Inégalité de traitement salarial au sein de la société Tel and Com

Notez ce point juridique

Sur la nullité du licenciement :

La salariée a demandé la nullité de son licenciement en se basant sur les articles L.1235-10 et L.1235-11 du code du travail. Ces articles prévoient que le licenciement est nul s’il intervient en l’absence de décision relative à la validation ou à l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi. Le juge peut alors ordonner la réintégration du salarié ou lui accorder une indemnité. Cependant, la cour a confirmé le jugement initial qui a débouté la salariée de ses demandes sur ce fondement.

Sur l’application de l’article L.1235-16 du code du travail :

La société Tel and Com conteste l’application de l’article L.1235-16 du code du travail qui prévoit une indemnité minimale en cas d’annulation de la décision d’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi. La cour a examiné la conventionnalité de cet article et a conclu qu’il était compatible avec les normes internationales. La salariée a obtenu une indemnité de 11882 euros en vertu de cet article.

Sur les demandes financières de la salariée sur ce fondement :

La salariée a demandé un rappel de salaire en raison d’une inégalité de traitement. La société Tel and Com a justifié cette différence de rémunération par des éléments objectifs tels que l’expérience professionnelle, la mobilité entre différents magasins, et la charge des responsabilités. La cour a confirmé le jugement initial qui a débouté la salariée de sa demande de rappel de salaire.

Sur les demandes accessoires :

La cour a ordonné que les intérêts soient calculés à partir du prononcé du jugement de première instance, a accordé la capitalisation des intérêts, et a confirmé les dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance. La société Tel and Com a été condamnée à supporter les dépens d’appel et à verser une indemnité de 700 euros à la salariée pour les frais irrépétibles non compris dans les dépens.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT DU

24 Novembre 2023

N° 1408/23

N° RG 21/01595 – N° Portalis DBVT-V-B7F-T36U

MLBR/SL*PB

Jugement du

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE

en date du

17 Septembre 2021

(RG 17/00041 -section )

GROSSE :

Aux avocats

le 24 Novembre 2023

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

– Prud’Hommes-

APPELANTE :

SASU TEL AND COM

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Virginie LEVASSEUR, avocat au barrreau de DOUAI, assistée par Me Pascal GASTEBOIS, avocat au barreau de PARIS,

INTIMÉE :

Mme [W] [G]

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Marie LE BRAS

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Alain MOUYSSET

: CONSEILLER

Patrick SENDRAL

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Valérie DOIZE

DÉBATS : à l’audience publique du 27 juin 2023

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Novembre 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Marie LE BRAS, Président et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 27 juin 2023

EXPOSÉ DU LITIGE’:

La SAS Tel and Com, filiale de la société Squadra, exerçait notamment une activité de vente de téléphones mobiles et de distribution de contrats d’abonnement en téléphonie mobile pour le compte des opérateurs Orange et Bouygues Telecom, principalement dans des boutiques situées en centre-ville et dans les galeries marchandes des centres commerciaux.

Elle formait, avec la société Squadra et la société L’Enfant d’Aujourd’hui, l’unité économique et sociale (UES) Tel and Com, la société Squadra étant elle-même détenue à 100’% par la société holding Sarto Finances, détenue par M. [D].

Courant 2012, suite notamment à l’arrivée d’un quatrième opérateur de téléphonie mobile sur le marché, l’intensité concurrentielle s’est accrue entre les différents opérateurs et a eu des répercussions sur le secteur de la distribution indépendante de services et produits de téléphonie mobile, des opérateurs se désengageant de leurs relations commerciales avec les distributeurs indépendants.

C’est dans ce contexte concurrentiel, les opérateurs Orange et Bouygues Telecom ayant résilié leur contrat de distribution avec la société Tel and Com, que cette dernière, qui disposait alors de 125 magasins situés sur l’ensemble du territoire français et comprenait 755 salariés répartis entre les magasins et le siège, a décidé au cours de l’année 2015 de mettre un terme à son activité de distribution de téléphonie mobile, accessoires et offre d’accès internet en fermant l’ensemble de ses points de vente en France.

L’UES Tel and Com a alors présenté aux représentants du personnel un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE) prévoyant la suppression de la quasi-totalité de son effectif soit’:

* 716 emplois au sein de la société Tel and Com,

* 3 emplois au sein de la société L’Enfant d’Aujourd’hui,

* 1 emploi au sein de la société Squadra.

Suite à l’échec des négociations en vue de l’élaboration d’un accord majoritaire sur le projet de PSE, la direction a procédé à l’élaboration d’un document unilatéral fixant le contenu d’un plan de sauvegarde pour l’emploi (PSE 1).

Suite à l’homologation du plan le 18 mai 2015 par la DIRECCTE, la société Tel and Com a déclenché les procédures de licenciement des salariés concernés.

Par jugement du 14 octobre 2015, le tribunal administratif de Lille a toutefois annulé la décision d’homologation en raison de l’insuffisance des mesures du PSE 1, jugement qui sera par la suite confirmé par la cour administrative d’appel de Douai dans un arrêt du 11 février 2016.

