Licenciement sans cause réelle et sérieuse: indemnités accordées

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

C O U R D ‘ A P P E L D ‘ O R L É A N S

CHAMBRE SOCIALE – A –

Section 1

PRUD’HOMMES

Exp +GROSSES le 03 NOVEMBRE 2023 à

la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS

la SCP LE METAYER ET ASSOCIES

ARRÊT du : 03 NOVEMBRE 2023

MINUTE N° : – 23

N° RG 21/02031 – N° Portalis DBVN-V-B7F-GNAP

DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE : CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’ORLEANS en date du 30 Juin 2021 – Section : ENCADREMENT

APPELANT :

Monsieur [A] [N]

né le 24 Février 1958 à [Localité 6]

[Adresse 7] –

[Localité 2]

représenté par Me Sophie GATEFIN de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d’ORLEANS, Me Benjamin LOUZIER de la SELARL REDLINK, avocat au barreau de PARIS

ET

INTIMÉES :

S.A.S. IXI agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Agnès MENOUVRIER de la SCP LE METAYER ET ASSOCIES, avocat au barreau d’ORLEANS

S.A.S. [C] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Agnès MENOUVRIER de la SCP LE METAYER ET ASSOCIES, avocat au barreau d’ORLEANS

S.A.S. SDH FER agissant poursuites et diligences de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Agnès MENOUVRIER de la SCP LE METAYER ET ASSOCIES, avocat au barreau d’ORLEANS

Ordonnance de clôture :

Audience publique du 05 Septembre 2023 tenue par M. Alexandre DAVID, Président de chambre, et ce, en l’absence d’opposition des parties, assisté/e lors des débats de Monsieur Jean-Christophe ESTIOT, Greffier.

Après délibéré au cours duquel M. Alexandre DAVID, Président de chambre a rendu compte des débats à la Cour composée de :

Monsieur Alexandre DAVID, président de chambre, président de la collégialité,

Madame Laurence DUVALLET, présidente de chambre,

Madame Florence CHOUVIN-GALLIARD, conseiller

Puis le 03 Novembre 2023, Monsieur Alexandre DAVID, président de Chambre, assisté de Jean-Christophe ESTIOT, greffier a rendu l’arrêt par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCEDURE

Courant juillet 2014, la SAS [C] a repris les actifs de la SAS SDH Ferroviaire. Une nouvelle société, la SAS SDH Fer, a été créée.

Le 16 juillet 2014, la SASU Cynetic, dont le président est M. [A] [N], a conclu un contrat de prestation de conseil et d’accompagnement avec la SAS SDH Fer.

Le 1er mai 2016, un contrat de travail a été conclu entre la SAS SDH Fer et M. [A] [N], ce dernier étant engagé en qualité de directeur et soumis au régime du forfait en jours à raison de 55 jours de travail par an. La relation de travail était régie par la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972.

Le 1er juillet 2016, deux contrats de prestations de services ont été conclus par la société Cynetic, dont M. [N] est président, l’un avec la SAS [C], l’autre avec la SAS Ixi, ces deux sociétés faisant partie du même groupe que la SAS SDH Fer.

Le 26 avril 2018, les sociétés [C] et Ixi ont mis fin aux contrats de prestations de services avec effet au 30 juin 2018.

Le 3 juillet 2018, la SAS SDH Fer a convoqué la SAS SDH Fer à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement et l’a mis à pied à titre conservatoire.

Le 18 juillet 2018, la SAS SDH Fer a notifié à M. [N] son licenciement pour faute grave.

Le 2 août 2018, M. [A] [N] a contesté son licenciement et a sollicité de son employeur des précisions sur les griefs invoqués. Une réponse lui a été apportée le 6 août 2018.

Par requête du 26 décembre 2018, M. [A] [N] a saisi le conseil de prud’hommes d’Orléans aux fins de voir reconnaître l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le caractère vexatoire de celui-ci , d’obtenir la requalification du contrat de prestation du 14 juillet 2014 conclu avec la société SDF Fer et des contrats de prestations des 1er juillet 2016 conclus avec les sociétés [C] et Ixi en contrats de travail, de voir dire que la rupture des contrats de prestation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 30 juin 2021, auquel il est renvoyé pour un plus ample exposé du litige, le conseil de prud’hommes d’Orléans a :

Déclaré M. [A] [N] recevable en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [A] [N] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [A] [N] n’est pas intervenu dans des conditions vexatoires ;

En conséquence,

Condamné la SAS SDH Fer à verser à M. [A] [N] les sommes suivantes :

-2.711,66 euros (deux mille sept cent onze euros et soixante six centimes) à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

-8.134,98 euros (huit mille cent trente quatre euros et quatre vingt dix huit centimes) à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

-813,49 euros (huit cent treize euros et quarante neuf centimes) au titre des congés payés y afférents,

-2711,66 euros (deux mille sept cent onze euros et soixante six centimes) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-2000,000 euros (deux mille euros) au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Ordonné à la SAS SDH Fer la remise à M. [A] [N] d’une attestation Pôle Emploi à jour et donc conforme à la présente décision,

Ordonné à la SAS SDH Fer le remboursement aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, M. [A] [N], du jour de son licenciement au jour du présent jugement, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage,

Débouté M. [A] [N] du surplus de ses demandes,

Débouté la SAS SDH Fer, la SAS [C] et la SAS Ixi de leurs demandes reconventionnelles,

Condamné la SAS SDH Fer aux dépens.

