Géolocalisation détournée : annulation de mise à pied disciplinaire

Notez ce point juridique

Le système de géolocalisation installé sur le véhicule professionnel mis à disposition du salarié qui est destiné à la protection contre le vol et à la vérification du kilométrage ne peut être utilisé pour établir une faute du salarié.

En l’espèce, le règlement intérieur de l’entreprise prévoit que le système de localisation peut notamment être utilisé par l’entreprise pour contrôler la durée du travail, le respect des temps de repos ainsi que les déplacements des salariés, mais il n’est nullement prévu qu’il puisse être utilisé pour contrôler les déplacements des salariés en dehors du temps de travail, ce qui serait contraire à la délibération du 4 juin 2015 de la CNIL.

Or, l’employeur s’est prévalu des données collectées par ce système pour établir le non respect par le salarié de ses instructions relatives à l’utilisation du véhicule en dehors du temps de travail, et ses déplacements, soit dans un but différent de celui pour lequel il avait été installé et déclaré à la CNIL.

L’utilisation de ce système pour surveiller les déplacements du salarié sur ses temps de pause et de repos, soit en dehors du temps de travail porte nécessairement atteinte à sa vie privée et est donc illicite.

Avant d’admettre un tel moyen de preuve aux débats, il appartient donc au juge du fond de faire la balance entre le droit au respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve, et d’examiner si la production des données résultant de l’exploitation du système de géolocalisation installée dans le véhicule est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et si l’atteinte au droit privée du salarie est strictement proportionnée au but poursuivi.

Or, l’employeur ne justifie pas qu’il ne disposait pas d’autres moyens que ce système de géolocalisation embarqué pour savoir si le salarié utilisait le véhicule de l’entreprise sur ses temps de pause et de repos, pour se rendre dans un autre lieu que les lieux de repos désignés par l’employeur

Ce moyen n’était donc pas le seul permettant d’établir les fautes reprochées au salarié qui ne conteste d’ailleurs pas les déplacements qui lui sont reprochés, et n’était donc pas indispensable à l’exercice par l’employeur de son droit à la preuve. Il n’était non plus proportionné au but poursuivi tel que déclaré par l’employeur, celui d’assurer la sécurité du salarié, dès lors qu’il existait d’autres moyens pour l’assurer, comme la limitation de la zone géographique des chantiers choisis, autour de chaque entrepôt, pour permettre au salarié de le rejoindre chaque soir et de reprendre son véhicule personnel.

Pour rappel, aux termes de l’article L 1121-1 du code du travail, « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Par ailleurs, l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale dispose que : « toute personne a droit au respect de sa vie privée, et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». L’article 6 § 1 garantit par ailleurs le droit d’une partie à un procès de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause et ses preuve.

Il résulte de ces dispositions que l’illicéité d’un moyen de preuve portant atteinte à la vie privée du salarié n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure en mettant balance le respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionné au but poursuivi.

Enfin, l’article 3 de la délibération du 4 juin 2015 qui encadre l’utilisation du système de géolocalisation installé dans les véhicules professionnels indique que le traitement de ces données ne peut être mis en oeuvre que pour tout ou partie des finalités suivantes : c) la sûreté ou la sécurité de l’employé lui-même ou des marchandises ou véhicule dont il a la charge, en particulier la lutte contre le vol du véhicule lui-même ; e) le contrôle du respect des règles d’utilisation du véhicule sous réserve de ne pas collecter une donnée de localisation en dehors du temps du travail du conducteur.

Résumé de l’affaire

Monsieur [I] a été engagé en tant que chauffeur par la société France Balayage en juin 2004. Il a été sanctionné à plusieurs reprises pour des déplacements injustifiés avec le véhicule professionnel confié pour l’exercice de ses fonctions. Après une mise à pied disciplinaire et un licenciement pour faute grave, Monsieur [I] a contesté ces décisions devant le conseil de prud’hommes de Beauvais. Le conseil a annulé la sanction disciplinaire et prononcé la nullité du licenciement, condamnant la société à verser diverses sommes à Monsieur [I]. La société France Balayage a interjeté appel, et la cour d’appel d’Amiens a infirmé le jugement initial, considérant le licenciement pour faute grave comme fondé. La Cour de cassation a cassé et annulé cette décision, renvoyant l’affaire devant la cour d’appel de Douai. Monsieur [I] demande à la cour de confirmer le jugement initial et de condamner la société à lui verser des dommages et intérêts. La société France Balayage demande l’infirmation du jugement initial et le rejet des demandes de Monsieur [I]. L’affaire a été mise en délibéré pour le 23 février 2024.

Les points essentiels

Sur la demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire du 25 janvier 2018

La mise à pied disciplinaire du salarié a été annulée en raison de l’utilisation illicite des données de géolocalisation pour surveiller les déplacements du salarié en dehors de son temps de travail. Le juge a considéré que cette surveillance portait atteinte à la vie privée du salarié de manière disproportionnée par rapport au but recherché.

Sur la demande de nullité du licenciement pour faute grave

Le licenciement du salarié a été jugé nul en raison de la violation de sa liberté fondamentale à une vie privée et familiale. L’employeur avait imposé des contraintes excessives au salarié, l’empêchant de rentrer chez lui et de s’occuper de sa mère malade. Le licenciement a donc été annulé.

Sur les conséquences de la nullité du licenciement

L’employeur a été condamné à verser des dommages et intérêts au salarié pour le licenciement nul, ainsi qu’une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés. Le salarié a également obtenu une indemnité de licenciement conformément à la loi.

