REPUBLIQUE FRANÇAISE 11 avril 2024
Cour d’appel de Caen RG n° 22/02963 AFFAIRE : N° RG 22/02963
N° Portalis DBVC-V-B7G-HDLW Code Aff. : ARRET N° C.P ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CAEN en date du 17 Octobre 2022 RG n° 21/00356 COUR D’APPEL DE CAEN 1ère chambre sociale ARRÊT DU 11 AVRIL 2024 APPELANTE : S.A.S.U. IPSI [Adresse 1] [Adresse 1] Représentée par Me Louis DUCELLIER, avocat au barreau de PARIS INTIME : Monsieur [M] [E] [Adresse 2] [Adresse 2] Représenté par Me Sophie CONDAMINE, avocat au barreau de CAEN COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ : Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre, Mme PONCET, Conseiller, rédacteur Mme VINOT, Conseiller, DÉBATS : A l’audience publique du 15 février 2024 GREFFIER : Mme LEBOULANGER ARRÊT prononcé publiquement contradictoirement le 11 avril 2024 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier FAITS ET PROCÉDURE
La SASU IPSI a embauché M. [M] [E] comme technicien de maintenance à compter du 24 août 2015, d’abord en contrat à durée déterminée, puis en contrat à durée indéterminée. Elle l’a sanctionné d’un avertissement le 29 octobre 2019 et l’a licencié le 16 novembre 2020 pour faute grave. Le 23 juillet 2021, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Caen pour contester le bien-fondé de l’avertissement et de son licenciement, pour réclamer des indemnités de rupture et des dommages et intérêts à raison de ces sanctions, selon lui injustifiées, ainsi que pour manquement à l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail. Par jugement du 17 octobre 2022, le conseil de prud’hommes a annulé l’avertissement, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la SASU IPSI à verser à M. [E] : 150€ de dommages et intérêts au titre de l’avertissement injustifié, 1 000€ de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, 4 954,76€ bruts (outre les congés payés afférents) d’indemnité compensatrice de préavis, 3 199,94€ au titre de l’indemnité de licenciement, 10 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 1 100€ en application de l’article 700 du code de procédure civile, a ordonné à la SASU IPSI de remettre à M. [E] un bulletin de paie rectificatif et des documents de fin de contrat conformes à la décision, a débouté M. [E] du surplus de ses demandes. La SASU IPSI a interjeté appel, M. [E] a formé appel incident. Vu le jugement rendu le 17 octobre 2022 par le conseil de prud’hommes de Caen Vu les dernières conclusions de la SASU IPSI, appelante, communiquées et déposées le 10 février 2023, tendant à voir le jugement réformé, M. [E] débouté de toutes ses demandes et condamné à lui verser 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile Vu les dernières conclusions de M. [E], intimé et appelant incident, communiquées et déposées le 3 mai 2023, tendant à voir le jugement confirmé en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, annulé l’avertissement, et quant aux indemnités allouées au titre de la rupture et en application de l’article 700 du code de procédure civile, tendant à le voir réformé pour le surplus, à voir la SASU IPSI condamnée à lui verser les dommages et intérêts suivants : 500€ au titre de l’avertissement, 5 000€ pour exécution déloyale du contrat de travail, 5 000€ pour manquement à l’obligation de sécurité, 24 770€ pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, tendant à voir ordonner, sous astreinte, la délivrance d’un bulletin de paie et de documents de fin de contrat conformes à la décision et à voir la société condamnée à lui verser 2 500€ supplémentaires en application de l’article 700 du code de procédure civile Vu l’ordonnance de clôture rendue le 31 janvier 2024 MOTIFS DE LA DÉCISION
