S’il est tenu à une obligation générale de vigilance, il est de principe que l’établissement bancaire teneur de compte est également astreint à une obligation de non-ingérence qui lui interdit de s’immiscer dans les affaires de son client. Il ne saurait dès lors procéder à des investigations particulières pour déterminer notamment l’identité du bénéficiaire ou l’objet de l’opération, ni intervenir pour empêcher son client d’effectuer un acte inopportun ou dangereux pour ses intérêts.
L’établissement bancaire n’a donc pas à se préoccuper de la destination des fonds ou de l’opportunité des opérations effectuées. Il engage d’ailleurs sa responsabilité s’il n’exécute pas les virements ordonnés par son client.
Il en va différemment s’il se trouve confronté, à l’occasion d’opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu’il doit détecter, conformément à son obligation de vigilance.
M. [I], un retraité, a été victime d’une escroquerie où il a effectué des virements totalisant 60 000 euros vers des comptes en Espagne, pensant souscrire à des livrets d’épargne de Boursorama Banque. Après avoir réalisé qu’il avait été trompé, il a porté plainte contre X pour escroquerie. La BNP Paribas, la banque de M. [I], a refusé de l’indemniser, ce qui l’a poussé à intenter un procès contre elle. Le tribunal a jugé que la BNP Paribas avait manqué à son devoir de vigilance envers M. [I] et l’a condamnée à lui verser 70 000 euros de dommages-intérêts. La banque a contesté cette décision en arguant que M. [I] était responsable de sa négligence en confiant son épargne à des tiers sans vérifier leur légitimité. Le tribunal a finalement rejeté les demandes de la BNP Paribas et confirmé sa condamnation à verser les dommages-intérêts à M. [I].
Sur la responsabilité de la BNP Paribas
Dans cette affaire, la responsabilité de la BNP Paribas a été examinée en ce qui concerne les ordres de virement donnés par M. [I]. Il a été conclu que la banque n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de son client et n’était pas tenue de contrôler la finalité des opérations effectuées. Étant donné que les ordres de virement étaient authentiques et que le compte de M. [I] permettait de couvrir les opérations, la BNP Paribas n’avait pas à effectuer des investigations supplémentaires. Par conséquent, les demandes du demandeur ont été rejetées.
Sur les demandes accessoires
Sur les frais de procédure
M. [I] a été condamné à supporter les dépens et à verser une somme de 3.000 euros à la BNP Paribas au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Sur l’exécution provisoire
Bien que l’exécution provisoire soit de droit dans cette affaire, la décision a écarté cette possibilité en raison de la solution retenue.
– M. [S] [I] est débouté de ses demandes : 0 euros
– M. [S] [I] est condamné aux dépens : montant non spécifié
– M. [S] [I] doit payer à la SA BNP Paribas : 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– Exécution provisoire de droit écartée : pas de montant financier associé
Réglementation applicable
S’agissant des obligations spéciales de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier visées par le demandeur dans le dispositif de ses écritures, ces dernières ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et poursuivent un objectif d’intérêt général. Il se déduit de ces dispositions que la victime d’agissements frauduleux, qui par ailleurs peut rechercher la responsabilité d’un établissement bancaire sur le fondement de son obligation générale de vigilance comme il a été examiné précédemment, ne peut se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier qui, par ailleurs, n’a pas le droit d’informer son client des déclarations qu’il peut être amené à faire le concernant auprès des autorités compétentes qui seules peuvent s’opposer à l’exécution de l’opération suspecte.
Article L.133-21 du code monétaire et financier : L’obligation de l’établissement bancaire consistait en l’occurrence à assurer la bonne exécution des ordres de virement reçus selon les IBAN fournis par le client en application de l’article L.133-21 du code monétaire et financier indépendamment des autres mentions figurant sur les ordres, et il n’avait ni à en contrôler la finalité, ni à s’assurer de l’identité des destinataires ou de leur qualité en dehors des instructions reçues de son client eu égard à l’exécution desdits ordres.