Sur le rappel de salaires pour la mise à pied à titre conservatoire

Le salarié a obtenu le paiement de ses salaires pendant la durée de sa mise à pied injustifiée, ainsi que des congés payés y afférents.

Sur la remise des documents de fin de contrat

L’employeur a été condamné à remettre au salarié les documents de fin de contrat, tels qu’un certificat de travail, une attestation Pôle emploi, un solde de tout compte et un bulletin de salaire rectifiés.

Sur le remboursement des allocations de chômage

L’employeur a été ordonné de rembourser les allocations de chômage versées au salarié dans la limite de quatre mois.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

Le salarié a été débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, faute de preuves suffisantes.

Sur les dépens et la demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile

L’employeur a été condamné aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à verser une somme au salarié au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les montants alloués dans cette affaire: – 1 019,97 euros à titre de rappel de salaires
– 101,99 euros de congés payés y afférents
– 28 982,28 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul
– 4 830,38 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis
– 483,03 euros au titre des congés payés y afférents
– 9 124,07 euros à titre d’indemnité légale de licenciement
– 2039,95 euros brut de rappel de salaire correspondant à sa perte de salaire durant sa période de mise à pied
– 203,99 euros de congés payés y afférents
– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile (ajout)
– Remboursement des indemnités de chômage dans la limite de quatre mois d’indemnités
– Dépens d’appel

Réglementation applicable

– Code du travail
– Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
– Délibération du 4 juin 2015

Article L 1121-1 du code du travail:
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales:
« Toute personne a droit au respect de sa vie privée, et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales:
« garantit par ailleurs le droit d’une partie à un procès de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause et ses preuves ».

Article 3 de la délibération du 4 juin 2015:
« le traitement de ces données ne peut être mis en oeuvre que pour tout ou partie des finalités suivantes : c) la sûreté ou la sécurité de l’employé lui-même ou des marchandises ou véhicule dont il a la charge, en particulier la lutte contre le vol du véhicule lui-même ; e) le contrôle du respect des règles d’utilisation du véhicule sous réserve de ne pas collecter une donnée de localisation en dehors du temps du travail du conducteur ».

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Loïc LE ROY
– Me Gwenaelle VAUTRIN
– Me Nicolas NOURRY
– Me Patrick DELBAR
– Me Marine SALMON

Mots clefs associés & définitions

– Mise à pied disciplinaire
– Vie privée
– Géolocalisation
– Données personnelles
– Atteinte à la vie privée
– Surveillance
– Contraintes de travail
– Licenciement nul
– Indemnités de licenciement
– Préjudice moral
– Mise à pied disciplinaire : mesure prise par l’employeur pour sanctionner un salarié en le privant temporairement de son droit de travailler
– Vie privée : ensemble des éléments de la vie d’une personne qui ne concernent pas sa vie professionnelle ou publique
– Géolocalisation : technique permettant de déterminer la position géographique d’un objet ou d’une personne à l’aide de signaux GPS ou de réseaux de télécommunication
– Données personnelles : informations permettant d’identifier une personne physique, telles que nom, prénom, adresse, numéro de sécurité sociale, etc.
– Atteinte à la vie privée : violation du droit à la vie privée d’une personne, notamment par la divulgation d’informations confidentielles ou la surveillance intrusive
– Surveillance : action de surveiller, de contrôler ou d’observer de manière régulière et systématique une personne ou un lieu
– Contraintes de travail : contraintes physiques, psychologiques ou organisationnelles imposées aux salariés dans le cadre de leur activité professionnelle
– Licenciement nul : licenciement jugé irrégulier par les tribunaux en raison d’un motif illicite ou d’une procédure non respectée
– Indemnités de licenciement : sommes versées par l’employeur au salarié en cas de licenciement pour compenser la perte d’emploi
– Préjudice moral : atteinte aux droits personnels d’une personne causant une souffrance psychologique ou un préjudice moral

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 février 2024
Cour d’appel de Douai
RG n°
23/00731
ARRET DU

23 Février 2024

N° RG 23/00731 – N° Portalis DBVT-V-B7H-U5KF

N° 248/24

NRS/AL

GROSSE

le 23 Février 2024

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

Renvoi après Cassation

– Prud’hommes –

CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE BEAUVAIS en date du 05 Février 2020

COUR D’APPEL AMIENS en date du 01 Septembre 2021

COUR DE CASSATION DU 22 Mars 2023

APPELANTE :

S.A.R.L. FRANCE BALAYAGE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Gwenaelle VAUTRIN, avocat au barreau de COMPIEGNE substitué par Me Nicolas NOURRY, avocat au barreau de COMPIEGNE

INTIME :

M. [P] [I]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Patrick DELBAR, avocat au barreau de LILLE assisté de Me Marine SALMON, avocat au barreau de BEAUVAIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

Muriel LE BELLEC

: conseiller faisant fonction de PRESIDENT DE CHAMBRE

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

Nathalie RICHEZ-SAULE

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Valérie DOIZE

DEBATS : à l’audience publique du 20 Décembre 2023

ARRET : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 23 Février 2024,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC, Conseiller faisant fonction de Président de Chambre et par Valérie DOIZE greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 11 juin 2004 avec prise d’effet immédiate, Monsieur [P] [I] a été engagé, par la société France Balayage en qualité de chauffeur, coefficient 110, position 3, niveau II, selon la convention collective des activités du déchet (IDCC 2149).