Un nouveau plan de sauvegarde pour l’emploi a alors été élaboré et soumis à la DIRECCTE qui par décision du 3 février 2016, l’a homologué (PSE 2).

A l’exception de quelques ruptures conventionnelles antérieures, l’ensemble des contrats des salariés de l’UES Tel and Com a été rompu dans le cadre de ces deux PSE successifs.

S’agissant du PSE 2, le tribunal administratif de Lille a validé la décision d’homologation, jugement qui a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Douai rendu le 17 novembre 2016.

Les deux décisions de la cour administrative d’appel de Douai ont fait l’objet de pourvoi devant le Conseil d’État qui par 2 arrêts rendus le 7 février 2018 les a annulées puis réglant l’affaire au fond, a’:

– par un premier arrêt du 24 octobre 2018, rejeté la requête présentée par la société Tel and Com devant la cour administrative d’appel pour contester le jugement du tribunal administratif en date du 14 octobre 2015 relativement au PSE 1,

– par un second arrêt du même jour, annulé le jugement du tribunal administratif rendu le 29 juin 2016 ainsi que la décision d’homologation de la DIRECCTE du 3 février 2016 concernant le PSE 2, en raison de l’omission faite par l’administration dans l’appréciation des moyens financiers dont disposait la société Sarto Finances, cette omission entâchant d’illégalité la décision d’homologation.

En parallèle à ces contentieux administratifs, de nombreux salariés ont saisi les juridictions prud’homales afin de contester leur licenciement et obtenir diverses indemnités en lien avec l’exécution et la rupture de leur contrat de travail.

C’est notamment le cas de Mme [W] [G] qui occupait en dernier lieu les fonctions d’adjointe au responsable de magasin. La société Tel and Com lui a notifié son licenciement dans le cadre du PSE 2. Mme [W] [G] ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle, la rupture de son contrat de travail est intervenue le 16 mars 2016.

La salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Lille par requête enregistrée le 16 janvier 2017.

Par jugement du 17 septembre 2021, le conseil de prud’hommes de Lille a’:

– jugé que les sociétés Sarto Finances, Squadra, L’Enfant d’Aujourd’hui et Tel and Com forment un groupe animé par la société holding Sarto Finances aux fins d’apprécier les moyens mis en ‘uvre dans le cadre des PSE 1 et PSE 2 de la SA Tel and Com et son UES,

– rejeté la demande principale sur la nullité du licenciement,

– jugé que le licenciement pour motif économique est dénué de cause réelle et sérieuse,

– jugé que le rappel de salaire au titre de l’égalité salariale n’est pas démontré,

– jugé que l’indemnité de préavis et les congés payés y afférents sont dus,

– fixé le salaire mensuel brut à la somme de 1611’euros,

– condamné la société Tel and Com à payer à la salariée les sommes suivantes’:

* 1611 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 161,10 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 9666 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement abusif,

* 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la salariée du surplus de ses demandes,

– débouté la société Tel and Com de l’ensemble de ses demandes reconventionnelles,

– ordonné l’exécution provisoire sur ce que de droit et dans les limites des dispositions de l’article R.1454-28 du code du travail,

– ordonné à la société Tel and Com le remboursement au pôle emploi d’un mois d’indemnité chômage,

– précisé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l’employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les créances de nature salariale, et à compter du prononcé de la présente décision pour les créances de nature indemnitaire,

– condamné la société Tel and Com aux dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 5 octobre 2021, la société Tel and Com a interjeté appel du jugement.

Dans ses dernières conclusions déposées le 12 mai 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, la société Tel and Com demande à la cour de’:

Sur le groupe de moyens,

– infirmer le jugement en ce qu’il a «’dit et jugé que les sociétés Sarto Finances, Squadra, L’enfant d’aujourd’hui, et Tel and Com forment un groupe animé par la holding Sarto Finances, aux fins d’apprécier les moyens mis en ‘uvre dans le cadre des PSE 1 et PSE 2 de la société Tel and Com et son UES’»,

– juger que le conseil de prud’hommes n’avait pas à statuer sur ce point,

Sur les demandes indemnitaires découlant de l’application de l’article L.1235-11 du code du travail,

– juger que l’article L.1235-11 du code du travail ne trouve pas application, le PSE n’ayant pas été annulé par le juge administratif en raison d’une quelconque insuffisance de ses mesures au sens de l’article L.1235-10 alinéa 2 du code du travail,

– confirmer le jugement en ce qu’il n’a pas fait droit à cette demande,

– débouter l’appelant incident de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et de sa demande de remboursement du préavis et des congés payés afférents,

Sur les demandes indemnitaires découlant de l’application de l’article L.1235-16 du code du travail,

A titre principal,

– déclarer que cette demande est prescrite,

– infirmer le jugement en ce qu’il a dit et jugé que le licenciement économique était sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L.1235-16 du code du travail et en ce qu’il l’a condamnée au versement de l’indemnité de l’article L.1235-16 du code du travail, de l’indemnité de préavis et congés payés afférents,

– débouter l’appelante incident de toute demande indemnitaire,

– condamner l’appelante incident à lui rembourser le montant net de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents,

A titre subsidiaire,

– juger que l’article L.1235-16 du code du travail est inconventionnel in abstracto et in concreto,

