Tous les signes qui, d’une façon ou d’une autre, renvoient à la France, ne sont pas ipso facto exclus du droit à l’enregistrement en tant que marque. Le directeur général de l’INPI a considéré, a tort, que l’expression ‘Le Frenchy » devait rester dans le domaine public et à la disposition de toute personne proposant des produits français. Appliqué à de tels produits, le signe déposé n’apparait pas comme pouvant servir à en désigner une caractéristique, à savoir leur nature.
Affaire Guerlain
La Maison Guerlain a finalement obtenu le droit d’enregistrer la marque « Le Frenchy » pour désigner un parfum et des produits cosmétiques. L’INPI avait retenu à tort que ce signe serait perçu par le consommateur comme désignant des produits d’origine française ou fabriqués en France et ne permettait pas de distinguer les produits visés de ceux commercialisés par des entreprises concurrentes, étant alors inapte à remplir la fonction essentielle de la marque.
Signe non descriptif
Le signe « Le Frenchy » n’est pas descriptif au sens de l’article L. 711-2 b) du code de la propriété intellectuelle.
En l’espèce, le public pertinent des produits concernés, qui sont des produit de consommation courante, est le consommateur d’attention moyenne, normalement informé, raisonnablement attentif et avisé. Il s’agit du public français s’agissant d’une marque française.
Le signe est composé, d’une part, de l’article défini de langue française LE et, d’autre part, du terme FRENCHY, anglicisme à caractère familier issu du mot ‘french’ signifiant ‘français’ et que le public pertinent, qui a une connaissance de l’anglais courant, comprendra aisément comme caractérisant une personne ou une attitude typiquement française.
Considérés ensemble, l’article français LE et le terme FRENCHY évoqueront une personne représentant un art de vivre à la française, un esprit, un style, une manière d’être ou d’agir typiquement français et non pas directement un produit d’origine française ou fabriqué en France.
L’existence des expressions ‘le cool’ et ‘le vintage’ mentionnées par le directeur général de l’INPI ne permet pas de conclure que ‘le frenchy’ serait perçu par le consommateur de référence comme un adjectif substantivé pouvant désigner de manière générique ‘le typiquement français’.
Le signe « Le Frenchy » constitue une combinaison syntaxique inhabituelle et arbitraire au regard des produits de parfumerie et cosmétiques visés par la demande d’enregistrement. Les trois exemples associant un article français à un mot anglais cités par le directeur général de l’INPI – La French Tech, La French Touch, la French manucure – ne sont pas suffisants pour corroborer l’affirmation du directeur général de l’INPI selon laquelle le consommateur est habitué à ce type d’expression.
Ce signe ne conduira pas le consommateur à établir immédiatement et sans autre réflexion un rapport concret et direct avec les produits de parfumerie et de cosmétique visés par la demande, et ce même en admettant que la France ait une notoriété particulière dans le domaine de la parfumerie et des cosmétiques, comme le soutient sans cependant l’établir le directeur général de l’INPI.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la circonstance que chacun des éléments pris séparément soit dépourvu de caractère distinctif n’exclut pas que la combinaison qu’ils forment puisse présenter un tel caractère. C’est précisément le cas en l’espèce où la combinaison d’un article de langue française associé de façon originale et arbitraire à un terme de langue anglaise, de surcroît légèrement désuet, confère au signe dans son ensemble un caractère distinctif suffisant pour désigner les produits de parfumerie et de cosmétique visés par la demande d’enregistrement en permettant au consommateur de référence de distinguer ces produits de ceux provenant d’une entreprise concurrente.
Le signe « Le Frenchy » n’est donc pas intrinsèquement dépourvu de caractère distinctif au sens de l’article L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle.
Par ailleurs, il n’est pas démontré que ce signe soit descriptif des produits de parfumerie et de cosmétique en cause en ce qu’il présenterait avec ces produits un rapport suffisamment direct et concret pour permettre au public de percevoir immédiatement dans le signe une description de leurs caractéristiques, ‘notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien’.
Le signe ne désigne pas une caractéristique des produits de parfumerie ou de cosmétique, notamment une origine ou une qualité française comme le soutient le directeur général de l’INPI, mais évoque une personne représentant un art de vivre à la française, un esprit, un style, une manière d’être ou d’agir typiquement français, susceptible d’aimer, de choisir, d’acheter ou de consommer ces produits.
Le signe « Le Frenchy » peut éventuellement faire référence à la France comme provenance géographique des produits – et non aux produits visés par la demande d’enregistrement eux-mêmes dont il n’est pas démontré qu’ils seraient des produits typiquement français -, cette simple référence n’est pas de nature à lui donner un caractère descriptif dès lors que du fait de l’association originale d’un article français et d’un mot anglais présentant un caractère familier, il présente un caractère arbitraire au regard des produits désignés et qu’il n’est pas déceptif.
Caractère distinctif d’une marque
La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale. Peuvent notamment constituer un tel signe : a) Les dénominations sous toutes les formes telles que : mots, assemblages de mots, noms patronymiques et géographiques, pseudonymes, lettres, chiffres, sigles (…)’ (L. 711-1 du code de la propriété intellectuelle).
Sont dépourvus de caractère distinctif : (…) b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l’époque de la production du bien ou de la prestation de service (…)’ (L. 711-2). En application de ces principes, la demande d’enregistrement est rejetée en totalité ou en partie si le signe déposé ne peut constituer une marque (L. 712-7).
Le caractère distinctif d’une marque doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement du signe est demandé (article L. 711-2, premier alinéa) et, d’autre part, par rapport à la perception d’un public ciblé, qui est constitué par le consommateur de ces produits ou services. Télécharger la décision