Pertes en crypto : la responsabilité de la banque

Notez ce point juridique

Dans l’hypothèse d’un virement autorisé, le banquier demeure tenu de contrôler la régularité de l’ordre de virement, afin de déceler toute anomalie tant matérielle qu’intellectuelle susceptible de l’affecter.

S’il ne lui appartient pas, sauf à porter atteinte à la vie privée du dépositaire des fonds, d’effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations de son client, dont il n’a pas à rechercher la cause, sont régulières, opportunes et exemptes de danger, il doit néanmoins déceler le caractère manifestement anormal de mouvements de fonds par référence au fonctionnement habituel du compte ou en considération de leur bénéficiaire.

Le banquier, gestionnaire de compte et établissement de paiement, n’est pas tenu à une obligation d’information et de conseil à l’égard de son client, sauf convention contraire.


[N] [J] a ouvert des comptes dans les livres de la société LA BANQUE POSTALE et de la société BNP PARIBAS. Il a été démarché sur WhatsApp par un tiers se présentant comme [P] [Y] de la société Aseor Financiero Experto en Inversiones y gestion completa de crypto monedas, pour investir des fonds sur une plateforme de trading en ligne sur le marché des crypto actifs via le site www.bancodecryptos.com. Les deux comptes de dépôt ont été débités d’une somme totale de 752 000 euros par des virements vers divers bénéficiaires. [N] [J] a assigné les deux banques en justice pour les voir condamner à l’indemniser des préjudices subis. Il demande des réparations pour son préjudice matériel et moral, ainsi que des frais irrépétibles. Les banques, LA BANQUE POSTALE et BNP PARIBAS, contestent leur responsabilité, arguant que les opérations étaient autorisées et que [N] [J] n’a pas fait preuve de prudence. La décision finale reste à être rendue par le tribunal.

Responsabilité contractuelle de la banque

La responsabilité contractuelle de la banque est mise en jeu dans cette affaire. L’article L. 133-6 du code monétaire et financier stipule qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution. La banque a l’obligation de vigilance sur la régularité apparente du fonctionnement d’un compte, notamment en cas de virement autorisé. Cependant, le banquier n’est pas tenu à une obligation d’information et de conseil à moins qu’il y ait une convention contraire.

Preuves et obligations des parties

Il revient au demandeur d’établir le bien-fondé de ses demandes en fournissant les preuves nécessaires. En l’espèce, le demandeur n’a pas prouvé l’existence d’une convention contraire avec la banque pour lui reprocher un manquement à ses devoirs d’information et de conseil. De plus, les dispositions du code monétaire et financier sur la lutte contre le blanchiment d’argent ne peuvent fonder une créance de dommages-intérêts au profit du client.

Opérations financières contestées

Les opérations financières contestées ont été effectuées par le demandeur lui-même, sans contestation de leur authenticité. Chaque virement a été validé par le demandeur, et les banques n’avaient pas à contrôler la finalité de ces opérations. Malgré leur caractère inhabituel, les virements n’ont pas présenté d’anomalies apparentes pour les banques.

Décision du tribunal

Le tribunal a débouté le demandeur de l’ensemble de ses demandes indemnitaires, considérant qu’il n’avait pas prouvé de faute des banques. Le demandeur a été condamné aux dépens et à verser des sommes aux défenderesses au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire a été ordonnée.

– [N] [J] est débouté de ses demandes de dommages et intérêts.
– [N] [J] est condamné à payer à la société LA BANQUE POSTALE 3.000 euros.
– [N] [J] est condamné à payer à la société BNP PARIBAS 3.000 euros.
– [N] [J] est débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles.
– [N] [J] est condamné aux dépens.


Réglementation applicable

L’article L. 133-6 du code monétaire et financier dispose qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.

En application de l’article 1231-1 du code civil, le principe de la non-ingérence du banquier dans les affaires de son client cède devant son obligation de vigilance portant sur la régularité apparente du fonctionnement d’un compte.

En application de l’article 9 du code de procédure civile, il appartient au demandeur d’établir le bien-fondé de ses demandes, en fournissant, conformément aux règles de droit, les preuves nécessaires au succès de ses prétentions.