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Maître Johann LISSOWSKI de la SELARL LISSOWSKI Avocats
– Maître Nicolas BAUCH-LABESSE de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés
Mots clefs associés
– Obligation de vigilance
– Obligation de non-ingérence
– Authenticité des ordres de virement
– Obligation de bonne exécution des ordres de virement
– Vérifications concernant l’identité du donneur d’ordre
– Situation du compte débité
– Nature internationale des opérations
– Principe de non-ingérence
– Obligation d’information ou de mise en garde
– Obligation légale ou règlementaire de procéder à une demande de retour des fonds
– Obligations spéciales de vigilance et de déclaration
– Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
– Dommages-intérêts
– Frais de procédure
– Exécution provisoire
– Obligation de vigilance : Devoir de la banque de surveiller activement les transactions pour prévenir les fraudes, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
– Obligation de non-ingérence : Principe selon lequel la banque ne doit pas intervenir dans les affaires de ses clients au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour la prestation de ses services.
– Authenticité des ordres de virement : Nécessité pour la banque de vérifier que les ordres de virement sont bien émis par le titulaire du compte ou son représentant légal.
– Obligation de bonne exécution des ordres de virement : Devoir de la banque d’exécuter les ordres de virement conformément aux instructions reçues du client.
– Vérifications concernant l’identité du donneur d’ordre : Obligation pour la banque de s’assurer de l’identité de la personne qui donne l’ordre de virement, notamment à travers des procédures de vérification d’identité.
– Situation du compte débité : Surveillance par la banque de l’état du compte à débiter pour s’assurer qu’il dispose des fonds nécessaires à la réalisation de l’opération.
– Nature internationale des opérations : Prise en compte par la banque des spécificités juridiques et réglementaires applicables aux transactions transfrontalières.
– Principe de non-ingérence : Respect par la banque de la sphère privée et des décisions économiques de ses clients, sans intervention injustifiée.
– Obligation d’information ou de mise en garde : Devoir de la banque d’informer ses clients des risques associés à certaines opérations et de les avertir en cas de suspicion de fraude ou d’anomalies.
– Obligation légale ou règlementaire de procéder à une demande de retour des fonds : Nécessité pour la banque d’agir pour récupérer des fonds transférés suite à une erreur ou une fraude, conformément à la législation.
– Obligations spéciales de vigilance et de déclaration : Mesures renforcées de surveillance et d’obligation de déclarer certaines opérations suspectes aux autorités compétentes.
– Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : Ensemble des procédures et réglementations que la banque doit suivre pour détecter et prévenir ces activités illicites.
– Dommages-intérêts : Compensation financière que la banque peut être tenue de payer si elle est jugée responsable de préjudices causés à ses clients.
– Frais de procédure : Coûts associés aux démarches juridiques engagées par ou contre la banque, pouvant inclure les honoraires d’avocats, les frais de justice, etc.
– Exécution provisoire : Application immédiate d’une décision de justice, même si celle-ci fait l’objet d’un appel ou d’une contestation ultérieure.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/00203 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYPNM
N° MINUTE : 2
Assignation du :
20 Décembre 2022
JUGEMENT
rendu le 20 Mars 2024
DEMANDEUR
Monsieur [S] [I]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Maître Johann LISSOWSKI de la SELARL LISSOWSKI Avocats, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant et plaidant, vestiaire #C2067
DÉFENDERESSE
S.A. BNP PARIBAS
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Nicolas BAUCH-LABESSE de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0010
Décision du 20 Mars 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/00203 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYPNM
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Gilles MALFRE, 1er Vice-président adjoint
Alexandre PARASTATIDIS, Juge
Augustin BOUJEKA, Vice-Président
assistés de Clarisse GUILLAUME, Greffière lors des débats et de Chloé DOS SANTOS, Greffière lors de la mise à disposition.
