1) Sur la contrefaçon de droits d’auteur :
– Attention à la nécessité de prouver l’originalité de l’oeuvre pour bénéficier de la protection du droit d’auteur. Il est recommandé de démontrer que l’oeuvre présente un caractère original, fruit de l’effort créatif de l’auteur, reflétant sa personnalité.
– Il est recommandé de vérifier si la reproduction intégrale ou partielle d’une oeuvre sans le consentement de l’auteur constitue une contrefaçon, en vertu de l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle.
– Il est recommandé de prendre en compte les caractéristiques spécifiques de l’oeuvre en question pour déterminer si la contrefaçon est avérée, notamment en comparant les éléments clés de l’oeuvre originale avec la reproduction litigieuse.
2) Sur les préjudices subis :
– Il est recommandé de quantifier de manière précise les dommages et intérêts en prenant en considération les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, le préjudice moral causé à la partie lésée, et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte.
– Attention à la nécessité de fournir des preuves tangibles pour étayer les demandes de dommages et intérêts, notamment en ce qui concerne le manque à gagner et le préjudice moral.
– Il est recommandé de justifier de manière claire et détaillée les montants réclamés au titre des dommages et intérêts, en fournissant des éléments concrets pour appuyer les demandes.
3) Sur les demandes accessoires :
– Il est recommandé de prendre en compte les dispositions légales relatives aux dépens et aux frais de justice, en veillant à ce que les parties perdantes supportent les dépens.
– Attention à la nécessité d’indemniser équitablement la partie ayant exposé des frais non compris dans les dépens pour la défense de ses intérêts en justice, en conformité avec l’article 700 du code de procédure civile.
– Il est recommandé de justifier de manière appropriée les demandes d’indemnités accessoires, en fournissant des arguments solides pour étayer les réclamations.
L’affaire concerne un litige entre la société JARDIN DECOR et Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] concernant un projet d’aménagement de leur propriété. Voici un résumé des faits :
– En 2017, Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] ont engagé la société JARDIN DECOR pour aménager la partie avant de leur propriété, pour un montant de 28 912,43 euros TTC.
– En 2020, ils ont sollicité à nouveau la société pour aménager l’arrière de leur propriété, mais n’ont pas donné suite au devis de 76 822,62 euros TTC proposé.
– En avril 2021, la société JARDIN DECOR a accusé Madame [O] et Monsieur [N] d’avoir utilisé son plan d’aménagement sans autorisation et a menacé d’engager des poursuites judiciaires.
– En juin 2022, la société JARDIN DECOR a assigné Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] devant le tribunal judiciaire de RENNES pour contrefaçon de droits d’auteur et agissements parasitaires.
– Les parties ont échangé des conclusions en réponse, la société JARDIN DECOR demandant des dommages et intérêts pour manque à gagner, préjudice moral et économie réalisée indûment, tandis que Madame [O] et Monsieur [N] contestent les accusations et réclament des dommages et intérêts pour préjudice moral.
– La société JARDIN DECOR affirme que son plan d’aménagement est une œuvre originale protégée par des droits d’auteur, tandis que Madame [O] et Monsieur [N] soutiennent que le plan n’est pas original et qu’ils n’ont pas utilisé le travail de la société.
– L’affaire a été clôturée en février 2024 et une audience de plaidoirie a eu lieu en mars 2024, avec une décision attendue en mai 2024.
Les parties sont en désaccord sur la question de la contrefaçon de droits d’auteur et des agissements parasitaires, ainsi que sur les préjudices subis. Le tribunal devra trancher sur ces points en se basant sur les arguments et les preuves présentés par chacune des parties.
Introduction
L’affaire en question concerne une plainte pour contrefaçon de droits d’auteur déposée par la société JARDIN DECOR contre Madame [O] et Monsieur [N]. La société JARDIN DECOR accuse ces derniers d’avoir utilisé sans autorisation un plan de jardin qu’elle avait conçu, pour le faire réaliser par une autre entreprise. Le tribunal a examiné plusieurs aspects de cette affaire, notamment l’originalité de l’œuvre, la matérialité de la contrefaçon, les préjudices subis et les demandes accessoires.
