Australie, cette dernière ne justifiant pas d’un meilleur mode de calcul.

Compte tenu de l’ancienneté cette relation, la société Australie ne pouvait pas moins espérer que celle-ci se poursuivrait au-delà de l’année 2017.

– Sur le caractère brutal de la rupture au regard de la durée du préavis

L’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce précise que le préavis écrit doit respecter la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

 

En l’occurrence, le Galec est bien-fondé à invoquer la référence aux usages dans le secteur de la publicité résultant de l’avis relatif à la formule type de contrat établi en application de l’article 1er, premier alinéa, de l’arrêté du 15 décembre 1959 « entre annonceurs et agents de publicité pour régler leurs rapports », qui prévoit un délai de six mois de préavis avant de mettre fin à une relation. La société Australie ne fait, en effet, état d’aucun élément utile pour soutenir que ce contrat type, en dépit de son ancienneté, serait obsolète. Force est de constater que le délai de quatorze mois concédé par le Galec, en application des stipulations du contrat-cadre du 12 mai 2016, excède largement le délai minimal ainsi fixé par les usages dans le secteur de la publicité, qui conservent une fonction référentielle, même si les parties ont fait le choix d’y déroger.

L’existence d’usages professionnels comme d’une stipulation contractuelle, implique néanmoins d’examiner si le préavis concédé, quoique conforme à ces usages et aux prévisions du contrat, tient compte de la durée de la relation commerciale établie et des autres circonstances de l’espèce, notamment l’état de dépendance économique de l’entreprise évincée (Com., 3 mai 2012, n° 11-10.544, publié au Bulletin ; Com., 20 mai 2014, n° 13-16.398, publié au Bulletin).

La dépendance économique résulte notamment de la difficulté pour le concessionnaire d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents dans des conditions économiques comparables (Com., 26 avril 2017, n° 15-23.078).

A titre liminaire, la Cour souligne que, la durée du préavis minimum qui doit être accordé au partenaire évincé s’apprécie au moment de la notification de la rupture. Le moyen tiré de la conclusion d’un contrat entre la société Lidl et la société Australie, entré en vigueur immédiatement après la fin de la période du préavis contractuel, ne saurait ainsi établir l’absence de dépendance économique de celle-ci, s’agissant d’un événement ayant affecté la victime ultérieurement.

Pour ce qui concerne les éléments à prendre en compte, il n’est pas contesté que le chiffre d’affaires de la société Australie réalisé avec le Galec représentait 35,9 %, entre 2006 et 2017, et 41,5 %, entre 2015 et 2017, ce qui constituait une part significative.

En outre, la société Australie était liée par une clause de non-concurrence selon les termes de l’article 8 du contrat-cadre.

L’interdiction de contracter qui en résultait était, cependant, limitée aux activités de Grandes Surfaces Alimentaires, Grandes Surfaces Spécialisées et activités Marques de Distributeurs des Annonceurs bénéficiaires du contrat, ce qui lui offrait la possibilité de nouer de nombreuses autres relations, en dehors de ces secteurs, compte tenu du caractère étendu du marché de la publicité. En outre, cette interdiction s’appliquait uniquement sur le territoire français, de sorte que la société Australie restait libre d’étendre ses activités à l’étranger. Et l’article 8 prévoyait également la possibilité d’obtenir une éventuelle dérogation avec l’accord écrit de l’annonceur. En contrepartie, la société Australie bénéficiait, sous certaines réserves, d’une exclusivité.

Au demeurant, comme le souligne la partie intimée, tel a été effectivement le cas, puisque la société Australie était parvenue à réaliser pratiquement 60 % de son chiffre d’affaires, au jour de la rupture, en dehors du secteur de la Grande Distribution, quand bien même le groupe Leclerc aurait représenté le deuxième annonceur sur le marché français.