Les dispositions du code monétaire et financier relatives aux obligations des banques en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui soumettent les établissements de crédit notamment à une obligation de déclaration des opérations suspectes, poursuivent un objectif d’intérêt général, de telle sorte que ces dispositions ne peuvent fonder, à les supposer violées, une créance de dommages-intérêts au profit du client de l’établissement déclarant.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :

– Me Augustin D’OLLONE
– Me Dominique PENIN
– Maîtres Thomas ROUHETTE et Claire MASSIERA

Mots clefs associés

– Responsabilité contractuelle de la banque
– Consentement du payeur à l’exécution de l’opération de paiement
– Obligation de vigilance du banquier sur la régularité des ordres de virement
– Contrôle de la régularité des opérations par le banquier
– Obligation de déclaration des opérations suspectes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme
– Obligation de fournir les preuves nécessaires au succès des demandes
– Obligation d’information et de conseil à l’égard du client
– Mesures judiciaires de protection du demandeur
– Caractérisation de l’état de vulnérabilité du demandeur
– Validation des ordres de virement par le demandeur
– Absence d’anomalies apparentes affectant les virements
– Marchés non réglementés et hautement risqués
– Perte du capital investi sans preuve de détournement d’argent ou d’escroquerie
– Rejet des demandes indemnitaires
– Condamnation aux dépens et au paiement de sommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– Responsabilité contractuelle de la banque : Obligation pour la banque de respecter les termes du contrat établi avec le client, incluant la bonne exécution des services bancaires convenus.

– Consentement du payeur à l’exécution de l’opération de paiement : Nécessité pour la banque d’obtenir l’accord explicite du client avant de réaliser toute opération de paiement.

– Obligation de vigilance du banquier sur la régularité des ordres de virement : Devoir pour le banquier de vérifier que les ordres de virement sont conformes aux instructions du client et aux règles en vigueur.

– Contrôle de la régularité des opérations par le banquier : Responsabilité du banquier de s’assurer que toutes les opérations effectuées sur le compte du client sont légitimes et correctement autorisées.

– Obligation de déclaration des opérations suspectes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme : Devoir légal pour les banques de signaler toute opération qui semble être liée au blanchiment d’argent ou au financement du terrorisme.

– Obligation de fournir les preuves nécessaires au succès des demandes : Nécessité pour la banque de fournir les documents et informations requis pour appuyer les réclamations ou les défenses en justice.

– Obligation d’information et de conseil à l’égard du client : Devoir pour la banque de fournir des informations claires, précises et adaptées aux besoins du client, ainsi que des conseils appropriés.

– Mesures judiciaires de protection du demandeur : Dispositions légales permettant de protéger les droits du demandeur dans le cadre d’une procédure judiciaire.

– Caractérisation de l’état de vulnérabilité du demandeur : Évaluation juridique de la situation du demandeur pour déterminer s’il est dans un état de vulnérabilité nécessitant une protection spéciale.

– Validation des ordres de virement par le demandeur : Confirmation par le client de la validité des ordres de virement avant leur exécution par la banque.

– Absence d’anomalies apparentes affectant les virements : Vérification que les virements ne présentent pas de signes évidents d’irrégularité ou de fraude.

– Marchés non réglementés et hautement risqués : Référence aux marchés financiers qui ne sont pas soumis à une régulation stricte, présentant un risque élevé pour les investisseurs.

– Perte du capital investi sans preuve de détournement d’argent ou d’escroquerie : Situation où l’investisseur perd son capital sans que cela soit dû à une faute ou à une fraude avérée de la part de la banque ou d’autres parties.

– Rejet des demandes indemnitaires : Décision de ne pas accorder de compensation financière à un demandeur, généralement parce que les conditions légales ou contractuelles ne sont pas remplies.

– Condamnation aux dépens et au paiement de sommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile : Obligation pour la partie perdante dans un litige de couvrir les frais de justice de la partie gagnante, ainsi que d’autres sommes déterminées par le tribunal sous l’article 700 du code de procédure civile.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

9ème chambre 1ère section

N° RG :
N° RG 21/13797 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVOFW

N° MINUTE : 2

Assignation du :
03 Novembre 2021

JUGEMENT
rendu le 11 Mars 2024
DEMANDEUR

Monsieur [N] [J]
[Adresse 3]
[Localité 6]

représenté par Me Augustin D’OLLONE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0508

