L’obligation de concéder une licence de brevet

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Une proposition de loi déposée au Sénat vise à assouplir le régime actuel permettant de concéder d’office une licence de brevet dans l’intérêt de la santé publique en cas d’extrême urgence sanitaire.

Licence de brevet obligatoire

Une licence de brevet est le contrat par lequel le titulaire du brevet – le breveté – concède à un tiers – le licencié – le droit d’exploiter l’invention moyennant le versement d’une redevance. Si le breveté est en principe libre de conclure ou non un tel contrat, par exception, dans certains cas précisés par la loi, la conclusion d’un accord de licence peut lui être imposée.

L’objectif du texte est d’assouplir l’accès aux inventions brevetées dans une perspective d’intérêt général en permettant à des entreprises de fabriquer des vaccins et traitements mis au point par d’autres via la mise en place d’une licence d’office.

Accord ADPIC

Dans le cadre de l’accord relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, dit accord « ADPIC » (pour « aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce », signé le 15 avril 1994 et entré en vigueur le 1er janvier 1995), conclu au sein de l’OMC, la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique peut être invoquée en cas de crise sanitaire.

L’accord ADPIC autorise expressément les États signataires à adopter dans leur législation les mesures nécessaires pour protéger la santé publique à condition que ces mesures soient compatibles avec les dispositions de l’accord (art. 8, al. 1er). Ces licences restent néanmoins quasi inexistantes.

Le régime français des licences d’office

En France, la licence d’office suppose notamment que les médicaments soient mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés (art. L. 613-16 et s. du code de la propriété intellectuelle). En pareil cas, il suffit qu’une volonté politique soit au rendez-vous pour qu’une telle licence soit mise en place via une procédure administrative à deux temps : d’abord, le ministre de la Santé en fait la demande au ministre de l’Économie et des Finances, lequel peut alors soumettre les brevets en cause au régime de la licence d’office par voie d’arrêté ; ensuite, un appel à candidatures doit assurer l’octroi de la licence à tout tiers qualifié. À défaut d’accord amiable sur le prix, le montant des redevances est fixé par le tribunal judiciaire.

Le droit des brevets pose lui-même cette limite au droit du breveté afin d’éviter un exercice du droit de propriété qui serait injustifié au regard du besoin d’accès du public aux produits brevetés.

En l’état actuel du droit si l’intérêt de la santé publique l’exige et à défaut d’accord amiable avec le titulaire du brevet, le ministre chargé de la propriété industrielle peut, sur la demande du ministre chargé de la santé publique, soumettre par arrêté au régime de la licence d’office, tout brevet délivré pour :

a) Un médicament, un dispositif médical, un dispositif médical de diagnostic in vitro, un produit thérapeutique annexe ;

b) Leur procédé d’obtention, un produit nécessaire à leur obtention ou un procédé de fabrication d’un tel produit ;

c) Une méthode de diagnostic ex vivo.

Les brevets de ces produits, procédés ou méthodes de diagnostic ne peuvent être soumis au régime de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique que lorsque ces produits, ou des produits issus de ces procédés, ou ces méthodes sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique ou constitutives de pratiques déclarées anticoncurrentielles à la suite d’une décision administrative ou juridictionnelle devenue définitive.

Lorsque la licence a pour but de remédier à une pratique déclarée anticoncurrentielle ou en cas d’urgence, le ministre chargé de la propriété industrielle n’est pas tenu de rechercher un accord amiable.

Du jour de la publication de l’arrêté qui soumet le brevet au régime de la licence d’office, toute personne qualifiée peut demander au ministre chargé de la propriété industrielle l’octroi d’une licence d’exploitation. Cette licence est accordée par arrêté dudit ministre à des conditions déterminées, notamment quant à sa durée et son champ d’application, mais à l’exclusion des redevances auxquelles elle donne lieu. Elle prend effet à la date de la notification de l’arrêté aux parties.

A défaut d’accord amiable approuvé par le ministre chargé de la propriété industrielle et le ministre chargé de la santé publique, le montant des redevances est fixé par le tribunal judiciaire.