Le 16 juillet 2021, M. [A] [N] a relevé appel de cette décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 23 mars 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles M. [A] [N] demande à la cour de :

Déclarer M. [A] [N] bien fondé en son appel,

Confirmer le jugement du Conseil de prud’hommes en ce qu’il a jugé que le licenciement pour faute grave de M. [A] [N] était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté M. [A] [N] de l’ensemble de ses autres demandes ;

En conséquence,

-Juger que le licenciement pour faute de M. [A] [N] est sans cause réelle et sérieuse ;

-Juger que le licenciement de M. [A] [N] est intervenu dans des conditions vexatoires ;

-Requalifier le contrat de prestation de service conclu le 17 juillet 2014 avec la société SDH Fer en contrat de travail,

-Requalifier le contrat de prestation de service conclu le 1er juillet 2016 avec la société [C] en contrat de travail,

-Requalifier le contrat de travail de service conclu le 1er juillet 2016 avec la société Ixi en contrat de travail ;

-Requalifier la rupture du contrat de prestation de service conclu le 1er juillet 2016 avec la société Ixi en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Par conséquent,

-Condamner la société SDH Fer aux sommes suivantes :

-102.463,77 euros bruts à titre de rappel de salaires ;

-10.246,37 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

-32.244 euros nets à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

-Rappel de cotisations sociales sur les sommes versées entre le 18 juillet 2015 et le 30 avril 2016 ;

-10.748,03 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

-32.244,10 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

-3.224,41 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

-28.870 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-20.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

-Condamner la société [C] aux sommes suivantes :

-26.650 euros nets à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

-Rappel de cotisations sociales sur les sommes versées entre le 1er juillet 2016 au 30 juin 2018 ;

-8.883,34 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

-26.650,20 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

-2.665,02 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

-15.545 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-Condamner la société Ixi aux sommes suivantes :

-21.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

-Rappel de cotisations sociales sur les sommes versées entre le 1er juillet 2016 au 30 juin 2018 ;

-7000 euros nets à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

-21.000 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

-2.100 euros bruts au titre des congés payés afférents ;

-12.250 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-Ordonner aux sociétés SDH Fer, [C] et Ixi la remise d’une attestation Pôle Emploi à jour à M.[N] ;

-Débouter les sociétés SDH Fer, [C] et Ixi de toutes demandes, fins et conclusions,

-Condamner de façon solidaire les sociétés SDH Fer, [C] et Ixi au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner de façon solidaire les sociétés SDH Fer, [C] et Ixi au paiement de la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner de façon solidaire les sociétés SDF Fer, [C] et Ixi au paiement des entiers dépens.

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 24 décembre 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l’article 455 du Code de procédure civile et aux termes desquelles la S.A.S Ixi, la S.A.S [C] et la S.A.S SDF Fer demandent à la cour de :

Déclarer l’appel principal formé par M. [A] [N] recevable mais mal fondé, l’en débouter,

Déclarer l’appel incident formé par les sociétés SDH Fer, [C] et Ixi recevable et bien fondé,

En conséquence,

-Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Orléans en date du 30 juin 2021 en ce qu’il a jugé que le licenciement pour faute grave de M. [A] [N] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamné la société SDH Fer au paiement des sommes suivantes :

2711,66 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

8.134,98 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

813,49 euros au titre des congés payés y afférents ;

2.711,66 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

-Confirmer le jugement du Conseil de prud’hommes d’Orléans en date du 30 juin 2021 pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

-Juger que le licenciement de M. [A] [N] repose sur une faute grave ;

-Débouter M. [A] [N] de toutes ses demandes, fins ou conclusions contraires;

Y ajoutant

-Condamner M. [A] [N] au paiement de la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner M. [A] [N] aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 27 juin 2023.

MOTIFS

Sur la demande de requalification du contrat de prestations de services conclu le 17 juillet 2014 avec la société SDH Fer en contrat de travail

Selon l’article L. 8221-6 du code du travail, sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés. L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Le lien de subordination est caractérisé par l’existence d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n°17-20.079, P+B+R+I).

M. [A] [N] sollicite la requalification en contrat de travail du contrat de prestation de conseil et d’accompagnement de service conclu le 17 juillet 2014 avec la SAS SDH Fer.

Il résulte des termes de ce contrat qu’il a été conclu entre la SASU Cynetic, dont M. [A] [N] est président, et la SAS SDH Fer.

Il appartient donc à M. [A] [N] de renverser la présomption instituée par l’article L. 8221-6 du code du travail et de démontrer l’existence d’un lien de subordination à l’égard de la société SDH Fer.

A l’appui de sa demande, M. [A] [N] expose :

– qu’il avait pour client unique la société SDH Fer, ce qui emportait une dépendance économique ;

– qu’il travaillait dans les locaux de la société SDH Fer ;

– qu’il utilisait une adresse mail interne au nom de la société SDH Fer et communiquait à l’aide de cette dernière avec les autres sociétés du groupe ;

– qu’il figurait depuis 2014 sur l’organigramme de la société comme faisant partie de la direction;

– qu’il assistait aux réunions du CE et du CHSCT ;

– qu’il validait les congés des salariés qu’il avait sous ses ordres,

– qu’il était inscrit à des formations auxquelles il était contraint d’assister.

Le travail dans les locaux de la société SDF Fer ainsi que l’utilisation d’une adresse mail interne au nom de la société SDH Fer sont des indices d’un travail au sein d’un service organisé.