DÉFENDERESSES

S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 2]
[Localité 4]

représentée par Me Dominique PENIN de KRAMER LEVIN LLP, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #J0008

S.A. LA BANQUE POSTALE
[Adresse 1]
[Localité 5]

représentée par Maîtres Thomas ROUHETTE et Claire MASSIERA du Cabinet Signature Litigation AARPI, avocats au barreau de PARIS, , vestiaire #K0151
Décision du 11 Mars 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 21/13797 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVOFW

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Cécile SOULARD, Vice-présidente
Madame Marine PARNAUDEAU, Vice-présidente
Monsieur Patrick NAVARRI, Vice-président

assistée de Pierre-Louis MICHALAK, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 15 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Madame Marine PARNAUDEAU, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 11 Mars 2024.

JUGEMENT

Prononcé en audience publique
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

[N] [J] a ouvert un compte dans les livres de la société LA BANQUE POSTALE.

Il est également titulaire d’un compte dans les livres de la société BNP PARIBAS.

L’intéressé a été démarché sur le réseau WhatsApp par un tiers se présentant comme [P] [Y] de la société Aseor Financiero Experto en Inversiones y gestion completa de crypto monedas, en vue d’investir des fonds sur une plateforme de « trading » en ligne sur le marché des crypto actifs via le site www.bancodecryptos.com.

Les deux comptes de dépôt ont été débités d’une somme totale de 752.000 euros, en exécution des ordres de virement émanant de [N] [J], énoncés ci-après :

– le compte de dépôt ouvert dans les livres de la société LA BANQUE POSTALE a été débité d’une somme totale de 431.000 euros par quinze virements comme suit :
o Le 19 août 2021, un virement de 75 000 euros à destination de COMPAGNIE TRADE SERVICE en Grande Bretagne ;
o Le 30 août 2021, un virement de 3 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 31 août 2021, un virement de 24 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 31 aout 2021, un virement de 3 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 2 septembre 2021, un virement de 40 000 euros à destination de ELB JO JOELB en France ;
o Le 2 septembre 2021, un virement de 35 000 euros à destination de HUSAINAT GLOBAL LTD en Espagne ;

o Le 2 septembre 2021, un virement de 30 000 euros à destination de ELB JO JOELB en France ;
o Le 2 septembre 2021, un virement de 15 000 euros à destination de CRU FRA FRACRU en Espagne ;
o Le 11 septembre 2021, un virement de 35 000 euros à destination d’un compte qui appartenait à JO ELB en France.
o Le 11 septembre 2021, un virement de 35 000 euros à destination d’un compte qui appartenait à CRUFRA FRACRU en Espagne ;
o Le 14 septembre 2021, un virement de 3 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 14 septembre 2021, un virement de 30 000 euros à destination de ELB JO JOELB en France ;
o Le 14 septembre 2021, un virement de 35 000 euros à destination de ETERIZAK ISM en Espagne ;
o Le 14 septembre 2021, un virement de 65 000 euros à destination de MADISON TRADE LTD en Belgique ;
o Le 15 septembre 2021, un virement de 3 000 euros à destination de JOELB en France – les sommes de 30 000 euros et de 35 000 euros ont été recréditées respectivement le 27 septembre 2021 et le 04 octobre 2021 ;

– le compte de dépôt ouvert dans les livres de la société BNP PARIBAS a été débité d’une somme totale de 321.000 euros par quatorze virements comme suit :
o Le 26 juillet 2021, un virement de 1 000 euros à destination de FRACRU en Belgique ;
o Le 27 juillet, un virement de 2 000 euros à destination de FRACRU en Belgique ;
o Le 29 juillet 2021, un virement de 6 000 euros à destination de JOELB au Luxembourg ;
o Le 2 août 2021, un virement de 6 000 euros à destination de JOELB au Luxembourg – cette somme a été recréditée le 3 août 2021;
o Le 4 août 2021, un virement de 6 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 6 août 2021, un virement de 1 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 6 août 2021, un virement de 2 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 6 août 2021, un virement de 5 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 9 août 2021, un virement de 1 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 9 août 2021, un virement de 6 000 euros à destination de JOELB en France ;
o Le 12 août 2021, un virement de 30 000 euros à JOELB, 30 000 euros et 70 000 euros à [Y] [P] ;
o Le 20 août 2021, un virement de 20 000 euros, 30 000 et 45 000 euros à destination de BEN JOELB – la somme de 20 000 euros a été recréditée le 30 août 2021 ;
o Le 31 août 2021, un virement de 20 000 euros au profit de BEN JOELB ;
o Le 9 septembre 2021, un virement de 40 000 euros à BEN JOELB.