Originalité de l’œuvre
Selon l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, une œuvre de l’esprit bénéficie d’une protection dès sa création, à condition qu’elle soit originale. La société JARDIN DECOR a présenté plusieurs caractéristiques pour prouver l’originalité de son plan de jardin, telles qu’une structuration diagonale, l’insertion d’un bac de plantation surélevé, et la différenciation des terrasses par des revêtements de sol distincts. Le tribunal a jugé que ces éléments conféraient une véritable singularité au projet, révélant des choix créatifs et esthétiques significatifs.
Matérialité de la contrefaçon
L’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle stipule que toute reproduction d’une œuvre sans le consentement de l’auteur est illicite. Dans cette affaire, Madame [O] et Monsieur [N] ont utilisé un visuel pour leur projet d’aménagement qui reproduisait à l’identique les caractéristiques du plan de la société JARDIN DECOR. Le tribunal a constaté que ce visuel était un calque parfait de l’avant-projet, confirmant ainsi la contrefaçon.
Conséquences économiques
Pour évaluer les dommages et intérêts, le tribunal a pris en compte les conséquences économiques négatives de la contrefaçon. La société JARDIN DECOR a réclamé une somme de 19 205,40 euros pour manque à gagner, basée sur un devis soumis à Madame [O] et Monsieur [N]. Cependant, le tribunal a rejeté cette demande, estimant que le prix de la prestation n’était pas définitivement arrêté et que la société n’avait pas fourni de preuves suffisantes pour vérifier la réalité du manque à gagner.
Préjudice moral
Le tribunal a reconnu un préjudice moral causé à la société JARDIN DECOR, résultant de l’utilisation non autorisée de son travail par un concurrent. Cette situation a contribué à dévaloriser l’image et la réputation de la société. Le tribunal a évalué ce préjudice moral à la somme de 2 000 euros.
Économie d’investissement
En utilisant le plan de la société JARDIN DECOR pour la réalisation de leurs travaux par une autre entreprise, Madame [O] et Monsieur [N] ont réalisé une économie d’investissement en ne rémunérant pas le travail de création. Le tribunal a estimé ce préjudice patrimonial à 2 250 euros, correspondant au bénéfice réalisé par Madame [O] et Monsieur [N].
Rejet des demandes de Madame [O] et Monsieur [N]
Madame [O] et Monsieur [N] ont également invoqué une attitude fautive de la société JARDIN DECOR et ont réclamé des dommages et intérêts pour préjudice moral. Cependant, le tribunal a rejeté leur demande, estimant qu’ils n’avaient pas apporté de preuves suffisantes pour étayer leurs allégations.
Dépens et frais de justice
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, Madame [O] et Monsieur [N], en tant que parties perdantes, doivent supporter les dépens. Le tribunal a également alloué une indemnité de 5 000 euros à la société JARDIN DECOR pour couvrir les frais non compris dans les dépens, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Exécution provisoire
La décision du tribunal est exécutoire de droit à titre provisoire, et aucune circonstance ne justifie de déroger à ce principe. Cela signifie que les mesures ordonnées par le tribunal doivent être mises en œuvre immédiatement, même si un appel est interjeté.
Conclusion
En conclusion, le tribunal a reconnu l’originalité du plan de jardin de la société JARDIN DECOR et a constaté la contrefaçon par Madame [O] et Monsieur [N]. La société JARDIN DECOR a obtenu une indemnisation pour le préjudice moral et patrimonial subi, tandis que les demandes de dommages et intérêts de Madame [O] et Monsieur [N] ont été rejetées. Les dépens et une partie des frais de justice ont été mis à la charge des parties perdantes.
– 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi
– 2 250 euros en réparation de l’économie indûment réalisée
– 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Réglementation applicable
Articles des Codes cités et leur texte
Code de la propriété intellectuelle
– Article L111-1 :
L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code.
– Article L112-1 :
Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
– Article L112-2 12° :
Sont considérées comme œuvres de l’esprit, notamment, les “plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences”.
– Article L122-4 :
Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
– Article L331-1-3 :
Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
Code de procédure civile
– Article 696 :
La partie perdante est condamnée aux dépens, sauf si le juge, par une décision motivée, met tout ou partie des dépens à la charge d’une autre partie.