Les organigrammes que M. [A] [N] verse aux débats sur lequel il apparaît en qualité de directeur ne sont pas utilement contredits par ceux produits pour la même période par la SAS SDH Fer. En effet, dans sa consultation réalisée à la demande de la SAS SDH Fer, Maître Desanti, avocate, indique que M. [A] [N] figure sur les organigrammes de la société (pièce n° 12). Il y a lieu de préciser que l’authenticité de ce document ne saurait être remise en cause, peu important que l’en-tête et la signature de l’avocat n’y figurent pas, celles-ci étant dans le courriel d’accompagnement. L’existence d’une erreur de plume dans l’exposé des faits, la date de conclusion du contrat de prestation de conseil étant en réalité le 16 juillet 2014 et non pas le 16 juillet 2016, ne permet aucunement de priver de crédibilité ce document.

S’il apparaît que M. [A] [N] a régulièrement participé aux réunions du comité d’entreprise et du CHSCT, il est mentionné sur la première page des procès-verbaux antérieurs au 1er mai 2016 que c’était en qualité de membre de la société Cynetic-Wikane, à l’exception toutefois du procès-verbal de novembre 2015 où il est désigné, en raison d’une erreur, en tant que directeur. Il résulte en effet de l’attestation de M. [O], membre titulaire du comité d’entreprise, que M. [A] [N] était un prestataire de service au sein de la société et que l’employeur a informé les élus de cette instance de la possibilité de refuser sa présence aux réunions. Les réunions du comité d’entreprise étaient présidées par M. [W] et l’employeur était représenté par Mme [T], du service des ressources humaines.

Dans sa consultation, Maître Desanti analyse les risques de requalification de la relation de travail. Cependant, à l’exception des organigrammes sur lesquels M. [A] [N] apparaît en qualité de directeur et des fiches de validation des congés payés des salariés, il n’est versé aux débats aucune pièce de nature à établir que, dans les faits, celui-ci aurait agi au-delà de la mission de conseil confiée à la société Cynetic.

Il y a lieu de relever que cette société, qui a une activité de consultant en stratégie de développement de PME/PMI, a débuté son activité le 20 septembre 2013, plusieurs mois avant le contrat du 16 juillet 2014. Il apparaît à la lecture de l’offre d’accompagnement faite en octobre 2014 à un client potentiel que cette société se propose d’accompagner les entreprises au moyen d’une méthode exclusive dénommée « Wikane » et avec l’appui du réseau « Wikane » auquel elle appartient (pièce n° 29 de la SAS SDH Fer).

M. [A] [N] ne rapporte pas la preuve de ce qu’il recevait des ordres et directives de la part de la SAS SDH Fer et qu’en réalité il exerçait son activité sous le contrôle de celle-ci.

Son intégration au sein de la SAS SDH Fer, caractérisée par sa mention dans l’organigramme, l’existence d’une adresse mel professionnelle et sa participation aux réunions des institutions représentatives du personnel, s’inscrit dans le cadre de la mission de conseil et d’accompagnement confiée à la SAS Cynetic et définie dans le contrat du 16 juillet 2014, étant relevé que cette mission a donné lieu à l’établissement par le prestataire de factures selon les montants convenus au contrat soit 10 000 euros hors taxes par mois. S’il apparaît que la SAS SDH Fer a laissé M. [A] [N] prendre l’initiative de valider des demandes de congés de salariés, ce seul fait est insuffisant pour caractériser un lien de subordination.

La seule action de formation dont justifie M. [A] [N] avant la conclusion du contrat de travail du 1er mai 2016 porte sur les fonctions d’« accrocheur, chef de manoeuvre et conducteur d’engin moteur ferroviaire ». Cette formation est sans aucun lien avec la mission qu’il accomplissait au sein de la SAS SDH Fer et avec l’emploi qu’il revendique. L’allégation de la société selon laquelle M. [A] [N] a souhaité, par intérêt personnel pour les engins ferroviaires, se joindre à une formation destinée à des salariés de l’entreprise emporte la conviction de la cour.

M. [A] [N] ne démontre pas que, dans les faits, les rapports entre la SAS SDH Fer et la société Cynetic n’étaient pas ceux d’un donneur d’ordre à l’égard d’une société de conseil et que cette dernière serait allée au-delà de la mission définie dans le contrat du 16 juillet 2014 ou ne l’aurait pas exercée avec l’autonomie inhérente à toute fourniture d’une prestation de service.

La circonstance que la SAS SDH Fer ait suivi la préconisation de Maître Desanti consistant à proposer un contrat de travail à M. [A] [N], que celui-ci a accepté, n’implique pas qu’avant le 1er mai 2016 l’intéressé était dans les faits placé sous l’autorité de cette société.

M. [A] [N] échouant à rapporter la preuve de l’existence d’un lien de subordination, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il l’a débouté de sa demande de requalification du contrat de prestations de services en contrat de travail ainsi que de ses demandes afférentes de rappel de salaire, de rappel de cotisations sociales et d’indemnité pour travail dissimulé.

Sur la demande de requalification des contrats d’accompagnement conclus le 1er juillet 2016 avec la SAS [C] et la SAS Ixi en contrats de travail

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Le lien de subordination est caractérisé par l’existence d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc., 28 novembre 2018, pourvoi n°17-20.079, P+B+R+I).

Le 1er juillet 2016, deux contrats de prestations de services ont été conclus par la société Cynetic, dont M. [N] est président, l’un avec la SAS [C], l’autre avec la SAS Ixi, ces deux sociétés faisant partie du même groupe que la SAS SDH Fer.

Pour les raisons précédemment exposées, il appartient à M. [A] [N] de renverser la présomption instituée par l’article L. 8221-6 du code du travail et de démontrer l’existence d’un lien de subordination à l’égard de la société SDH Fer.