Sa rémunération brute horaire a été fixée à la somme de 1.554 €, soit 1.600,72€ par mois pour 151,67 heures travaillées par mois.

Le 20 septembre 2016, Monsieur [I] a reçu un avertissement pour un déplacement injustifié qu’il aurait réalisé le 3 août 2016. Il lui était alors reproché, alors qu’il était affecté sur un chantier de nuit à [Localité 17] (78), d’avoir rejoint le dépôt de [Localité 15] (77), pour se rendre le lendemain sur un chantier sis à [Localité 11] (91), effectuant ainsi un déplacement de 150 km au lieu de 80 km.

C’est dans ce contexte que la société France Balayage a convoqué Monsieur [I] en vue d’un éventuel licenciement à un entretien préalable qui s’est déroulé le 15 janvier 2018. A l’issue de cet entretien, la société France Balayage a, le 25 janvier 2018 notifié à son salarié une mise à pied à titre disciplinaire de 10 jours ouvrés dans les termes suivants :

« -déplacements injustifiés avec véhicule professionnel confié pour l’exercice de vos fonctions,

-insubordination,

-inexécution de votre prestation de travail préjudiciable aux intérêts de l’entreprise.

Pour mémoire, vous avez été embauché par la société France Balayage à compter du 11 juin 2004 et vous occupez un poste de chauffeur.

A ce titre, conformément aux dispositions de votre contrat de travail, vous êtes notamment amené à effectuer des déplacements pour vous rendre sur les chantiers, qui peuvent parfois être éloignés de votre domicile, raison pour laquelle le véhicule confié pour l’exercice de vos fonctions est équipé d’une couchette.

Dans ce cadre, vous pouvez donc être amené à ne pas pouvoir rentrer quotidiennement à votre domicile et à découcher sur votre lieu de chantier ou à proximité immédiate d’une zone de confort (toilettes, douches) en contrepartie d’une indemnité forfaitaire de 48,87 euros par jour de découche.

Vous connaissez parfaitement cette procédure interne qui existe depuis de nombreuses années et qui a vocation à améliorer les temps de repos et de consommation de carburants de nos chauffeurs. Notamment vous savez que vous n’êtes pas autorisé à vous déplacer à votre convenance avec le véhicule confié pour l’exercice de vos fonctions.

A ce titre vous avez déjà été sanctionné par un avertissement en date du 20 septembre 2016.

Depuis, et quasiment chaque mois, nous sommes contraints de vous rappeler à l’ordre verbalement à ce propos mais rien n’y fait vous persistez à faire comme bon vous semble.

En effet, le 16 novembre 2017, alors que vous étiez affecté sur un chantier à [Localité 6] (77), vous avez utilisé le véhicule en fin de journée pour vous rendre [Adresse 22] à [Localité 8](77) sans commodités et à plus de 19 kilomètres de votre chantier, alors qu’il vous étiez loisible de passer par le dépôt [Adresse 23] à [Localité 15] (77) pour votre confort (douche, Toilettes’), étant précisé que le lendemain vous étiez affecté de nouveau à [Localité 6] (77) et qu’à moins de 10 kilomètres se trouvait le relais TOTAL de [Localité 5] (77) avec toutes commodités.

Cette situation s’est répétée à plusieurs reprises, et notamment les 23 novembre et 29 novembre 2017 puis du 11 au 14 décembre 2011, inclus, dates auxquelles vous étiez affecté sur un chantier à [Localité 12] (95) et vous vous êtes rendu à chaque fois en fin de journée avec le véhicule [Adresse 22] à [Localité 8](77) sans commodités et à plus de 18 km sans passer par le dépôt (‘).

Il est fort regrettable de constater que vous persistez à contrevenir aux procédures internes, malgré nos directives. Nous vous mettons en demeure de respecter à l’avenir ces directives internes.

Nous déplorons également de votre part une attitude inappropriée les 24 novembre 2017 et 8 décembre 2017 dates auxquelles la durée de votre chantier a été modifiée passant d’une journée à une demi journée.

Or sans même prévenir le service exploitation, vous avez décidé de votre propre initiative de rentrer au siège de l’entreprise à [Localité 25] (60) alors que des chantiers sur votre secteur initial étaient en attente d’être dispatchés, l’un d’eux aurait ainsi pu vous être confié.

En ne respectant pas cette règle élémentaire fondamentale au bon fonctionnement de l’entreprise, vous êtes une fois de plus l’auteur d’actes d’insubordination, non sans conséquences, car dans le cas présent, et par vos agissements, nous n’avons pas satisfait la demande de notre clientèle alors que vous étiez disponible dès la fin de la matinée (‘)».

La mise à pied ainsi prononcée à titre disciplinaire s’est déroulée du 5 février 2018 au 16 février 2018 inclus et a donné lieu à une retenue sur salaire.

Le 21 février 2018, Monsieur [I] a contesté cette sanction en invoquant la nécessité d’être présent auprès de sa mère mais son employeur a confirmé sa position au salarié le 12 mars 2018 en lui expliquant notamment que les certificats médicaux qu’il lui avait adressés relatifs à l’état de santé de sa mère « ne sont pas opposables à l’entreprise dans un contexte où il s’agit d’un événement tiré de votre vie privée qui ne saurait avoir un impact sur l’exécution de votre prestation de travail ».

Le 26 mars 2018, Monsieur [I] a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué en vue d’un éventuel licenciement à un entretien préalable devant se tenir le 6 avril 2018 à 16h30, lendemain du décès de sa mère qui vivait à son domicile.

