MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Dans cette affaire, la SASU Silva Créations a licencié Mme [J] pour des erreurs dans les commandes qu’elle devait contrôler, la qualifiant de manque de professionnalisme. Cependant, les fautes reprochées ne sont pas suffisamment établies et le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. Mme [J] obtient des dommages et intérêts équivalant à 8 mois de salaire.
2) Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct
Mme [J] invoque un harcèlement moral de la part de sa chef d’atelier, mais n’apporte pas d’éléments concrets pour étayer sa demande. Elle est déboutée de cette demande.
3) Sur les points annexes
La somme allouée produira des intérêts au taux légal. La SASU Silva Créations devra remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée à Mme [J] et rembourser les allocations de chômage éventuellement versées. Les frais irrépétibles sont également à la charge de la SASU Silva Créations.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AFFAIRE : N° RG 21/03123
N° Portalis DBVC-V-B7F-G34Z
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ARGENTAN en date du 19 Octobre 2021 – RG n° F 20/00079
COUR D’APPEL DE CAEN
1ère chambre sociale
ARRET DU 09 NOVEMBRE 2023
APPELANTE :
Madame [C] [L] épouse [J]
[Adresse 3] [Localité 1]
Représentée par Me Céline BOLLOTTE, avocat au barreau d’ARGENTAN
INTIMEE :
S.A.S.U. SILVA CREATIONS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, en présence de Mme [I] [R], Présidente
[Adresse 4] – [Localité 2]
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN, substitué par Me Pierre BESSARD du PARC, avocat au barreau de PARIS
DEBATS : A l’audience publique du 11 septembre 2023, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme JACQUETTE-BRACKX
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 09 novembre 2023 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
La SASU Silva Créations a embauché Mme [C] [J] à compter du 14 novembre 2012, d’abord en contrat à durée déterminée, puis en contrat à durée indéterminée, en qualité de manutentionnaire repasseuse et l’a licenciée, le 11 décembre 2019, pour ’cause réelle et sérieuse’.
Le 11 décembre 2020, Mme [J] a saisi le conseil de prud’hommes d’Argentan pour voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir des dommages et intérêts à ce titre et à raison d’un préjudice distinct.
Par jugement du 19 octobre 2021, le conseil de prud’hommes a débouté Mme [J] de ses demandes.
Mme [J] a interjeté appel du jugement.
Vu le jugement rendu le 19 octobre 2021 par le conseil de prud’hommes d’Argentan
Vu les dernières conclusions de Mme [J], appelante, communiquées et déposées le 21 février 2022, tendant à voir le jugement infirmé, à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et à voir la SASU Silva Créations condamnée à lui verser 14 758,88€ de dommages et intérêts à ce titre, 10 000€ de dommages et intérêts pour préjudice distinct, 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
Vu les dernières conclusions de la SASU Silva Créations, intimée, communiquées et déposées le 21 février 2023, tendant à voir le jugement confirmé et Mme [J] condamnée à lui verser 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 8 mars 2023
MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Dans la lettre de licenciement, la SASU Silva Créations indique licencier Mme [J] pour ’cause réelle et sérieuse’ à raison de nombreuses erreurs dans les commandes qu’elle devait contrôler. Ce ‘manque de professionnalisme’ et ses erreurs ont eu des conséquences dommageables, indique -t’elle, et créé un risque commercial. Sont énumérées 5 commandes entre le 4 octobre et le 22 novembre 2019. La SASU Silva Créations ajoute que Mme [J] a fait preuve d’irrégularité dans le travail de contrôle, d’un manque de rigueur dans le rangement des tissus et sur le contrôle de la réception, d’un manque d’implication dans le travail et de désinvolture (incapacité à distinguer les références de tringles malgré son ancienneté) et ne tient pas compte des nombreuses remarques orales déjà faites.
Dans cette lettre, la SASU Silva Créations ne précise pas si elle considère les manquements qu’elle énumère comme des fautes ou comme des insuffisances professionnelles. Dans ses conclusions, en revanche, elle écrit que ces ‘fautes réitérées’ ‘relèvent du pouvoir disciplinaire dès lors qu’elles ont pour origine non pas une incapacité à remplir les obligations contractuelles mais un refus délibéré d’appliquer les consignes de la hiérarchie’.