– Article 700 :
Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Maître Pierre LANGLAIS de la SELARL SOLVOXIA AVOCATS, avocats au barreau de NANTES
– Maître Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocats au barreau de RENNES
Mots clefs associés
– Contrefaçon de droits d’auteur
– Originalité de l’œuvre
– Article L111-1 du code de la propriété intellectuelle
– Droit de propriété incorporelle
– Attributs intellectuels et moraux
– Attributs patrimoniaux
– Article L112-1
– Protection des œuvres de l’esprit
– Genre, forme d’expression, mérite, destination
– Article L112-2 12°
– Plans, croquis, ouvrages plastiques
– Géographie, topographie, architecture, sciences
– Caractère original
– Effort créateur
– Choix créatifs
– Société JARDIN DECOR
– Preuve de l’originalité
– Structuration originale
– Bac de plantation surélevé
– Différenciation des terrasses
– Escaliers et bacs de plantations
– Singularité du projet
– Espaces de vie différenciés
– Esthétique particulière
– Contraintes techniques
– Courriel de Monsieur [N]
– Aménagement paysagé
– Plantations fruitières et exotiques
– Coin jardinière
– Arrosage automatique
– Piscine
– Ligne directrice diagonale
– Caractère original du plan
– Protection par le droit d’auteur
– Article L122-4 du code de la propriété intellectuelle
– Représentation ou reproduction illicite
– Visuel reproduit à l’identique
– Contrefaçon avérée
– Indemnisation
– Article L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle
– Dommages et intérêts
– Conséquences économiques négatives
– Préjudice moral
– Bénéfices réalisés
– Somme forfaitaire
– Manque à gagner
– Marge nette
– Preuve du préjudice
– Préjudice moral avéré
– Dévalorisation de l’image et de la réputation
– Économie d’investissement
– Préjudice patrimonial
– Article 696 du code de procédure civile
– Dépens
– Article 700 du code de procédure civile
– Indemnité
– Exécution provisoire
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE RENNES
06 Mai 2024
2ème Chambre civile
79A
N° RG 22/04281 –
N° Portalis DBYC-W-B7G-JZUF
AFFAIRE :
S.C.O.P. JARDIN DECOR,
C/
[M] [O]
[E] [N]
copie exécutoire délivrée
le :
à :
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
PRESIDENT : Sabine MORVAN, Vice-présidente
ASSESSEUR : Jennifer KERMARREC, Vice-Présidente,
ASSESSEUR : André ROLLAND, Magistrat à titre temporaire
GREFFIER : Fabienne LEFRANC lors des débats et lors du prononcé qui a signé la présente décision.
DEBATS
A l’audience publique du 11 Mars 2024
JUGEMENT
En premier ressort, contradictoire,
prononcé par Madame Sabine MORVAN, vice-présidente
par sa mise à disposition au Greffe le 06 Mai 2024,
date indiquée à l’issue des débats.
Jugement rédigé par Madame Jennifer KERMARREC, vice-présidente,
ENTRE :
DEMANDERESSE :
S.C.O.P. JARDIN DECOR, immatriculée au RCS de Nantes sous le numéro 324 444 363, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Maître Pierre LANGLAIS de la SELARL SOLVOXIA AVOCATS, avocats au barreau de NANTES
ET :
DEFENDEURS :
Madame [M] [O]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Maître Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocats au barreau de RENNES
Monsieur [E] [N]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Maître Gilles DAUGAN de la SCP DEPASSE, DAUGAN, QUESNEL, DEMAY, avocats au barreau de RENNES
EXPOSE DU LITIGE
Pour l’aménagement de la partie avant de leur propriété située à [Localité 3], Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] ont fait appel aux services de la société JARDIN DECOR (SCOP) suivant devis en date du 30 mai 2017 d’un montant total de 28 912,43 euros TTC.
Souhaitant aménager l’arrière de leur propriété, Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] ont recontacté la même société au printemps 2020, laquelle leur a présenté un plan d’aménagement valant avant-projet le 24 juillet 2020.
Par courriel du 13 novembre 2020, la société JARDIN DECOR a adressé à Madame [O] et Monsieur [N] un devis correspondant au plan présenté pour un montant total de 76 822,62 euros TTC.
Ces derniers n’y ont pas donné suite et ont fait appel à une autre société pour réaliser l’aménagement arrière de leur propriété.
Le 30 avril 2021, la société JARDIN DECOR a adressé une lettre recommandée à Madame [O] et Monsieur [N] leur reprochant d’avoir utilisé le plan établi par ses soins pour leurs travaux et se réservant la possibilité d’agir en justice pour obtenir réparation.
