REPUBLIQUE FRANÇAISE 18 juin 2024
Cour d’appel de Nîmes RG n° 21/04317 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS ARRÊT N° N° RG 21/04317 – N° Portalis DBVH-V-B7F-IIRF MS EB CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AVIGNON 10 novembre 2021 RG :F19/00433 [U] C/ S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT Association CGEA DE [Localité 9] Grosse délivrée le 18 JUIN 2024 à : – Me – Me COUR D’APPEL DE NÎMES CHAMBRE CIVILE 5ème chambre sociale PH ARRÊT DU 18 JUIN 2024 Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AVIGNON en date du 10 Novembre 2021, N°F19/00433 COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS : M. Michel SORIANO, Conseiller, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré. COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président M. Michel SORIANO, Conseiller Madame Leila REMILI, Conseillère GREFFIER : Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision. DÉBATS : A l’audience publique du 04 Avril 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 18 Juin 2024. Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel. APPELANT : Monsieur [R] [U] né le 13 Juin 1972 à [Localité 5] [Adresse 4] [Localité 8] Représenté par Me Philippe PERICCHI de la SELARL AVOUEPERICCHI, avocat au barreau de NIMES INTIMÉES : S.E.L.A.R.L. ETUDE BALINCOURT Mandataire liquidateur de la SAS SPA ET INGENIERIE [Adresse 3] – [Adresse 7] [Adresse 7] [Localité 5] Représentée par Me Denis ALLIAUME, avocat au barreau d’AVIGNON Association CGEA DE [Localité 9] [Adresse 1] [Adresse 1] [Localité 2] Représentée par Me Lisa MEFFRE de la SELARL MG, avocat au barreau de CARPENTRAS ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 19 Septembre 2023 ARRÊT : Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 18 Juin 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour. FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :
M. [R] [U] a été engagé par la société Reynaud Entreprise à compter du 1er février 2001 en qualité de plombier-chauffagiste, statut chef d’équipe, niveau IV, coefficient 270, position 2 de la convention collective nationale du bâtiment. Le 1er janvier 2017, le contrat de travail de M. [R] [U] a été transféré à la Sas Spa et Ingénierie, laquelle a racheté l’activité de la société Reynaud Entreprise. Les 05 octobre, 26 novembre et 03 décembre 2018, la société Spa et Ingénierie a notifié à M. [R] [U] plusieurs avertissements. Le 03 décembre 2018, M. [R] [U] était convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement, fixé au 11 décembre 2018. Par courrier du 5 décembre 2018, M. [R] [U] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur, pour les motifs suivants : ‘… Par la présente, je prends acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts exclusifs compte tenu de vos graves manquements à vos obligations contractuelles qui rendent impossible la poursuite de nos relations contractuelles. Je vous expose ci-après les manquements graves motivant ma décision de rupture de contrat de travail à vos torts exclusifs : La suppression en juin 2018 des tickets restaurant dont je bénéficiais depuis le mois de juillet 2014. Vous avez donc décidé de supprimer unilatéralement et sans délai de prévenance un droit acquis et sans compensation de quelque nature que ce soit. En juin 2018, vous m’avez ordonné la restitution de la clé donnant accès au bureau, clé que j’ai toujours eu en ma possession et ce afin de récupérer les fiches de missions quotidiennes et mon carnet personnel d’heures accomplies que je renseignais quotidiennement du nom du client et des heures passées, ce retrait est injustifié et contraire à la bonne marche de l’entreprise. Ne pouvant y accéder, il est constant que mes conditions de travail se sont dégradées en m’empêchant notamment de me mettre à l’abri en cas d’intempérie, sachant qu’aucun endroit n’est aménagé pour les salariés. Pendant le week-end des 06 et 07 octobre 2018, vous avez changé les serrures de l’atelier alors que j’en ai toujours eu l’accès et ce compte tenu de mes fonctions de chef d’équipe. Vous n’avez pas cru bon devoir m’en aviser et me fournir un nouveau jeu de clés, me privant ainsi d’exercer pleinement mes fonctions de chef d’équipe. Vous avez déclaré à Mme [V] [J], qui occupait le poste de secrétaire que j’étais le prochain sur la liste, le prochain salarié sur la liste ‘à dégager’, et que vous alliez me mettre la pression pour que j’accepte un licenciement pour abandon de poste comme pour notamment M. [Z] [I], employé depuis 15 ans. Par courriers, en date du 05 octobre 2018 et 26 novembre 2018, vous m’avez signifié deux avertissements que je conteste avec force, compte tenu des déclarations et faits évoqués qui ne sont absolument pas fondés. Le vendredi 23 novembre 2018, vous m’avez remis en main propre un courrier en date du 16 novembre 2018, non signé relatif à la mise en place sur les véhicules de l’entreprise un système de localisation par