Le règlement européen du 17 mai 2006  

La demande d’une licence obligatoire, présentée en application du règlement (CE) n° 816/2006 du 17 mai 2006, concernant l’octroi de licences obligatoires pour des brevets visant la fabrication de produits pharmaceutiques destinés à l’exportation vers des pays connaissant des problèmes de santé publique, est adressée à l’autorité administrative. La licence est délivrée conformément aux conditions déterminées par l’article 10 de ce règlement. L’arrêté d’octroi de la licence fixe le montant des redevances dues.

La licence prend effet à la date la plus tardive à laquelle l’arrêté est notifié au demandeur et au titulaire du droit.

Toute violation de l’interdiction prévue à l’article 13 du règlement (CE) n° 816/2006 et à l’article 2 du règlement (CE) n° 953/2003 du Conseil, du 26 mai 2003, visant à éviter le détournement vers des pays de l’Union européenne de certains médicaments essentiels constitue une contrefaçon punie des peines prévues à l’article L. 615-14 du présent code.

Obligation d’exploitation du brevet

Le ministre chargé de la propriété industrielle peut aussi mettre en demeure les propriétaires de brevets d’invention autres que ceux visés à l’article L. 613-16 d’en entreprendre l’exploitation de manière à satisfaire aux besoins de l’économie nationale.

Si la mise en demeure n’a pas été suivie d’effet dans le délai d’un an et si l’absence d’exploitation ou l’insuffisance en qualité ou en quantité de l’exploitation entreprise porte gravement préjudice au développement économique et à l’intérêt public, les brevets, objets de la mise en demeure, peuvent être soumis au régime de licence d’office par décret en Conseil d’Etat.

Le ministre chargé de la propriété industrielle peut prolonger le délai d’un an prévu ci-dessus lorsque le titulaire du brevet justifie d’excuses légitimes et compatibles avec les exigences de l’économie nationale.

Du jour de la publication du décret qui soumet le brevet au régime de la licence d’office, toute personne qualifiée peut demander au ministre chargé de la propriété industrielle l’octroi d’une licence d’exploitation.

Cette licence est accordée par arrêté dudit ministre à des conditions déterminées quant à sa durée et son champ d’application, mais à l’exclusion des redevances auxquelles elle donne lieu. Elle prend effet à la date de notification de l’arrêté aux parties.

A défaut d’accord amiable, le montant des redevances est fixé par le tribunal judiciaire.

Besoins de la défense nationale

L’Etat peut aussi obtenir d’office, à tout moment, pour les besoins de la défense nationale, une licence pour l’exploitation d’une invention, objet d’une demande de brevet ou d’un brevet, que cette exploitation soit faite par lui-même ou pour son compte.

La licence d’office est accordée à la demande du ministre chargé de la défense par arrêté du ministre chargé de la propriété industrielle. Cet arrêté fixe les conditions de la licence à l’exclusion de celles relatives aux redevances auxquelles elle donne lieu.

La licence prend effet à la date de la demande de licence d’office.

A défaut d’accord amiable, le montant des redevances est fixé par le tribunal judiciaire. A tous les degrés de juridiction, les débats ont lieu en chambre du conseil.

Secteur stratégique des semi-conducteurs  

Si le brevet a pour objet une invention dans le domaine de la technologie des semi-conducteurs, une licence obligatoire ou d’office ne peut être accordée que pour une utilisation à des fins publiques non commerciales ou pour remédier à une pratique déclarée anticoncurrentielle à la suite d’une procédure juridictionnelle ou administrative.

L’Etat peut, à tout moment, par décret, exproprier, en tout ou partie, pour les besoins de la défense nationale, les inventions, objet de demandes de brevet ou de brevets. A défaut d’accord amiable, l’indemnité d’expropriation est fixée par le tribunal judiciaire. A tous les degrés de juridiction, les débats ont lieu en chambre du conseil.