DÉBATS
A l’audience du 10 Janvier 2024 tenue en audience publique devant Alexandre PARASTATIDIS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 20 mars 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
FAITS ET PROCEDURE
Contacté par des prétendus conseillers de l’établissement Boursorama Banque et pensant souscrire des livrets d’épargne commercialisés par ce dernier, M. [S] [I], retraité, a donné depuis son compte courant ouvert dans les livres de la SA BNP Paribas (ci-après la BNP Paribas) via son espace en ligne un premier ordre de virement le 8 mars 2022 pour un montant de 30.000 euros, puis deux autres virements de 15.000 euros chacun les 7 avril et 06 mai 2022 vers des comptes domiciliés en Espagne.
N’ayant pas perçu les intérêts mensuels annoncés et après avoir pris attache avec la société Boursorama qui s’est déclarée étrangère à l’opération, M. [I] a déposé le 8 juin 2022 auprès des services de gendarmerie de [Localité 6] une plainte contre X du chef d’escroquerie.
Par lettre du 30 août 2022, la BNP Paribas a indiqué qu’elle n’entendait pas donner une suite favorable à la demande d’indemnisation formée par le conseil de M. [I] par lettre du 16 août 2022.
C’est dans ces conditions que par exploit d’huissier de justice du 20 décembre 2022, M. [I] a fait assigner l’établissement bancaire devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins principalement d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices financier et moral avec intérêt et anatocisme.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées par voie électronique le 14 septembre 2023, aux visas des articles 1103, 1104, 1193, 1231-1, 1231-7, 1343-2 et 1937 du code civil et L.561-6 et R.561-12-1 du code monétaire et financier, il est demandé au tribunal de :
Décision du 20 Mars 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/00203 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYPNM
“ – Dire et juger Monsieur [S] [I] recevable et fondé en l’ensemble de ses demandes ;
Et, y faisant droit,
– REJETER l’intégralité des arguments, fins, conclusions et demandes de la S.A. BNP PARIBAS ;
– DIRE ET JUGER que la S.A. BNP PARIBAS s’est rendue coupable de manquements à son devoir de vigilance à l’égard de Monsieur [S] [I] ;
– En conséquence, CONDAMNER la S.A. BNP PARIBAS à régler les sommes en principal de 60 000 € et de 10 000 € à Monsieur [S] [I], à titre de dommages intérêts en réparation de ses préjudices financiers, assorties des intérêts de retard au taux d’intérêt légal à compter du 16 août 2022 ;
– CONDAMNER la S.A. BNP PARIBAS à régler la somme en principal de 15 000 € à Monsieur [S] [I], à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, assortie des intérêts moratoires au taux d’intérêt légal à compter de la date de la présente assignation ;
– ORDONNER la capitalisation des intérêts échus ;
– CONDAMNER la S.A. BNP PARIBAS à régler la somme de 10 000 € à Monsieur [S] [I] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– CONDAMNER la S.A. BNP PARIBAS aux entiers dépens de l’instance, dont ceux distraits au profit de Maître Johann LISSOWSKI, Avocat à la cour, par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
– RAPPELER que le jugement à intervenir sera assorti de l’exécution provisoire de plein droit”.
A l’appui de ses prétentions, M. [I] expose tout d’abord avoir été victime d’une escroquerie particulièrement bien organisée et dénoncée par plusieurs sites internet spécialisés, que ses vérifications préalables, notamment un appel à la société Boursorama, n’ont pu mettre en évidence, les fraudeurs ayant usurpé l’identité de réels salariés de la banque et utilisé des documents particulièrement crédibles.