Par acte d’huissier du 3 novembre 2021, [N] [J] a fait assigner devant la présente juridiction la société LA BANQUE POSTALE et la société BNP PARIBAS aux fins de les voir condamner à l’indemniser des préjudices subis, les fonds ayant été investis par l’intéressé en pure perte auprès de tiers.

Décision du 11 Mars 2024
9ème chambre 1ère section
N° RG 21/13797 – N° Portalis 352J-W-B7F-CVOFW

Dans ses dernières conclusions récapitulatives communiquées par le biais du RPVA le 14 avril 2023, [N] [J] demande au tribunal, sur le fondement des articles 1231, 1231-1 et 1231-2 du code civil et des articles L. 561-5 et L. 561-10-2 du code monétaire et financier, de:

“- Recevoir l’intégralité des moyens et prétentions de Monsieur [J] ;
– Constater que La Banque Postale et BNP ont manqué à leur devoir de vigilance et surveillance ;
– Condamner la Banque Postale à payer à M. [J] : la somme de 366 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;
– Condamner la BNP à payer à M. [J] la somme de 246 772, 54 euros en réparation de son préjudice matériel ;
– Condamner in solidum La Banque Postale et BNP au paiement de 40 000 € en réparation de son préjudice moral ;
– Assortir ces sommes des intérêts légaux à compter de la présente assignation ;
– Condamner La Banque Postale au paiement d’une somme de 2 985 euros au titre du préjudice économique résultant du blocage de ses comptes courants du mois d’octobre 2021 au mois de mars 2023 ;
– Condamner La Banque Postale au paiement d’une somme de 4 000 euros au titre du préjudice moral résultant du blocage de ses comptes courants du mois d’octobre 2021 au mois de mars 2023 ;
– Condamner in solidum La Banque Postale et BNP à lui payer à 10 000 euros au titre des frais irrépétibles par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
– Condamner in solidum La Banque Postale et BNP aux entiers dépens dont distraction au profit de Me d’OLLONE, avocat, dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile ;
– Rappeler que l’exécution provisoire est de droit.”

[N] [J] déclare tout d’abord avoir été démarché le 14 juillet 2021 par WhattsApp, par un tiers se présentant comme [P] [Y] travaillant pour le compte de la société Aseor Financiero Experto en Inversiones y gestion completa de crypto monedas, en vue d’investir des fonds via leur plateforme de trading en ligne sur le marché des crypto actifs en utilisant le site internet www.bancodecryptos.com. Des gains importants et rapides lui ayant été promis, il indique avoir investi la somme totale de 752 000 euros entre le 26 juillet 2021 et le 9 septembre 2021, soit la quasi-totalité de son épargne. Il précise avoir notamment procédé à plusieurs rachats de son contrat d’assurance vie dans le dessein d’approvisionner ses comptes de dépôt. Il déclare également qu’après avoir manifesté son souhait de récupérer la totalité des sommes investies, il n’a plus été possible d’entrer en relation avec le conseiller de cette plateforme. N’ayant jamais pu récupérer les fonds, il a déposé plainte le 17 septembre 2021 au commissariat de police de [Localité 7] puis le 5 janvier 2022 auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire de Paris du chef d’escroquerie.

Le demandeur fait ensuite observer qu’un devoir général de vigilance est mis à la charge des banques puisque ces dernières ne doivent pas fournir à autrui des moyens de commettre des infractions au détriment des tiers. Il affirme que chacune des deux banques a manqué à son égard à ses obligations de vigilance et de surveillance dans la mesure où les mouvements de fonds observés sur son compte étaient manifestement anormaux au regard de sa pratique habituelle, de la courte période de temps querellée, du nombre et du montant unitaire de virements, du nom du bénéficiaire et du pays de destination des fonds. Il fait observer que la banque ne pouvait ignorer l’existence d’escroqueries sur le marché des crypto actifs et que les sommes querellées ont été transférées notamment sur des comptes détenus hors de France.