– juger que son application dans la présente instance viole l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et le protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (amendé par le Protocole n°11),

– infirmer le jugement en ce qu’il a dit et jugé que le licenciement économique était sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L.1235-16 du code du travail et en ses dispositions portant condamnation sur ce fondement,

– débouter la salariée de toute demande indemnitaire,

– condamner l’appelante incident à lui rembourser le montant net de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents,

A titre très subsidiaire,

– limiter une éventuelle condamnation à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur d’un montant symbolique, sans qu’il puisse excéder la somme de 9666 euros,

Sur les demandes indemnitaires découlant de l’application de l’article L.1235-3 du code du travail,

A titre principal,

– juger que le licenciement de la salariée repose sur une cause économique réelle et sérieuse,

– juger qu’elle a respecté son obligation de recherches de reclassement,

– débouter la salariée de toute demande indemnitaire,

A titre subsidiaire,

– limiter une éventuelle condamnation à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 9666 euros,

Sur le remboursement à pôle emploi des allocations chômage,

– juger que l’article L.1235-4 du code du travail ne prévoit pas le remboursement des indemnités chômage à pôle emploi en cas d’application des dispositions de l’article L.1235-16 du code du travail,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à rembourser à pôle emploi 1 mois d’indemnité chômage,

– juger qu’il n’y a pas lieu à remboursement des indemnités chômage à pôle emploi,

Sur la demande de rappel de salaire,

– déclarer que cette demande est prescrite pour la période antérieure au 17 janvier 2014,

– juger que cette demande est mal fondée,

– confirmer le jugement en ce qu’il n’a pas fait droit à cette demande,

– débouter l’appelante incident de sa demande,

En tout état de cause,

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la salariée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouter la salariée de toutes ses demandes,

– condamner la salariée à lui payer la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions déposées le 10 février 2023 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des moyens et prétentions, Mme [W] [G] demande à la cour’:

– d’infirmer le jugement rendu en ce qu’il’:

– a écarté l’application des dispositions de l’article L.1235-11 du code du travail comme source d’indemnisation du préjudice subi,

– a limité l’indemnisation à une somme correspondant à 6 mois de salaire,

– l’a débouté de sa demande de rappel de salaire fondé sur la violation du principe d’égalité de traitement et de sa demande relatives aux congés payés y afférents,

– de confirmer le jugement pour le surplus,

En conséquence,

– condamner la société Tel and Com à lui payer les sommes suivantes’:

* 28998 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l’article L.1235-11 du code du travail, subsidiairement, 28998 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l’article L.1235-16 du code du travail, plus subsidiairement encore, 28998 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse par application de l’article L.1235-3 du code du travail,

* 3222 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 322,20 euros au titre des congés payés y afférents,

* 4525 euros à titre de rappel de salaire, outre 452,50 euros au titre des congés payés y afférents,

– condamner la société Tel and Com à lui payer la somme de 2 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Tel and Com de sa demande tendant à obtenir le remboursement des sommes éventuellement au bénéfice du salarié au titre des mesures sociales du PSE,

– condamner la société Tel and Com aux entiers dépens de première instance et d’appel,

– en application de l’article 1231-7 du code civil, dire que les sommes dues porteront intérêts à compter du jour de la demande,

– constater qu’il demande la capitalisation des intérêts par voie judiciaire.

– dire y avoir lieu de plein droit à capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil, du moment qu’ils sont dus pour une année entière.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION’:

Observations liminaires :

Aux termes du dispositif de ses conclusions, la société Tel and Com conclut en premier lieu à l’infirmation du jugement en ce «’qu’il a dit et jugé que les sociétés Sarto Finances, Squadra, L’Enfant d’Aujourd’hui, et Tel and Com forment un groupe animé par la holding Sarto Finances, aux fins d’apprécier les moyens mis en ‘uvre dans le cadre des PSE 1 et PSE 2 de la société Tel and Com et son UES’».

Le périmètre du groupe de moyens auquel est susceptible d’appartenir l’entreprise n’ayant aucune incidence sur l’application des articles L.1235-11 ou L.1235-16 du code du travail dont la salariée se prévaut en priorité, cette prétention sera examinée postérieurement à ces premiers chefs de demande, notamment s’il y a lieu de statuer sur la demande subsidiaire de la salariée fondée sur l’article L.1235-3 du code du travail et le prétendu non-respect par la société Tel and Com de son obligation individuelle de reclassement à l’égard de la salariée, celle-ci s’appréciant au regard du groupe de reclassement auquel appartient la société employeur.

Dans le cadre de son appel incident, la salariée fait d’abord grief aux premiers juges de ne pas avoir annulé la procédure de licenciement sur le fondement des articles L.1235-10 et L.1235-11 du code du travail au regard du motif selon elle retenu par les juridictions administratives pour annuler la décision d’homologation du PSE, avant de conclure à titre subsidiaire à l’application des dispositions de l’article L.1235-16 du même code retenues par les premiers juges, en sollicitant cependant une indemnité supérieure à celle qui lui a été octroyée.

Pour sa part, la société Tel and Com conteste l’application de ces différentes dispositions.