Le 3 juin 2022, après vaine mise en demeure, la société JARDIN DECOR a fait assigner Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] devant le tribunal judiciaire de RENNES afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la contrefaçon de droits d’auteur à titre principal et d’agissements parasitaires à titre subsidiaire.
Aux termes de conclusions en réponse n°1 notifiées par voie électronique le 21 juillet 2023, la société JARDIN DECOR demande au tribunal, au visa des articles L111-1, L112-2, L122-3, L122-4, L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, et 1240 du code civil, de :
“A titre principal :
∙ CONDAMNER Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] pour atteinte aux droits d’auteur de la société JARDIN DECOR sur le plan d’aménagement réalisé,
A titre subsidiaire :
∙ CONDAMNER Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] pour agissements parasitaires au détriment de la société JARDIN DECOR,
En tout état de cause :
∙ DEBOUTER Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] de l’intégralité de leurs demandes,
∙ CONDAMNER Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] à indemniser solidairement la société JARDIN DECOR à hauteur de 19.205,40 euros au titre du manque à gagner subi du fait des actes de copie réalisés,
∙ CONDAMNER Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] à indemniser solidairement la société JARDIN DECOR à hauteur de 5.000 euros au titre de son préjudice moral,
∙ CONDAMNER Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] à indemniser solidairement la société JARDIN DECOR à hauteur de 2.250 euros au titre de l’économie réalisée indûment réalisé par eux,
∙ CONDAMNER Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] à verser à la société JARDIN DECOR la somme de 7165,57 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens”.
A titre principal, la société JARDIN DECOR soutient que Madame [O] et Monsieur [E] [N] ont commis des actes de contrefaçon de droits d’auteur en s’appropriant purement et simplement le plan d’aménagement qu’elle leur a proposé pour faire réaliser les travaux correspondants par une société concurrente. Pour revendiquer la protection des droits d’auteur, la société insiste sur le fait que le plan litigieux constitue une oeuvre originale dénotant des partis pris esthétiques de sa part, indépendamment des consignes données par Madame [O] et Monsieur [E] [N]. Elle reprend en détail les caractéristiques qui démontrent, selon elle, l’originalité de ce plan, caractérisant un effort créatif de sa part et l’empreinte de sa personnalité. Elle ajoute que les seules précisions techniques apportées par Madame [O] et Monsieur [N] ne sont pas de nature à exclure la liberté créative dont elle a disposé. De même, selon elle, le fait que l’aménagement proposé reprenne les caractéristiques de l’aménagement réalisé en 2017 pour l’avant de la maison n’est pas de nature à en exclure l’originalité, ce dernier aménagement constituant lui-même une oeuvre originale.
Plus généralement, la société JARDIN DECOR reproche à Madame [O] et Monsieur [N] d’affirmer un certain nombre de faits sans les démontrer. Elle maintient être titulaire de droits d’auteur sur le plan litigieux qu’elle exploite sous son nom, et qu’elle a conçu seule et librement.
Elle soutient que le visuel utilisé par Madame [O] et Monsieur [N] pour faire réaliser leurs travaux reproduit quasiment à l’identique le plan proposé, ce qui caractérise la contrefaçon reprochée.
A titre subsidiaire, la société JARDIN DECOR invoque des agissements parasitaires en ce que les intéressés se sont appropriés,sans bourse délier, son travail. Elle fait valoir qu’ils se sont comportés de manière déloyale pour éviter de supporter les coûts de conception liés aux travaux réalisés.
Pour justifier le préjudice subi, la société fait état d’un manque à gagner d’un montant de 19 205,40 euros correspondant à la marge nette qu’elle aurait réalisée si les travaux devisés avaient été réalisés par ses soins, autrement dit la perte du gain espéré. Elle invoque également un préjudice moral en ce que Madame [O] et Monsieur [N] ont dévalorisé son travail et son image. Elle y ajoute les bénéfices réalisés par ces derniers qu’elle évalue à 2 250 euros TTC, ce montant correspondant au coût des frais d’étude et aux investissements intellectuels liés au projet.
Enfin, la société JARDIN DECOR conteste les manoeuvres qui lui sont reprochées par Madame [O] et Monsieur [N] au soutien du préjudice moral qu’ils allèguent.