La société Australie a pu ainsi réaliser des campagnes publicitaires, dans des secteurs très variés, que ce soit pour les pouvoirs publics au titre de campagnes de prévention de la santé, l’Unicef, des fabricants de produits alimentaires (Contrex, Nespresso, Grimbergen, 1664), une marque de vêtements de sport (Adidas), une enseigne de restauration (Buffalo Grill), un établissement bancaire (CIC), une compagnie d’assurance (CNP) ou encore une chaîne de télévision (M6).

Il n’est pas démontré que la notoriété de l’enseigne aurait nécessairement eu pour effet de rendre plus complexe une substitution de clientèle, les éléments tirés de l’organisation de travail des collaborateurs de la société Australie et des réactions des professionnels à l’annonce de la rupture de la relation entre les parties n’apparaissant pas pertinents. Enfin, la société Australie prétend, sans preuve à l’appui, qu’elle n’aurait pas été en mesure de nouer une nouvelle relation avec une entreprise d’un poids économique équivalent.

Il résulte de ce qui précède que la société Australie ne se trouvait pas dans l’impossibilité de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente à la relation nouée avec le Galec, ne serait-ce qu’avec des nouveaux partenaires n’appartenant pas au même secteur que la Grande Distribution.

La Cour estime, dans ces conditions, que l’état de dépendance économique de la société Australie n’est pas caractérisé et que, nonobstant l’ancienneté de la relation commerciale, le préavis d’une durée de quatorze mois concédée par le Galec était suffisant.

– Sur l’exécution du préavis

Le respect des dispositions de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce implique que le préavis accordé à la suite de la rupture de la relation commerciale établie soit effectif, de sorte que pendant cette période, sauf circonstances particulières, la relation doit se poursuivre aux conditions antérieures (Com., 10 février 2015, n° 13-26.414, publié au Bulletin).

En l’occurrence, la société Australie ne peut valablement exciper du caractère concomitant de l’appel d’offres du Galec avec la rupture du contrat, celle-ci lui ayant été régulièrement notifiée, en termes explicites, dans la lettre recommandée avec accusé de réception du 23 octobre 2017. S’il est indéniable qu’elle avait tout intérêt à participer à cet appel d’offres, elle ne démontre pas pour autant que le préavis n’aurait pas été effectif, faute de collaborateurs en nombre suffisant pour pouvoir anticiper en même temps sa reconversion, durant ce délai. La partie intimée fait, par ailleurs, valoir avec raison que la clause de non-concurrence, prévue à l’article 8 du contrat, ne lui interdisait pas, durant la période de préavis, d’entrer en contact avec des clients potentiels en vue de nouer à l’avenir des relations commerciales, et qu’elle pouvait au besoin solliciter son autorisation afin de conclure immédiatement de nouveaux contrats. La société Australie a pu également participer à l’appel d’offres de la société Lidl, qu’elle a d’ailleurs remporté, cependant qu’elle ne justifie pas non plus que sa candidature ait été acceptée uniquement par suite d’un désistement, malgré son caractère tardif. La baisse de son chiffre d’affaires consécutive à la rupture du contrat ne peut ainsi être imputée, en tant que telle, à sa participation à l’appel d’offres du groupe Leclerc. Enfin, la société Australie ne saurait légitimement reprocher au Galec d’avoir été contrainte d’exécuter les termes du contrat, dans des conditions demeurées inchangées, jusqu’à la fin de la relation entre les parties, alors que l’application de ces conditions établit que le préavis a été réellement effectué.

Au vu de ces éléments, le jugement entrepris sera confirmé, en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes de la société Australie.

Sur les autres demandes

La société Australie succombant au recours, le jugement sera confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d’appel, la cour la condamnera aux dépens, ainsi qu’à payer au Galec une indemnité de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

 

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la SAS Australie aux dépens de l’appel,

CONDAMNE la SAS Australie à payer à société Coopérative Groupements d’achats des Centres E. Leclerc (SC Galec) la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

 

 

LE GREFFIER  LA CONSEILLÈRE

POUR LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ

 

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