M. [I] fait ensuite valoir que la BNP Paribas a été défaillante en ne relevant pas les anomalies matérielles affectant les opérations litigieuses en ce que les fonds ont été virés vers un compte ouvert dans les livres de la banque BBVA située en Espagne alors qu’ils étaient destinés à alimenter des livrets commercialisés par Boursorama, société de droit français notoirement connue et disposant de comptes domiciliés en France. Il affirme que ces anomalies auraient dû conduire la banque à l’interroger sur l’objet de ces virements et relever cette fois l’anomalie intellectuelle caractérisée par le transfert de fonds sur un compte n’appartenant pas à Boursorama. Il reproche dès lors à la BNP Paribas un manquement à son devoir général de vigilance découlant de leurs rapports contractuels et de sa qualité de dépositaire, qu’il précise distinguer de son devoir de mise en garde dans le cadre d’investissements qu’il n’entend pas invoquer en l’espèce, celle-ci ne s’étant manifestement pas assurée de la cohérence des opérations effectuées par son client au regard de la connaissance qu’elle avait du fonctionnement habituel de son compte dont l’historique démontre qu’il n’était pas coutumier de tels mouvements de fonds. Il lui reproche également sa carence dans la mise en œuvre d’une procédure de rappel des fonds.
Il soutient par ailleurs que le moyen invoqué par la BNP Paribas tiré de l’impossibilité pour les particuliers victimes d’agissements frauduleux d’obtenir une indemnisation sur le fondement des règles applicables en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (dispositif LCB-FT) codifiées aux articles L.561-5 et suivants du code monétaire et financier, au-delà du fait qu’il constitue un aveu implicite d’un manquement de sa part, doit être écarté en ce que la position jurisprudentielle de la Cour de cassation en ce sens va à l’encontre du principe d’une juste indemnisation des victimes.
M. [I] fait également valoir que la banque est mal-fondée à soutenir une prétendue négligence grave de sa part, argument qu’elle est habituée à développer avec d’autres établissements bancaires pour réfuter tout droit à remboursement, alors que profane, il ne pouvait déceler ni les éventuelles incohérences concernant la qualité de ses interlocuteurs, ni celles concernant leur adresse électronique dans la mesure où celle-ci comprenait le nom » Boursorama « .
M. [I] sollicite en conséquence l’indemnisation intégrale de son préjudice financier consistant en la perte des sommes virées, soit un montant total de 60.000 euros avec intérêts moratoires au taux légal à compter du 16 août 2022, date de la mise en demeure, outre une somme de 10.000 euros avec intérêts à compter de la date précitée pour le même poste de préjudice en réparation de la défaillance de la banque tant au regard de son devoir de vigilance que de son engagement à solliciter le retour des fonds qu’elle ne démontre pas avoir tenu. Il fait également valoir un préjudice moral qu’il évalue à la somme de 15.000 euros et qu’il justifie par le désespoir d’avoir été trompé sans le soutien de sa banque qui, au contraire, » a aidé les escrocs » et lui reproche désormais une prétendue négligence grave. Enfin, il sollicite la capitalisation des intérêts et le rejet de la demande tendant à voir écartée l’exécution provisoire de droit.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées par voie électronique le 23 octobre 2023, aux visas des articles L.133-1 et suivants, L.561 et suivants, L.574-1 du Code monétaire et financier, 514-1, 514-5, 699 et 700 du code de procédure civile, la BNP Paribas demande au tribunal de :
« – DEBOUTER Monsieur [S] [I] de l’intégralité de ses demandes ;
– CONDAMNER Monsieur [S] [I] au paiement d’une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– CONDAMNER Monsieur [S] [I] à supporter l’intégralité des dépens ;
En toute hypothèse,
– ECARTER l’exécution provisoire de la décision à intervenir ou subsidiairement, la subordonner à la constitution par Monsieur [S] [I] d’une garantie émanant d’un établissement bancaire de premier ordre et d’un montant suffisant pour répondre de toutes restitutions dues en cas d’infirmation du jugement. »
A l’appui de sa défense, la BNP Paribas expose à titre liminaire que sur la période précédant les faits litigieux, le compte de M. [I] a toujours était créditeur avec un solde positif de 77.420,13 euros en décembre 2021 et qu’il a présenté au cours de l’année 2021 des mouvements réguliers par virements de 100 à 500 euros avec plusieurs opérations de 1.000 euros au mois d’août.
S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, la banque fait tout d’abord valoir que le demandeur, en sa qualité de client, est mal fondé à se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration énoncées aux articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier pour rechercher la responsabilité d’un organisme financier qu’il tient pour responsable d’une atteinte à ses intérêts privés.