En défense, aux termes de conclusions n°2 notifiées par voie électronique le 27 novembre 2023, Madame [O] et Monsieur [N] demandent au tribunal de :
“- Juger qu’il n’existe aucune atteinte aux droits d’auteur de la société JARDIN DECOR ni aucun agissement parasitaire de la part des consorts [O] [N]
– Juger non fondées les demandes indemnitaires de la société JARDIN DECOR.
– Débouter la société JARDIN DECOR de l’intégralité de ses demandes
– Condamner la société JARDIN DECOR à verser à Monsieur et Madame [O]-[N] la somme de 5 000 € en réparation de leurs préjudice moral.
– Condamner la société JARDIN DECOR à verser à Monsieur et Madame [O]-[N] la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamner la société JARDIN DECOR aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile”.
Pour contester la contrefaçon reprochée, Madame [O] et Monsieur [N] dénient toute originalité au plan litigieux affirmant que la société JARDIN DECOR s’est contentée de le réaliser au regard des contraintes techniques et de leurs volontés très précises, sans faire preuve de création. Ils expliquent avoir souhaité, pour l’arrière de leur habitation, que soient respectées les mêmes lignes diagonales et le même type de structuration que pour l’avant aménagé trois ans plus tôt, pour des raisons évidentes d’harmonie. Ils ajoutent que l’abri de jardin et la cuisine extérieure étaient déjà en cours d’aménagement lorsqu’ils ont sollicité la société JARDIN DECOR. Ils en déduisent que l’implantation de ces éléments n’est en rien une création de la société. Ils font la même remarque à propos de la piscine dont l’implantation répond à des contraintes techniques.
Madame [O] et Monsieur [N] indiquent que les mêmes instructions et directives ont été données à la société FLORA PAYSAGE qui a finalement aménagé leur jardin. Ils insistent sur le fait que cet aménagement a été pensé et conçu par leurs soins. Ils ajoutent n’avoir jamais fourni à la société FLORA PAYSAGE les plans établis par la société JARDIN DECOR.
Madame [O] et Monsieur [N] contestent de même tout acte parasitaire et répètent ne pas avoir utilisé le croquis réalisé par la société JARDIN DECOR. Ils affirment avoir établi leur propre visuel au regard de l’ensemble des éléments qu’ils avaient indiqués et demandés à la société JARDIN DECOR. Ils précisent que ce visuel reprend les emplacements techniques d’éléments qui ne peuvent pas être modifiés, à savoir la piscine, l’abri de jardin, la cuisine et la terrasse. Cela exclut, selon eux, toute appropriation du travail d’autrui.
Par ailleurs, Madame [O] et Monsieur [N] font valoir l’absence de préjudice pour la société JARDIN DECOR. Ils expliquent avoir fait part à cette société d’une enveloppe budgétaire de 50 000 euros, laquelle n’a pas été respectée, puisque le devis proposé s’élevait à près de 77 000 euros, soit 50 % de plus. Ils ajoutent que la société a mis plus de six mois pour leur transmettre ce devis définitif, alors que les travaux prévus devaient être exécutés au printemps 2021. Ils précisent avoir fait appel à une autre société faute de réponse de la société JARDIN DECOR. Ils en déduisent que cette société n’a subi aucun manque à gagner faute d’avoir respecté les éléments contractuels convenus, en particulier l’enveloppe budgétaire. Ils estiment qu’aucune faute ne peut leur être reprochée, l’établissement d’un devis ne pouvant pas les engager dans la conclusion du contrat final.
Madame [O] et Monsieur [N] contestent également le préjudice moral allégué par la société JARDIN DECOR.
A l’inverse, pour justifier leur propre préjudice moral, ils expliquent que suite à leur refus du devis proposé, ladite société a exercé une pression morale importante sur eux en leur téléphonant ou en se déplaçant sur les lieux à plusieurs reprises pour récupérer le chantier, alors même qu’elle n’a pas tenu compte de leurs demandes.
*
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 8 février 2024. L’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 11 mars 2024, puis mise en délibéré au 6 mai suivant.
MOTIFS DE LA DECISION
I – Sur la contrefaçon de droits d’auteur :
1) Sur l’originalité de l’oeuvre :
En vertu de l’article L111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres I et III du présent code.