A la suite de cet entretien, la société France Balayage a, par lettre recommandée du 23 avril 2018, notifié à Monsieur [I] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

« -déplacements injustifiés avec le véhicule professionnel confié pour l’exercice de vos fonctions

-insubordination

Pour mémoire, vous avez été embauché par la société France Balayage à compter du 11 juin 2004 et vous occupez un poste de chauffeur.

Vous avez fait l’objet de nombreux recadrages verbaux et de sanctions pour déplacements injustifiés avec le véhicule professionnel mis à disposition pour l’exercice de vos fonctions, notamment :

-Avertissement le 20 septembre 2016

-Mise à pied disciplinaire de 10 jours le 25 janvier 2018

Quasiment chaque mois, nous sommes contraints de vous rappeler à l’ordre verbalement à ce propos, mais rien n’y fait vous persistez à faire comme bon vous semble.

Lors de cette dernière sanction, nous vous avons alerté sur le fait que la mesure était clémente et qu’en cas de réitération de votre comportement fautif nous serions dans l’obligation d’envisager à votre encontre une mesure plus lourde pouvant aller jusqu’au licenciement.

Or, nous déplorons de nouveau de votre part des déplacements injustifiés avec le véhicule professionnel confié pour l’exercice de vos fonctions malgré nos mises en garde.

En effet nous constatons que vous êtes de nouveau rentré à votre domicile sans y être autorisé alors que vous étiez en déplacement loin de chez vous aux dates suivantes :

-le lundi 12 mars 2018, fin de journée à [Localité 19] (94), le lendemain à [Localité 20]

-le jeudi 15 mars 2018, fin de journée à [Localité 13] (92) , le lendemain à [Localité 26] (91)

-le lundi 19 mars 2018, fin de journée à [Localité 19] (94) , le lendemain à [Localité 9] (77) et [Localité 10] (77)

-le mardi 20 mars 2018, fin de journée à [Localité 10] (77), le lendemain à [Localité 7] (77)

-le mercredi 21 mars 2018 , fin de journée à [Localité 10] , le lendemain à [Localité 18] (92)

-le jeudi 22 mars 2018 fin de journée à [Localité 18] (92), le lendemain à ILE [Localité 24] (93) et [Localité 21].

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 12 mars 2018, distribué le 13 mars 2018, concernant notamment les certificats médicaux que vous nous aviez adressés selon lequel vous deviez être présent tous les soirs auprès de votre mère pendant deux mois, nous vous précisions que ceux-ci n’étaient pas opposables à l’entreprise, dans un contexte où il s’agissait d’un événement tiré de votre vie personnelle qui ne saurait avoir un impact sur l’exécution de votre contrat de travail.

Une fois de plus, vous n’avez pas jugé utile de tenir compte de nos indications.

Si vous souhaitiez rester auprès de votre mère il convenait de vous organiser en conséquence, éventuellement pas l’intermédiaire d’une demande de congés payés, mais vous avez préféré agir à votre guise sans mesurer nécessairement les conséquences.

Nous ne pouvons plus tolérer votre insubordination caractérisée qui met en danger votre sécurité et pourrait engager la responsabilité pénale et/ou civile de l’entreprise et /ou son dirigeant.

Ces déplacements supplémentaires pour retourner à votre domicile alors que vous n’y êtes pas autorisé peuvent être une source de danger pour votre sécurité ce dont nous sommes garants.

Vous connaissez parfaitement cette procédure interne, qui existe depuis de nombreuses années et qui a pour vocation première d’améliorer les temps de repos de nos chauffeurs.

Votre comportement inacceptable et insubordonné remet en cause la nécessaire confiance régissant nos relations de travail.

Au regard de tous ces éléments et au vu du caractère préjudiciable de votre comportement pour notre société, votre licenciement prend donc effet immédiatement sans préavis, ni indemnité».

Contestant son licenciement, Monsieur [I] a, par requête du 14 mars 2009, saisi le conseil de prud’hommes de Beauvais afin d’obtenir :

-l’annulation de la mise à pied à titre disciplinaire prononcée à son encontre par son employeur le 25 janvier 2018 et la condamnation de son employeur au paiement de rappel de salaires,

-la nullité du licenciement à titre principal et à titre subsidiaire, la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– ainsi que la condamnation de son employeur à lui verser les sommes de 28.982,28 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 10.000€ au titre des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, 4.830,38€ au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 483,03 € au titre des congés payés y afférents, 9124.07 € au titre de l’indemnité légale/conventionnelle de licenciement, ainsi que la somme de 1.184,40 € au titre de l’indemnité de salissure.

Par jugement du 5 février 2020, le conseil de prud’hommes de Beauvais a :

-dit bien fondée la contestation de la sanction disciplinaire prononcée le 25 janvier 2018 à l’encontre de Monsieur [I] et l’a annulée,

-prononcé la nullité du licenciement de Monsieur [I],

-condamné par conséquent la société France Balayage à payer à Monsieur [I] les sommes suivantes :

1 019,97 euros à titre de rappel de salaires, outre 101,99 euros de congés payés y afférents,

28 982,28 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul au visa de l’article L1235-3-1 du code du travail à titre principal et de l’article L 1235-3 du code du travail, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre subsidiaire

4 830,38 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 483,03 euros au titre des congés payés y afférents,

9 124,07 euros à titre d’indemnité légale de licenciement

2039,95 euros brut de rappel de salaires correspondant à sa perte de salaires durant sa période de mise à pied outre 203,99 euros de congés payés y afférents

1 184,40 euros à titre d’indemnité de salissure,

1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

-Ordonné la remise par la société France Balayage des documents de fin de contrat et bulletins de salaire rectifiés,

-Débouté la société France Balayage de ses demandes reconventionnelles.

