Irrecevabilité de l’action en contrefaçon et rejet des demandes d’indemnisation

Notez ce point juridique

Sur la recevabilité de l’action en contrefaçon :

Le tribunal a jugé irrecevable l’action en contrefaçon de Mme [U] car elle n’a pas pu prouver l’existence de justes motifs pour le non-usage de la marque Reflea pendant les cinq années précédant sa demande. Mme [U] est titulaire de la marque Reflea mais n’a pas utilisé cette marque pendant la période requise.

Sur les autres demandes :

En raison de l’irrecevabilité des demandes en indemnisation pour contrefaçon de Mme [U], la Cour ne peut les examiner au fond. De plus, la demande de remboursement du moule de piscine détruit perçu par la société CPE est déclarée irrecevable car elle ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état. Mme [U] est condamnée aux dépens d’appel et à payer des frais supplémentaires à la société CPE.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 22/03105 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OIPS

Décision du Juge de la mise en état du TJ de LYON

du 21 mars 2022

RG : 20/03493

Chambre 10 cab 10 J

[U]

C/

S.A.R.L. CPE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 09 Février 2023

APPELANTE :

Mme [C] [U]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475

assisté de Me Gilles DUMONT-LATOUR de la SCP DUMONT-LATOUR, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

LA SOCIETE CPE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Maxime TAILLANTER, avocat au barreau de LYON, toque : 2954

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 27 Décembre 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 Janvier 2023

Date de mise à disposition : 09 Février 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Dominique BOISSELET, président

– Evelyne ALLAIS, conseiller

– Stéphanie ROBIN, conseiller

assistés pendant les débats de Julien MIGNOT, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Clemence RUILLAT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCEDURE ET DEMANDES DES PARTIES :

Par acte d’huissier de justice du 16 juin 2020, Mme [C] [U] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Lyon la société CPE aux fins de voir déclarer recevable son action en contrefaçon à l’encontre de cette société et condamner celle-ci à lui payer des dommages et intérêts en réparation du préjudice relatif à l’exploitation de la marque « Reflea » sans autorisation de sa part ainsi qu’en réparation de son préjudice moral.

La société CPE a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir déclarer irrecevables l’ensemble des demandes de Mme [U] en application de l’article L.716-4-3 du code de la propriété intellectuelle.

Mme [U] a conclu au rejet de la fin de non-recevoir soulevée par la société CPE.

Par ordonnance du 21 mars 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Lyon a :

– déclaré irrecevable Mme [U] en son action en contrefaçon et en ses demandes d’indemnisation,

– condamné Mme [U] à payer à la société CPE la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Mme [U] aux dépens de l’instance,

– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 28 avril 2022, Mme [U] a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.

L’affaire a été fixée d’office à l’audience du 3 janvier 2023 par ordonnance du président de la chambre du 4 mai 2022 en application de l’article 905 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées le 3 juin 2022, Mme [U] demande à la Cour, au visa des articles 31, 46, 542 et 546 du code de procédure civile, L. 713-2, L. 713-3, L.713-3-1 et L. 714-5 du code de propriété intellectuelle, de :

– infirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,

– voir dire et juger (juger) recevable son action en contrefaçon et ses demandes à l’encontre de la société CPE,

statuant sur sa demande d’évocation sur le fondement de l’article 568 du code de procédure civile,

-juger que les conditions d’application de cet article sont réunies et qu’il convient d’évoquer le présent dossier pour qu’il soit statué au fond sur l’action en contrefaçon et ses demandes,

en conséquence,

– voir déclarer non seulement recevable mais fondée l’action en contrefaçon initiée par elle à l’encontre de la société CPE,

– condamner la société CPE à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de réparation du préjudice pour utilisation de la marque « Reflea » sans autorisation,

– condamner la société CPE à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de réparation de son préjudice moral,

– condamner la société CPE à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de remboursement du moule de piscine détruit indument perçu par la société CPE,

– condamner la société CPE au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– condamner la société CPE aux entiers dépens de l’instance en ce compris ceux d’appel.