Décision du 20 Mars 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/00203 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYPNM
Elle expose ensuite que l’exécution des opérations de paiement est encadrée par les dispositions des articles L.133-3, L.133-6 et L.133-7 du code précité qui imposent notamment au prestataire de service de paiement du payeur d’exécuter l’opération de paiement autorisée au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant le moment de réception de l’ordre. Elle ajoute que sa responsabilité, qui ne peut être recherchée sur le fondement d’aucun autre régime de responsabilité civile, peut être engagée uniquement en cas de retard ou de mauvaise exécution.
Elle indique également que le devoir général de vigilance impose au banquier teneur de compte de détecter les anomalies matérielles ou intellectuelles apparentes portant sur l’opération de paiement ou le fonctionnement du compte laissant présumer le caractère non autorisé de l’opération ordonnée par le titulaire du compte et dans un tel cas de vérifier uniquement le consentement de son client à l’opération, le principe de non-immixtion s’opposant à toute autre vérification ou ingérence dans la conduite des affaires de son client, notamment visant à empêcher ce dernier d’accomplir un acte inopportun ou dangereux.
Elle soutient dès lors que M. [I] dénature la finalité du devoir général de vigilance en lui reprochant de ne pas l’avoir interrogé sur l’opération sous-jacente aux ordres de virements qu’il ne conteste pas avoir donnés et de ne pas avoir investigué sur les bénéficiaires, et de ne pas l’avoir ainsi mis en garde sur les investissements qu’il réalisait.
Elle fait valoir qu’en l’espèce, outre le caractère autorisé non contesté des opérations, celles-ci ne présentaient aucune anomalie apparente en ce que M. [I] a approvisionné son compte, qui est toujours resté créditeur, les 9 mars, 31 mars et 2 mai 2022 par des fonds provenant de son livret A, et du rachat d’un contrat La France Mutualiste pour un montant total de 60.266,67 euros correspondant à la somme qu’il va investir en parallèle, laissant ainsi penser qu’il réemployait ses fonds. Elle ajoute que n’étaient pas non plus de nature à l’alerter le libellé des opérations qui était » [I] [S] » ni le pays de destination, ce dernier étant un Etat-membre de l’Union Européenne.
La banque soutient également qu’en application de l’article L.133-21 du code monétaire et financier et de la jurisprudence nationale et européenne, elle avait pour seule obligation de vérifier que les virements été exécutés conformément à l’identifiant unique fourni par son client, à savoir l’IBAN et le BIC, précisant par ailleurs que les virements ayant été effectués personnellement par M. [I] depuis son espace en ligne, elle n’a jamais eu connaissance des RIB fournis par les fraudeurs ni des placements qu’il entendait effectuer.
S’agissant du grief tiré de son défaut de vigilance dans la procédure de demande de retour de fonds, la BNP Paribas fait valoir que sa responsabilité ne saurait être recherchée en raison du caractère irrévocable du virement et de l’absence de toute obligation légale de mettre en œuvre cette procédure issue uniquement de la pratique et dont le succès est conditionné à l’accord de la banque bénéficiaire qui elle-même peut avoir à recueillir l’accord du titulaire du compte à débiter, sous réserve de plus que celui-ci soit créditeur. Elle expose qu’au cas particulier, elle a bien procédé à une demande de retour des fonds qui n’avait que peu de chances de prospérer compte tenu de l’alerte tardive donnée par le demandeur fin juin, et non le 8 juin comme il l’affirme, le délai s’étant écoulé ayant permis aux fraudeurs de transférer les fonds vers un autre compte, cause du refus opposé par la banque bénéficiaire.