Le 20 février 2020, la société France Balayage a interjeté appel de ce jugement

Par arrêt du 1er septembre 2021, la cour d’appel d’Amiens a :

-Infirmé le jugement du conseil de prud’hommes de Beauvais du 5 février 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a condamné la société France Balayage à payer à Monsieur [I] la somme de 1184,40 € à titre de prime de salissure et en ce qu’il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

-Dit n’y avoir lieu à l’annulation de la sanction disciplinaire du 25 janvier 2018,

-Dit fondé sur une faute grave le licenciement prononcé,

-Débouté Monsieur [P] [I] de ses demandes indemnitaires à ces titres,

-Ordonné à la société France Balayage de remettre à Monsieur [I] un bulletin de paie récapitulatif et un solde de tout compte conforme à l’arrêt,

-Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’une ou l’autre des parties pour l’ensemble de la procédure,

-Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel.

Monsieur [I] a formé un pourvoi contre l’arrêt rendu.

Par arrêt du 22 mars 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé mais seulement en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à annulation de la sanction disciplinaire du 25 janvier 2018, en ce qu’il a dit fondée sur une faute grave le licenciement prononcé et débouté Monsieur [I] de ses demandes indemnitaires à ces titres et dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l’une ou l’autre partie pour l’ensemble de la procédure et dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d’appel, l’arrêt rendu le 1 septembre 2021 entre les parties par la Cour d’appel d’Amiens. La Haute Cour a remis sur ces points l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Douai, et a condamné la société France Balayage aux dépens ainsi qu’à payer à Monsieur [I] la somme de 3 000 €.

Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 1er décembre 2023, Monsieur [I] demande à la cour de :

1/ Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Beauvais le 5 février 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [P] [I] de sa demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,

Statuant de nouveau :

2/ Condamner la société France Balayage à payer à Monsieur [P] [I] la somme de 10.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

Y ajoutant :

3/ Condamner la société France Balayage à payer à Monsieur [P] [I] la somme de 7.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

4/ Condamner la société France Balayage au paiement des dépens d’appel.

Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 15 novembre 2023, la société France Balayage demande à la cour de :

-dire et juger que la société France Balayage recevable et fondé en son appel de la décision rendue le 5 février 2020 par le conseil de prud’hommes de Beauvais ;

Y faisant droit,

-infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Beauvais en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [P] [I] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

Statuant à nouveau,

-dire et juger fondée la mise à pied disciplinaire du 25 janvier 2018 ;

-dire et juger fondé sur une faute grave le licenciement de Monsieur [P] [I] ;

-dire et juger infondée la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;

-débouter Monsieur [P] [I] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

-condamner Monsieur [P] [I] au paiement de la somme de 2.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

-condamner Monsieur [P] [I] aux entiers dépens.

Il convient de se référer aux dernières conclusions des parties régulièrement notifiées par le RPVA pour l’exposé de leurs moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile.

La clôture des débats a été prononcée par ordonnance du 6 décembre 2023.

L’affaire a été appelée à l’audience du 20 décembre 2023 et mise en délibéré au 23 février 2024.

MOTIFS

Sur la demande d’annulation de la mise à pied disciplinaire du 25 janvier 2018

Aux termes de l’article L 1121-1 du code du travail, « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Par ailleurs, l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale dispose que : « toute personne a droit au respect de sa vie privée, et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». L’article 6 § 1 garantit par ailleurs le droit d’une partie à un procès de se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause et ses preuve.

Il résulte de ces dispositions que l’illicéité d’un moyen de preuve portant atteinte à la vie privée du salarié n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure en mettant balance le respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée du salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionné au but poursuivi.

Enfin, l’article 3 de la délibération du 4 juin 2015 qui encadre l’utilisation du système de géolocalisation installé dans les véhicules professionnels indique que le traitement de ces données ne peut être mis en oeuvre que pour tout ou partie des finalités suivantes : c) la sûreté ou la sécurité de l’employé lui-même ou des marchandises ou véhicule dont il a la charge, en particulier la lutte contre le vol du véhicule lui-même ; e) le contrôle du respect des règles d’utilisation du véhicule sous réserve de ne pas collecter une donnée de localisation en dehors du temps du travail du conducteur.

En l’espèce, il est fait grief au salarié d’avoir utilisé le 16 novembre 2017, alors qu’il, était affecté sur un chantier à [Localité 6] (77), le véhicule en fin de journée pour se rendre [Adresse 22] à [Localité 8] (77) sans commodités et à plus de 19 kilomètres de son chantier, alors qu’il pouvait passer par le dépôt [Adresse 23] à [Localité 15] (77) pour son confort (douche, Toilettes’), étant précisé que le lendemain il était affecté de nouveau à [Localité 6] (77) et qu’à moins de 10 kilomètres se trouvait le relais TOTAL de [Localité 5] (77) avec toutes commodités. Il lui est également reproché d’avoir les 23 novembre et 29 novembre 2017 puis du 11 au 14 décembre 2011, inclus, dates auxquelles il était affecté sur un chantier à [Localité 12] (95), de s’être rendu à chaque fois en fin de journée avec le véhicule, [Adresse 22] à [Localité 8](77) sans commodités et à plus de 18 km sans passer par le dépôt [Adresse 23] à [Localité 16] pour son confort alors que le lendemain son chantier se situait de nouveau à [Localité 12], et qu’à 11 kilomètres se trouvait le relais TOTAL de [Localité 14] (93).