La société se plaçant donc sur le terrain disciplinaire, devront être établis : d’une part, la réalité des exécutions défectueuses de la prestation de travail qu’elle reproche à sa salariée et l’existence, de sa part, d’une abstention volontaire ou d’une mauvaise volonté délibérée ; d’autre part, que ces fautes sont suffisamment sérieuses pour justifier un licenciement.
‘ La SASU Silva Créations reproche à Mme [J] des erreurs, imputables soit à son propre travail soit à un contrôle insuffisant du travail réalisé par d’autres salariés.
Au soutien de ce grief, pour 4 des 5 commandes citées elle ne produit que l’attestation de Mme [T], chef d’atelier, qui indique avoir constaté ces non conformités.
Or, Mme [Z], ancienne salariée atteste que Mme [T] était régulièrement de mauvaise foi et rejetait systématiquement la responsabilité des erreurs qu’elle commettait sur les autres. Mme [B], également ancienne salariée, décrit une situation dans laquelle Mme [T] lui a reproché une erreur qu’elle-même avait commise. Dès lors, ces quatre erreurs, contestées par Mme [J] et reposant sur la seule attestation de Mme [T] sont insuffisamment établies.
La cinquième erreur (commande N°2 pour Mme [P] [K] -le 22 novembre 2019-) aurait fait l’objet d’un courrier de la cliente . La pièce produite (N°8) dactylographiée et non signée et portant le titre ‘courrier reçu de [P] [K] : son mécontentement’ est, au vu de sa présentation, un document établi par la SASU Silva Créations elle-même, dénué, par conséquent, de toute valeur probante.
Mme [T] écrit avoir réalisé le premier modèle avec Mme [J] ‘afin de lui montrer le travail’, l’avoir laissé réaliser un voilage et avoir constaté qu’il n’était pas conforme. Elle lui a demandé de le refaire comme le modèle et de poursuivre ‘ainsi son travail pour le reste de la commande’. Elle indique n’avoir pas contrôlé les voilages suivants ‘pensant qu’elle avait continué sur sa lancée’ or, indique -t’elle, les voilages n’étaient pas conformes et Mme [K] s’en est plainte.
Mme [Y], atteste, quant à elle, que Mme [J] n’a pas fait d’erreur. Elle indique que Mme [T] a fait refaire les points que Mme [J] avait faits à un centimètre de la couture de tête (ce qui correspondait à ce qui avait été fait pour une précédente commande pour cette même cliente) pour les lui faire refaire à deux centimètres, que Mme [J] a suivi ces instructions et que c’est donc Mme [T] qui est responsable du mécontentement de la cliente.
Si la non conformité soulevée par la cliente est liée à la place des points cousus par Mme [J] -ce qui n’est pas démontré- il n’est pas établi, au vu de ces deux attestations, que cette non conformité soit imputable à Mme [J] (qui aurait méconnu le instructions de sa chef d’atelier) plutôt qu’à des instructions données à mauvais escient par cette chef d’atelier.
‘ En ce qui concerne le mauvais rangement des tissus, la SASU Silva Créations produit une attestation de Mme [D]. Celle-ci écrit que Mme [J] a, une fois, indiqué, à tort, ne pas avoir réceptionné un tissu. Ce fait n’est toutefois pas daté ce qui ne permet pas de savoir s’il a été commis pendant une période non prescrite. Cette attestante ne cite pas d’autres exemples et aucune des attestations versées aux débats par la SASU Silva Créations ne fait état de ce grief.
Mme [J], quant à elle, indique que du 6 mars au 16 décembre 2019, le rangement ne faisait plus partie de ses tâches.
Mme [B] atteste, quant à elle, que Mme [T] prenait le tissus et ne le rangeait pas à la bonne place.
Ce fait unique non daté ne suffit pas établir la réalité d’un grief non prescrit.
