REPUBLIQUE FRANÇAISE 25 juin 2024
Cour d’appel de Nîmes RG n° 22/00828 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS ARRÊT N° N° RG 22/00828 – N° Portalis DBVH-V-B7G-ILSF LR EB CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’AUBENAS 31 janvier 2022 RG :20/00101 [A] C/ SAS CHARCUTERIE BOUCHERIE [F] Grosse délivrée le 25 juin 2024 à : – Me – Me COUR D’APPEL DE NÎMES CHAMBRE CIVILE 5ème chambre sociale PH ARRÊT DU 25 JUIN 2024 Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AUBENAS en date du 31 Janvier 2022, N°20/00101 COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS : Madame Leila REMILI, Conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré. COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ : Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président Madame Leila REMILI, Conseillère M. Michel SORIANO, Conseiller GREFFIER : Mme Emmanuelle BERGERAS, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision. DÉBATS : A l’audience publique du 18 Janvier 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Avril 2024 prorogé à ce jour Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel. APPELANT : Monsieur [J] [A] né le 23 Juillet 1993 à [Localité 4] [Adresse 2] [Localité 1] Représenté par Me Guillaume GARCIA, avocat au barreau d’ALES INTIMÉE : SAS CHARCUTERIE BOUCHERIE [F] [Adresse 3] [Localité 1] Représentée par Me Serge ALMODOVAR de la SELARL CABINET ALMODOVAR, avocat au barreau de VALENCE Représentée par Me Georges POMIES RICHAUD, avocat au barreau de NIMES ORDONNANCE DE CLÔTURE rendue le 18 Décembre 2023 ARRÊT : Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président, le 25 juin 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour. FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS
Le 28 avril 2020, Mme [I] [G] et M. [J] [A], qui se séparaient, ont vendu des parts de la SARL charcuterie boucherie [A] à la salariée de cette dernière, Mme [F], laquelle est devenue l’associée majoritaire avec 101 parts sur 200, M. [A] conservant 99 parts. M. [J] [A] a été engagé par la SARL charcuterie boucherie [F], à compter du 1er mai 2020, suivant contrat à durée déterminée saisonnier, dont le terme a été fixé au 15 septembre 2020, pour exercer les fonctions de boucher, charcutier, traiteur, vendeur. M. [J] [A] a été « licencié pour fautes graves ». Par requête du 27 novembre 2020, M. [J] [A] a saisi le conseil de prud’hommes d’Aubenas aux fins de voir fixer sa rémunération brute à la somme de 2358,61 euros et voir condamner la SARL charcuterie boucherie [F] au paiement de diverses sommes à caractère salarial et indemnitaire. Par jugement du 31 janvier 2022, le conseil de prud’hommes d’Aubenas a : – fixé la rémunération de M. [J] [A] à 2358, 61 euros bruts, – jugé que le document du 18 juillet 2021 constitue une mise à pied conservatoire, – jugé la procédure de licenciement régulière, – jugé le licenciement pour faute grave en date du 6 août 2021 fondé, légitime et dépourvu de caractère vexatoire, – jugé les demandes de M. [J] [A] à soutenir l’épuisement du pouvoir disciplinaire à la suite de sa mise à pied le 18 juillet 2021 non recevables, – jugé qu’il n’est pas établi l’existence d’heures supplémentaires et congés payés afférents, – jugé conforme l’utilisation de la vidéo-surveillance, – jugé infondées les demandes de M. [J] [A] sur le défaut de visite d’information et de prévention devant les services de la médecine du travail, – débouté M. [J] [A] de l’ensemble de ses demandes, – condamné M. [J] [A] à verser à la SARL charcuterie boucherie [F] la somme de 1800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Par acte du 1er mars 2022, M. [J] [A] a régulièrement interjeté appel de cette décision. Aux termes de ses dernières conclusions du 31 mai 2022, M. [J] [A] demande à la cour de : – réformer le jugement rendu le 31 janvier 2022 par la section commerce du conseil de prud’hommes d’Aubenas en ce qu’il a : – jugé que le document du 18/7/2021 constitue une mise à pied conservatoire. – jugé la procédure de licenciement régulière. – jugé le licenciement pour faute grave en date du 06/08/2021 fondé, légitime et dépourvu