1) Sur l’exécution du contrat de travail 1-1) Sur l’avertissement M. [E] a été sanctionné le 29 octobre 2019 à raison de son ‘attitude quant au comportement à adopter vis-à-vis de (son) responsable hiérarchiqué constituant ‘un manquement à la discipline de notre établissement ainsi qu’à vos obligations contractuelles’. La SASU IPSI produit un courriel adressé par ce responsable, M. [T], au responsable d’agence, le 25 septembre 2019. Il y dénonce : l’agressivité de M. [E] quand il a appris qu’il n’obtiendrait pas le véhicule de service espéré et le fait que, le 23 septembre, mécontent d’une remarque faite sur l’heure de restitution du véhicule de service, le salarié soit arrivé à vive allure sur le parking puis se soit ‘permis, une fois de plus, de (lui) manquer totalement de respect et de provoquer le conflit’. La lettre d’avertissement ne permet pas de savoir quelle est l’attitude sanctionnée ni le moment ou la période où cette attitude lui serait reprochée. La pièce produite se contente de faire état d’une agressivité, d’un manque de respect et d’une attitude provocatrice sans autre précision, ce qui ne permet pas de savoir concrètement ce qui s’est passé. Les éléments produits sont en conséquence insuffisants pour apprécier si M. [E] a commis une faute justifiant une sanction. L’avertissement sera donc annulé. En réparation du préjudice occasionné par cette sanction injustifiée, il sera alloué 500€ de dommages et intérêts à M. [E]. 1-2) Sur le manquement à l’obligation de sécurité ‘ M. [E] reproche à la SASU IPSI de ne lui avoir fait passer ni visite médicale d’embauche ni autre visite auprès de la médecine du travail pendant toute la durée de son emploi. Ce fait, reconnu par la SASU IPSI, constitue un manquement à ses obligations. Le seul préjudice invoqué par M. [E] consiste à avoir été placé en arrêt de travail à réception de sa convocation à entretien préalable à licenciement. Il n’explique toutefois pas le lien entre le manquement de l’employeur et cet arrêt de travail. ‘ M. [E] reproche également à son employeur de ne pas systématiquement respecter les repos journaliers dans le cadre des astreintes. Ainsi, fait-il valoir, ‘à titre d’exemplé, le 22 octobre 2019, il a été appelé à 2H, a dû intervenir sur un site pendant 2H et a néanmoins repris normalement son poste à 8H. La SASU IPSI indique qu’à supposer ce fait exact, il serait unique en 5 ans de fonction. M. [E] n’apporte aucun élément, ni sur la réalité de la situation précise qu’il évoque, ni sur son éventuelle répétition. Il ne justifie pas non plus de la manière dont les astreintes étaient organisées et compensées. Le premier manquement est établi mais M. [E] ne justifie ni n’allègue d’aucun préjudice en résultant, le second manquement n’est pas établi. M. [E] sera donc débouté de sa demande de dommages et intérêts à ce titre. 1-3) Sur l’exécution déloyale du contrat de travail M. [E] invoque trois manquements. ‘ Il fait valoir que la géolocalisation des véhicules de service a été mise en place à compter du 13 juin 2019 sans information préalable des salariés, sans notification écrite et aurait été déclarée tardivement à la CNIL, ce qui aurait valu à l’entreprise un rappel à la loi. La SASU IPSI conteste l’absence d’information. Elle produit le procès-verbal de la réunion du 28 juin 2018 ‘de la délégation unique du personnel + CHSCT’ qui : prévoit la mise en place de cette géolocalisation, se réfère à une note d’information du 27 octobre 2017 et indique qu’une note de service sera adressée individuellement au personnel. La SASU IPSI indique que ce procès-verbal a été affiché dans l’entreprise. Elle verse également aux débats un modèle de lettre d’information à l’adresse des salariés. Il est exact, comme le fait remarquer le salarié, que le procès-verbal n’est pas signé et que la SASU IPSI ne justifie pas de l’envoi ou de la remise de la lettre d’information. La société n’établit pas non plus avoir affiché le procès-verbal. En l’absence d’éléments qui le remettrait en cause, le procès verbal produit, même non signé, établit suffisamment la réalité de la réunion de la délégation unique du personnel + CHSCT et de ce qui y a été débattu. En revanche, les éléments fournis ne permettent pas de démontrer que les salariés, et notamment M. [E], ont été informés sur la géolocalisation mise en place. M. [E] soutient s’être ainsi vu soumis, de manière déloyale, à un dispositif de contrôle sans en connaître la portée, le but et l’étendue. Il produit un courriel qu’il a adressé le 3 juin 2019 au responsable d’agence en lui demandant quelles étaient ‘les conditions d’utilisation du système de géolocalisation’, ce qui laisse penser qu’à