L’article L112-1 précise que les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Aux termes de l’article L112-2 12°, sont considérées comme oeuvres de l’esprit, notamment, les “plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences”.
Il s’en déduit qu’une oeuvre peut bénéficier d’une protection au titre du droit d’auteur quels que soient le genre auquel elle appartient, sa forme d’expression ou sa destination, dès lors qu’elle présente un caractère original, fruit de l’effort créateur de son auteur, expression de ses choix créatifs et reflet de sa personnalité.
C’est à la société JARDIN DECOR de rapporter la preuve de l’originalité du plan litigieux.
En l’espèce, la société invoque les caractères suivants pour justifier l’originalité de sa création :
– une structuration originale selon une ligne directrice diagonale, non parallèle à la maison, créant une démarcation nette avec le bâti existant,
– l’insertion d’un bac de plantation surélevé à côté de la piscine conférant un aspect “cocon” à cet espace, protégé de l’extérieur et confortable,
– une différenciation nette des deux terrasses par l’utilisation de revêtements de sol distincts et par le choix de forme disparates (carré pour l’une et en escalier pour l’autre) afin de créer des ambiances différentes (détente d’un côté et repas de l’autre),
– la création d’escaliers et de bacs de plantations positionnés de façon harmonieuse pour gérer les différences de niveau existant das le jardin.
Effectivement, ces différentes caractéristiques se retrouvent dans le plan valant avant-projet que la société JARDIN DECOR a présenté à Madame [O] et Monsieur [N] (sa pièce 5). Elles confèrent une véritable singularité au projet proposé en créant, au sein du jardin à aménager, plusieurs espaces de vie bien différenciés dédiés à des activités distinctes (repas, détente, repos) avec, pour chacun, une esthétique particulière résidant dans le choix de matériaux différenciés et/ou l’emplacement des plantations et autres éléments décoratifs.
Ce faisant, ce plan valant avant-projet révèle de réels choix créatifs et partis pris esthétiques qui, contrairement aux affirmations de Madame [O] et Monsieur [N], ne sont pas dictés par les seules contraintes techniques.
Si ces derniers affirment que l’avant-projet ne fait que reprendre leurs instructions, ils ne le démontrent nullement. Ils ne fournissent aucune pièce à l’appui de leurs allégations.
La seule pièce utile est un courriel adressé par Monsieur [N] à la société JARDIN DECOR le 24 avril 2020 (pièce 4 de la société JARDIN DECOR) ainsi libellé :
“(…) Pour faire suite à nos échanges téléphonique tu trouveras ci-joint quelques éléments te permettant d’avoir une approche sur notre projet autour de la cuisine d’été.
Objet de la demande :
– Traiter un aménagement paysagé sur l’angle Sud de la parcelle.
– Plantations fruitières, type framboisier…
– Plantations exotiques, cactus, palmier…
– Un petit coin jardinière pour plantes aromatiques, tomates cerise, fraises…
– Faire une proposition pour la mise en place d’un arrosage automatique sur l’ensemble de la parcelle façade avant comprise.
La piscine (d’un format d’environ 4m/8m) n’est pas un projet et son implantation n’est pas arrêtée mais le fait d’avoir une réflexion sur une éventuelle future mise en place est importante. De manière à réfléchir un projet global sur l’arrière de la maison maintenant que le devant à été magnifiquement réalisé 🙂
Nous comptons sur tes conseils et bonnes idées… (…)” (sic).
Les seules indications portées dans ce courriel sont très succinctes et ne portent pas sur les caractéristiques analysées ci-dessus. Ce courriel confirme au contraire que le projet de Madame [O] et Monsieur [N], lorsqu’ils ont sollicité la société JARDIN DECOR, n’était nullement abouti, mais uniquement à l’état de réflexion. L’idée même d’y intégrer une pisicine n’était pas encore arrêtée : a fortiori, son implantation ne pouvait pas l’être.
La structuration du jardin selon une ligne directrice diagonale, non parallèle à la maison, est une caractéristique qui se retrouve dans la partie avant de la propriété de Madame [O] et Monsieur [N].
Néanmoins, dès lors que la société JARDIN DECOR justifie être à l’origine de cet aménagement (ses pièces 2 et 3), la seule reprise de cette caractéristique pour l’arrière de la propriété n’est pas de nature à démentir l’effort créateur qu’elle a fourni.