Les dispositions de l’article L.1235-11 du code du travail étant plus favorables à la salariée que celles de l’article L.1235-16 du même code, s’agissant du montant de l’indemnité minimale susceptible de lui être allouée, il convient d’abord d’examiner la demande de la salariée aux fins de nullité de son licenciement sur le fondement des premières dispositions précitées.

Sur la nullité du licenciement :

Selon l’article L.1235-10 alinéa 2 du code du travail, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, lorsque le projet de licenciement concerne au moins dix salariés dans une même période de trente jours, le licenciement intervenu en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation ou alors qu’une décision négative a été rendue est nul.

En cas d’annulation d’une décision de validation mentionnée à l’article L.1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L.1233-57-3 en raison d’une absence ou d’une insuffisance de plan de sauvegarde de l’emploi mentionné à l’article L.1233-61, la procédure de licenciement est nulle.

Aux termes de l’article L.1235-11 qui suit, lorsque le juge constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle, conformément aux dispositions des deux premiers alinéas de l’article L.1235-10, il peut ordonner la poursuite du contrat de travail ou prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié à la demande de ce dernier, sauf si cette réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l’établissement ou du site ou de l’absence d’emploi disponible.

Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois.

La salariée demande à la cour d’examiner la question de l’insuffisance des mesures du PSE et d’en tirer les conséquences au plan indemnitaire conformément aux dispositions précitées, en faisant valoir que si le Conseil d’Etat n’a pas été au bout de son raisonnement à ce sujet, suivant en cela le rapporteur public, il a cependant retenu que l’administration avait commis une erreur en ne prenant pas en compte les moyens financiers dont disposait la société holding Sarto Finances pour apprécier la suffisance des mesures du PSE.

Selon la salariée, il se déduit nécessairement du constat ainsi fait de la minoration du périmètre du groupe de moyens susceptible de participer au financement du PSE, une insuffisance de son contenu au regard des capacités financières de la société holding qui auraient permis de l’améliorer.

C’est cependant à raison que la société Tel and Com lui oppose que le contrôle de la suffisance du contenu du PSE, en ce compris le plan de reclassement, relève de la compétence exclusive des juridictions administratives conformément à l’article L.1235-7-1 du code du travail, de sorte que la cour n’a pas le pouvoir de procéder à un tel examen.

Par ailleurs, aux termes de ses arrêts du 7 février 2018 et du 24 octobre 2018, le Conseil d’État a retenu «’qu’il est constant que l’administration n’a pas tenu compte des moyens financiers dont disposait cette société Sarto Finances; qu’une telle omission a, par suite, entaché d’illégalité la décision d’homologation litigieuse du 18 mai 2015’», ajoutant «’qu’il n’y a pas lieu dans une telle circonstance, de se prononcer sur le bien-fondé du moyen tiré du caractère insuffisant des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi’».

Le Conseil d’État a ainsi fondé sa décision uniquement sur l’illégalité dont était entachée la décision d’homologation suite à l’omission faite par l’administration de prendre en compte les moyens financiers de la société holding Sarto Finances.

Il a en revanche expressément jugé qu’il n’y avait pas lieu de se prononcer sur le caractère insuffisant des mesures du PSE compte tenu de l’illégalité relevée, de sorte que la salariée ne peut soutenir qu’il se déduit des motifs de cet arrêt que le contenu de ce PSE a nécessairement été jugé insuffisant.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la salariée de ses demandes sur le fondement des articles L.1235-10 et L.1235-11 du code du travail.

Sur l’application de l’article L.1235-16 du code du travail :

La société Tel and Com fait grief au jugement d’avoir déclaré le licenciement de la salariée sans cause réelle et sérieuse et accueilli en partie les demandes financières subséquentes de celui-ci, en faisant application de l’article L.1235-16 du code du travail.

Aux termes du dispositif de ses conclusions, elle soulève à titre principal l’irrecevabilité desdites demandes en raison de leur prescription, en faisant valoir qu’il s’agit de demandes nouvelles, d’une part sans lien direct avec la demande initiale fondée sur l’article L.1235-10 du code du travail, et d’autre part formulées après le prononcé des arrêts du Conseil d’État, soit plus de 12 mois après la notification du licenciement de l’intéressée.

Elle ajoute qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la règle d’unicité de l’instance dès lors qu’elle aurait au cas d’espèce des conséquences excessives en permettant à la salariée de formuler sa nouvelle demande 4 ans après la saisine de la juridiction prud’homale.

A titre subsidiaire, la société Tel and Com demande d’écarter l’application de l’article L.1235-16 du code du travail en raison de son inconventionnalité in abstracto et in concreto, soutenant qu’il viole l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, l’article 24 de la Charte Sociale Européenne, l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et le protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.