de caractère vexatoire. – jugé les demandes de M. [A] à soutenir l’épuisement du pouvoir disciplinaire à la suite de la mise à pied le 18/07/2021 non recevables. – jugé qu’il n’est pas établi l’existence d’heures supplémentaires et congés payés afférents. – jugé conforme l’utilisation de la vidéosurveillance. – jugé infondées les demandes de M. [A] sur le défaut de visite d’information et de prévention devant les services de la médecine du travail. – débouté M. [A] de l’ensemble de ses demandes. – condamné M. [A] à verser à la SARL charcuterie boucherie [F] la somme de 1800 euros au titre de l’article 700 du CPC et aux entiers dépens. Statuant à nouveau, – condamner la SARL charcuterie boucherie [F] à verser à M. [J] [A] la somme de 4.603,09 euros nets à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat à durée déterminée dont le terme était fixé au 15 septembre 2020. – condamner la SARL charcuterie boucherie [F] à verser à M. [J] [A] la somme de 2.358,61 euros nets (1 mois) à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de la rupture. – condamner la SARL charcuterie boucherie [F] à verser à M. [J] [A] la somme de 2.358,61 euros nets (1 mois) à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire. – condamner la SARL charcuterie boucherie [F] à verser à M. [J] [A] la somme de 2.358,61 euros nets à titre de dommages et intérêts pour utilisation d’un système de vidéo-surveillance illicite. – condamner la SARL charcuterie boucherie [F] à verser à M. [J] [A] : – 388,77 euros bruts outre 38,87 euros bruts au titre des congés payés y afférents à titre de rappel sur heures supplémentaires sur le mois de mai 2020, – 831,97 euros bruts outre 83,19 euros bruts au titre des congés payés y afférents à titre de rappel sur heures supplémentaires pour le mois de juin 2020, – 194,38 euros bruts outre 19,43 euros bruts au titre des congés payés y afférents à titre de rappel sur heures supplémentaires pour le mois de juillet 2020. – condamner la SARL charcuterie boucherie [F] à verser à M. [J] [A] une indemnité à hauteur de 14.151,66 euros nets (6 x 2.358,61 euros) sur le fondement de l’article L 8223-1 du code du travail. – condamner la SARL charcuterie boucherie [F] à verser à M. [J] [A] une indemnité à hauteur de 2.358,61 euros nets à titre de dommages et intérêts pour défaut de visite d’information et de prévention devant les services de la médecine du travail. – ordonner à la SARL charcuterie boucherie [F] d’adresser à M. [J] [A] les documents sociaux (attestation Pôle emploi, certificat de travail, solde de tout compte) et des bulletins de paie conformes à la décision à intervenir, et ce, sous astreinte de 100,00 euros par jour de retard à compter d’un délai de 8 jours suivant le prononcé du dit jugement à intervenir. – dire que le conseil de prud’hommes d’Aubenas se réservera la possibilité de liquider l’astreinte. – condamner la SARL charcuterie boucherie [F] aux entiers dépens d’instance et à verser en cause d’appel une indemnité à M. [J] [A] à hauteur de 3.600,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. – prononcer l’anatocisme. M. [J] [A] soutient en substance que : -bien qu’il soit associé, la relation s’est exécutée sous un lien de subordination avec Mme [F] -le samedi 18 juillet 2020, à 7 heures du matin, à sa prise de poste et celle de sa mère, Mme [R] qui travaillait également dans l’entreprise, Mme [F], la nouvelle gérante, les attendait, en ayant pris soin d’être accompagnée de deux amis proches dont elle se sert comme témoins et prétextant avoir déposé plainte, elle a tenté d’obtenir, sous la menace, leur démission, soutenant avoir fait constater par huissier de justice le système de vidéosurveillance dans lequel il apparaissait soi-disant que lui même et sa mère quittaient le magasin en emportant des denrées (ce qui était faux, puisqu’ils prenaient soin de noter sur le cahier des consommations du personnel les denrées qu’ils consommaient) -il s’agissait d’événements remontant à plus d’un mois (du 4 au 19 juin 2020) -impressionnée et intimidée, Mme [R] a craqué en signant la lettre de démission exigée par le nouvel employeur mais lui-même