M. [A] [N] expose que ces deux contrats intitulés « contrats d’accompagnement » ont été conclus avec les sociétés [C] et Ixi dans l’unique but, à la suite de la consultation de Maître Desanti, de minimiser le risque de requalification en contrat de travail du contrat conclu avec la société SDH Fer. Il ajoute que la conclusion d’un contrat de travail en mai 2016 et de deux contrats de service en juillet 2016 procéderait d’un montage visant à lui assurer une rémunération de 10 000 euros par mois tout en éludant les charges sociales.

Il se prévaut du courrier de résiliation du contrat de prestations de service émis le 26 avril 2018 par la société [C] et produit divers courriels dont il résulterait, selon lui, qu’il rendait des comptes et menait les actions demandées par les sociétés [C] et Ixi (pièce n° 23).

Ces éléments ne suffisent pas à démontrer le caractère fictif des contrats passés avec ces deux sociétés, étant relevé à cet égard que celles-ci produisent des rapports d’activité réalisés par M. [A] [N] en exécution des contrats (pièces n° 37 et 38). Il ne ressort pas des pièces versées aux débats que M. [A] [N] recevait des ordres et des directives de la part des sociétés Ixis et [C]. Les courriels qu’il produit s’inscrivent dans le cadre de l’exécution d’un contrat de prestations de services, étant précisé que les missions des contrats d’accompagnement étaient en lien direct avec l’activité de la SAS SDH Fer dont M. [A] [N] était salarié.

La preuve de l’existence d’un lien de subordination n’étant pas rapportée, il y a lieu de débouter M. [A] [N] de sa demande de requalification des contrats en contrat de travail et de ses demandes afférentes de rappels de salaire, de cotisations sociales et d’indemnité pour travail dissimulé. Le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté l’appelant de l’intégralité de ses demandes contre les sociétés Ixis et [C].

Sur la requalification de la convention de forfait en jours

En application du contrat de travail conclu le 1er mai 2016 avec la SAS SDH Fer, M. [A] [N] était soumis au régime du forfait en jours à raison de 55 jours de travail par an.

Il sollicite la « requalification du forfait réduit en temps plein » (conclusions p. 21), en faisant valoir qu’il effectuait en réalité ses missions dans le cadre d’un forfait en jours plein soit 218 jours par an. Il forme ainsi une demande de rappel de salaire sur la base d’un « temps plein », estimant qu’il aurait dû percevoir un salaire mensuel de 5374 euros et non pas de 4018,17 euros (conclusions, p. 30).

Le salarié en forfait en jours ne saurait être considéré comme un salarié à temps partiel, quel que soit le nombre de jours prévu dans la convention de forfait (Soc., 27 mars 2019, pourvoi n° 16-23.800, FS, P + B). Il n’y a donc pas lieu à requalification de la convention de forfait.

La demande formée par M. [A] [N] ne s’analyse pas comme une demande au titre de l’exécution de jours au-delà du nombre prévu par la convention de forfait. Il y a donc lieu de le débouter de sa demande de rappel de salaire à temps plein. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur le bien-fondé du licenciement

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il incombe à l’employeur d’en rapporter la preuve.

Le 18 juillet 2018, M. [A] [N] a été licencié pour faute grave par la société SDH Fer.

Dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, il est reproché à M. [A] [N] les griefs suivants :

– Avoir privilégié la société Stephjer en contrepartie d’avantages personnels,

– Avoir usurpé le titre de Directeur Général,

– Avoir eu un management inapproprié constitutif de harcèlement moral,

– Avoir été en état d’ébriété lors d’une réception dans les locaux de la société,

– Avoir fumé dans les locaux et amené son chien.

Sur la prescription

Conformément à l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales. Si aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a connaissance, ces dispositions ne font pas obstacle à la prise en considération de faits antérieurs à deux mois dès lors que le comportement du salarié s’est poursuivi ou s’est réitéré dans ce délai (Soc., 19 janvier 2017, pourvoi n°15-24.404).

M. [A] [N] invoque la prescription de quatre des cinq griefs qui lui sont reprochés.

Tout d’abord, M. [A] [N] considère que le grief lui reprochant d’avoir privilégié la société Stephjer en contrepartie d’avantages personnels pour la rénovation de sa résidence est un fait prescrit car les travaux que la société Stephjer a effectués dans sa résidence principale l’ont été en juillet 2014.

La société SDH Fer a engagé la procédure disciplinaire à l’encontre de M. [A] [N] le 3 juillet 2018.

Cependant, il est reproché à M. [A] [N] d’avoir privilégié la société Stephjer en échange de tarifs préférentiels pour la rénovation de sa maison dont les travaux se sont poursuivis jusqu’en juillet 2018 (pièce n°11 du dossier employeur).

Il ne s’agit pas d’un fait antérieur de deux mois aux poursuites disciplinaires mais d’un fait qui s’est prolongé dans le temps. Il y a donc lieu de l’analyser.

Ensuite, M. [A] [N] invoque la prescription du grief tenant à l’usurpation du titre de Directeur général. Il indique en effet que la société se base sur un courriel datant du 10 mai 2016 ainsi que sur le procès-verbal de réunion du comité d’entreprise en date du 29 septembre 2017.

Cependant, la société SDH Fer fait valoir à juste titre qu’il s’agit d’un fait qui s’est répété dans le temps, M. [A] [N] produisant des courriels datant du 4 juin 2018 dans lesquels la mention DG figure à côté de sa signature. Il y a lieu donc lieu d’analyser ce fait.

