L’essentiel du dispositif anti-fraudeL’Article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 et son Décret no 2021-148 du 11 février 2021 (dispositif expérimental reconduit depuis plusieurs années et jusqu’en février 2026) permet, pour les besoins de la recherche de la dissimulation d’activités et certaines infractions fiscales, collecter et exploiter au moyen de traitements informatisés et automatisés n’utilisant aucun système de reconnaissance faciale les contenus manifestement rendus publics par leurs auteurs et publiquement accessibles sur les sites internet des plateformes en ligne et cela y compris lorsque l’accès à ces plateformes requiert une inscription à un compte. Les objectifs du dispositif sont divers, de la détection d’éventuels manquements pouvant relever de faits constitutifs de fraude fiscale – à confirmer ensuite par des contrôles et investigations – à l’obtention de preuves concernant la commission de faits de fraude fiscale ou de son blanchiment . Il s’agit essentiellement de permettre aux agents des impôts l’exploitation des données collectées sur les réseaux sociaux et l’accès aux données de connexion. A l’origine, l’article 154 de la loi de finances pour 2020 autorise, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, les agents de la DGFiP et de la Douane dûment habilités à cet effet à collecter et à exploiter au moyen de traitements automatisés et informatisés les informations publiées par les utilisateurs de plateforme en ligne, à fins de recherche d’éventuelles infractions graves aux dispositions du code général des impôts (CGI) et du code des douanes. À titre d’exemple, la Douane cible les annonces de vente de tabac de contrebande, tandis que la DGFiP se concentre sur la recherche des activités économiques occultes et des fausses domiciliations fiscales à l’étranger des personnes physiques. Plusieurs garanties ont été prévues pour encadrer les traitements automatisés que peuvent mettre en place les agents de la DGFiP et de la Douane, dont certaines avaient été ajoutées à l’initiative du Sénat lors de l’examen de cette disposition dans le projet de loi de finances initiale pour 2020. Ainsi, les agents pouvant procéder à ces traitements doivent être spécialement habilités à le faire et la durée de conservation des données est strictement encadrée : les données sensibles et les données manifestement sans lien avec les infractions graves recherchées doivent être détruites dans un délai de cinq jours ouvrés après leur collecte tandis que les données strictement nécessaires à la constatation de manquements et d’infractions peuvent être conservées pendant un an, sauf si elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure, auquel cas elles doivent être conservées jusqu’à l’issue de cette procédure, qu’elle soit fiscale, douanière ou pénale. Les traitements automatisés ne peuvent pas utiliser de reconnaissance faciale et la CNIL avait précisé, dans son avis, qu’ils ne pouvaient pas non plus collecter les commentaires des personnes tierces, sur les publications par exemple. De même, aucun sous-traitant ne pouvait intervenir pour le traitement et la conservation des données à caractère personnel. L’expérimentation a également dû faire l’objet d’une analyse d’impact relative à la protection des données à caractère personnel, dont les résultats ont été transmis à la CNIL. Ces analyses, réalisées par la DGFiP et la DGDDI, ont été transmises au rapporteur à sa demande, tout comme les dossiers de conformité que ces deux administrations ont rédigé pour présenter les traitements automatisés mis en place. L’expérimentation a débuté au mois de février 2021 et a pris fin au mois de février 2024. Conformément aux termes de l’article 154 de la loi de finances pour 2020, un bilan de « mi-parcours » devait être remis au Parlement au courant du mois d’août 2022, puis un rapport définitif au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, soit au mois d’août 2023. Le premier rapport n’a toutefois pas encore été remis. Les étapes techniques du dispositifQuatre étapes jalonnent le dispositif mis en place par la Douane, et qui vise plus particulièrement la lutte contre la vente de tabac de contrebande. Les trois premières étapes se déroulent de manière automatisée, sans l’intervention d’utilisateurs : – 1ère étape : collecte des annonces et profils comportant les éléments