ce moment-là, soit 10 jours avant sa mise en place, il ne s’estimait pas informé sur ce point. Aucune des deux parties n’indique si une réponse a été apportée à ce courriel. ‘ M. [E] indique n’avoir jamais reçu un seul compte-rendu de ses entretiens d’évaluation. Toutefois, ni la mise en place d’un entretien d’évaluation, ni l’établissement d’un compte-rendu n’étant obligatoire, la SASU IPSI n’ a, ce faisant, commis aucun manquement. ‘ Il se plaint également de ne pas avoir reçu de prime de participation. La SASU IPSI fait toutefois valoir que la participation n’a été mise en place que suite à un accord de septembre 2018 et que M. [E] a perçu une prime de participation pour l’exercice 2018/2019. M. [E] n’apporte aucun élément contraire et ne justifie pas notamment des promesses et annonces que l’employeur aurait faites, selon lui, depuis son embauche. Ce manquement n’est donc pas non plus établi. Le seul manquement établi -un défaut d’information non sur l’existence mais sur les modalités du système de géolocalisation- a occasionné un préjudice moral à M. [E] qui sera réparé par l’octroi de 600€ de dommages et intérêts 2) Sur le licenciement La lettre de licenciement reproche à M. [E] : – de s’être rendu, le 29 septembre 2020, au domicile d’un salarié de la société pour en découdre ce qui constitue un comportement inapproprié – le fait que plusieurs salariés ont peur de se retrouver en binôme avec lui ‘au regard de la récurrence de la violence et de menaces dont vous feriez part à leur encontre lors des interventions chez des clients’ – d’avoir très récemment dénigré la société auprès de clients. Elle indique que ce comportement, qui fait suite à un avertissement délivré le 29 octobre 2019, justifie son licenciement pour faute grave. La lettre de licenciement circonscrit les limites du litige. En conséquence, les autres faits que la SASU IPSI a cru bon d’évoquer dans ses conclusions ou dont les attestants ont pu faire part dans leur témoignage n’ont pas lieu d’être examinés. ‘ Au soutien du premier grief, la SASU IPSI produit l’attestation de M. [H], le salarié concerné. Celui-ci expose les faits suivants : ‘Après la réunion du 29/09/2020, le soir même, M. [E] est venu à mon domicile au moment où je m’apprêtais à traverser la route pour rejoindre mon domicile, je l’ai aperçu, il s’est alors arrêté au bout de la route pour discuter de ce qui s’était dit à la réunion. Celui-ci était pas d’accord et mécontent de ce que j’avais évoqué et je cite celui-ci m’a dit que moi et M. [W] étaient des ‘victimes’. La discussion s’est alors arrêtée et je suis rentré chez moi’. M. [E] indique avoir rencontré M. [H] par hasard alors qu’il se rendait chez un ami. Il produit un document signé par M. [V]. Celui-ci écrit que le 29 septembre M. [E], alors qu’il était devant chez lui, lui a téléphoné pour proposer de passer le voir. Il est descendu et est arrivé en même temps que M. [H] à la fenêtre passager de M. [E]. Il a constaté, écrit-il, qu’ils discutaient d’une réunion qui venait d’avoir lieu au sein de leur entreprise. Il ajoute qu’il n’y avait, dans le comportement de l’un et de l’autre, ‘ni signe de violence physique ni signe de violence verbalé. M. [H] a ensuite quitté les lieux en direction de son logement, ajoute-t’il. Au vu du témoignage de M. [V], M. [E] est venu le voir et n’est donc pas venu au domicile de M. [H]. Quant à la teneur de la discussion, telle que rapportée à la fois par M. [V] et [H], elle ne traduit pas une volonté d’en ‘découdré. Ce premier grief n’est donc pas établi. ‘ MM [W] et [H] attestent que M. [E] : mettait une mauvaise ambiance dans l’agence (M. [W]) , nuisait à la cohésion de l’équipe (M. [H]) , que sa manière de parler était parfois rabaissante (M. [H]), qu’il critiquait et rabaissait les autres en leur absence (M. [W]). Cette attitude, certes critiquable, ne correspond toutefois pas au grief formulé dans la lettre de licenciement. Ce grief n’est donc pas établi. ‘ M. [T], supérieur hiérarchique de M. [E], atteste ainsi : ‘un client d’un établissement scolaire nous a rapporté que M. [E] dénigrait la société IPSI en sa présencé. Ce témoignage est indirect, ne précise pas la manière dont M. [E] aurait