‘ Mme [D] atteste qu’ ‘après plusieurs années de réception et de contrôles, Mme [J] ne savait toujours pas distinguer les différentes références de tringles avec lesquelles nous travaillons’.
Ce point est contesté par Mme [J] mais peut être retenu en l’absence d’éléments contraires.
Les exécutions défectueuses du travail relevées dans la lettre de licenciement ne sont pas, pour la plupart d’entre elles, établies.
De surcroît, la SASU Silva Créations n’établit pas que ces exécutions défectueuses, à les supposer établies, seraient fautives c’est-à-dire dues à l’abstention volontaire ou à la mauvaise volonté délibérée de la salariée. Aucun élément n’est développé à ce propos dans la lettre de licenciement. Mme [T] se contente d’évoquer les malfaçons sans indiquer que Mme [J] se serait volontairement abstenue de bien faire ou aurait fait preuve de mauvaise volonté délibérée. Ce point n’apparaît pas non plus dans les autres attestations produites. En conséquence, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Mme [J] peut prétendre à des dommages et intérêts au plus égaux à 8 mois de salaire.
Elle justifie avoir travaillé en intérim de mars 2020 à janvier 2021.
Compte tenu de ce renseignement, des autres éléments connus : son âge (41 ans), son ancienneté (7 ans), son salaire moyen (1 845,43€ au vu de l’attestation Pôle Emploi) au moment du licenciement, il y a lieu de lui allouer 14 700€ de dommages et intérêts.
2) Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct
Mme [J] entend, en fait, voir réparer, sous cette dénomination, le harcèlement moral qu’elle estime avoir subi de la part de Mme [T].
Il lui appartient dès lors d’établir la matérialité d’éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral. En même temps que les éléments apportés, à ce titre, par Mme [J], seront examinés ceux, contraires, apportés par la SASU Silva Créations quant à la matérialité de ces faits. Si la matérialité de faits précis et concordants est établie et que ces faits laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral, il appartiendra à la SASU Silva Créations de démontrer que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Au soutien de sa demande, Mme [J] fait valoir qu’elle a subi ‘l’attitude intolérable et méprisante de sa chef d’atelier’ aggravée par les reproches infondés de l’employeur qui ‘n’ont pas arrangé la situation’, ce qui a entraîné une dépression importante.
Mme [J] n’invoquant donc aucun fait précis, elle sera déboutée de cette demande.
3) Sur les points annexes
La somme allouée produira intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.
La SASU Silva Créations devra remettre à Mme [J] dans le délai d’un mois à compter de la date du présent arrêt, une attestation Pôle Emploi rectifiée conformément au présent arrêt. La présente décision n’impacte pas les mentions du certificat de travail, aucune somme de nature salariale n’est allouée à Mme [J] qui justifierait l’établissement d’un nouveau bulletin de paie et le présent arrêt fixant les droits de Mme [J], il n’est pas nécessaire d’établir un nouveau solde de tout compte. Il n’a pas lieu en conséquence d’ordonner la remise de ces différents documents. En l’absence d’éléments permettant de craindre l’inexécution de cette mesure, il n’y a pas lieu de l’assortir d’une astreinte.
La SASU Silva Créations devra rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage éventuellement versées à Mme [J] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d’allocations.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [J] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SASU Silva Créations sera condamnée à lui verser 3 000€.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
– Confirme le jugement en ce qu’il a débouté Mme [J] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice distinct
– Réforme le jugement pour le surplus
– Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse
– Condamne la SASU Silva Créations à verser à Mme [J] 14 700€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt
– Dit que la SASU Silva Créations devra remettre à Mme [J], dans le délai d’un mois à compter de la date du présent arrêt, une attestation Pôle Emploi rectifiée conformément au présent arrêt
– Déboute Mme [J] du surplus de ses demandes principales
– Dit que la SASU Silva Créations devra rembourser à Pôle Emploi les allocations de chômage éventuellement versées à Mme [J] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d’allocations
– Condamne la SASU Silva Créations à verser à Mme [J] 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamne la SASU Silva Créations aux entiers dépens de première instance et d’appel
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
E. GOULARD L. DELAHAYE