Encore, M. [A] [N] invoque la prescription du grief de management inapproprié constitutif de harcèlement moral en faisant valoir que la SAS SDH Fer se fonde sur un courriel du 9 avril 2018 soit plus de deux mois avant l’engagement de la procédure disciplinaire.

Cependant, l’employeur indique avoir pris connaissance de certains faits ayant poussé des salariés à la démission une fois la procédure disciplinaire engagée. Il produit plusieurs attestations de salariés en ce sens (notamment pièce n°16 du dossier employeur). Il y a lieu de considérer que le grief tenant à un management inapproprié constitutif de harcèlement moral n’est pas prescrit.

Enfin, M. [A] [N] invoque la prescription s’agissant des griefs d’avoir fumé dans les locaux et d’y avoir amené son chien, prétendant que la société produirait des pièces qui démontrent que ces faits perduraient depuis des années et que l’employeur en avait parfaitement connaissance.

La société SDH Fer soutient à bon droit que s’agissant d’un comportement répété ainsi qu’il résulte des attestations produites (pièces n°21 et n°46 du dossier employeur), le grief n’est pas prescrit.

Sur le grief consistant à avoir privilégié la société Stephjer en contrepartie d’avantages personnels

La lettre de licenciement énonce :

« Ainsi, nous avons eu la stupeur de constater que vous avez profité de vos fonctions pour bénéficier d’avantages personnels.

En effet, vous vous êtes permis, au détriment des intérêts de la société, de privilégier la société STEPHJER Courtages en travaux, en lui confiant de nombreux travaux pour le compte de la société SDH Fer, en contrepartie d’avantages personnels.

Vous n’avez pas pris soin, au préalable, d’une part d’avoir recours à nos ressources en interne et d’autre part de solliciter d’autres prestataires pour avoir des comparatifs de coûts. Voire, même lorsque notre service maintenance vous a proposé d’autres devis, vous les avez refusés sans même les regarder.

Votre comportement se comprend mieux lorsque l’on sait que vous avez bénéficié pour la rénovation de votre résidence de conditions très préférentielles octroyées par la société STEPHJER Courtages en travaux, à laquelle, en contrepartie, vous avez confié tous les travaux de la société SDH Fer. »

La société SDH Fer apporte pour preuve un devis de travaux de réalisation d’une dalle béton émanant de la société Simac, présentée par la société Stephjer Courtage, pour un montant HT de 39 070 euros et un devis comparatif d’une autre société pour les mêmes travaux d’un montant de 10 118 euros (pièce n°12 du dossier employeur). Elle fait de même s’agissant d’autres travaux confiés à la société Simac (pièce n° 13).

La société SDH Fer se prévaut de l’évolution significative du chiffre d’affaires des sociétés Simac et Stephjer Courtage entre 2015 et 2018 grâce aux travaux réalisés pour la société SDH Fer.

Pour démontrer que M. [A] [N] a privilégié la société Stephjer Courtage en contrepartie d’avantages personnels, la société SDH Fer produit une attestation de M. [KE] [X], gérant de la société Stephjer Courtage (pièce n° 11).

L’auteur de l’attestation relate : « Je soussigné (…) certifie par la présente avoir réalisé des travaux pour la maison de M. [A] [N] (…) à des conditions préférentielles au regard de l’environnement global des travaux réalisés à SDH Fer à compter de juin 2015 jusqu’à ce jour. La seule remise faite à titre personnel à M. [N] [A] était d’environ 1000 euros correspondant à un retard de livraison des travaux hormis la gratuité de mes honoraires j’atteste par la présente n’avoir fait aucune autre concession particulière à M. [N] [A]. »

Cependant, cette attestation ne démontre aucunement que M. [A] [N] aurait privilégié la société Stephjer Courtage pour obtenir des avantages personnels. Elle ne permet d’ailleurs pas d’établir que des avantages particuliers aient été consentis à M. [A] [N], la remise des honoraires et une réduction de prix en cas de retard étant des pratiques commerciales courantes. De surcroît, le salarié démontre avoir associé M. [Z], responsable de la maintenance, aux choix des devis et des prestataires.

Tout au plus une erreur de gestion quant au choix de la société et des prix pratiqués est-elle susceptible d’être reprochée au salarié, une telle erreur ne présentant aucun caractère fautif en l’absence de caractère délibéré.

Il y a lieu d’écarter ce grief comme non établi.

Sur le grief relatif à l’usurpation du titre de directeur général de la société

La lettre de licenciement énonce :

« Nous avons également récemment constaté que vous vous permettez de signer des documents en tant que Directeur Général de SDH Fer. Or, jamais personne ne vous a désigné Directeur Général de SDH Fer. En tout état de cause pour être Directeur Général, il aurait fallu que la collectivité des associés vous nomme lors d’une Assemblée générale ce qui n’est pas le cas et vous le savez parfaitement. D’autant plus, que vous receviez systématiquement l’ensemble des documents juridiques de SDH Fer. Il s’agit là très clairement d’une usurpation de titre. »

Il importe peu que la société SDH Fer ait ou non fait état de ce grief au cours de l’entretien préalable au licenciement. Dès lors qu’il est énoncé dans la lettre de licenciement, il y a lieu de vérifier s’il est établi.

M. [A] [N] produit un procès-verbal du comité d’entreprise dans lequel il est mentionné comme Directeur général de la société SDH Fer (pièce n°28 du dossier salarié). Si l’employeur met en doute l’authenticité de cette pièce, il ne produit pas d’autre exemplaire du procès-verbal litigieux.