dénigré la société ni la date des faits. Il est en conséquence trop imprécis pour établir, en l’absence de tout autre élément, la réalité du troisième grief invoqué. Aucun des griefs n’étant établi, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. M. [E] peut prétendre à des indemnités de rupture et à des dommages et intérêts, au plus égaux, compte tenu de son ancienneté, à 6 mois de salaire. ‘ Les sommes allouées par le conseil de prud’hommes au titre des indemnités de rupture conviennent à M. [E] qui demande confirmation du jugement sur ce point et ne sont pas contestées par la SASU IPSI, ne serait-ce qu’à titre subsidiaire. Le jugement sera donc confirmé de ce chef. ‘ M. [E] justifie avoir été embauché à compter du 1er mars 2021 pour un salaire équivalent à son salaire précédent. Compte tenu de ce renseignement, des autres élément connus : son âge (25 ans), son ancienneté (5 ans et 2 mois), son salaire (2 477,38€ selon les deux parties) au moment du licenciement, les dommages et intérêts alloués par le conseil de prud’hommes (10 000€) s’avèrent adaptés. Le jugement sera confirmé de ce chef. 3) Sur les points annexes Les sommes allouées produiront intérêts à compter : – du 1er août 2021, date de réception par la SASU IPSI de sa convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, en ce qui concerne les indemnités de rupture – du 19 octobre 2022, date de notification du jugement en ce qui concerne les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement étant confirmé sur ce point – de la date du présent arrêt en ce qui concerne les dommages et intérêts pour sanction injustifiée et pour exécution déloyale du contrat de travail. La SASU IPSI devra remettre à M. [E], dans le délai d’un mois à compter de la date du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire, un certificat de travail et une attestation France Travail, conformes à la présente décision. Le présent arrêt fixant les droits des parties, il n’ a pas lieu d’ordonner la remise d’un nouveau solde de tout compte. En l’absence d’éléments permettant de craindre l’inexécution de cette mesure, il n’y a pas lieu de l’assortir d’une astreinte. La SASU IPSI devra rembourser à France travail les allocations de chômage éventuellement versées à M. [E] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d’allocations. Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [E] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SASU IPSI sera condamnée à lui verser 3 000€. DÉCISION PAR CES MOTIFS, LA COUR,
– Confirme le jugement en ce qu’il a débouté M. [E] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité, annulé l’avertissement, dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu’il a condamné la SASU IPSI à verser à M. [E] : 4 954,76€ bruts (outre 495,47€ bruts au titre des congés payés afférents) d’indemnité compensatrice de préavis, 3 199,94€ au titre de l’indemnité de licenciement, 10 000€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse – Y ajoutant – Dit que les sommes de 4 954,76€ bruts, 495,47€ bruts,3 199,94€ produiront intérêts au taux légal à compter du 1er août 2021, la somme de 10 000€ à compter du 19 octobre 2022 – Réforme le jugement pour le surplus – Condamne la SASU IPSI à verser à M. [E] : – 500€ de dommages et intérêts pour avertissement injustifié – 600€ de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt – Dit que la SASU IPSI devra remettre à M. [E], dans le délai d’un mois à compter de la date du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire, un certificat de travail et une attestation France Travail conformes à la présente décision – Dit que la SASU IPSI devra rembourser à France travail les allocations de chômage éventuellement versées à M. [E] entre la date du licenciement et la date du jugement dans la limite de trois mois d’allocations – Déboute M. [E] du surplus de ses demandes principales – Condamne la SASU IPSI à verser à M. [E] 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile – Condamne la SASU IPSI aux entiers dépens de première instance et d’appel LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE E. GOULARD L. DELAHAYE |
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