recherchés et extraction des données (méthodes de scrapping ), à l’aide de mots clefs associés à la vente de tabac ; – 2ème étape : structuration, nettoyage des données et détection de la fraude . Ces travaux doivent être réalisés en cinq jours maximum, au regard des exigences en matière de durée de conservation des données avant leur destruction obligatoire. L’identification des annonces et profils vraisemblablement frauduleux s’appuie sur la construction d’un modèle de détection de fraude, à l’aide d’algorithmes ; – 3ème étape : restitution des cibles potentiellement frauduleuses pour qu’elles soient opérationnellement traitées par les services douaniers. Seules les annonces et profils strictement nécessaires à la constatation d’un manquement ou d’une infraction sont conservés ; – 4ème étape : traitement opérationnel . Cette étape a débuté au mois de mai 2022. L’évaluation préliminaire montre qu’ une quarantaine d’annonces potentiellement frauduleuses sont identifiées chaque semaine , sur trois plateformes. La mise en place des traitements automatisés permettant de collecter et d’analyser les contenus librement accessibles sur les réseaux sociaux s’est déroulée en plusieurs étapes à la DGFiP, sur près de deux ans. La mise en oeuvre de l’expérimentation de collecte et d’analyse des contenus publiés sur les plateformes en ligne à la DGFiP Source : commission des finances du Sénat, d’après les éléments transmis par la DGFiP en réponse au questionnaire du rapporteur Les premiers travaux (juillet 2021) ont permis de collecter plus de 13 000 annonces publiées par des personnes et proposant des offres de service dans plusieurs secteurs économique (coiffure, déménagement, informatique, plomberie, cours particuliers, soin). Près d’un tiers de ces annonces indiquait des numéros SIREN inconnus dans les référentiels de la DGFiP ou correspondant à des entreprises qui ont officiellement cessées leurs activités. Si la pertinence des dossiers sélectionnés a été confirmée, les enjeux financiers se sont avérés faibles. Après la prise en compte des retours des services, il a donc été décidé de lancer une nouvelle production orientée vers la vente de véhicules automobiles par des personnes morales ou des personnes physiques, dans le but d’identifier des activités occultes à enjeux . Lors du déplacement à la DGFiP, les membres de la mission d’information ont concrètement pu voir le fonctionnement de cette collecte et de cette analyse : une personne se présentant comme un « particulier » était par exemple à l’origine de dizaines d’annonces de voitures de luxe. Les données publiquement ou librementDans le cadre de sa décision sur la loi de finances pour 2020, le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation sur l’article 154 de la loi de finances initiale pour 2020 et considéré que les données susceptibles d’être collectées et exploitées devaient correspondre à des « contenus librement accessibles sur un service de communication au public en ligne d’une des plateformes […], à l’exclusion donc des contenus accessibles seulement après saisie d’un mot de passe ou après inscription sur le site en cause ». Celle-ci a été strictement interprétée par la CNIL puis par le Conseil d’État, avec une distinction opérée entre, d’une part, les données librement accessibles – c’est-à-dire accessibles sans aucune forme de connexion – et, d’autre part, les données publiquement accessibles – c’est-à-dire auxquelles tout le monde peut avoir accès, mais éventuellement en disposant d’un compte sur la plateforme concernée ou d’un mot de passe. Dans le cadre de l’expérimentation, les agents de la DGFiP et de la Douane n’ont donc accès qu’aux contenus rendus librement accessibles par leurs utilisateurs . Or, à la différence des plateformes d’échanges, la plupart des réseaux sociaux subordonnent l’accès à leur site à une inscription préalable. Concrètement, les agents ne peuvent pas accéder à certains contenus publiés sur les réseaux comme Facebook ou Instagram, pour lesquels il peut être nécessaire de disposer d’un compte (sans pour autant faire partie des « amis » ou « abonnés » de la personne visée). Ces plateformes sont pourtant d’importants vecteurs de travail dissimulé et donc de fraude à la TVA ou à l’imposition sur les revenus par exemple (impôt sur le revenu ou imposition sur les sociétés). La DGFiP et la DGDDI considèrent