Monsieur [I] conteste cette sanction de mise à pied en faisant valoir d’une part, que l’employeur ne pouvait pas légitiment utiliser les données de géolocalisation du système installé dans le véhicule professionnel pour le surveiller en dehors de ses temps de travail, ni lui imposer des déplacements l’empêchant de rentrer chez lui quotidiennement, et le contraindre à découcher et à dormir, soit dans son véhicule, soit dans des zones de conforts désignées, moyennant le versement d’une indemnité de découche alors que ces modalités de travail et cette indemnité n’étaient prévues ni par son contrat, ni par la convention collective, et qu’elles portaient une atteinte disproportionnée à sa vie privée non justifiée par la nature de la tâche à accomplir.

En l’espèce, le système de géolocalisation installé sur le véhicule professionnel mis à disposition du salarié était destiné à la protection contre le vol et à la vérification du kilométrage.

Le règlement intérieur de l’entreprise prévoit que le système de localisation peut notamment être utilisé par l’entreprise pour contrôler la durée du travail, le respect des temps de repos ainsi que les déplacements des salariés, mais il n’est nullement prévu qu’il puisse être utilisé pour contrôler les déplacements des salariés en dehors du temps de travail, ce qui serait contraire à la délibération du 4 juin 2015 de la CNIL.

Or, l’employeur s’est prévalu des données collectées par ce système pour établir le non respect par le salarié de ses instructions relatives à l’utilisation du véhicule en dehors du temps de travail, et ses déplacements, soit dans un but différent de celui pour lequel il avait été installé et déclaré à la CNIL.

L’utilisation de ce système pour surveiller les déplacements du salarié sur ses temps de pause et de repos, soit en dehors du temps de travail porte nécessairement atteinte à sa vie privée et est donc illicite.

Avant d’admettre un tel moyen de preuve aux débats, il appartient donc au juge du fond de faire la balance entre le droit au respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve, et d’examiner si la production des données résultant de l’exploitation du système de géolocalisation installée dans le véhicule est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et si l’atteinte au droit privée du salarie est strictement proportionnée au but poursuivi.

Or, l’employeur ne justifie pas qu’il ne disposait pas d’autres moyens que ce système de géolocalisation embarqué pour savoir si le salarié utilisait le véhicule de l’entreprise sur ses temps de pause et de repos, pour se rendre dans un autre lieu que les lieux de repos désignés par l’employeur, et en particulier [Adresse 22] à [Localité 8], contrairement aux instructions qui lui avaient été données, dépassant ainsi le kilométrage prévu.

Pour établir le non respect par le salarié des instructions de l’employeur, ce dernier disposait d’autres moyens de preuve comme les attestations des autres salariés que Monsieur [I] aurait pu rencontrer sur les lieux de repos désignés, ou des personnes travaillant sur ces zones de confort.

Ce moyen n’était donc pas le seul permettant d’établir les fautes reprochées au salarié qui ne conteste d’ailleurs pas les déplacements qui lui sont reprochés, et n’était donc pas indispensable à l’exercice par l’employeur de son droit à la preuve. Il n’était non plus proportionné au but poursuivi tel que déclaré par l’employeur, celui d’assurer la sécurité du salarié, dès lors qu’il existait d’autres moyens pour l’assurer, comme la limitation de la zone géographique des chantiers choisis, autour de chaque entrepôt, pour permettre au salarié de le rejoindre chaque soir et de reprendre son véhicule personnel.

De ce fait, le moyen de preuve tiré des données du système de géolocalisation doit être écarté des débats, et l’employeur ne peut s’en prévaloir pour établir le non respect par le salarié des instructions qui lui avaient été données concernant l’utilisation du véhicule de fonction sur ses temps de repos et de pause.

Il soutient également que l’employeur ne pouvait lui imposer des déplacements l’empêchant de rentrer chez lui quotidiennement, le contraindre à découcher et à dormir soit dans son véhicule soit dans des zones de conforts désignées, moyennant le versement d’une indemnité de découche alors que ses modalités de travail et cette indemnité n’étaient prévues ni par son contrat, ni par la convention collective, et portaient une atteinte disproportionnée à sa vie privée, n’étant pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir.

Il n’est pas contesté que si le salarié a perçu des indemnités de découche, ces indemnités ne sont pas prévues par la convention collective des activités du déchet du 11 mai 2000 applicable à la relation de travail, ni par le contrat de travail qui prévoit seulement en son article 7 que « la prise de poste de Monsieur [P] [I] est située à Viefvilliers (60) , [Adresse 1]. Chaque fin de journée, le véhicule devra impérativement être ramené à ce dépôt ou l’entretien courant pourra être effectué sauf en cas de déplacement. En effet Monsieur [P] [I] accepte de se voir attribuer une balayeuse avec couchette afin d’effectuer des déplacements. A chaque retour de déplacement, le véhicule devra également être ramené à cette adresse. Monsieur [P] [I] accepte par avance toute mutation géographique que les nécessités de l’entreprise justifieraient ».