En définitive, les observations qui précèdent sont suffisantes pour retenir le caractère original du plan valant avant-projet établi par la société JARDIN DECOR. Partant, ce plan est protégé par le droit d’auteur.
2) Sur la matérialité de la contrefaçon :
Selon l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
En l’espèce, pour la réalisation de leur projet d’aménagement par une société tierce, Madame [O] et Monsieur [N] ont utilisé un “visuel” qui est produit au débat (la pièce 10 de la société JARDIN DECOR).
Force est de constater que ce visuel reproduit à l’identique les caractéristiques reprises dans le plan valant avant-projet de la société JARDIN DECOR qui en font l’originalité.
Ce visuel est un calque parfait de cet avant-projet : les différents espaces imaginés par la société JARDIN DECOR y sont repris et implantés exactement aux mêmes endroits, avec les mêmes contrastes s’agissant du choix des matériaux.
La contrefaçon est avérée et doit être retenue. Reste à déterminer l’indemnisation à laquelle la société JARDIN DECOR peut prétendre.
II – Sur les préjudices subis :
En vertu de l’article L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l’atteinte aux droits.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.
En l’espèce, pour chiffrer son manque à gagner, la société JARDIN DECOR fait état de la marge nette correspondant au devis soumis le 13 novembre 2020 à Madame [O] et Monsieur [N] qu’elle évalue à la somme de 19 205,40 euros pour des travaux d’un coût total de 76 822,62 euros TTC.
Néanmoins, cette marge nette ne peut pas être considérée comme acquise à la société JARDIN DECOR, dès lors qu’à ce stade, le prix de sa prestation n’était pas définitivement arrêté et restait soumis à négociation en vertu du principe de liberté contractuelle.
Le manque à gagner tel qu’invoqué par la société JARDIN DECOR ne peut donc pas être considéré comme certain.
De plus, la société ne précise nullement la manière dont elle a calculé sa marge nette. Partant, elle ne met pas le tribunal en mesure de vérifier la réalité du manque à gagner invoqué.
Il faut donc rejeter la demande présentée de ce chef faute de preuve.
En revanche, le préjudice moral invoqué est avéré.
Il se déduit en effet des faits litigieux que Madame [O] et Monsieur [N] ont permis à un concurrent de la société JARDIN DECOR d’utiliser son travail de création.
Ce faisant, ils ont contribué à dévaloriser l’image et la réputation de la société JARDIN DECOR.
Il convient d’évaluer le préjudice moral subi par celle-ci à la somme de 2 000 euros.
Par ailleurs, en utilisant le plan établi par la société JARDIN DECOR pour la réalisation effective de leurs travaux par une société tierce, Madame [O] et Monsieur [N] ont réalisé une économie d’investissement en ne rémunérant pas le travail d’étude, de conception et, plus généralement, de création réalisé par ladite société.
Ce faisant, ils causent un préjudice patrimonial à la société JARDIN DECOR qu’il convient de réparer à hauteur de 2 250 euros, soit un montant équivalent au bénéfice réalisé par Madame [O] et Monsieur [N].
A l’inverse, si ces derniers invoquent une attitude fautive de la société JARDIN DECOR et un préjudice moral, ils n’en rapportent nullement la preuve.
Leur demande de dommages et intérêts doit être rejetée.
III – Sur les demandes accessoires :
Conformément à l’article 696 du code de procédure civile, Madame [O] et Monsieur [N], parties perdantes, doivent supporter les dépens.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société JARDIN DECOR les frais non compris dans les dépens qu’elle a été contrainte d’exposer pour la défense de ses intérêts en justice. En compensation partielle, il convient de lui allouer une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire et aucune circonstance ne justifie de déroger à ce principe.
PAR CES MOTIFS,
Par jugement contradictoire, rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
CONDAMNE solidairement Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] à verser à la société JARDIN DECOR (SCOP) sur le fondement de la contrefaçon de droit d’auteur les sommes de :
– 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi
– 2 250 euros en réparation de l’économie indûment réalisée,
REJETTE la demande de la société JARDIN DECOR (SCOP) au titre du manque à gagner,
REJETTE la demande de dommages et intérêts de Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N],
CONDAMNE Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] aux dépens,
CONDAMNE Madame [M] [O] et Monsieur [E] [N] à verser à la société JARDIN DECOR (SCOP) une indemnité de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,