refusait de s’exécuter -Mme [F] lui a alors notifié verbalement la rupture de son contrat de travail et lui a demandé de quitter les lieux -il a alors exigé un document écrit confirmant qu’elle lui avait notifié verbalement un licenciement pour « fautes graves » -trois jours plus tard, elle a tenté de régulariser la procédure en adressant une lettre recommandée de convocation à un entretien préalable puis, le 6 août 2020, la société lui a notifié un nouveau licenciement pour faute grave lui reprochant outre des vols de marchandises, un non-respect des horaires -l’employeur a ainsi mis en place un stratagème le 18 juillet 2020, quasiment un mois après la connaissance des prétendus faits fautifs, le contrat de travail s’étant poursuivi normalement pendant de nombreuses semaines -ce délai laissé ne permet plus à l’employeur de retenir une faute grave tout au plus une cause réelle et sérieuse de licenciement -or, s’agissant d’un contrat à durée déterminée, la rupture avant le terme ne peut intervenir que pour faute grave -même à supposer que le courrier du 18 juillet 2020 constitue, comme prétendu, une simple mise à pied à titre conservatoire, rien ne justifie le délai intervenu, de sorte qu’elle est transformée en une sanction définitive, ne permettant plus à l’employeur de le sanctionner -concernant les heures supplémentaires, la gérante lui a demandé de manière explicite notamment d’effectuer une semaine de 48 heures mais aucune heure supplémentaire n’a été réglée et il y a dissimulation d’activité salariée -s’agissant du système de vidéosurveillance, à défaut de déclaration à la CNIL et d’information par écrit du salarié qu’il pouvait être utilisé à des fins disciplinaires, l’employeur ne peut utiliser dans la présente instance aucun élément probatoire tiré de ce système; il a droit également à l’indemnisation du préjudice subi -enfin, il n’a pas passé sa visite d’information et de prévention devant les services de la médecine du travail. En l’état de ses dernières écritures du 25 août 2022, la SAS charcuterie boucherie [F] a demandé à la cour de : – déclarer l’appel de M. [J] [A] infondé le rejeter. – confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Aubenas en date du 31 janvier 2022 en toutes ses dispositions et statuant à nouveau en cause d’appel, – juger que le document daté du 18/07/2020 constitue une mise à pied conservatoire. – juger que le licenciement de M. [J] [A] résulte de la notification de la lettre recommandée avec accusé de réception en date du 06/08/2020. – juger en conséquence la procédure de licenciement parfaitement régulière. – en conséquence de quoi, débouter M. [J] [A] de l’intégralité de ses réclamations en lien avec la contestation de son licenciement. – juger qu’il n’est pas justifié d’une exploitation illicite du système de vidéo-surveillance installée par M. [J] [A] lui-même alors qu’il était gérant de la société. – débouter M. [J] [A] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre. – juger qu’il n’est pas établi des heures supplémentaires pour le mois de mai 2020. – juger qu’il n’est pas plus établi l’existence d’heures supplémentaires pour le mois de juin 2020 – juger que les heures supplémentaires ont été réalisées par M. [J] [A] à sa seule initiative à l’insu de l’employeur, – juger en conséquence n’y avoir lieu à rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents. – débouter M. [J] [A] de ses demandes de rappels de salaire. – débouter M. [J] [A] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé. – débouter de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de visite d’information et de prévention pour les services de la médecine du travail. – le débouter de sa demande de remise de documents sociaux. – débouter M. [J] [A] de sa demande au titre des frais irrépétibles. – le condamner à verser à la SARL charcuterie boucherie [F] la somme de 4000 euros outre les entiers dépens. La société fait valoir que : -Mme [F] était anciennement salariée de M. [A], de sorte que le passage de ce statut, sous l’autorité de M. [A], à celui d’employeur de son ancien employeur a été un exercice mal aisé; dans les faits celui-ci