que cette distinction et que les restrictions apportées en conséquence aux traitements mis en oeuvre altèrent sensiblement le caractère opérationnel du dispositif . Non seulement elle ne permet pas d’avoir accès à l’ensemble des vecteurs de fraude grave – les directions estimant même qu’elles avaient, avec cette interprétation, perdu accès aux sites parmi les plus importants pour déceler les infractions graves – mais elle ralentit aussi la construction et le perfectionnement des modèles de détection automatique de la fraude , qui repose sur une phase préalable d’apprentissage machine. Or, les équipes techniques ont expliqué qu’il fallait plusieurs centaines d’exemples et de contre-exemples d’annonces pour construire un modèle pertinent : le faible nombre d’annonces disponibles, du fait des restrictions apposées à l’accès à certaines plateformes, ne permet pas de disposer d’un nombre suffisant d’exemples exploitables pour la phase d’apprentissage du modèle. Le législateur n’avait lui-même pas opéré cette distinction , en considérant qu’il autorisait, par la présente expérimentation, les agents de la DGFiP et de la Douane à accéder aux contenus publiquement accessibles, même s’il fallait pour cela un compte pour accéder à la plateforme (ex. sur Instagram ou Facebook, même pour accéder à des contenus rendus publics par leurs utilisateurs). Il paraît également admis par la CNIL que la distinction opérée entre données publiquement et librement accessibles restreignait considérablement le dispositif souhaité par le législateur . Au regard de l’ensemble de ces constats, l’article 154 de la loi de finances initiale pour 2020 a été modifié afin de prévoir que les agents de la DGFiP et de la Douane puissent collecter et analyser les données publiquement accessibles sur les plateformes en ligne, et non plus seulement celles qui sont librement accessibles . En parallèle, l’expérimentation est prolongée de deux ans , soit jusqu’au mois de février 2026, pour laisser le temps à cette modification de produire tous ces effets. Selon les informations transmises par la CNIL, il n’y a pas d’obstacle a priori à ce que l’expérimentation soit étendue aux contenus publiquement accessibles sur les réseaux sociaux , à condition de prévoir un strict encadrement du dispositif : habilitation des agents, traçabilité des accès, recherche des infractions les plus graves, durée de conservation des données réduites autant que possible. Ces garanties existent déjà pour la plupart d’entre elles dans l’expérimentation actuellement mise en oeuvre. Par ailleurs, que ce soit au niveau règlementaire ou au niveau législatif, plusieurs garanties devraient être apportées pour la création , par les agents de la DGFiP et de la Douane, d’un compte permettant d’accéder à certaines plateformes . Ainsi, le compte devrait être neutre, utilisé pour la seule collecte automatique des contenus manifestement rendus publics – ce qui exclut donc toute utilisation du compte pour accéder aux informations des groupes privés sur les plateformes. Tout message à caractère privé et toute forme d’interaction avec les utilisateurs seraient également prohibés. Dans sa délibération sur l’avis relatif au projet de décret portant modalités de mise en oeuvre par la DGFiP et par la DGDDI des traitements automatisés prévus à l’article 154 de la loi de finances pour 2020, la CNIL relevait à cet égard que les « solutions de chiffrement permettant d’assurer un niveau adéquat de protection des données et de respect de leur confidentialité sont mises en oeuvre tant pour l’administration fiscale que pour l’administration des douanes et des droits indirects » . Durée de la conservation des données collectéesLes données collectées sont conservées pour une période maximale d’un an à compter de leur collecte et sont détruites à l’issue de cette période. Toutefois, lorsqu’elles sont utilisées dans le cadre d’une procédure pénale, fiscale ou douanière, ces données peuvent être conservées jusqu’au terme de la procédure. Les autres données sont détruites dans un délai maximum de trente jours à compter de leur collecte. Le droit d’accès aux informations collectées s’exerce auprès du service d’affectation des agents habilités mais le droit d’opposition prévu à l’article 110 de la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique ne bénéficie par aux personnes vérifiées.