Sur les organigrammes qu’il verse aux débats, M. [A] [N] figure en qualité de directeur opérationnel et financier, directement rattaché à M. [W], président, directeur commercial et technique.

Il y a lieu de retenir que la société SDH Fer ne produit qu’un courriel du 10 mai 2016 à l’appui de ce grief (pièce n°44 du dossier employeur). Elle invoque également deux courriels des 4 et 26 juin 2018 sur lesquels la mention DG apparaît à côté de la signature de M. [A] [N] (pièce n° 32 du dossier du salarié).

L’employeur affirme dans ses conclusions (p. 15, dernier paragraphe) que M. [A] [N] a réitéré ce comportement tout au long de la relation de travail. A supposer que tel ait été le cas, la SAS SDH Fer ne justifie ni même n’allègue avoir rappelé le salarié à l’ordre.

Ce fait, s’il est établi, n’est pas suffisamment sérieux pour justifier le prononcé d’une mesure de licenciement.

Sur le grief tenant à un management inapproprié constitutif de harcèlement moral

La lettre de licenciement énonce :

«  Nous déplorons par ailleurs un management inapproprié, constitutif de harcèlement moral.

Ainsi, a été porté à notre connaissance votre comportement, pour le moins inadapté, à l’égard des salariés de la société qui nous ont informé subir des pressions, des agressions verbales, des remarques désobligeantes et des surveillances excessives de votre part.

Nous avons rencontré des collaborateurs en difficulté et en grande souffrance minés par un profond sentiment de défiance et de peur à votre égard.

Nous comprenons ainsi aujourd’hui les raisons de départs de salariés qui en fait ne pouvaient plus supporter votre management autoritaire, méprisant et irrespectueux.

Ainsi, par exemple, les démissions récentes de Madame [S] [T], Madame [FN] [V], Monsieur [K] [J] mais également des salariés de l’entreprise [C] qui travaillent sur place chez SDH Fer Madame [B] [I], ou encore Monsieur [M] [U] ne sont dues qu’à votre comportement à leur égard.

Monsieur [F] [Z], Madame [R] [G], Madame [P] [L] et Madame [JX] [JP] ont eu aussi subi vos crises d’autorité, craignant depuis d’échanger avec vous.

Les faits concordants qui nous ont été rapportés remettent profondément en cause votre gestion tant humaine que matérielle, et ce en totale contradiction avec les valeurs de votre hiérarchie et de la société, et bien sûr, les attendus de votre fonction.

En effet, au regard de vos responsabilités vous devriez, au contraire, être source d’exemplarité et de motivation pour les salariés de la société.

Or, les salariés se sentent constamment rabaissés par des remarques blessantes, ne bénéficiant d’aucune confiance ni de bienveillance de votre part.

Nous ne pouvons admettre un tel comportement contraire à l’exercice même de vos fonctions, et aux règles fixées par le règlement intérieur que vous aviez vous même rédigé, sans compter l’atteinte à l’éthique. Ce d’autant plus que nous devons prendre toutes mesures propres à permettre d’assurer l’intégrité physique et morale de nos salariés.

Vous aviez pourtant été mis en garde à plusieurs reprises et notamment par Monsieur [E] [C] qui dans un mail du 9 avril 2018, vous demandait de respecter les salariés et d’adopter une attitude et un comportement conformes à vos responsabilités et à votre fonction. »

La société SDH Fer verse aux débats plusieurs attestations de salariés (pièces n°16, n°17, n°18) qui font état d’un comportement inapproprié et agressif de M. [A] [N].

M. [D] [Y], dans une attestation du 29 avril 2019, relate : « à maintes reprises, j’ai vu Mme [T] [S] sortir du bureau de M. [N] effondrée » et qu’« à ce titre, quelques mois avant le départ un peu forcé de Mme [T] [S], DRH, en plein CE devant l’ensemble des élus il a humilié cette dernière en lui disant ‘Mais je vous paye à quoi ma pauvre fille’ ».

Mme [B] [I] relate « le vendredi 6 avril 2018, au retour de ma pause déjeuner, M. [A] [N] est venu me voir dans mon bureau pour me demander d’un ton agressif les clés de la Citroën qui était mise à notre disposition. Lorsque j’ai dit à M. [N] que les clés étaient en possession de [M] [U] mon collègue également salarié [C], M. [N] s’est alors emporté, furieux. (…) J’ai été très choquée par les propos agressifs de M. [N]. Un emportement qui n’était pas du tout justifié dans le contexte.(…) J’étais encore au téléphone avec Mme [H] lorsque M. [N] est revenu dans le bureau en claquant la porte d’une grande violence contre le poteau qui se trouvait derrière, à ce moment-là Mme [H] a demandé à parler à [A] [N] car elle avait tout entendu. M. [N] lui a dit qu’il n’avait pas à se justifier quant à son utilisation de la voiture puis ils ont raccroché. Lorsque j’ai dit à M. [N] qu’il m’avait manqué de respect dans sa façon de me parler, il m’a répondu qu’il n’avait pas de compte à me rendre. M. [N] a toujours été agressif avec [M] [U] et moi-même, mais là il était allé trop loin. »

Cette altercation, qui s’est déroulée le vendredi 6 avril 2018, a donné lieu à un courriel de rappel à l’ordre le 9 avril 2018. Dans cet écrit ayant pour objet « altercation de vendredi dernier »(pièce n° 19 du dossier employeur), M. [E] [C] reproche à M. [A] [N] non seulement le comportement à l’égard de Mme [I] et de M. [U] ce jour là mais aussi, de façon plus générale, de s’emporter facilement. Ce courriel se conclut par « j’aimerais qu’à l’avenir tu sois moins virulent vis-à-vis des salariés ». Il n’était pas de nature à avoir une influence sur la poursuite de la relation de travail. Il ne constitue donc pas un avertissement. Par conséquent, le rappel à l’ordre infligé au salarié n’a pas emporté épuisement du pouvoir disciplinaire de l’employeur.

