Toutes les victimes collatérales des attentats du Bataclan ne peuvent obtenir une indemnisation par le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions.
Choc psychologique du voisinage
Mme [Y] [R] se trouvait à son domicile situé au deuxième étage de l’immeuble sis [Adresse 1] à [Localité 10], dont les fenêtres donnent sur les issues de secours et les fenêtres des loges [8], lors des attentats terroristes du 13 novembre 2015. Elle indique avoir directement assisté depuis son appartement à la prise d’otage au sein [8] ainsi qu’aux tirs des terroristes, par les fenêtres des loges, dans sa rue et sur son immeuble, et ne devoir sa survie qu’à son réflexe d’éteindre les lumières et de se cacher dans une armoire, son voisin du 1er étage, moins réactif, ayant été assassiné par les terroristes, cependant qu’une douille était retrouvée sur le rebord de la fenêtre de sa salle de bain.
Invoquant le retentissement psychologique sévère et l’incapacité totale de travail supérieure à 45 jours subis à la suite de ces événements, Mme [Y] [R], a saisi, le 22 février 2016, le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions (ci-après le FGTI) d’une demande d’indemnisation amiable de ses préjudices découlant de l’acte de terrorisme du 13 novembre 2015. Par réponses des 10 octobre 2016 et 28 avril 2017, le FGTI lui a opposé un refus d’indemnisation au motif qu’elle n’avait pas la qualité de victime directe de l’acte de terrorisme [8]. Saisi le 19 juin 2017, le médiateur du FGTI a confirmé ce refus par avis du 5 juillet 2017.
Assignation de la CPAM
Par acte du 16 septembre 2020, Mme [Y] [R] a assigné devant la 19ème chambre civile du tribunal judiciaire de Paris le FGTI et la CPAM de [Localité 9] afin de voir reconnaître son droit à indemnisation, de solliciter le versement d’une indemnité provisionnelle à valoir sur la liquidation définitive de ses préjudices et que soit ordonnée une expertise médicale.
Rejet de la demande d’indemnisation confirmé
Par jugement rendu le 3 mars 2022 (confirmé en appel), la juridiction de l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (ci-après la JIVAT) a :
dit que Mme [Y] [R] n’a pas la qualité de victime de l’acte de terrorisme perpétré le 13 novembre 2015 au sein de la salle de spectacle « [8] » en application de l’article L.126-1 du code des assurances.
L’article 706-16-1 du code de procédure pénale
L’article 706-16-1 du code de procédure pénale dispose que «’lorsqu’elle est exercée devant les juridictions répressives, l’action civile portant sur une infraction qui constitue un acte de terrorisme ne peut avoir pour objet que de mettre en mouvement l’action publique ou de soutenir cette action.
Elle ne peut tendre à la réparation du dommage causé par cette infraction. L’action civile en réparation de ce dommage ne peut être exercée que devant une juridiction civile, séparément de l’action publique. L’article 5 n’est alors pas applicable.’»
Dès lors, c’est sans ambiguïté que le législateur a énoncé que l’action civile en matière d’infraction terroriste est recevable par la juridiction pénale aux seules fins définies par l’article susvisé’; cette recevabilité est sans lien avec la reconnaissance de la qualité de victime pouvant solliciter l’indemnisation de son préjudice au titre de la solidarité nationale, et donc par le fonds de garantie, devant la juridiction spécialisée pour l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme du tribunal judiciaire de Paris, seule compétente pour en connaître, en application des dispositions de l’article L.217-6 du code de l’organisation judiciaire.
Ces dispositions permettent exclusivement à la victime, en matière d’infraction de terrorisme, d’acquérir la qualité de partie au procès devant la cour d’assises spécialement composée, laquelle ne peut, à défaut d’avoir compétence d’attribution en la matière, se prononcer sur une quelconque obligation indemnitaire du Fonds de garantie à l’égard de Mme [Y] [R].
L’arrêt civil de la cour d’assises ne peut avoir autorité de la chose jugée quant à la qualité de victime d’acte de terrorisme au sens des dispositions des articles L 126-1 et L 422-2, alinéa 1, du code des assurances.
Le principe de l’autorité absolue de la chose jugée
Surabondamment, le principe de l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil interdit au juge de l’indemnisation d’énoncer quoi que ce soit de contraire à la décision du juge pénal se prononçant sur l’action publique, mais en ce qui concerne l’action civile, la décision du juge répressif n’est dotée que d’une autorité relative dans les conditions de l’article 1355 du code civil, c’est-à-dire s’il y a triple identité de parties, d’objet et de cause.
Or, devant la cour d’assises, la qualité de partie civile de l’appelante ne l’est qu’à l’égard des accusés comparants pour répondre de leurs actes. Elle ne peut et n’a pu solliciter aucune condamnation à l’égard du FGTI en indemnisation d’un quelconque préjudice.
L’indemnisation des victimes d’actes terroristes
L’article L. 126-1 du code des assurances dispose que « les victimes d’acte de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tous agents publics ou tous militaires ainsi que leurs ayants-droits quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L.422-1 à L.422-3 par le Fonds de garantie. »
Selon l’article 421-1 du code pénal qui définit les infractions à caractère terroriste, constituent notamment des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les atteintes volontaires à la vie et les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne.