La défenderesse expose qu’en revanche, le préjudice allégué résulte de la faute exclusive du demandeur qui peut se voir opposer sa négligence en ce qu’il a confié son épargne à des tiers contactés par courriels dont il n’avait pas vérifié la qualité, les compétences, l’expérience et la probité. Elle ajoute que M. [I] aurait dû être alerté notamment par la souscription par courriel et non en ligne de produits de placement ainsi que par le fait que l’identité de l’un de ses interlocuteurs correspondait à celle du directeur financier de Boursorama qui de toute évidence n’occupe pas une fonction de conseiller clientèle, outre le fait que les fraudeurs utilisaient une adresse
électronique non nominative ([Courriel 7]) qui a été inscrite sur la liste noire de l’Autorité des marchés publics le 25 avril 2022, soit antérieurement au dernier virement, rappelant qu’elle-même n’avait pas connaissance de ces éléments relatifs à l’opération sous-jacente. Elle ajoute que l’intitulé des deux livrets Boursorama, sans plus de précision sur leur nature, l’inexistence sur le site de Boursorama Banque du placement » Contrat de financement participatif énergie renouvelable » constituant le troisième placement, ainsi que le taux de rendement élevé promis étaient également de nature à alerter le demandeur qui doit en conséquence être jugé seul responsable de ses préjudices. A titre subsidiaire, elle fait valoir que le préjudice financier allégué doit s’analyser en une perte de chance de ne pas procéder aux paiements litigieux s’opposant à une réparation intégrale, voire à toute réparation, soutenant que la chance que M. [I], dans l’hypothèse où elle l’aurait alerté, ait renoncé à son investissement est nulle. Elle conclut également au débouté de la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral en l’absence de toute justification de la somme demandée.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.
L’ordonnance de clôture de l’instruction de l’affaire a été rendue le 29 novembre 2023, l’affaire a été fixée pour être plaidée à l’audience tenue en juge rapporteur du 10 janvier 2024 à laquelle elle a été évoquée et mise en délibéré au 20 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 – Sur la responsabilité de la BNP Paribas
S’il est tenu à une obligation générale de vigilance, il est de principe que l’établissement bancaire teneur de compte est également astreint à une obligation de non-ingérence qui lui interdit de s’immiscer dans les affaires de son client. Il ne saurait dès lors procéder à des investigations particulières pour déterminer notamment l’identité du bénéficiaire ou l’objet de l’opération, ni intervenir pour empêcher son client d’effectuer un acte inopportun ou dangereux pour ses intérêts. L’établissement bancaire n’a donc pas à se préoccuper de la destination des fonds ou de l’opportunité des opérations effectuées. Il engage d’ailleurs sa responsabilité s’il n’exécute pas les virements ordonnés par son client.
Il en va différemment s’il se trouve confronté, à l’occasion d’opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu’il doit détecter, conformément à son obligation de vigilance.
En l’espèce, loin de remettre en cause l’authenticité des ordres de virement, M. [I] entend seulement demander à la BNP Paribas réparation des préjudices qu’il a subis en raison du caractère frauduleux de ses investissements. Or, l’obligation de l’établissement bancaire consistait en l’occurrence à assurer la bonne exécution des ordres de virement reçus selon les IBAN fournis par M. [I] en application de l’article L.133-21 du code monétaire et financier indépendamment des autres mentions figurant sur les ordres, et il n’avait ni à en contrôler la finalité, ni à s’assurer de l’identité des destinataires ou de leur qualité en dehors des instructions reçues de son client eu égard à l’exécution desdits ordres, étant rappelé que M. [I] a passé personnellement les ordres de virement depuis son espace en ligne et n’allègue, et a fortiori, ne démontre pas avoir informé son établissement de la nature de l’opération sous-jacente ni de lui avoir communiqué des éléments sur celle-ci.
Il ne revenait dès lors pas à la BNP Paribas d’émettre à l’égard des opérations envisagées une quelconque critique ou mise en garde qui aurait dépassé le cadre de son devoir d’information en qualité de simple prestataire de services de paiement.
En revanche, il lui revenait, au titre des virements ordonnés par M. [I], de satisfaire aux obligations découlant de la convention existant entre un donneur d’ordre et la banque qui tient le compte à débiter. Dans ce cadre, la BNP Paribas devait procéder pour chaque opération aux vérifications concernant l’identité du donneur d’ordre et l’état du compte débité afin de s’assurer notamment qu’il permettait la couverture du virement demandé.