Rappelant qu’en l’espèce l’annulation de l’homologation du PSE résulte d’une erreur de droit de l’administration et non de sa faute, elle fait valoir en substance que :

– l’article L.1235-16 conduit à la condamnation forfaitaire et automatique de l’employeur et à sa responsabilité de plein droit, sans rechercher s’il a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité et si la salariée justifie d’un quelconque préjudice, ce qui serait selon elle contraire au principe de responsabilité civile, ainsi qu’à l’exigence d’une ‘indemnisation adéquate’ posée par la Charte sociale européenne et la Convention n°158 de l’OIT, soulignant également qu’en l’espèce, une telle réparation serait disproportionnée, la salariée n’établissant pas par les pièces produites la réalité d’un préjudice équivalent à au moins 6 mois de salaire,

– par son caractère forfaitaire et la fixation d’un plancher indemnitaire, il porte une atteinte disproportionnée à son patrimoine non justifiée par la défense de l’intérêt général, et ce d’autant plus que la salariée ne démontre pas l’existence de son préjudice et qu’elle doit pour sa part faire face aux demandes similaires de nombreux salariés,

– l’automaticité de sa condamnation, alors que l’erreur est imputable à l’administration, et l’existence d’un plancher indemnitaire sont contraires au droit à un procès équitable et plus précisément au droit de se défendre pleinement, l’employeur devant répondre des carences de l’administration qui n’est pas partie à l’instance prud’homale et dont la responsabilité ne peut être actionnée que dans des conditions particulièrement strictes, ce qui crée un déséquilibre défavorable à l’employeur.

Sur ce,

L’article L.1235-16 dans sa version applicable à l’espèce dispose que l’annulation de la décision de validation mentionnée à l’article L.1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L.1233-57-3 pour un motif autre que celui mentionné au deuxième alinéa de l’article L.1235-10 donne lieu, sous réserve de l’accord des parties, à la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. A défaut, le salarié a droit à une indemnité à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L.1234-9.

Au regard du motif retenu par le Conseil d’État, distinct de l’insuffisance du contenu du PSE, cet article trouve à s’appliquer au cas d’espèce.

* sur la prescription des demandes de la salariée fondées sur ces dispositions :

Ainsi que le fait justement valoir la société Tel and Com, le délai de prescription de douze mois prévu par l’article L.1235-7 du code du travail dans sa version issue de la loi du 14 juin 2013, qui concerne les contestations relevant de la compétence du juge judiciaire telles que celles fondées sur l’article L.1235-11 mais également sur l’article L.1235-16 du code du travail, court à compter de la notification du licenciement.

Il est acquis aux débats que la salariée a saisi le conseil de prud’hommes dans l’année ayant suivi son licenciement mais qu’elle a formulé ses demandes fondées sur l’article L.1235-16 précité, après le prononcé de l’arrêt du Conseil d’État du 24 octobre 2018.

Toutefois, ces demandes additionnelles ont la même cause, à savoir la rupture du même contrat de travail, et le même objet, la contestation de la validité de son licenciement et surtout la réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi, que ses prétentions initiales fondées sur l’article L.1235-11 avec lesquelles elles présentent dès lors un lien suffisant au sens de l’article 70 du code de procédure civile.

Ainsi, sans qu’il soit même nécessaire d’appliquer la règle de l’unicité de l’instance, l’interruption de la prescription au titre de la demande initiale et dont les effets perdurent jusqu’à l’extinction de l’instance conformément à l’article 2242 du code civil, s’est étendue aux demandes additionnelles de la salariée sur le fondement de l’article L.1235-16 qui ont le même objet et tendent aux mêmes fins que la première.

Le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription sera en conséquence rejeté.

* sur la conventionnalité de l’article L.1235-16 du code du travail :

Sont tout d’abord inopérants les moyens tirés de la violation de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne dès lors que celle-ci n’a pas d’effet direct dans les litiges entre particuliers, sa mise en ‘uvre en droit interne nécessitant que soient pris des actes complémentaires d’application. Son invocation ne peut donc conduire à écarter l’application des dispositions de l’article L.1235-16 du code du travail.

Il ressort par ailleurs des termes de l’article L.1235-16 du code du travail que cette disposition a pour objet d’assurer aux salariés une indemnisation minimale de la perte injustifiée de leur emploi en cas de licenciement non suivi de réintégration.

En effet, en son premier alinéa, cette disposition prévoit que l’annulation de la décision d’homologation donne d’abord lieu, «’sous réserve de l’accord des parties, à la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis’». Ce n’est qu’à défaut d’une telle réintégration par l’employeur que le salarié a droit à un indemnisation minimale de 6 mois de salaire.

Cette indemnisation constitue en réalité en vertu de la protection du droit de chaque salarié à obtenir un emploi, une compensation minimale de l’impossibilité pour le salarié de pouvoir poursuivre la relation de travail dans le cadre d’une réintégration et bénéficier des droits qu’il avait acquis.

Elle ne constitue ainsi nullement une sanction de l’employeur et procède d’une conciliation équilibrée entre la protection du droit de chaque salarié à obtenir un emploi et le principe de responsabilité, de sorte que sont inopérants les moyens tirés du caractère punitif de cette indemnisation, de l’absence de faute de l’employeur dans l’annulation de l’homologation du PSE et de l’absence de préjudice du salarié.