Les règles de la collecte de donnéesLa collecte des contenus librement accessibles et manifestement rendus publics sur les sites internet des opérateurs de plateforme en ligne peut intervenir au moyen d’identités d’emprunt ou de comptes spécialement utilisés à cet effet.
Les finalités des traitementsLes finalités des traitements mentionnés à l’article 154 de la loi du 28 décembre 2019 sont :
b) La modélisation et l’identification des caractéristiques des comportements susceptibles de révéler la commission des infractions et manquements mentionnés au I de l’article 154 de la loi du 28 décembre 2019 et l’identification d’indicateurs et de critères de pertinence ;
d) La collecte et la sélection des données pertinentes ; 2° Pendant la phase d’exploitation : a) La collecte et la sélection des données pertinentes ; b) Le transfert des données pour analyse vers les traitements ;
Recherche d’une activité occultePour la recherche, d’une part, d’une activité occulte, au sens de l’article L. 169 du livre des procédures fiscales, sanctionnée par l’application de la majoration mentionnée au c du 1 de l’article 1728 du code général des impôts, d’autre part, des inexactitudes ou omissions découlant d’un manquement aux règles de domiciliation fiscale des personnes physiques fixées à l’article 4 B du code général des impôts et sanctionnées par l’application des majorations mentionnées à l’article 1729 du même code, les traitements mis en œuvre pendant la phase d’apprentissage et de conception ont uniquement pour finalité de développer des outils de collecte et d’analyse des données et d’identifier des indicateurs qui ne sont pas des données à caractère personnel, tels que des mots-clés, des ratios ou encore des indications de dates et de lieux, caractérisant les manquements et infractions recherchés.
2° La collecte, à partir de l’échantillon ainsi constitué, des contenus visés. Ces données sont :
b) Les contenus des pages se rapportant à l’activité professionnelle des entreprises de l’échantillon qui peuvent notamment être des écrits, des images, des photographies, des sons, des signaux ou des vidéos. Les données sensibles, au sens du I de l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, ainsi que les données d’identification des comptes sont détruites au plus tard cinq jours ouvrés après leur collecte. Les autres données sont conservées pendant un délai maximum de trente jours à compter de leur collecte ;
Manquements aux règles de la domiciliation fiscale
Pour la recherche des manquements aux règles de la domiciliation fiscale, la conception d’outils de collecte et d’analyse des données comporte les étapes suivantes :
Sont utilisées les données permettant l’identification de personnes physiques issues du traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes ».
Ces travaux ont pour objectif de développer des capacités d’analyse de données non structurées et de mettre en place des dispositifs de croisement avec des bases de données de lieux géographiques et des moteurs de recherche spécialisés dans l’identification des lieux correspondant à des images, afin d’identifier des indicateurs de lieux géographiques. Les contenus des comptes présentant un caractère sensible, au sens du I de l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, ainsi que les éléments permettant l’identification des personnes physiques titulaires des contenus collectés sont détruits au plus tard cinq jours ouvrés après leur collecte. Les autres données sont conservées pendant un délai maximum de trente jours à compter de leur collecte. La recherche des infractions douanièresPour la recherche des infractions mentionnées à l’article 1791 ter, aux 3°, 8° et 10° de l’article 1810 du code général des impôts ainsi qu’aux articles 414, 414-2 et 415 du code des douanes, les traitements mis en œuvre pendant la phase d’apprentissage et de conception ont uniquement pour finalités de développer des outils de collecte d’analyse et de nettoyage des données et d’identifier des critères de pertinence, notamment des mots-clés, des ratios, et des indications de date et de lieux, caractérisant les manquements et infractions recherchés, ainsi que les modélisations de détection des activités frauduleuses. La conception d’outils de collecte et d’analyse des données comporte les étapes suivantes :
a) Les données d’identification des titulaires des pages internet analysées ; 3° La mise en œuvre de modélisations de détection des activités frauduleuses reposant sur l’analyse et la corrélation des différentes informations collectées en fonction des critères de pertinence.
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