Il n’est donc pas contractuellement prévu que le salarié, engagé en tant que chauffeur d’une balayeuse, pour une entreprise dont le seul dépôt se situait à Viefvilliers lors de son embauche, comme indiqué par le contrat, effectue des grands déplacements l’empêchant de rentrer chez lui chaque soir, et qu’il découche ainsi de manière très régulière. Monsieur [I] soutient d’ailleurs sans être contredit sur ce point que lorsqu’il a été embauché, les grands déplacements n’étaient que très occasionnels et qu’il rentrait chaque soir chez lui, alors que les deux dernières années, ces déplacements qui l’empêchaient de rentrer chez lui le soir étaient très fréquents. Le contrat ne prévoyait pas non plus que l’obligation pour le salarié de rejoindre la zone de confort se trouvant la plus proche de son chantier ni l’interdiction de rejoindre son domicile avec la balayeuse de l’entreprise et de disposer de son temps libre pour vaquer à ses occupations personnelles comme il l’entendait, et notamment de s’occuper de sa mère gravement malade.

Il n’est pas non plus démontré que cette contrainte qui ne résultait que des instructions données par l’employeur pouvait être justifiée par l’obligation de ce dernier d’assurer la sécurité de ses chauffeurs, en leur évitant une trop grande fatigue, dès lors que cette organisation était liée à l’acceptation de chantiers de plus en plus éloignés de l’entrepôt de Viefvilliers et ne résultait pas de la nature de la tâche à accomplir, soit le ramassage des déchets avec une balayeuse.

Il est par ailleurs fait grief au salarié d’avoir décidé sans prévenir le service exploitation d’être revenu au siège alors que des chantiers sur son secteur étaient en attente d’être distribués, les 24 novembre et 8 décembre 2017. Monsieur [I] ne conteste pas la réalité de ces faits. Cependant, le fait d’être retourné au siège de la société ne peut être qualifié d’un acte d’insubordination, dès lors qu’il s’est ensuite tenu à disposition de l’employeur qui ne démontre pas avoir demandé à son salarié d’attendre sur place d’autres instructions.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a annulé la mise à pied disciplinaire prononcée à l’encontre de Monsieur [I] le 15 janvier 2018, et condamné la société France Balayage à lui payer la somme de

1 019,97 euros à titre de rappel de salaires, outre 101,99 euros de congés payés y afférents.

Sur la demande de nullité du licenciement pour faute grave

L ‘article L1235-1 du code du travail prévoit « L’article L. 1235-3 5 (qui encadre de manière réglementaire les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse) n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d’une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles

L. 1132-4 et L. 1134-4 ;

4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;

5° Un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ;

6° Un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle ».

Il ressort de ces dispositions qu’est nul un licenciement prononcé en violation d’une liberté fondamentale.

En l’espèce, il est reproché au salarié d’être rentré chez lui après sa journée de travail, auprès de sa mère malade, sans y être autorisé alors qu’il était en déplacement, les 12, 15, 19, 20, 21 et 22 mars, alors qu’il aurait du se rendre dans les zones de confort situées proches de son chantier, conformément aux instructions de son employeur.

De fait, comme exposé ci-dessus, le salarié, surveillé dans ses déplacements quotidiens aussi bien sur son temps de travail qu’en dehors de ce temps de travail, par le système de géolocalisation installé dans son véhicule professionnel, était tenu de se rendre à la fin de sa journée de travail sur les zones confort désignées par l’employeur, situées à proximité de son chantier, et il lui était interdit de rentrer chez lui, avec le véhicule professionnel alors que son véhicule personnel était resté au dépôt, pour minimiser les temps de trajets. Ces contraintes qui lui étaient imposées par son employeur, ainsi que le contrôle de sa localisation en dehors du temps de travail et ce contrairement à la finalité déclarée à la CNIL ont porté atteinte à son droit à une vie privée et familiale, en l’empêchant de profiter librement de son temps libre, et en particulier de se rendre auprès de sa mère gravement malade, ce dont était informé l’employeur.

Cette atteinte n’était pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, soit le nettoyage et l’enlèvement des déchets, ni proportionné au but recherché. En effet, si l’employeur justifie de telles instructions par la nécessité d’assurer la sécurité de ses chauffeurs, en vérifiant notamment leur temps de repos, il ne démontre pas qu’il n’existait pas d’autres moyens pour assurer cette sécurité, que celui d’empêcher les salarié de profiter de son temps libre comme il le souhaitait en l’obligeant à se rendre sur ses temps de repos dans des zones définies se situant près de son chantier, comme la simple limitation de la zone géographique des chantiers acceptés. Cette atteinte est d’autant moins justifiée au regard du but poursuivi tenant à la sécurité du salarié, qu’il est établi par une attestation versée aux débats que la société France Balayage effectuait des réparations sur les véhicules avec des pièces de récupération.

Le licenciement qui sanctionne le salarié pour ne pas avoir respecté les instructions de son employeur en rentrant chez lui à plusieurs reprises avec le véhicule professionnel au lieu de se rendre sur les zones de confort se trouvant près de son chantier, est donc bien intervenu en violation de son droit à une vie privée et familiale, et est donc nul. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a dit et jugé le licenciement de Monsieur [I] nul.

Sur les conséquences de la nullité du licenciement

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

Il résulte de l’article L1235-3-1 du code du travail, que l’article L1235-3 du même code qui prévoit qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur entre les montants minimaux et maximaux fixés par la loi, n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du même article, soit notamment en cas de harcèlement moral. Dans ce cas, le juge octroi au salarié une indemnité qui ne peut pas être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.