[N] [J] conclut que la banque a manqué à son obligation de vigilance, au sens des articles L.561-5 et L. 561-10-2 du code monétaire et financier et des clauses contractuelles des conventions de dépôt le liant à chacune de ses banques, qui s’applique à l’ouverture et pendant le fonctionnement du compte bancaire et impose au banquier un examen attentif des opérations effectuées qui doivent être cohérentes avec la connaissance actualisée qu’il a de son client. Il expose qu’en dépit du devoir de non-immixtion qui lui incombe, le banquier doit ainsi s’assurer de l’objet et de la destination des fonds qu’il reçoit de ses clients, du fonctionnement du compte ouvert dans ses livres, des anomalies apparentes affectant ce compte et les opérations qu’il exécute, devant notamment faire montre de prudence face aux virements à destination de l’étranger et mettre tout en œuvre pour éviter la réalisation du préjudice, au besoin en refusant d’exécuter les opérations litigieuses, sauf à engager sa responsabilité.

Il ajoute que sa pathologie (exposant souffrir de troubles bipolaires), sa méconnaissance et son inexpérience dans le domaine du trading, le rendent manipulable et vulnérable, ce qui rend le devoir de vigilance du banquier renforcé, d’autant plus que la banque le connaît depuis de très nombreuses années.

Il affirme qu’en exécutant les ordres de virement en cause sans qu’aucune vérification ne soit faite, chacune des deux banques a ainsi contribué au préjudice consistant dans la perte de la totalité des sommes objet des virements querellés, déduction faire des sommes recréditées sur chacun des comptes de dépôt. Il relève que la dégradation de son état de santé qui a justifié son hospitalisation sous contrainte pendant un mois, est liée au sentiment d’avoir été escroqué. Il déclare aussi qu’ayant été dans l’incapacité de continuer à travailler en tant que psychiatre, il a pris sa retraite et a fait face à une diminution conséquente de ses revenus. Ainsi, outre son préjudice matériel, il sollicite la réparation de son préjudice moral.

Au surplus, il souligne que pendant le blocage de son compte de dépôt ouvert dans les livres de la société LA BANQUE POSTALE entre le mois d’octobre 2021 et le mois de mars 2023, il n’a pu procéder aux opérations qui lui auraient permis d’atteindre le plafond de son livret A et celui de son assurance vie et obtenir les intérêts correspondant, témoignant de la réalité de son préjudice matériel. De surcroît, il ajoute avoir subi un préjudice moral résultant de l’impossibilité de disposer librement de son argent, sans motif légal, et alors même que la société LA BANQUE POSTALE avait été informée à de nombreuses reprises de cette situation.

Par conclusions récapitulatives communiquées par le biais du RPVA le 9 juin 2023, la société LA BANQUE POSTALE demande au tribunal de :

“- Débouter Monsieur [N] [J] de l’intégralité de ses demandes ;
– Ecarter l’exécution provisoire en faveur de Monsieur [N] [J] ;
– Condamner Monsieur [J] à verser à LA BANQUE POSTALE la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, avec distraction au profit du Cabinet Signature Litigation.”

La société LA BANQUE POSTALE décline toute responsabilité vis-à-vis de [N] [J]. Elle soutient que l’établissement teneur de compte est soumis à un principe de non-ingérence lui interdisant de s’immiscer dans les affaires de son client tout en lui déniant toute possibilité de refuser à son client la libre disposition des fonds disponibles si bien que [N] [J] ne peut invoquer le caractère anormal des opérations qu’il a lui-même effectuées sur les conseils de prétendus courtiers qu’ils l’ont contactés téléphoniquement, pour tenter d’imputer une faute à la banque.

De plus, elle fait observer que les virements ont été effectués au bénéfice d’une banque située dans l’un des Etats membres de l’Union européenne, que la société querellée ne figure pas sur la liste noire de l’Autorité des marchés financiers. Elle note au surplus que les sommes litigieuses ont été virées volontairement par [N] [J] si bien qu’il s’agit d’opérations autorisées. Elle relève au surplus, que ces opérations ne présentaient aucune anomalie matérielle ou intellectuelle apparente.

La défenderesse note par ailleurs que [N] [J] n’a fait preuve d’aucune prudence en donnant instruction à la Société LA BANQUE POSTALE d’effectuer les virements litigieux.