Saisie d’un brevet

La saisie d’un brevet est effectuée par acte extra-judiciaire signifié au propriétaire du brevet, à l’Institut national de la propriété industrielle ainsi qu’aux personnes possédant des droits sur le brevet ; elle rend inopposable au créancier saisissant toute modification ultérieure des droits attachés au brevet. A peine de nullité de la saisie, le créancier saisissant doit, dans le délai prescrit, se pourvoir devant le tribunal, en validité de la saisie et aux fins de mise en vente du brevet.

Les pistes de la proposition de loi

A ce jour aucune licence d’office n’a jamais été mise en place en France.

L’introduction récente d’un article L. 3131-15 dans le code de la santé publique permet au Premier ministre « par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : […] 9° En tant que de besoin, [de] prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l’éradication de la catastrophe sanitaire ».

La proposition de loi opère les modifications visant :

– à assouplir les conditions de soumission d’un brevet à la licence d’office pour en faciliter l’octroi, voire en cas d’extrême urgence sanitaire en accélérer la délivrance ;

– à garantir l’exploitation effective de l’invention ainsi donnée en licence d’office.

En l’état du droit, les difficultés d’application du mécanisme de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique concernent les deux phases de délivrance de cette licence, c’est-à-dire la procédure de soumission du titre de propriété industrielle au régime de la licence d’office d’une part, et la procédure de candidature des tiers à la licence d’office d’autre part. À cette fin, plusieurs dispositions pourraient notamment être modifiées dans les parties législatives du code de la propriété intellectuelle et du code de la santé publique.

I. Assouplir les conditions de soumission d’un brevet à la licence d’office

Objet de la licence d’office.

– À suivre strictement la lettre de l’article L. 613-16 du CPI, la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique n’a pour objet que les seuls brevets délivrés, omettant par là même les demandes de brevet.

Or, l’épidémie de la Covid-19 ayant déclenché plusieurs recherches, tant en ce qui concerne les traitements préventifs (vaccins) et curatifs (médicaments) que les méthodes de diagnostic, on peut s’attendre à ce que plusieurs demandes de brevets soient prochainement déposées, celles-ci ne pouvant toutefois espérer être délivrées que dans plusieurs années.

Par conséquent, l’omission du renvoi aux demandes de brevet par l’article L. 613-16 du CPI peut fortement préjudicier à l’intérêt de la mise en oeuvre du mécanisme de la licence d’office dans le cadre de la crise sanitaire actuelle. Pour y remédier, le texte propose de  mentionner dans la loi, les demandes de brevets.

Conditions de licence d’office.

– Pour que le brevet puisse être soumis à licence d’office, son objet doit notamment être « mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique […] ».

Relativement à l’épidémie de la Covid-19, les critères de quantité insuffisante et/ou de prix anormalement élevés semblent être les plus pertinents. En particulier, l’insuffisance de quantité est caractérisée lorsqu’un produit de santé de la Covid-19 incorporant une invention brevetée n’est pas accessible à tous les citoyens français qui en ont besoin.

Mais le mécanisme de la licence d’office perd de son intérêt s’il ne peut être mis en oeuvre qu’après avoir effectivement constaté une situation de rupture de stock ou de tension extrême d’approvisionnement. Or, en l’état, cette lecture peut s’appuyer de la lettre de l’article L. 613-16 du CPI, rédigé au présent de l’indicatif : les objets incorporant le brevet « sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés […] »).

Le texte propose d’ajouter une troisième condition alternative d’« extrême urgence sanitaire » à l’article L. 613-16 du CPI afin qu’une licence d’office puisse être octroyée avant que l’irréparable ne survienne, à savoir que certains patients se voient refuser des soins faute de produits disponibles. La nécessité de secourir la santé publique, au moment où celle-ci en a le plus besoin et non plusieurs mois après lorsque la pénurie est patente – le justifierait.

Une fois publié l’arrêt qui soumet le brevet au régime de la licence d’office, toute personne qualifiée pourrait candidater auprès du ministre de l’Économie et des Finances afin de se voir concéder une licence d’exploitation (art. L. 613-17, al. 1er, CPI). Dans l’hypothèse où la licence d’office porterait non seulement sur la fabrication mais également sur la commercialisation d’un médicament pour le traitement de la Covid-19 (voire d’un vaccin), le candidat licencié devra obtenir une autorisation de commercialisation pour bénéficier de la qualification légale requise ; il le pourra soit en développant son propre produit (a), soit en sollicitant le titulaire du brevet (b).

a) Obtention d’une autorisation à partir du développement effectué par le candidat à la licence d’office

Autorisations de mise sur le marché (AMM).