La fixation par le législateur d’un plancher d’indemnisation de 6 mois n’apparaît pas non plus contraire à l’exigence d’une indemnisation adéquate posée par l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, dès lors qu’il s’agit non pas d’une réparation ne tenant pas compte du préjudice réel du salarié, mais d’une protection minimale garantie au salarié en raison du préjudice que la perte injustifiée de son emploi, à défaut de réintégration, lui a nécessairement causé, à travers la perte de salaire et le temps, fût-il court, nécessaire pour retrouver un nouvel emploi, et ce quelle que soit son ancienneté, le juge conservant en revanche toute latitude pour fixer ou pas une indemnité supérieure en fonction des éléments présentés par le salarié pour établir l’ampleur de son préjudice et des moyens de contestation de l’employeur.

Les dispositions de l’article L.1235-16 du code du travail qui garantit uniquement une protection minimale au salarié, étant ainsi compatibles avec la finalité d’une indemnisation adéquate posée par l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT, le moyen fondé sur son inconventionnalité par rapport à cette norme internationale ne peut prospérer.

Sont dès lors également inopérants les moyens tirés de l’inconventionnalité de son application au regard de l’article 10 de la convention de l’OIT, ce contrôle in concreto n’ayant pas lieu d’être puisque l’exigence d’une indemnisation adéquate est respectée, l’article L.1235-16 du code du travail devant donc s’appliquer à tous dans les mêmes termes.

Au regard du droit pour l’employeur de discuter la demande indemnitaire du salarié devant le juge qui conserve un large pouvoir d’appréciation, et du recours parallèle ouvert à l’employeur pour engager la responsabilité de l’État devant les juridictions administratives du fait de l’illégalité de la décision d’homologation, il existe également une conciliation équilibrée entre la protection, à travers cette indemnisation minimale, du droit pour le salarié d’obtenir un emploi et le droit de l’employeur d’accéder à un juge, avec les garanties d’un procès équitable pour défendre ses intérêts.

Sont inopérants à ce titre les moyens tirés de l’absence de l’État au procès prud’homal et des conditions jugées restrictives par la société pour mettre en cause la responsabilité de l’État. En effet, l’objet du litige dont est saisie la cour sur le fondement de l’article L.1235-16 ne porte pas sur la question de la responsabilité de l’Etat dans l’annulation de l’homologation du PSE mais sur l’indemnisation du préjudice de la salariée qui est résulté de la perte injustifiée de son emploi à défaut de réintégration par l’employeur, à la suite de cette annulation.

La société Tel and Com ne peut en outre dénoncer une atteinte au principe de sécurité juridique et à l’accès effectif au juge au seul motif que l’employeur n’a jamais la certitude que son recours parallèle contre l’État prospérera alors que les conditions de mise en ‘uvre de la responsabilité de l’État sont clairement définies par la loi et de ce fait prévisibles, la société Tel and Com ayant d’ailleurs agi en ce sens devant le tribunal administratif de Lille.

La cour n’a au surplus pas le pouvoir d’examiner la conventionnalité, au regard du droit d’accès au juge, de la procédure de mise en jeu de la responsabilité de l’État dès lors que celle-ci relève du juge administratif.

Par ailleurs, il existe concrètement dans l’affaire en cause un juste équilibre entre le droit de propriété de la société Tel and Com au sens du protocole additionnel n°1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la protection du droit pour la salariée d’obtenir un emploi.

En effet, l’indemnisation plancher équivalant à 6 mois de salaire prévue par l’article L.1235-16 du code du travail ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la société Tel and Com au regard du but poursuivi, compte tenu du préjudice qui est nécessairement résulté pour le salarié de la perte injustifiée de son emploi à travers la perte de salaire et le temps, fût-il court, nécessaire pour retrouver un emploi à défaut de réintégration, sachant qu’est inopérant le moyen tiré de l’existence des autres litiges opposant la société à des salariés, la conventionnalité de l’application de la règle et ce faisant, l’éventuelle disproportion de l’atteinte portée au droit de propriété de la société Tel and Com ne pouvant s’apprécier qu’au regard de l’affaire en cause.

La société Tel and Com prétend que la disproportion résulte de sa situation financière «’nécessairement dégradée’» et fragilisée, rappelant qu’elle a définitivement cessé son activité de distribution en raison d’une modification de la structure du marché sur lequel elle évoluait.

Toutefois, sachant que la société existe toujours, aucun élément n’étant donné sur l’évolution de ses activités depuis l’arrêt de son activité de distribution de téléphonie mobile, la société Tel and Com ne précise pas explicitement les données financières qui établiraient que l’octroi d’une indemnité minimale de 6 mois de salaire porterait une atteinte disproportionnée à son patrimoine. Comme il a été dit plus haut, cette indemnisation plancher ne fait en outre pas obstacle, sur le recours de l’employeur, à la condamnation de l’État à réparer le préjudice résultant de l’illégalité de la décision d’homologation, la procédure devant les juridictions administratives étant d’ailleurs toujours en cours.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’aucun moyen avancé par la société Tel and Com pour dénoncer l’inconventionnalité in abstracto et in concreto de l’article L.1235-16 du code du travail ne peut prospérer.

* sur les demandes financières de la salariée sur ce fondement :

Au vu des bulletins de salaire produits, le jugement sera confirmé en ses dispositions fixant le salaire de référence, celui-ci devant tenir compte des primes perçues.