En l’espèce, Monsieur [I] avait une ancienneté de plus de 13 ans au moment de son licenciement. Il indique qu’il a retrouvé un emploi le 16 juillet 2018, soit moins de trois mois après son licenciement, mais justifie que son nouvel emploi est moins bien rémunéré que celui qu’il a perdu, d’autant qu’il percevait une prime d’ancienneté de 10% de son salaire brut d’un montant 2210 euros qu’il ne perçoit plus. Au regard de ces éléments, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société France Balayage à lui payer une somme de 28 982,28 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur la demande d’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés

Aux termes de l’article 1234-1 du code du travail, le salarié qui n’exécute pas son préavis a droit à une indemnité compensatrice.

L’article 2.21 de la convention collective des activités de déchet prévoit qu ‘en cas de rupture du contrat de travail soit pour faute grave, soit pour faute lourde, la partie qui prend l’initiative de la rupture doit respecter un délai de congés de deux mois pour les ouvriers et employés dont l’ancienneté est égale ou supérieure à deux ans.

En application de ces dispositions, Monsieur [I] réclame la somme de 4830,38 euros à ce titre, outre la somme de 483,03 euros au titre des congés payés y afférents. L’employeur n’en conteste ni le principe ni le montant. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il lui a alloué cette somme.

Sur l’indemnité de licenciement

L’article L1234-9 du code du travail prévoit que « Le salarié titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu’il compte 8 mois d’ancienneté ininterrompus au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Les modalités de calcul de cette indemnité sont fonction de la rémunération brute dont le salarié bénéficiait antérieurement à la rupture du contrat de travail. Ce taux et ces modalités sont déterminés par voie réglementaire ».

L’article R1234-2 du code du travail précise que «  L’indemnité de licenciement ne peut être inférieure aux montants suivants:

1° Un quart de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans;
2° Un tiers de mois de salaire par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans.

L’article R1234-4 du même code prévoit que « Le salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié :
1° Soit la moyenne mensuelle des douze derniers mois précédant le licenciement, ou lorsque la durée de service du salarié est inférieure à douze mois, la moyenne mensuelle de la rémunération de l’ensemble des mois précédant le licenciement ;

2° Soit le tiers des trois derniers mois. Dans ce cas, toute prime ou gratification de caractère annuel ou exceptionnel, versée au salarié pendant cette période, n’est prise en compte que dans la limite d’un montant calculé à due proportion ».

En application de ces dispositions, Monsieur [I] sollicite la somme de 9124,07 euros au titre de l’indemnité de licenciement . L’employeur n’en conteste ni le principe, ni le montant. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il lui a alloué cette somme.

Sur le rappel de salaires pour la mise à pied à titre conservatoire

Monsieur [I] ayant été mis à pied de façon injustifiée, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société France Balayage à lui payer la somme de 2039,95 euros correspondant à sa perte de salaire pendant la durée de sa mise à pied, outre 203,99 euros au titre des congés payés y afférents.

Sur la remise des documents de fin de contrat

Compte tenu des termes du présent, il convient de condamner la société France Balayage à remettre au salarié un certificat de travail, une attestation Pôle emploi, un solde de toute compte, et un bulletin de salaire rectifiés. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le remboursement des allocations de chômage

Les conditions d’application de L 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d’ordonner le remboursement des allocations de chômage versées à la salarié dans la limite de quatre mois.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

A l’appui de sa demande de dommages et intérêts, Monsieur [I] fait valoir qu’il avait demandé un report de l’entretien prélable au licenciement, dès lors que sa mère était décédée la veille, et qu’il s’est présenté endeuillé lors de cet entretien. Cependant, le salarié ne démontre qu’il a formulé une telle demande, qui ne ressort d’ailleurs pas du compte rendu d’entretien réalisé par le conseiller du salarié. En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Monsieur [I] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Sur les dépens et la demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Au regard de l’issue du litige, la société France Balayage sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer à monsieur [I] la somme de 1500 en application de l’article 700 du code de procédure civile. En cause d’appel la société France Balayage sera condamnée à payer à Monsieur [I] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après débats en audience publique par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a dit bien fondée la contestation de la sanction disciplinaire prononcée le 25 janvier 2018 à l’encontre de Monsieur [I] et l’a annulée ; prononcé la nullité du licenciement de Monsieur [I] ; condamné par conséquent la SA France Balayage à payer à Monsieur [I] les sommes suivantes: 1 019,97 euros à titre de rappel de salaires, outre 101,99 euros de congés payés y afférents, 28 982,28 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul, 4 830,38 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 483,03 euros au titre des congés payés y afférents, 9 124,07 euros à titre d’indemnité légale de licenciement, 2039,95 euros brut de rappel de salaire correspondant à sa perte de salaire durant sa période de mise à pied outre 203,99 euros de congés payés y afférents, 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

Confirme le jugement netrepris en ce qu’il a débouté Monsieur [I] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral, et en ce qu’il a condamné la société France Balayage à remettre au salarié des documents de sortie rectifiés,

Y ajoutant,

Ordonne le remboursement à l’organisme les ayant servies, des indemnités de chômage payées au salarié au jour du présent arrêt dans la limite de quatre mois d’indemnités,

Condamne la société France Balayage à payer à Monsieur [I] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société France Balayage aux dépens d’appel.

LE GREFFIER

Valérie DOIZE

Le conseiller désigné pour exercer les fonctions de président de chambre

Muriel LE BELLEC

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