La défenderesse indique que les articles du code monétaire et financier relatifs aux obligations des établissements bancaires inhérentes à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme posent un devoir de vigilance dont toutefois seul le service de fraude idoine et l’Autorité de contrôle peut se prévaloir. Elle ajoute que le requérant ne rapporte pas la preuve du principe et du montant des préjudices allégués.

De surcroît, la banque soutient que son client pouvait parfaitement alimenter son livret A et son contrat d’assurance-vie ou effectuer tout mouvement en contactant son conseiller bancaire par téléphone ou en prenant rendez-vous avec ce dernier, la difficulté étant seulement d’ordre informatique et sans incidence quant à la possibilité pour l’intéressé d’effectuer les mouvements susvisés. Elle en conclut que la preuve du lien de causalité entre les faits reprochés et le prétendu préjudice n’est pas rapportée.

Par conclusions récapitulatives communiquées par le biais du RPVA le 30 novembre 2022, la société BNP PARIBAS demande au tribunal de :

“- Débouter Monsieur [N] [J] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamner Monsieur [J] à verser à LA BANQUE POSTALE la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
– Ecarter l’exécution provisoire en faveur de Monsieur [N] [J].”

La société BNP PARIBAS développe les mêmes moyens que ceux formulés par la Société LA BANQUE POSTALE pour dénier toute responsabilité vis-à-vis du demandeur. Y ajoutant, elle précise qu’elle a souhaité obtenir une confirmation de la part de l’intéressé lors de chacun des virements ordonnés entre le 12 août 2021 et le 9 septembre 2021, avant de l’exécuter.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures susvisées pour l’exposé complet des moyens et arguments respectifs des parties.

L’ordonnance de clôture de l’instruction de l’affaire est intervenue le 18 septembre 2023.

MOTIFS

Sur la mise en jeu de la responsabilité contractuelle de la banque

L’article L. 133-6 du code monétaire et financier dispose qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.

En application de l’article 1231-1 du code civil, le principe de la non-ingérence du banquier dans les affaires de son client cède devant son obligation de vigilance portant sur la régularité apparente du fonctionnement d’un compte.

Ainsi, dans l’hypothèse d’un virement autorisé, le banquier demeure tenu de contrôler la régularité de l’ordre de virement, afin de déceler toute anomalie tant matérielle qu’intellectuelle susceptible de l’affecter.

S’il ne lui appartient pas, sauf à porter atteinte à la vie privée du dépositaire des fonds, d’effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations de son client, dont il n’a pas à rechercher la cause, sont régulières, opportunes et exemptes de danger, il doit néanmoins déceler le caractère manifestement anormal de mouvements de fonds par référence au fonctionnement habituel du compte ou en considération de leur bénéficiaire.

Le banquier, gestionnaire de compte et établissement de paiement, n’est pas tenu à une obligation d’information et de conseil à l’égard de son client, sauf convention contraire.

En application de l’article 9 du code de procédure civile, il appartient au demandeur d’établir le bien-fondé de ses demandes, en fournissant, conformément aux règles de droit, les preuves nécessaires au succès de ses prétentions.

En l’espèce, il convient de préciser à titre liminaire que le requérant qui ne rapporte la preuve d’aucune convention contraire, ne saurait reprocher à la banque un manquement à ses devoirs d’information et de conseil.

Les dispositions du code monétaire et financier relatives aux obligations des banques en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui soumettent les établissements de crédit notamment à une obligation de déclaration des opérations suspectes, poursuivent un objectif d’intérêt général, de telle sorte que ces dispositions ne peuvent fonder, à les supposer violées, une créance de dommages-intérêts au profit du client de l’établissement déclarant. En conséquence, [N] [J] ne peut se prévaloir des dispositions des textes susvisés pour rechercher la responsabilité de la SOCIÉTÉ LA BANQUE POSTALE et celle de la BNP PARIBAS pour manquement supposé au devoir de vigilance incombant aux établissements de crédit. Par ailleurs, il n’est pas discuté qu’en l’espèce, la banque connaissait son client et l’origine licite des fonds puisque les sommes investies provenaient des seuls revenus et de l’épargne de l’intéressé. De surcroît, les virements querellés ne s’inscrivaient manifestement pas dans le cadre d’opérations de blanchiment, de fraude fiscale ou de financement du terrorisme.