L’employeur ne développe aucun autre moyen de contestation, et la réintégration de la salariée étant en l’espèce impossible, la salariée est fondée à solliciter une indemnité sur le fondement de l’article L.1235-16 du code du travail.

La salariée sollicite cependant que l’indemnisation accordée par les premiers juges soit portée à 12 mois de salaire.

Au regard de son ancienneté et des pièces produites concernant sa situation professionnelle postérieurement à la rupture de la relation de travail, il convient par voie d’infirmation de porter l’indemnisation à un montant de 11882 euros.

Le licenciement n’ayant pas été annulé et les sommes que la société Tel and Com entend voir déduire de l’indemnité susvisée n’ayant pas été directement perçues par la salariée, s’agissant uniquement du financement (pièce 26 de la société Tel and Com) des mesures d’accompagnement au reclassement qui au demeurant n’ont pas le même objet que les dommages-intérêts réparant le préjudice résultant du caractère injustifié de la perte de l’emploi, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande reconventionnelle de la société Tel and Com de ce chef. Le jugement sera confirmé en ce sens.

Le jugement sera également confirmé en ses dispositions relatives à l’indemnité compensatrice de préavis.

C’est en revanche à raison que la société Tel and Com fait valoir que l’article L.1235-4 du code du travail ne prévoit pas le remboursement des indemnités chômage en cas d’application de l’article L.1235-16 du même code. Le jugement sera en conséquence infirmé de ce chef.

La question relative au périmètre du groupe de moyens auquel appartenait la société Tel and Com étant sans rapport avec l’application de l’article 1235-16, elle est devenue sans objet dans la mesure où il n’y a pas lieu d’examiner la demande subsidiaire de la salariée sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail.

Les premiers juges ayant ainsi jugé sans y être tenus au vu du fondement légal de la condamnation prononcée, que «’les sociétés Sarto Finances, Squadra, L’Enfant d’Aujourd’hui, et Tel and Com forment un groupe animé par la holding Sarto Finances, aux fins d’apprécier les moyens mis en ‘uvre dans le cadre des PSE 1 et PSE 2 de la société Tel and Com et son UES’», il convient d’infirmer le jugement de ce chef.

Sur la demande de rappel de salaire de la salariée en raison d’une inégalité de traitement :

La salariée fait grief aux premiers juges de l’avoir déboutée de sa demande de rappel de salaire fondée sur l’inégalité de traitement qui aurait existé entre elle et d’autres salariés ayant occupé les mêmes fonctions dans d’autres magasins.

La société Tel and Com lui oppose en premier lieu le caractère prescrit de sa demande, en faisant valoir que cette prétention n’a été formulée que très tardivement en cours de procédure, et en tout cas postérieurement au 16 juin 2016, ce qui ferait obstacle à l’application des dispositions transitoires prévues à l’article 21 de la loi du 14 juin 2013, la demande de la salariée n’étant selon elle recevable que sur la période non prescrite des trois années antérieures à la saisine de la juridiction prud’homale de ce chef, sans pouvoir aller au-delà du 16 juin 2013.

Elle demande en outre à ce que soit écartée la règle de l’unicité de l’instance en raison de l’absurdité procédurale qui en résulterait dans la mesure où la salariée s’en prévaut pour faire remonter sa demande sur une période excessivement ancienne.

* sur la prescription :

Aux termes de l’article L.3245-1 du code du travail issu de la loi du 14 juin 2013, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Aux termes de l’article 21 de la loi du 14 juin 2013, les dispositions susvisées s’appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, date de promulgation de ladite loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

La salariée ayant agi après le 1er août 2016 dans le délai de 3 ans suivant la date d’exigibilité d’au moins une partie des salaires qu’elle réclame, à savoir ceux échus en 2015, et sa demande portant uniquement sur ceux échus postérieurement au 16 juin 2013 et dans les 3 années précédant la rupture de la relation de travail, elle doit être déclarée recevable car non prescrite, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les moyens développés par les parties sur l’application de la règle de l’unicité de l’instance, alors abrogée, et l’application des dispositions transitoires de la loi du 14 juin 2013.

* sur le bien fondé de la demande de rappel de salaire :

Il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération et il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence. Le juge doit notamment vérifier si les fonctions exercées par les salariés auxquels se compare le salarié demandeur sont de valeur égale.

Sont considérés comme ayant une valeur égale par l’article L.3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

Le fait que le salarié qui prétend être victime d’une différence et celui auquel il se compare, soient classés dans la même catégorie professionnelle n’est pas, à lui seul, suffisant pour conclure que les deux travailleurs concernés accomplissent un même travail ou un travail auquel est attribuée une valeur égale au sens des textes et principes précités ; cette circonstance ne constitue qu’un indice parmi d’autres. Il ne suffit pas d’occuper la même fonction pour que le travail soit nécessairement de valeur égale.

En l’espèce, la salariée produit à l’appui de sa demande :

– ses bulletins de salaire faisant apparaître son emploi et sa rémunération de base,

– en sa pièce 25 un tableau comparatif établi par ses soins intéressant l’ensemble des salariés en litige avec la société Tel and Com, avec le détail des écarts de salaires relevés entre chaque salarié et ceux pris à titre de comparaison, qui auraient occupé à l’époque le même emploi qu’elle, avec l’indication pour chacun de la date de prise de poste et du coefficient de classification de l’emploi occupé en tant que responsable de magasin ou adjoint au responsable,

– à titre d’exemple, certains bulletins de salaire de M. [P], M. [E] et Mme [B].