A l’appui de ses prétentions, Mme [U] fait valoir que :

– depuis 2014, elle est titulaire de la marque Reflea et détient un brevet sur un moule de conception de piscine,

– M. [M], ancien salarié de la société Piscines Contemporaines (PCS), laquelle détenait antérieurement la marque Reflea et le brevet du moule de conception de piscine, a créé une société CPE le 21 mars 2013, dont il a repris la gérance le 19 novembre 2015 ; or, il a entrepris de commercialiser des piscines miroir « Reflea » sans aucune autorisation et a été indemnisé de la destruction du moule de la piscine « Reflea »alors qu’il n’est pas titulaire du brevet de ce moule,

– elle a conclu le 10 mars 2017 avec la société Lozen Edifice, dont le président est M.[R] [W], ancien gérant de la société PCS (laquelle a été liquidée en janvier 2014 à la suite de difficultés financières), un contrat de licence de marque confiant à cette société l’exploitation totale de la marque ; or, la société Lozen Edifice n’a pu exploiter la marque Reflea en raison des graves problèmes de santé de son dirigeant, circonstances indépendantes de sa volonté ; aussi, elle établit que le non-usage de la marque est imputable à de justes motifs.

Dans ses conclusions notifiées le 29 juin 2022, la société CPE demande à la Cour, au visa des article L.716-4-3 du « code de procédure civile », 70, 564 et 789 du code de procédure civile, de :

à titre principal,

– confirmer l’ordonnance en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

– juger que la demande de Mme [U] visant à « voir condamner la société CPE au paiement d’une somme de 15.000 euros à titre de remboursement du moule de piscine détruit indument perçu par la société CPE » est formulée pour la première fois en cause d’appel,

– juger que la demande additionnelle de Mme [U] visant à « voir condamner la société CPE au paiement d’une somme de 15.000 euros à titre de remboursement du moule de piscine détruit indument perçu par la société CPE » ne se rattache pas aux prétentions originaires par un lien suffisant,

ce faisant,

– juger bien fondée sa fin de non-recevoir, tirée de l’application des articles 70 et 564 du code de procédure civile, concernant cette demande,

en conséquence,

– déclarer irrecevable la demande de Mme [U] visant à « voir condamner la société CPE au paiement d’une somme de 15.000 euros à titre de remboursement du moule de piscine détruit indument perçu par la société CPE »

– rejeter l’ensemble des demandes, fins et prétentions de Mme [U],

– dire qu’il sera fait application de l’article 40 du code de procédure pénale s’agissant de l’authenticité douteuse du contrat de licence de marque produit en pièce adverse n° 7 par Mme [U],

– condamner Mme [U] au paiement d’une somme de 10.000 euros à son profit au titre de ses frais irrépétibles d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, – condamner Mme [U] aux entiers dépens.

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait juger que les demandes de Mme [U] sont recevables,

– juger que Mme [U] ne démontre ni l’existence d’un lien de causalité, ni l’existence et la consistance de ses prétendus préjudices dans le cadre de ses actions en responsabilité civile,

– juger que Mme [U] ne démontre aucune faute, aucun préjudice et aucun lien de causalité s’agissant de sa demande visant à « voir condamner la société CPE au paiement d’une somme de 15.000 euros à titre de remboursement du moule de piscine détruit indument perçu par la société CPE »,

en conséquence,

– rejeter l’ensemble des demandes, fins et prétentions de Mme [U],

– condamner Mme [U] au paiement d’une somme de 10.000 euros à son profit au titre de ses frais irrépétibles d’appel, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, – condamner Mme [U] aux entiers dépens.

A l’appui de ses prétentions, la société CPE fait valoir que :

– Mme [U] ne conteste pas ne pas avoir fait d’usage sérieux de la marque Reflea,

– l’indisponibilité de M. [W], dirigeant de la société Lozen, pour raisons de santé n’est pas un motif suffisant pour justifier le non-usage de la marque Reflea, dès lors que ce dirigeant pouvait être remplacé pendant sa période d’indisponibilité ou encore par les salariés de cette société,

– le contrat de licence de marque versé aux débats est manifestement un faux, ayant été conclu avec M. [W] avant la signature des statuts de la société Lozen (le 15 mars 2017) et l’immatriculation de cette société au registre du commerce et des sociétés (le 20 mars 2017),

– Mme [U] ayant la possibilité de résilier le contrat de licence du fait du non-usage de la marque, ce non-usage n’est pas indépendant de sa volonté dès lors qu’elle n’a pas procédé à la résiliation considérée ; en outre, elle ne justifie d’aucune démarche concrète de la société Lozen afin de commercialiser des piscines sous la marque Reflea, étant observé que les statuts de cette société ne font pas état de ce que cette société a pour objet la commercialisation, la vente et la construction de piscines ; enfin, Mme [U] ne justifie pas de l’usage de la marque Reflea du 16 juin 2015 au 11 juillet 2017, étant observé que M. [W] était en pleine possession de ses capacités entre le 10 mars et le 11 juillet 2017,

– la demande de dommages et intérêts pour la destruction du moule est irrecevable, s’agissant d’une demande nouvelle qui par ailleurs ne se rattache pas à l’action en contrefaçon de Mme [U] par un lien suffisant.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties aux conclusions écrites susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION :

sur la recevabilité de l’action en contrefaçon :

Aux termes de l’article L.716-4-3 du code de la propriété intellectuelle, est irrecevable toute action en contrefaçon lorsque, sur requête du défendeur, le titulaire de la marque ne peut rapporter la preuve :

1° Que la marque a fait l’objet, pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qui sont invoqués à l’appui de la demande, d’un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée, dans les conditions prévues à l’article L. 714-5 ;

2° Ou qu’il existait de justes motifs pour son non-usage.