Il est constant que [N] [J] n’a jamais informé la société LA BANQUE POSTALE ni la société BNP PARIBAS de la teneur des investissements réalisés. Il n’est également pas contesté que chacune de ces banques est étrangère aux opérations financières querellées qui ont été présentées et proposées au demandeur par un tiers se présentant comme travaillant pour le compte de la société Aseor Financiero Experto en Inversiones y gestion completa de crypto monedas. Il en découle que chacune des deux banques défenderesses est intervenue en qualité de teneur de compte et non en tant que conseiller en investissements si bien qu’elle n’est tenue qu’à un devoir général de vigilance.

Force est de relever que la société  » bancodecryptos  » – dont le nom n’a été communiqué ni à la société LA BANQUE POSTALE ni à la société BNP PARIBAS – ne figure pas sur la liste noire de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

De plus, il n’est pas contesté que [N] [J] ne faisait l’objet, au moment des faits, d’aucune mesure judiciaire de protection. S’il est établi que le 10 novembre 2021, le conseil du demandeur a transmis au procureur de la république près le tribunal judiciaire de Paris une demande de mise sous sauvegarde de justice médicale et que l’autorité judiciaire a confirmé, par courriel du 7 janvier 2022, l’enregistrement de cette mesure, force est de relever que cette mesure est postérieure au dernier ordre de virement querellé. Il en va de même de la mesure d’hospitalisation sans consentement dont Monsieur [J] a fait l’objet à compter du 24 mai 2022. De plus, le demandeur qui ne procède que par voie d’affirmation, ne saurait exciper de son inexpérience et de sa méconnaissance en matière d’investissement sur des produits financiers pour caractériser l’état de vulnérabilité dans lequel il était au moment de la réalisation des virements litigieux.

Par ailleurs, il est établi par les pièces versées aux débats que :
– sur la période allant du 26 juillet 2021 au 9 septembre 2021, [N] [J] a effectué 29 ordres de virement successifs à destination de comptes ouverts dans les livres de banques situées en France et hors du territoire français, à savoir la Grande-Bretagne, la Belgique, le Luxembourg et l’Espagne,
– la somme mentionnée sur chaque ordre de virement a été portée au débit de son compte de dépôt,
– [N] [J] ne conteste pas l’authenticité des ordres de virement querellés,
– les motifs renseignés tels que  » donation  » sont inexacts,
– le nom de la plateforme  » www.bancodecryptos.com  » n’a jamais été mentionné,
– la société BNP PARIBAS a sollicité la confirmation de son client avant d’exécuter les virements ordonnés sur la période allant du 12 août 2021 au 9 septembre 2021 ;
– l’exécution de ces ordres de virement SEPA n’a pas eu pour effet de placer les comptes de dépôt en position débitrice, l’intéressé ayant pris le soin préalablement à l’émission d’un ordre de virement d’approvisionner régulièrement chacun de ses deux comptes de dépôts;
– postérieurement à l’émission de ces ordres de virement, [N] [J] a sollicité la restitution des fonds par écrit à la Société LA BANQUE POSTALE et à la société BNP PARIBAS,
– le demandeur a déposé plainte du chef d’escroquerie.

Il en ressort que chaque ordre de virement tant dans son principe que dans son quantum a été validé par [N] [J] qui n’en conteste pas l’exactitude. Les 29 virements nationaux et internationaux querellés ont donc été effectués sur instruction expresse de la part de [N] [J]. Or, dans la mesure où l’obligation de l’établissement bancaire consiste en l’occurrence à assurer la bonne exécution des ordres de virement reçus, la société LA BANQUE POSTALE, comme la société BNP PARIBAS, qui n’a ni proposé ni suivi cet investissement sur une plateforme de trading en ligne, n’avait ni à en contrôler la finalité, ni à s’assurer de l’identité des destinataires ni à mettre en garde ses clients, ce d’autant que le motif renseigné était soit inexact soit lacunaire. Il appartenait au demandeur de se renseigner préalablement à la réalisation de cet investissement. [N] [J] est mal fondé à reprocher à la banque de ne pas avoir tenu compte des nombreuses escroqueries aux investissements sur le marché des crypto-monnaies qui avaient cours à cette époque.