Ceci étant, il y a lieu de relever que la société SDH Fer avait considéré qu’au 6 avril 2018 les faits susceptibles d’être imputés à M. [A] [N] ne pouvaient pas donner lieu à sanction disciplinaire. Elle ne rapporte la preuve d’aucun fait dont elle aurait eu connaissance concernant Mme [I] et M. [U] postérieurement à ce courriel. S’agissant de l’attitude agressive aux réunions du comité d’entreprise dont M. [D] [Y] fait état dans son attestation, l’employeur en avait nécessairement connaissance dans la mesure où ces réunions étaient présidées par M. [W], président de la société.

Il est reproché à M. [A] [N] d’avoir adopté un comportement ayant poussé à la démission plusieurs salariés de la société. La société SDH Fer produit aux débats une attestation de M. [D] [Y] (pièce n°16 du dossier employeur). Cette seule attestation n’est pas suffisante pour emporter la conviction de la cour dans la mesure où elle n’est pas corroborée par d’autres pièces versées aux débats.

S’agissant du départ de Mme [T], il ressort du courriel de celle-ci sollicitant une rupture conventionnelle que sa décision de quitter l’entreprise est étrangère au comportement de M. [A] [N] (pièce n° 33 du dossier du salarié).

Les attestations précitées sur le comportement de M. [A] [N] ne permettent pas d’établir l’existence d’un management constitutif de harcèlement moral. La critique des méthodes de management du salarié est démentie par la pétition signée le 3 juillet 2018 par 17 salariés de l’entreprise et adressée au président de celle-ci, le texte commun approuvé par les signataires énonçant que l’intéressé est « présent toutes semaines et tous les jours, du matin au soir, et est disponible pour l’ensemble des salariés » et que la société « SDH Fer a retrouvé un équilibre grâce à sa rigueur, son dynamisme, ses compétences et son investissement personnel. Il est l’un des acteurs indispensables au fonctionnement de l’entreprise, de sa cohésion et sa profitabilité. C’est notre référent » (pièce n° 26 du dossier du salarié). Si M. [O] indique que les signataires et lui ont entendu par la suite se rétracter au motif qu’ils ne disposaient pas des éléments présentés par l’employeur à l’appui de sa décision de rompre le contrat de travail, il ne remet pas pour autant en cause les termes de cette pétition (pièce n° 23 de l’employeur).

Il y a donc lieu de considérer que ce grief n’est pas établi.

Sur le grief relatif au comportement de M. [A] [N] lors d’une réception

La lettre de licenciement énonce :

« Nous avons par ailleurs eu connaissance de certains actes d’indiscipline, lesquels sont intolérables au regard de votre fonction de Directeur, et plus particulièrement de votre mission de représentation de la société à l’égard des tiers.

Ainsi, lors d’une réception dans les locaux de la société SDH Fer, vous étiez en état d’ébriété, comportement qui entraîne nécessairement une atteinte à l’image de marque de la société vis-à-vis des tiers. Lors de notre entretien du 12 courant, vous avez reconnu les faits et vous avez pris comme excuse que votre état d’ébriété s’était produit après les heures de bureau, ce qui n’est nullement justificatif ».

La lettre de licenciement ne mentionne pas la date de l’événement. Dans ses conclusions, l’employeur indique que les faits se seraient déroulés le 9 juin 2018 dans les locaux de la société à l’occasion de la cérémonie de remise de médailles du travail.

Il ressort de l’attestation de M. [D] [Y], dont se prévaut l’employeur (pièce n° 20), que cette cérémonie était interne à l’entreprise. L’auteur de l’attestation ne fait pas état de ce que M. [A] [N] aurait été en état d’ébriété. La photographie du salarié prise au cours de cet événement n’est pas de nature à démontrer qu’il était ivre (pièce n°54 du dossier employeur).

La lettre de licenciement fixant les limites du litige, il n’y a pas lieu d’examiner le grief, développé uniquement dans les conclusions de l’employeur, reprochant à M. [N] d’avoir donné instruction à des salariés de prendre des cartons de vin dans la réserve et de les avoir incités à boire, alors qu’ils étaient déjà alcoolisés.

Il y a lieu d’écarter ce grief, qui n’est matériellement pas établi.

Sur le grief reprochant à M. [A] [N] de fumer dans les locaux et d’y amener son chien

Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Il a ainsi été jugé que, compte tenu de l’activité d’une société présentant un risque incendie élevé, était fondé le licenciement pour faute grave d’un salarié fumant dans les locaux (Soc., 1er juillet 2008, pourvoi n° 06-46.421, Bull. 2008, V, n° 145). Il en est de même lorsque le salarié persiste à fumer dans l’enceinte de l’entreprise, en violation des consignes de sécurité, et après avoir été sanctionné pour ces faits l’employeur (Soc., 16 juin 2015, pourvoi n°14-10.327).

Il est reproché dans la lettre de licenciement à M. [A] [N] de fumer le cigare ou le cigarillo lorsqu’il est présent dans le bureau ainsi que de venir au bureau accompagné de son chien.