GPS. Vous m’avez ordonné de le signer sur le champ sans même que j’en prenne connaissance, je vous ai indiqué que je donnais le temps de la réflexion, ce qui vous a déplu. Le lundi 26 novembre 2018 j’ai constaté l’installation sur le véhicule mis à ma disposition sans avoir recueilli mon accord, et m’avoir laissé le temps de la réflexion. De plus aucune réunion préalable aux fins de nous informer de l’objectif poursuivi par ce système n’a été organisée avec l’ensemble du personnel. Au regard, de l’ensemble des motifs graves qui précèdent, je prends acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts exclusifs. La rupture prendra effet à première présentation de la présente. …’. Par lettre du 14 décembre 2018, la société Spa et Ingénierie a licencié M. [R] [U] pour faute grave : ‘… Les motifs de ce licenciement sont les suivants : – Vous avez eu des propos dénigrants votre employeur M. [K] [M] et un salarié M. [B] [Y] en présence d’un client. – Vous avez une conduite inappropriée chez les clients (référence à la plainte de Monsieur et Madame [N] habitant A [Localité 8] où vous avez été appelé pour un dépannage de chaudière). – Votre manque de professionnalisme sur le chantier de Madame [H] à [S] et sur le chantier de Madame et Monsieur [P]. Par conséquent, au regard de tous ces motifs nous vous confirmons que nous ne pouvons pas poursuivre notre collaboration, puisque les faits que nous avons constatés constituent une faute grave justifiant ainsi votre licenciement sans indemnités ni préavis. …’ Par requête reçue le 30 septembre 2019, M. [R] [U] a saisi le conseil de prud’hommes d’Avignon afin de voir juger que sa prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et voir condamner la société Spa et Ingénierie à lui verser diverses sommes indemnitaires. Par jugement du 04 mars 2020, le tribunal de commerce d’Avignon a placé la société Spa et Ingénierie en liquidation judiciaire et a désigné la Selarl Etude Balincourt, représentée par Me [D] [A] ès qualités de liquidateur judiciaire. Par jugement réputé contradictoire du 10 novembre 2021, le conseil de prud’hommes d’Avignon a : – dit et jugé que la prise d’acte de M. [R] [U] en date du 5 décembre 2018 n’est pas justifiée et produit donc les effets d’une démission, – débouté M. [R] [U] de l’intégralité de ses demandes, – condamné M. [R] [U] à verser à la Selarl Etude Balincourt, représentée par Me [D] [A], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sas Spa et Ingénierie la somme de 4 794 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, – ordonné à la Selarl Etude Balincourt, représentée par Me [D] [A], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sas Spa et Ingénierie de produire à M. [R] [U] une attestation Pôle emploi rectifiée conforme au jugement, – dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile, – mis les éventuels dépens à la charge de chacune des parties. Par acte du 06 décembre 2021, M. [R] [U] a régulièrement interjeté appel de cette décision. Aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 septembre 2023, M. [R] [U] demande à la cour de : – réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Avignon en date du 10/11/2021 en toutes ses dispositions, à savoir en ce qu’il a : * dit et jugé que sa prise d’acte en date du 05 décembre 2018 n’est pas justifiée et produit donc les effets d’une démission ; * l’a débouté de l’intégralité de ses demandes, à savoir : ° condamner la société Spa et Ingénierie à lui payer les sommes de : – 60.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; – 27.500,00 euros à titre d’indemnité de licenciement ; – 6000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ; – 600 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis – 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ; ° ordonner la remise par la société Spa et Ingénierie à M. [R] [U] de l’ensemble de ses documents de fin de contrat régularisés (certificat de travail, reçu de solde de tout compte, attestation Pôle Emploi) sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ° condamner la société Spa et Ingénierie à lui payer la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre entiers dépens, en ce compris les frais de signification par huissier ainsi que le coût du procès-verbal de constat du 7 janvier 2019. * l’a condamné à verser à la Selarl Etude Balincourt, représentée par Me [D] [A], es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Spa et Ingénierie la somme de 4.794,00 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ; * dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ; * mis les éventuels dépens à la charge de chacune des parties. Statuant à nouveau – juger sa prise d’acte en date du 5/12/2008 (sic) parfaitement fondée – juger que la prise d’acte produit les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse – juger le licenciement pour faute grave initié à son endroit sans cause réelle ni sérieuse En conséquence : – fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société Spa et Ingénierie les créances suivantes à lui valoir : * 60.