– Le candidat à la licence peut effectuer le développement d’un générique du médicament couvert par le(s) brevet(s) objet(s) de la licence et requérir une autorisation de mise sur le marché (ci-après « AMM ») pour celui-ci. Toutefois, cette demande d’AMM sera refusée tant que la protection des données de l’AMM et de l’exclusivité de marché du médicament princeps seront en vigueur (art. R. 5121-28 et art. L. 5121-10-1 du CSP pour les AMM nationales ; art. 14, par. 11, du Règlement (CE) n° 726/2004 pour les AMM centralisées).

Plus précisément, les recherches actuellement menées sur la Covid-19 sont susceptibles de donner lieu à des AMM portant notamment sur des combinaisons fixes de principes actifs pouvant bénéficier de la protection autonome de leurs données et de leur propre exclusivité de marché, quand bien même les principes actifs objet de ces combinaisons, pris individuellement, sont déjà autorisés depuis plusieurs années.

Or, il n’existe pas d’exception à ces protections/exclusivités tenant à l’octroi d’une licence d’office.

Autorisations temporaires d’utilisation (ATU).

– En vue de pallier ce blocage, le candidat à la licence pourrait requérir une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Cet outil, régulièrement utilisé par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), autorise l’utilisation « de certains médicaments [pour] traiter des maladies graves ou rares en l’absence de traitement approprié » (art. L. 5121-12 du CSP). Cela semble répondre à la problématique de la Covid-19 puisque l’ATU permet « l’accès précoce à de nouveaux traitements lorsqu’il existe un réel besoin de santé publique ».

À ce titre, il est possible que certains traitements princeps de la Covid-19 ne bénéficient pas, au moins dans un premier temps, d’une véritable AMM mais seulement d’une ATU. Or, ces ATU pourraient ne pas être considérées comme de véritables « traitements appropriés », ce qui permettrait alors l’octroi d’une ATU au profit du candidat licencié pour le produit incorporant l’invention couverte par la licence d’office.

Cependant, cela imposerait au candidat à la licence d’obtenir une ATU avant que les traitements actuellement testés ne fassent l’objet d’une AMM au profit des laboratoires titulaires des droits de brevet. Le candidat licencié, accusant par définition un temps de retard, ne part pas gagnant.

C’est pourquoi, afin que les ATU puissent également s’appliquer aux cas où des AMM auraient été obtenues – notamment par les brevetés, mais où les médicaments en cause seraient mis à la disposition du public en quantités insuffisantes ou à des prix anormalement élevés, il est proposé de modifier l’article L. 5121-12 du CSP afin de permettre un élargissement de l’accès aux ATU.

b) Obtention d’une autorisation de commercialisation en sollicitant le titulaire du brevet

Pour bénéficier de la qualification légale requise, le candidat à la licence pourrait non plus développer son propre produit mais solliciter directement le breveté. En pratique, une licence de brevet sur un médicament emporte souvent, en parallèle, une cession d’une copie de l’AMM, appelée AMM bis, ou la mise à disposition du licencié par le breveté de tous les documents et données nécessaires afin que le licencié dépose une demande et obtienne une AMM.

Par ailleurs, les licences de brevet emportent quasi-systématiquement licence du savoir-faire correspondant de sorte, là encore, à ce que la licence puisse être concrètement mise en oeuvre, ce qui participe de la qualification « technique » du candidat à la licence.

Or, les dispositions de l’article L. 613-17 du CPI n’envisagent pas ces éléments. Par conséquent, l’article devrait être modifié afin d’assurer que la licence d’office emporte également une mise à disposition du licencié par le breveté de tous les éléments raisonnablement nécessaires en vue de la commercialisation de l’invention brevetée.

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