L’employeur produit aux débats des attestations de salariés qui relatent que M. [A] [N] fumait dans son bureau et emmenait son chien dans l’entreprise, le laissant déféquer et uriner dans les locaux (pièces n° 21 et n° 46 du dossier employeur).

La SAS SDH Fer ne justifie ni même n’allègue avoir rappelé à l’ordre ou sanctionné M. [A] [N] pour ce comportement. Elle ne fait pas état d’un risque particulier qui en résulterait.

Ce grief est établi. Il n’est cependant pas de nature à justifier le prononcé de la mesure de licenciement.

Il y a lieu de confirmer le jugement déféré et de dire le licenciement de M. [A] [N] sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences pécuniaires de la rupture

Sur le montant de l’indemnité de licenciement

En application de l’article 29 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, le salarié licencié a droit à une indemnité de licenciement minimum équivalente à deux mois de salaire pour les salariés de plus de 55 ans et ayant plus de deux ans d’ancienneté.

Il convient de faire application de ces dispositions conventionnelles, plus favorables au salarié.

M. [A] [N] perçoit un salaire mensuel de base de 1 355,83 euros (pièce n°20 du dossier salarié).

Il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de condamner la société SDH Fer au paiement d’une somme de 2 711,66 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis

En application de l’article 27 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, le salarié licencié de plus de 55 ans perçoit une indemnité compensatrice de préavis d’une durée de six mois de salaire.

Il convient de faire application de ces dispositions conventionnelles, plus favorables au salarié.

M. [A] [N] percevait un salaire mensuel brut de 1 355,83 euros brut (pièce n°20 du dossier salarié).

Il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de fixer l’indemnité compensatrice de préavis en considération de la rémunération que le salarié aurait perçue s’il avait travaillé durant cette période et, en conséquence, de condamner la SAS SDH Fer au paiement d’une indemnité de 8 134,98 euros brut, outre la somme de 813,49 euros brut au titre des congés payés afférents.

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié.

Au jour du prononcé du licenciement, M. [A] [N] comptait 2 années complètes d’ancienneté dans l’entreprise qui employait habituellement au moins onze salariés.

En application de l’article L.1235-3 du code du travail, en l’absence de réintégration comme tel est le cas en l’espèce, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre 3 mois et 3,5 mois de salaire brut.

Les dispositions de l’article L.1235-3, L.1235-3-1 et L.1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n°21-14.490, FP-B+R).

Compte tenu notamment des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, telles qu’elles résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu d’allouer à M. [A] [N] la somme de 4 500 euros brut à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la demande dommages-intérêts au titre du licenciement dans des conditions vexatoires

Le licenciement peut causer au salarié un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi, en raison des circonstances brutales ou vexatoires qui l’ont accompagné.

M. [A] [N] réclame à ce titre la somme de 20 000 euros net estimant avoir été licencié dans des conditions vexatoires.

Il fait valoir que son contrat de travail aurait été rompu à la suite d’un courrier du 28 juin 2018 dans lequel il conteste la rupture des contrats de prestations de services conclus avec les sociétés Ixi et [C] (pièce n° 15 du dossier salarié). Cependant, il n’en justifie pas. De surcroît, la décision de rompre le contrat de travail, fût-elle injustifiée, ne saurait en elle-même ouvrir droit à des dommages-intérêts pour licenciement vexatoire.

M. [A] [N] justifie avoir été privé d’accès à sa messagerie professionnelle, sans aucun avertissement préalable le 29 juin 2018. L’employeur n’a donné aucune suite à ses demandes de rétablissement de sa messagerie formulées les 2 et 3 juillet. Le salarié a été également privé de ses codes d’accès à l’entreprise (pièces n° 16, n° 17 et 18 du dossier salarié).

Ces mesures, décidées avant la notification le 3 juillet 2018 d’une mise à pied à titre conservatoire, présentent un caractère vexatoire.

Par voie d’infirmation du jugement, il y a lieu de condamner la SAS SDH Fer à payer à M. [A] [N] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Sur le remboursement des indemnités chômage

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail dans les cas prévus notamment à l’article L. 1235-3 du code du travail, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé

Il y a lieu d’ordonner à la société SDH Fer de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à M. [A] [N] dans la limite de six mois d’indemnités. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a ordonné à la SAS SDH Fer de remettre à M. [A] [N] une attestation Pôle emploi conforme.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il y a lieu de confirmer le jugement en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Il y a lieu de condamner la SAS SDH Fer aux dépens de l’instance d’appel.

Il parait inéquitable de laisser à la charge du salarié l’intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. Il y a lieu de lui allouer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, s’agissant des frais irrépétibles de l’instance d’appel. Les sociétés SDH Fer, Ixis et [C] sont déboutées de leur demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

Infirme le jugement rendu le 30 juin 2021, entre les parties, par le conseil de prud’hommes d’Orléans mais seulement en ce qu’il a condamné la SAS SDH Fer à payer à M. [A] [N] la somme de 2 711,66 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a débouté M. [A] [N] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la SAS SDH Fer à payer à M. [A] [N] la somme de 4 500 euros brut à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SAS SDH Fer à payer à M. [A] [N] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;

Condamne la SAS SDH Fer à payer à M. [A] [N] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et déboute les sociétés SDH Fer, Ixis et [C] de leur demande à ce titre ;

Condamne la SAS SDH Fer aux dépens de l’instance d’appel.

Et le présent arrêt a été signé par le président de chambre et par le greffier

Jean-Christophe ESTIOT Alexandre DAVID

 

 

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