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; * 27.500,00 euros à titre d’indemnité de licenciement ; * 6000 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ; * 600 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ; * 20.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi ; * 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile – ordonner la remise à M. [R] [U] de l’ensemble de ses documents de fin de contrat régularisés (certificat de travail, reçu de solde de tout compte, attestation Pôle Emploi) sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir; – débouter Me [A] membre de la Selarl Etude Balincourt es qualité de liquidateur judiciaire de la Sas Spa Et Ingénierie, sous l’enseigne Reynaud Entreprises, de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions et notamment de sa demande de condamnation de M. [U] au paiement de la somme de 4794 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis – statuer ce que de droit sur les dépens. Il soutient essentiellement que : Sur la prise d’acte : – son départ fait suite aux nombreuses pressions exercées par son employeur, lesquelles se sont achevées par une menace de licenciement pour faute ayant abouti à son licenciement pour faute grave. – il verse aux débats plusieurs attestations démontrant que la société Spa et Ingénierie a pour coutume d’exercer des pressions sur les salariés afin qu’ils mettent un terme à leur contrat de travail. – la société Spa et Ingénierie a : * à compter de juin 2018, supprimé brutalement et unilatéralement les tickets-restaurants dont il bénéficiait jusqu’alors, et a donc modifié sa rémunération, * en octobre 2018, exigé de lui qu’il restitue les clés de son bureau, l’empêchant de s’organiser au quotidien dans la gestion des différents chantiers et du personnel, * changé les serrures de l’atelier sans lui fournir le moindre jeu de clés, l’empêchant d’exercer pleinement ses fonctions de chef d’équipe, * en novembre 2018, décidé seule, sans aucune concertation du personnel, d’installer un système de localisation par Gps sur l’ensemble des véhicules de la société, dont le sien, * lui a notifié des avertissements injustifiés aux mois d’octobre, novembre et décembre 2018 et l’a menacé de licenciement pour faute grave le 3 décembre 2018. – le seul fait que la société Spa et Ingénierie ne conteste aucunement l’existence des faits reprochés suffit à établir leur existence. – l’argument de la société Spa et Ingénierie selon lequel les faits en question seraient trop anciens pour justifier la prise d’acte ne peut prospérer en l’espèce puisque la Cour de cassation a validé la prise d’acte justifiée par des manquements de l’employeur datant d’environ 6 mois, ce qui est son cas ; l’arrêt du 26 mars 2014 qu’elle cite en appui de son argumentation n’est pas transposable aux faits de l’espèce. – la société Spa et Ingénierie ne démontre pas qu’elle a respecté toutes les règles applicables à la mise en place d’un système de géolocalisation. Par ailleurs, dans la mesure où il exerçait les fonctions de plombier-chauffagiste chef d’équipe, la société Spa et Ingénierie ne pouvait lui imposer la mise en place d’un système de localisation Gps sur son véhicule. – le comportement fautif de l’employeur est parfaitement établi et justifie sa prise d’acte qui doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur le licenciement pour faute grave : – les griefs qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement sont exactement les mêmes griefs qui lui ont été reprochés dans les avertissements des 5 octobre, 26 novembre et 3 décembre 2018. – il verse aux débats de nombreuses attestations permettant de sérieusement faire douter de la réalité des faits invoqués. – son licenciement doit s’analyser en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sur le préjudice : – depuis la rupture de son contrat, il est sans la moindre ressource. – la société Spa et Ingénierie a toujours refusé de lui délivrer ses documents de fin de contrat, l’empêchant ainsi de faire valoir ses droits au chômage. – les conditions dans lesquelles il a été conduit à prendre acte de la rupture de son contrat de travail sont particulièrement vexatoires. En l’état de ses dernières écritures en date du 12 septembre 2023, la Selarl Etude Balincourt, représentée par Me [D] [A], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sas Spa et Ingénierie, demande à la cour de : – confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Avignon du 10 novembre 2021 en toutes ses dispositions. En conséquence, – dire que la prise d’acte de M. [U] du 5 décembre 2018 produit les effets d’une démission. En conséquence, – débouter M. [U] de l’ensemble de ses demandes. – condamner M. [U] à lui verser la somme de 4.794 euros (2 mois de salaire) à titre d’indemnité compensatrice de préavis. – condamner M. [U] aux