Il sera d’abord relevé que même si la salariée ne produit aucune pièce relative aux salariés auxquels il se compare dans son tableau, et qui ne sont ni M. [P], ni M. [E], ni Mme [B], la société Tel and Com ne discute pas les données figurant dans ce tableau relativement à l’emploi occupé, aux dates de prise de poste et au montant de la rémunération de chacun.

Il résulte de l’analyse du tableau comparatif qu’il existait sur certaines périodes des écarts de rémunération entre la salariée demanderesse et ceux auxquels elle se compare, qui exerçaient pourtant le même emploi qu’elle, ces éléments de faits étant susceptibles de caractériser une inégalité de traitement.

Toutefois, la société Tel and Com fait valoir à raison que cette différence de rémunération s’explique par des éléments objectifs tirés de la carrière professionnelle des salariés et/ou du lieu et des conditions d’exercice de leur emploi.

En effet, il est acquis aux débats que les salariés auxquels elle se compare exerçaient dans des magasins distincts répartis sur toute la France. Or, comme l’illustre l’employeur dans l’exemple qu’il donne entre les magasins d'[Localité 6] dans l’Aveyron et de [Localité 5] ou [Localité 7] dans un secteur de très grande densité urbaine, en réponse à la comparaison faite par la salariée entre les rémunérations de M. [E] et de Mme [B], le lieu d’implantation géographique du magasin, en fonction de son dynamisme économique local et de son attractivité commerciale, a nécessairement une incidence sur l’importance de l’établissement, eu égard à son activité commerciale, sa dimension et au nombre de salariés qui en dépendent, de sorte que les responsabilités et les fonctions exercées par les responsables de magasin ou leurs adjoints peuvent être plus ou moins importantes et stratégiques pour l’entreprise en fonction de l’établissement où ils exercent.

Aussi, même s’il s’agit du même emploi, ces différences notables entre les magasins et la charge des responsabilités qui en découle, constituent des éléments objectifs justifiant la différence de rémunération entre la salariée et ceux auxquels elle se compare, pour lesquels d’ailleurs elle ne prétend pas que les établissements concernés avaient la même importance au plan commercial et managérial.

S’ajoute également à cela pour justifier des différences de rémunération, l’expérience professionnelle différente acquise par chacun, ou le profil professionnel comme le qualifie la société Tel and Com, à travers une durée d’exercice différente, en tant que responsable de magasin ou adjoint, qui transparaît notamment du tableau comparatif produit par la salariée, et l’existence ou pas de mobilité professionnelle entre différents magasins tel que cela ressort des bulletins de salaire et avenants contractuels.

La société Tel and Com justifiant ainsi par des éléments objectifs la différence de salaire dénoncée, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la salariée de sa demande de rappel de salaire au titre de la période non prescrite.

Sur les demandes accessoires :

En application de l’article 1231-7 du code civil, s’agissant des créances non salariales, il convient de faire courir les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement de première instance et non de la saisine de la juridiction prud’homale comme demandé par la salariée.

Il sera fait droit à la demande de la salariée tendant à la capitalisation des intérêts assortissant les condamnations pécuniaires, en application de l’article 1343-2 du code civil.

Par ailleurs, au vu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.

La salariée ayant été accueillie en partie en ses demandes à hauteur d’appel, la société Tel and Com devra supporter les dépens d’appel.

Il est en outre inéquitable de laisser à la salariée la charge des frais irrépétibles non compris dans les dépens, qu’elle a exposés en appel. La société Tel and Com est condamnée en application de l’article 700 du code de procédure civile à lui verser à ce titre une indemnité de 700 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

CONFIRME le jugement entrepris en date du 17 septembre 2021 sauf en ses dispositions sur le groupe de moyen, sur le remboursement des indemnités chômage et sur le montant des dommages et intérêts alloués’;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

REJETTE le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription de la demande formée sur le fondement de l’article L.1235-16 du code du travail’;

DIT n’y avoir lieu à statuer sur le périmètre du groupe de moyens auquel appartient la société Tel and Com’;

CONDAMNE la société Tel and Com à payer à Mme [W] [G] la somme de 11882’euros sur le fondement de l’article L.1235-16 du code du travail’;

DIT que cette condamnation a commencé à produire des intérêts de retard au taux légal à compter du prononcé du jugement de première instance’;

DIT n’y avoir lieu à ordonner le remboursement par la société Tel and Com aux organismes concernés des indemnités chômage éventuellement perçues par Mme [W] [G]’;

DIT qu’il sera fait application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil relatives à la capitalisation des intérêts échus’;

CONDAMNE la société Tel and Com à payer à Mme [W] [G] une indemnité de 700 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes’;

DIT que la société Tel and Com supportera les dépens d’appel’;

LE GREFFIER

S. LAWECKI

LE PRESIDENT

M. LE BRAS

 

 

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