Le premier juge a déclaré irrecevable Mme [U] en son action en contrefaçon et en ses demandes d’indemnisation au motif que celle-ci n’apportait aucun élément de preuve à l’appui des justes motifs qu’elle invoquait pour le non-usage de la marque Reflea pendant les cinq années précédant la demande.

Mme [U] est titulaire depuis le 13 mars 2014 de la marque Reflea sous le numéro 0 620 388, enregistrée le 9 mars 2011 à l’INPI par la société Piscines Contemporaines (PCS) dont M. [R] [W] était le gérant.

Suivant contrat de licence de marque du 10 mars 2017, Mme [U] a cédé l’exploitation de cette marque en totalité à la SASU Lozen Edifice, dont le président est M. [R] [W].

Mme [U] ne conteste pas le non-usage de la marque Reflea dans les cinq ans précédant son action en contrefaçon, soit du 16 juin 2015 au 16 juin 2020.

Il ressort de la jurisprudence que deux conditions principales cumulatives sont nécessaires pour établir l’existence d’un juste motif au non-usage d’une marque. Ce motif doit être indépendant de la volonté du titulaire de la marque. Il doit en outre présenter un lien direct avec la marque au point de rendre l’usage de celle-ci, si ce n’est impossible, tout du moins déraisonnable.

Mme [U] produit en cause d’appel une attestation de paiement d’indemnités journalières à M. [R] [W], établie le 1er juin 2022 par la CPAM de la Loire, ainsi que différents documents médicaux concernant celui-ci dont il ressort que l’intéressé a été en arrêt de travail du 11 juillet 2017 au 30 juin 2020 en raison d’une affection de longue durée. Toutefois, les problèmes de santé du président de la société Loden ne suffisent pas à établir que cette société n’était pas en mesure d’exploiter la marque Reflea pendant la période considérée, étant observé au surplus que Mme [U] ne justifie par aucune pièce des motifs pour lesquels la société Loden n’a pas procédé à l’exploitation de la marque Reflea pendant la période du 10 mars au 11 juillet 2017. Par ailleurs, Mme [U] avait la possibilité de résilier le contrat de licence faute d’exploitation par la société Loden de la marque Reflea. Aussi, Mme [U] ne démontre pas que le non-usage de la marque Reflea était indépendant de sa volonté ni que les problèmes de santé de M. [R] [W] présentait un lien suffisamment direct avec la marque Reflea au point de rendre l’usage de cette marque déraisonnable.

Mme [U] ne prouvant pas l’existence d’un juste motif au non-usage de la marque Reflea, l’ordonnance sera confirmée en ce qu’elle l’a déclarée irrecevable en son action en contrefaçon et en ses demandes d’indemnisation de ce chef.

sur les autres demandes :

Compte tenu de l’irrecevabilité des demandes en indemnisation pour contrefaçon formées par Mme [U], la Cour ne peut examiner celles-ci au fond. Aussi, la demande de Mme [U] afin de voir évoquer l’ensemble du litige est sans objet.

Par ailleurs, la demande en paiement de Mme [U] à titre de remboursement du moule de piscine détruit perçu par la société CPE formée en cause d’appel est une demande au fond qui ne relève pas de la compétence du juge de la mise en état en application de l’article 789 du code de procédure civile. Cette demande sera dès lors déclarée irrecevable.

Mme [U], qui n’obtient pas gain de cause dans le cadre de son recours, sera condamnée aux dépens d’appel et l’ordonnance confirmée quant aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile. Mme [U] sera condamnée en outre à payer à la société CPE la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en sus de la somme déjà allouée par l’ordonnance.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions ;

Y AJOUTANT,

Déclare irrecevable la demande en paiement à titre de remboursement du moule de piscine détruit perçu par la société CPE, formée en cause d’appel par Mme [U] ;

Constate que la demande de Mme [U] afin de voir évoquer l’ensemble du litige est sans objet ;

Condamne Mme [U] aux dépens d’appel ;

Condamne Mme [U] à payer à la société CPE la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

Rejette le surplus des demandes.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

 

 

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