entiers dépens. Elle fait essentiellement valoir que : Sur la prise d’acte : – en sa qualité de liquidateur judiciaire désigné plus d’un an après les faits, elle ne dispose pas d’éléments ; cependant, l’analyse des faits reprochés à l’encontre de la société Spa et Ingénierie met en évidence l’absence de faits suffisamment graves rendant impossible la poursuite des relations contractuelles. – sur les faits de juin 2018 : la société Spa et Ingénierie a décidé de mettre fin à un usage constitué par l’octroi de tickets restaurant à l’ensemble du personnel ; elle a également, en raison de nombreux vols commis dans l’atelier, modifié les conditions d’accès à cet atelier et sollicité de l’ensemble du personnel la restitution des clefs dudit atelier. Ces situations ne justifient en rien le caractère de gravité légitimant la prise d’acte. – sur les faits du mois d’octobre 2018 : les salariés n’étant plus en possessions des clefs depuis le mois de juin 2018, le changement des serrures de l’atelier n’a eu aucun impact sur leur activité. – sur les faits de novembre 2018 : le fait que la société Spa et Ingénierie ait installé un système de géolocalisation ne légitime en rien la prise d’acte de M. [U]. Par ailleurs, la société Spa et Ingénierie a respecté l’ensemble de la procédure de mise en place du système de géolocalisation. Cette dernière n’avait pas à obtenir l’autorisation des salariés contrairement à ce que soutient M. [U]. – sur les faits de décembre 2018 : l’engagement d’une procédure de licenciement à l’encontre de M. [U] ne légitime pas sa prise d’acte. – M. [U] ne justifiant d’aucun manquement rendant impossible la poursuite des relations contractuelles, la prise d’acte de ce dernier doit produire les effets d’une démission. – le salarié ne démontre pas le préjudice subi et notamment concernant sa situation professionnelle depuis la rupture de son contrat de travail. – sur le licenciement pour faute grave : la poursuite de la procédure de licenciement pour faute grave postérieurement à la prise d’acte est sans objet selon l’adage « rupture sur rupture ne vaut». L’Unedic délégation Ags Cgea d'[Localité 6] n’a pas comparu. Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures. Par ordonnance en date du 28 avril 2023, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de la procédure à effet au 19 septembre 2023 à 16 heures. L’affaire a été fixée à l’audience du 19 octobre 2023 puis déplacée à l’audience du 4 avril 2024. MOTIFS
Sur la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur La prise d’acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des griefs qu’il impute à son employeur. Pour que cette prise d’acte produise les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les manquements invoqués par le salarié doivent non seulement être établis, mais ils doivent de surcroît être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. C’est au salarié, et à lui seul, qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur. S’il n’est pas en mesure de le faire ou s’il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l’appui de sa prise d’acte, celle-ci doit produire les effets d’une démission. Le contrôle de la juridiction porte sur l’ensemble des faits invoqués par le salarié. L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, et il convient d’examiner tous les manquements de l’employeur invoqués par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés par écrit. M. [U] a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 5 décembre 2018, repris supra. A l’appui de sa demande de prise d’acte aux torts de l’employeur, le salarié invoque les manquements suivants : La suppression en juin 2018 des tickets restaurant dont je bénéficiais depuis le mois de juillet 2014. Créés par l’ordonnance nº 67-830 du 27 septembre 1967 et le décret nº 67-1165 du 22 décembre 1967, les titres-restaurants sont des titres ou bons d’achat, ayant une valeur monétaire et permettant d’acquitter en tout ou en partie le prix d’un repas. L’article L. 3262-1 du code du travail dispose ainsi : « Le titre-restaurant est un titre spécial de paiement remis par l’employeur aux salariés pour leur permettre d’acquitter en tout ou en partie le prix du repas consommé au restaurant ou acheté auprès d’une personne ou d’un organisme mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 3262-3. Ce repas peut être composé de fruits et légumes, qu’ils soient ou non directement consommables. Ces titres sont émis : 1º Soit par l’employeur au profit des salariés directement ou par l’intermédiaire du comité d’entreprise (du comité social et économique depuis l’ordonnance 2017-1386 du 22 septembre 2017, entrée en vigueur au plus tard le 1er janvier 2018) ; 2º Soit par une entreprise spécialisée qui les cède à l’employeur contre paiement de leur valeur libératoire et, le cas échéant, d’une commission. Un décret détermine les conditions d’application du présent article ». Cofinancé par