L’attentat commis le 13 novembre 2015 à [Localité 9], dans la salle de spectacle du Bataclan, constituant un acte de terrorisme, il appartient en conséquence à Mme [Y] [R], pour bénéficier de l’indemnisation par le FGTI, de démontrer qu’elle a la qualité de victime au sens de l’article L.126-1 précité, ce qui suppose qu’elle établisse, s’agissant d’actes de terrorisme en lien avec les infractions d’atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité des personnes, avoir été directement exposée à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle.
Le préjudice doit en effet résulter de l’infraction et donc être en lien direct avec la qualification donnée à ces actes.
Une condition restrictive d’exposition directe
S’agissant d’une condition restrictive d’exposition directe et effective au risque de mort ou de blessures recherché par les auteurs des faits, poursuivis devant la cour d’assises des chefs d’assassinats et tentatives d’assassinats, ni l’inscription de Mme [Y] [R] sur la liste unique des victimes dressée par le parquet de Paris, ni le fait d’avoir été déclarée recevable en sa constitution de partie civile par la cour d’assises, ni encore la circonstance de s’être trouvée « dans la zone de danger » lors de l’attentat et d’en avoir été le témoin ne suffisent, en soi, à lui conférer la qualité de victime indemnisable au titre de la solidarité nationale, ces éléments constituant de simples indices dans la démonstration de la qualité de victime.
En l’espèce, il résulte des éléments du dossier et des déclarations de Mme [Y] [R] devant les services de police que deux des auteurs terroristes ont pris douze personnes en otage aux fins de les utiliser comme boucliers humains, au sein des loges [8] sises au premier étage du bâtiment donnant sur la rue où résidait l’appelante, l’un des auteurs tirant par la fenêtre sur toutes personnes du public tentant de s’échapper [8], donc en direction de la rue’; celui-ci s’est également félicité devant les otages d’avoir atteint un voisin présent à ses fenêtres, en l’occurrence M. [Z], dans l’appartement situé au premier étage de l’immeuble habité par Mme [Y] [R],
Celle-ci se trouvait dans son appartement situé au deuxième étage du même immeuble, dont les quatre fenêtres donnent sur les issues de secours et les fenêtres des loges [8], à une distance de 7 à 10 mètres de celles-ci selon le procès-verbal de constat produit par l’appelante,
Mme [Y] [R] a trouvé le 11 janvier 2016 une douille sur le rebord de la fenêtre de sa salle de bain située, selon le procès-verbal de constat produit, à droite de l’entrée de son appartement, séparée par la cuisine et une autre pièce de vie de la pièce où elle a indiqué se trouver au moment des faits, cette pièce étant la plus à gauche de son appartement,
Lors de ses deux auditions auprès des services de police, elle n’a indiqué à aucun moment que les terroristes avaient tiré dans sa direction ni qu’ils l’avaient aperçue,
Aucun impact de balle n’a été retrouvé sur la façade son immeuble à proximité de ses fenêtres ni dans les vitres de son logement.
Il résulte de ces éléments et de ses auditions et écrits adressés au médiateur du fonds de garantie qu’en ayant fermé ses fenêtres, éteint sa télévision et ses lumières, et s’étant cachée dans un placard, Mme [Y] [R] a dissimulé avec succès sa présence sur les lieux aux terroristes qui ne l’ont pas prise pour cible de ce fait, la douille trouvée à trois pièces de celle où elle se trouvait continûment ne pouvant caractériser le fait qu’elle ait été visée par les terroristes, ce d’autant plus que les vitres de ladite fenêtre n’ont pas été atteintes.
Il résulte de ces mêmes éléments et auditions que c’est parce que M. [Z] n’a pas dissimulé sa présence aux terroristes suffisamment tôt qu’il a été abattu alors qu’il se trouvait à sa fenêtre un étage plus bas.
Ainsi, comme l’a relevé la JIVAT, et sans remettre en cause le bien-fondé de la peur panique que Mme [Y] [R] décrit, ni la réalité de ses préjudices, il est acquis qu’ à aucun moment, grâce à son réflexe de dissimuler sa présence, Mme [Y] [R] n’a été exposée au risque de blessures ou de mort provoquée par l’attaque terroriste [8], les auteurs n’ayant jamais dirigé leurs tirs à son encontre ni même en sa direction.
L’infraction de tentative d’assassinat
L’infraction de tentative d’assassinat ne peut pas d’avantage être considérée comme constituée à son égard.
S’il n’est ni contesté ni contestable qu’avoir assisté à un acte terroriste tel que celui ayant eu lieu le 13 novembre 2015 [8] soit de nature à engendrer des troubles psychologiques, le traumatisme subi par Mme [Y] [R] n’est donc pas la conséquence directe d’une tentative d’assassinat dès lors qu’elle n’a pas elle-même été l’objet de celle-ci.’
Dès lors, le jugement dont appel a été confirmé en ce qu’il a débouté Mme [Y] [R] de sa demande de se voir reconnaître la qualité de victime de l’acte terroriste ayant eu lieu le 13 novembre 2015 [8].