Au cas présent, il n’est pas contesté que les ordres de virement donnés à la BNP Paribas émanaient de M. [I], ont été portés au débit de son compte courant, dûment mentionné dans les ordres de virement, qui a été alimenté en vue de couvrir lesdites opérations et qui n’a jamais présenté de solde débiteur.
Il est également constant que M. [I] a fourni pour les virements les informations nécessaires aux opérations, à savoir pour chacune d’elle, le montant, l’identité et les coordonnées bancaires du bénéficiaire, le libellé des opérations » [I] [S] [Numéro identifiant 5] » n’étant pas non plus de nature à susciter une interrogation de la banque.
De même, la nature internationale des opérations à destination d’un État-membre de l’Union européenne est insuffisante pour justifier une alerte de la banque qui, en toute hypothèse, aurait porté sur une suspicion de fraude fiscale ou de blanchiment dont seules les autorités compétentes en la matière auraient dû être informées le cas échéant.
L’authenticité des ordres de virement étant avérée et la situation du compte débité permettant d’effectuer les opérations étant créditrice, la BNP Paribas n’était donc pas tenue d’interroger plus avant M. [I] sur ses demandes de transferts de fonds et sur leur finalité ou d’effectuer des investigations, et ce dans le respect du principe de non-ingérence, le demandeur étant par ailleurs libre d’investir seul son épargne comme bon lui semble.
La banque qui n’est pas intervenue en qualité de prestataire de services d’investissement n’était pas non plus tenue à une obligation d’information ou de mise en garde sur les risques d’un investissement qu’elle n’avait pas conseillé et dont il n’est pas démontré qu’elle avait connaissance.
Enfin, comme le relève la BNP Paribas, n’étant soumise à aucune obligation légale ou règlementaire de procéder à une demande de retour des fonds, sa responsabilité ne saurait être engagée en raison de l’absence de mise en œuvre de cette procédure ou de son échec.
Par conséquent, c’est d’une manière assumée que le demandeur a effectué les opérations qu’il conteste aujourd’hui. Il est dès lors mal fondé à rechercher la responsabilité de la banque, en sa simple qualité de teneur du compte depuis lequel les virements ont été effectués, alors qu’il était déterminé à effectuer ces opérations, du fait des rendements espérés, quelles que soient les mises en garde éventuelles que son banquier aurait pu alors lui adresser.
S’agissant des obligations spéciales de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier visées par le demandeur dans le dispositif de ses écritures, ces dernières ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et poursuivent un objectif d’intérêt général. Il se déduit de ces dispositions que la victime d’agissements frauduleux, qui par ailleurs peut rechercher la responsabilité d’un établissement bancaire sur le fondement de son obligation générale de vigilance comme il a été examiné précédemment, ne peut se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier qui, par ailleurs, n’a pas le droit d’informer son client des déclarations qu’il peut être amené à faire le concernant auprès des autorités compétentes qui seules peuvent s’opposer à l’exécution de l’opération suspecte.
En conséquence, les demandes formées à l’encontre de la BNP Paribas sont rejetées.
2 – Sur les demandes accessoires
2.1 – Sur les frais de procédure
M. [I] qui succombe supportera les dépens. Il est également condamné au paiement à la BNP Paribas d’une somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
2.2 – Sur l’exécution provisoire
La présente décision est revêtue de droit de l’exécution provisoire conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable en l’espèce, l’instance ayant été introduite postérieurement au 31 décembre 2019.
Cependant, la solution retenue par la présente décision nécessite d’écarter l’exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE M. [S] [I] de ses demandes ;
CONDAMNE M. [S] [I] aux dépens ;
CONDAMNE M. [S] [I] à payer à la SA BNP Paribas la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
ECARTE l’exécution provisoire de droit.
Fait et jugé à Paris le 20 Mars 2024.
LA GREFFIERELE PRÉSIDENT