l’employeur, en contrepartie d’exonérations fiscales, et le salarié, le ticket-restaurant constitue un avantage en nature payé par l’employeur entrant dans la rémunération du salarié. S’agissant d’un élément de la rémunération, le droit au ticket-restaurant suit le régime juridique du salaire et ne peut donc être unilatéralement réduit ou supprimé par l’employeur. Il en résulte que l’employeur a réduit la rémunération du salarié en supprimant les tickets restaurant, ce qui constitue un manquement à ses obligations contractuelles, justifiant à lui seul la rupture du contrat de travail aux torts de la société. En juin 2018, vous m’avez ordonné la restitution de la clé donnant accès au bureau, clé que j’ai toujours eu en ma possession et ce afin de récupérer les fiches de missions quotidiennes et mon carnet personnel d’heures accomplies que je renseignais quotidiennement du nom du client et des heures passées, ce retrait est injustifié et contraire à la bonne marche de l’entreprise. Ne pouvant y accéder, il est constant que mes conditions de travail se sont dégradées en m’empêchant notamment de me mettre à l’abri en cas d’intempérie, sachant qu’aucun endroit n’est aménagé pour les salariés. Ce manquement n’a en aucun cas empêché la poursuite du contrat de travail, M. [U] ayant pris acte de la rupture du contrat de travail par courrier du 5 décembre 2018 et celui-ci n’apportant aucun élément sur l’impossibilité d’effectuer ses tâches de travail entre le mois de juin 2018 et la lettre de rupture. Pendant le week-end des 06 et 07 octobre 2018, vous avez changé les serrures de l’atelier alors que j’en ai toujours eu l’accès et ce compte tenu de mes fonctions de chef d’équipe. Le salarié ne démontre pas la nécessité d’accéder à cet atelier pour exécuter son travail de sorte que ce manquement ne peut être retenu comme étant suffisamment grave pour entraîner la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur. Par courriers, en date du 05 octobre 2018 et 26 novembre 2018, vous m’avez signifié deux avertissements que je conteste avec force, compte tenu des déclarations et faits évoqués qui ne sont absolument pas fondés. La cour observe que M. [U] ‘conteste avec force’ les avertissements qui lui ont été infligés sans en demander l’annulation de sorte qu’il n’est d’aucun intérêt pour la solution du litige d’en contrôler le bien fondé, M. [U] n’en tirant aucune conséquence juridique. Les avertissements litigieux ne sauraient en conséquence être retenus pour apprécier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Le vendredi 23 novembre 2018, vous m’avez remis en main propre un courrier en date du 16 novembre 2018, non signé relatif à la mise en place sur les véhicules de l’entreprise un système de localisation par GPS. Vous m’avez ordonné de le signer sur le champ sans même que j’en prenne connaissance, je vous ai indiqué que je donnais le temps de la réflexion, ce qui vous a déplu. Le lundi 26 novembre 2018 j’ai constaté l’installation sur le véhicule mis à ma disposition sans avoir recueilli mon accord, et m’avoir laissé le temps de la réflexion. De plus aucune réunion préalable aux fins de nous informer de l’objectif poursuivi par ce système n’a été organisée avec l’ensemble du personnel. L’article 6 de la loi n 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, prévoyait, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018, applicable à l’espèce, que: ‘Un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes: 1- Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite; 2- Elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. Toutefois, un traitement ultérieur de données à des fins statistiques ou à des fins de recherche scientifique ou historique est considéré comme compatible avec les finalités initiales de la collecte des données, s’il est réalisé dans le respect des principes et des procédures prévus au présent chapitre, au chapitre IV et à la section 1 du chapitre V ainsi qu’au chapitre IX et s’il n’est pas utilisé pour prendre des décisions à l’égard des personnes concernées; 3- Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs; 4- Elles sont exactes, complètes et, si nécessaire, mises à jour ; les mesures appropriées doivent être prises pour que les données inexactes ou incomplètes au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou traitées soient effacées ou rectifiées; 5- Elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées.’ Selon la délibération du 4 juin 2015 de la CNIL, « des données à caractère personnel ne peuvent être collectées que pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et […] ne doivent pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités ». L’utilisation d’un système de géolocalisation par GPS des véhicules fournis aux salariés a été limitée à des finalités particulières : – le respect d’une obligation légale ou réglementaire imposant la mise en oeuvre d’un dispositif de géolocalisation en raison du type de transport ou de la nature des biens transportés ; – le suivi et la facturation d’une prestation de transport de personnes ou de marchandises ou d’une prestation de services directement liée à l’utilisation du véhicule, ainsi que la justification d’une prestation auprès d’un client ou d’un donneur d’ordre ; – la sûreté ou la sécurité de l’employé lui-même ou des marchandises ou véhicules dont il a la charge (travailleurs isolés, transports de fonds et de valeurs.) ; – le contrôle du respect des règles d’utilisation du véhicule définies par le responsable de traitement, sous réserve de ne pas collecter une donnée de localisation en dehors du temps de travail du conducteur. La mise en place de ce dispositif peut avoir pour finalité accessoire le suivi du temps de travail, lorsque ce suivi ne peut pas être réalisé par un autre moyen, sous réserve notamment de ne pas collecter ou traiter de données de localisation en dehors du temps de travail des employés concernés. Il est constant que l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen. Le 16 novembre 2018, l’employeur adresse le courrier suivant aux salariés : ‘Mesdames, Messieurs, Dans le cadre de notre collaboration et du développement de la société, notre intérêt commun est d’utiliser toujours de nouveaux outils permettant d’améliorer le confort des collaborateurs, la satisfaction des clients ainsi que notre productivité et notre rentabilité. Le meilleur matériel nous permet de répondre aux exigences des services demandés par nos clients, et ainsi de les fidéliser. Ainsi et pour continuer d’oeuvrer dans l’amélioration de vos conditions de travail, j’ai décidé de mettre en place dans tous les véhicules, un système de localisation par GPS. Nos objectifs sont les suivants : – Permettre à l’entreprise de savoir où se trouvent les véhicules en temps réel afin d’optimiser le planning et de respecter la sectorisation, – Diminuer les kilomètres parcourus pour faire des économies de carburant, – D’orienter le véhicule le plus proche lors d’une demande d’intervention urgente, – D’informer nos clients et de leur confirmer, lorsqu’ils en font la demande au planning, sur votre heure d’arrivée sans avoir à vous contacter par téléphone, – De réorganiser les interventions en cas de modification de planning, – D’améliorer le suivi de l’activité des collaborateurs salariés itinérants pour établir les temps de travail (reconnaissance des heures normales et des heures supplémentaires), Envoyés – D’améliorer le suivi des marchandises, – De lutter contre le vol des véhicules. Les données relatives à vos déplacements sont conservées conformément à la loi; les services de la direction, des ressources humaines, de la comptabilité, les responsables opérationnels sont les seuls destinataires de ces informations. Conformément aux articles 39 et 40 de la loi N°78-17 du 6 janvrier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, toute personne ne peut obtenir communication et, le cas échéant, rectification ou suppression des informations la concernant, en s’adressant à la direction générale. Vous bénéficierez également d’un droit d’opposition, sous réserve d’invoquer des motifs légitimes qui seront soumis à l’appréciation de la direction. Signature du salarié :’ Les instances représentatives du personnel doivent être informées ou consultées avant toute décision d’installer un dispositif de géolocalisation dans les véhicules mis à la disposition des employés. En l’espèce, aucune information ou consultation des instances représentatives du personnel n’est démontrée. Chaque employé doit être par ailleurs informé de la possibilité d’introduire une réclamation auprès de la CNIL, ladite information étant absente dans le courrier susvisé. Enfin, les employés doivent pouvoir désactiver la collecte ou la transmission de la localisation géographique en dehors du temps de travail. Or, il n’est pas justifié en l’espèce par le mandataire liquidateur d’une possibilité de déconnexion du dispositif. Il résulte de ces éléments que le système de géolocalisation GPS mis en place par l’employeur n’est pas conforme aux dispositions applicables. La cour considère, au vu des éléments développés supra, que les manquements retenus commis par l’employeur sont du fait de leur cumul suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, dès lors qu’ils se sont poursuivis jusqu’à la date de la lettre de rupture, peu important que M. [U] ne se soit jamais plaint de la situation avant sa prise d’acte. La prise d’acte produit donc les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé de ce chef et les conséquences financières subséquentes. En application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner à Me [D] [A], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sas Spa et Ingénierie , de rembourser à France travail les indemnités de chômage versées à M. [U] dans la limite de un mois d’indemnités de chômage. Sur les demandes financières liées à la rupture du contrat de travail 1. Sur l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité compensatrice de congés payés afférents Eu égard à son ancienneté, M. [U] pouvait prétendre à un préavis de deux mois, soit la somme de 4794 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 479,40 euros bruts pour les congés payés afférents. 2. Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse En application de l’article L. 1235-3 du code du travail, le salarié peut prétendre à une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle sera calculée conformément à l’article L1235-3 du code du travail, comprise entre un minimum de 3 mois et un maximum de 14 mois de salaire, pour un salarié ayant 17 ans d’ancienneté, seules les années complètes étant retenues. M. [U] ne produit aucune pièce sur sa situation professionnelle depuis la rupture du contrat de travail, hormis l’avis d’imposition 2020 sur les revenus 2019 faisant apparaître un revenu fiscal de 40008 euros pour le foyer, soit un revenu mensuel de 3334 euros, de sorte qu’il se verra attribuer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse équivalente à trois mois de salaire, soit la somme de 7191 euros. 3. Sur l’indemnité légale de licenciement M. [U] sollicite la somme de 27500 euros sans préciser le mode de calcul utilisé pour parvenir à cette somme. Or, en retenant une ancienneté de 17 ans et un salaire mensuel de 2397 euros, l’indemnité de licenciement devant revenir au salarié s’élève à 12.251,33 euros. 4. Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral M. [U] sollicite la somme de 20000 euros en invoquant les conditions vexatoires dans lesquelles il a été amené à prendre acte de la rupture de son contrat de travail. La cour ne décèle aucun caractère vexatoire des conditions dans lesquelles le salarié a pris acte de la rupture de sorte qu’il sera débouté de ce chef de prétention, le jugement devant être confirmé sur ce point. Sur la demande de remise de documents Le mandataire liquidateur devra remettre à M. [R] [U] un certificat de travail, une attestation France travail et un solde de tout compte conformes à la présente décision dans un délai d’un mois suivant la signification de l’arrêt, et sans qu’il y ait lieu à une astreinte. Sur les demandes accessoires L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de M. [U]. Les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective. PAR CES MOTIFS
LA COUR, Par arrêt réputé contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort, Réforme le jugement rendu le 10 novembre 2021 par le conseil de prud’hommes d’Avignon sauf en ce qu’il a débouté M. [R] [U] de sa demande en dommages et intérêts pour préjudice moral, Et statuant à nouveau des chefs infirmés, Dit que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, Fixe ainsi que suit la créance de M. [R] [U] au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Spa et Ingéniérie : – 7191 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, – 4794 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 479,40 euros bruts pour les congés payés afférents, – 12.251,33 euros à titre d’indemnité légale de licenciement, – 1200 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, Dit que ces sommes seront inscrites par le mandataire liquidateur sur l’état des créances de la procédure collective ouverte à l’encontre de la société, Dit qu’en application des articles L 622-28 et L 641-3 du code de commerce, le jugement d’ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement, Déclare la présente décision opposable à l’Unedic délégation AGS – CGEA d'[Localité 6], dans les conditions et limites légales, Rappelle que la garantie de l’AGS est subsidiaire et que la présente décision est opposable au CGEA d'[Localité 6] dans la seule mesure d’une insuffisance de disponibilités entre les mains du liquidateur, Rappelle que l’AGS ne garantit pas l’indemnité fondée sur les dispositions de l’article 700 du C.P.C. et ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L3253-6 et suivants du code du travail que dans les limites et conditions posées par les articles L3253-19 et suivants du code du travail, Fixe la créance de France travail au passif de la Sas Spa et Ingénierie, prise en la personne de Me [D] [A], ès qualités de liquidateur judiciaire, à UN (1) mois d’indemnités de chômage effectivement versé à M. [R] [U] par suite de son licenciement, Ordonne à Me [D] [A], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sas Spa et Ingénierie à remettre à M. [R] [U] un certificat de travail, une attestation France travail et un solde de tout compte conformes au présent arrêt, dans un délai d’un mois à compter de sa signification, Rejette la demande d’astreinte, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective. Arrêt signé par le président et par la greffiere. LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT, |
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