Au vu des relevés de compte produits aux débats, il apparaît que chaque virement est d’un montant significatif puisqu’il absorbe la quasi-totalité du solde créditeur du compte. En outre, ces relevés de compte ne font pas apparaître l’existence d’opérations habituelles de transfert de fonds vers l’étranger. Ces virements opéraient donc une rupture dans les modalités de gestion habituelle du compte de [N] [J]. Toutefois, à la suite de chaque virement, le solde du compte demeurait créditeur et chaque virement était effectué au bénéfice d’une personne morale dont il n’est pas établi, ni même soutenu, qu’elle figurait sur la liste des établissements frauduleux établie par l’Autorité des marchés financiers.

Ainsi, les opérations effectuées par [N] [J] après qu’il ait renseigné toutes les informations nécessaires à la réalisation des virements litigieux, pour inhabituelles qu’elles fussent, ne présentaient pas d’anomalies apparentes pour la banque gestionnaire du compte, dès lors que chacune d’elles s’apparentait à une opération de gestion des fonds déposés, librement effectuée par le détenteur du compte.

Par suite, en l’absence d’anomalies apparentes affectant chacun des 29 virements autorisés par [N] [J], ce dernier n’est pas fondé à engager la responsabilité de la SOCIÉTÉ LA BANQUE POSTALE ni celle de la société BNP PARIBAS pour cause de manquement à son obligation de vigilance et de surveillance.

Au surplus, la confirmation par [N] [J] des ordres de virements émis sur la période allant du 12 août 2021 au 9 septembre 2021, après avoir été interrogé sur ce point par la société BNP PARIBAS préalablement à leur exécution, témoigne de la démarche volontaire, délibérée et persistante de l’intéressé à effectuer ces opérations de paiement compte tenu des rendements espérés.

Au demeurant, [N] [J] n’est pas fondé à reprocher à la SOCIÉTÉ LA BANQUE POSTALE et à la société BNP PARIBAS de s’être abstenue de l’interroger sur l’objet des virements litigieux dans la mesure où le devoir de non-ingérence lui en fait interdiction et où elle est étrangère à l’opération d’investissement querellée.

Enfin, il sera relevé que les opérations contestées qui portaient sur des marchés non réglementés et hautement risqués, ont pu logiquement amener à la perte du capital investi sans que soit apportée la moindre preuve d’un détournement d’argent ou d’une escroquerie.

Au surplus, s’il ressort du courriel de [W] [J] du 9 mars 2022 et du courrier du conseil de [N] [J] du 22 mars 2022 que ce dernier n’a plus accès depuis le mois d’octobre 2021 à ses comptes ouverts dans les livres de la SOCIÉTÉ LA BANQUE POSTALE, force est de relever que le demandeur ne verse aux débats aucune pièce émanant de la banque en ce sens et aucune pièce justifiant des diligences accomplies depuis le mois d’octobre 2021. De plus, par courriel du 13 mars 2022, l’établissement bancaire a sollicité auprès de l’intéressé la preuve de l’enregistrement de la mesure de sauvegarde de justice dont il faisait l’objet. Aucune faute de la SOCIÉTÉ LA BANQUE POSTALE n’est donc caractérisée. De plus, le demandeur ne justifie ni du principe ni du quantum du préjudice matériel et du préjudice moral qu’il allègue avoir subis en raison du blocage de l’accès à ses comptes bancaires.

Par conséquent, [N] [J] sera débouté de l’intégralité de ses demandes indemnitaires.

Il y a lieu de rejeter toutes demandes plus amples ou contraires.

Sur les demandes accessoires

Succombant en ses prétentions, [N] [J] sera condamné aux dépens en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile, avec distraction au profit du Cabinet Signature Litigation.

[N] [J], partie perdante, sera condamné à payer à chacune des deux défenderesses la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Sa demande présentée au titre des frais irrépétibles sera rejetée.

L’exécution provisoire est de droit dans la présente affaire, conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, en premier ressort et publiquement par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE [N] [J] de ses demandes de dommages et intérêts,

REJETTE toutes demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE [N] [J] à payer à la société LA BANQUE POSTALE la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [N] [J] à payer à la société BNP PARIBAS la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE [N] [J] de sa demande au titre des frais irrépétibles;

RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

CONDAMNE [N] [J] aux dépens, avec distraction au profit du Cabinet Signature Litigation.

LE GREFFIERLA PRESIDENTE

 

0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
Scroll to Top