se comportait toujours comme le gérant de l’entreprise, preuve en sont ses agissements consistant à se servir dans la marchandise au mois de juin 2020 -le document daté du 18 juillet 2020 a été établi dans un contexte tout particulier de stupeur liée à la découverte des malversations qui venaient clore une relation déjà très tendue et Mme [F] a été mal inspirée en indiquant qu’elle décidait de licencier M. [A] pour faute grave alors qu’elle voulait simplement exprimer une mise à pied conservatoire -le licenciement a été mis en oeuvre par la convocation à l’entretien préalable du 21/07/2020, l’entretien qui s’en est suivi et la lettre de licenciement du 06 août suivant qui fixe le litige -cette lettre argumente les raisons de la rupture du contrat de travail et il est fait référence à la mise à pied conservatoire du 18/07/2020 mal rédigée par l’employeur, non rompu à la vie des affaires et au droit du travail -le licenciement de M. [A] a bien été opéré par la lettre du 06/08/2020 et ainsi, la procédure est régulière et l’employeur n’a pas épuisé son pouvoir disciplinaire au moment de la mise à pied du 18/07/2020 -le fondement du licenciement est incontestablement lié aux vols de marchandises qui ont été rapportés par l’exploitation du système de vidéosurveillance. -ce système de vidéosurveillance permet de retenir que pour la période comprise entre les 04/06 et 14/06/2020 M. [A] et sa mère Mme [R] que celui-ci avait embauchée à son insu pendant les pourparlers de rachat des parts sociales, ont délibérément volé de la marchandise -il est également fondé sur le non-respect des horaires et la déclaration de nombreuses heures supplémentaires, notamment pendant les quelques jours de congés pris par Mme [F] et son époux en juin 2020 -concernant l’utilisation du système de vidéosurveillance, conforme aux intérêts de l’entreprise, il a été installé par M. [A] lorsqu’il était gérant de la société et son exploitation est faite lorsque la boucherie est fermée, la finalité n’étant pas de surveiller les salariés mais de surveiller les locaux lors des périodes pendant lesquelles ils sont censés être non occupés par les salariés -il n’y a pas eu d’heures supplémentaires et en tout état de cause, elles ont été effectuées à l’insu de l’employeur -la demande de dommages et intérêts au titre du défaut de visite d’information et de prévention n’est justifiée ni dans son fondement juridique, ni dans son quantum, étant rappelé le contexte particulier de l’affaire et le fait que M. [A] était toujours associé lors de son embauche. Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures. MOTIFS
Sur la rupture abusive du contrat à durée déterminée Aux termes de l’article L. 1243-1 du code du travail : « Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l’échéance du terme qu’en cas de faute grave, de force majeure ou d’inaptitude constatée par le médecin du travail. » Lorsqu’elle est prononcée pour faute grave, la rupture est soumise aux prescriptions des articles L. 1332-1 à L. 1332-3 du code du travail, le premier de ces articles disposant que « aucune sanction ne peut être prise à l’encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui ». La rupture du contrat à durée déterminée doit être écrite et motivée. La gravité du comportement du salarié autorise une mise à l’écart immédiate, l’employeur pouvant utiliser la mise à pied à titre conservatoire dans l’attente du déroulement de la procédure, conformément aux dispositions de l’article L. 1332-3. En revanche, la faute déjà sanctionnée par une mise à pied disciplinaire ne peut justifier l’exécution d’une mise à pied conservatoire (Cass. Soc. 18 févr. 2004, n° 02-41.622). En l’espèce, la cour constate qu’est produit aux débats un document rédigé le 18 juillet 2020 en ces termes : « Je soussigné Mme [F] [I] atteste sur l’honneur, de la mise à pied de Mr [A] [J], employé dans la Société depuis le 01/05/20. Suite à un licenciement pour fautes graves, un constat de huissier à l’appui, une main courante et une plainte ont été déposés par moi même gérante. Suite à notre entretien (avec témoin [C] [L]) je décide de licencier Mr [A] [J] pour « licenciement pour fautes grave ». A 8h15, je lui demande de quitter les lieux. M. [A] [J] a récupérer son matériel personnel ». S’il ne peut être considéré, en l’état de cet écrit, qu’il y a eu « licenciement verbal » ou plutôt rupture verbale, en revanche, ce document, irrégulier en ce qu’il ne contient pas l’énoncé précis des motifs de la rupture, constitue une sanction définitive et l’irrégularité constatée ne saurait être couverte par l’envoi, le 21 juillet 2020, d’un courrier convoquant le salarié à un entretien préalable le 31 juillet 2020 et mentionnant que la mise pied notifiée le 18 juillet 2020 n’est que conservatoire puis par l’envoi, le 6 août 2020, d’une lettre de « licenciement » détaillant pour la première fois les motifs de la rupture. Le contexte évoqué par l’intimée, notamment le passage récent de Mme [F] du statut de salariée à celui de gérante de la société employeur ne saurait dispenser du respect du droit du travail, étant relevé que Mme [F] a su tout de même, après des démarches auprès de l’entreprise pour être autorisée à accéder au système de vidéosurveillance, prévoir le samedi 18 juillet 2020 la présence d’un huissier et de deux témoins extérieurs à l’entreprise. Ainsi, la rupture anticipée du contrat de travail, intervenue le 18 juillet 2020, est abusive. Le jugement déféré doit en conséquence être infirmé. Sur les conséquences de la rupture abusive M. [J] [A] a droit, en application de l’article L. 1243-4 du code du travail, à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat à durée déterminée, le 15 septembre 2020, soit la somme de 4603,09 euros (cette somme étant calculée sur une base du brut sans que la cour n’ait à préciser qu’il s’agit d’une somme en net puisque ce sont des dommages et intérêts). L’appelant sollicite également un mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de rupture sans indiquer sur quel texte il fonde sa demande. En tout état de cause, si le non-respect de la procédure disciplinaire peut justifier l’octroi d’une indemnisation, il n’est démontré l’existence d’aucun préjudice. Enfin, M. [J] [A] ne démontre pas plus une « volonté vexatoire et d’humiliation » de la part de Mme [F], de sorte que sa demande de dommages et intérêts à ce titre ne peut pas plus prospérer. Sur les heures supplémentaires Il sera rappelé au préalable que, conformément aux articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail, l’employeur a l’obligation d’assurer le contrôle des heures de travail accomplies. Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. » En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant. Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord au moins implicite de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées. M. [J] [A] fait valoir que : -il a droit au paiement des heures supplémentaires pour les mois de mai, juin et juillet 2020, sachant qu’il y a eu une très grosse difficulté concernant le paiement des heures supplémentaires sur la première quinzaine du mois de juin 2020, les horaires de travail étant différents car la gérante et son conjoint étaient partis en congés avant la saison estivale -le relevé des heures effectuées a été transmis à l’employeur -la gérante lui a demandé explicitement d’effectuer 48 heures par semaine en juin 2020 (du mardi au dimanche, soit 6 jours pour des horaires de 5 heures à 13 heures, à savoir 8 heures par jour) -or, aucune heure supplémentaire n’apparaît sur les bulletins de paie -par ailleurs, il a réalisé 5 heures le dimanche matin (7h30-12h30), notamment les 10, 17, 24 et 31 mai 2020, 21 et 28 juin, 5 et 12 juillet (300 euros ayant été réglés en espèces pour le mois de mai 2020, le reste n’ayant pas été payé) M. [J] [A] produit : -un relevé des heures effectuées les deux premières semaines de juin 2020 -le constat d’huissier produit par la partie adverse contenant, en ses annexes, une copie d’un relevé des heures du mois de juin 2020 ainsi qu’en son corps l’indication de la gérante selon laquelle les parties s’étaient mises d’accord sur les horaires suivants : de 5 h à 13h00 du mardi au dimanche -les bulletins de paie -un document établi de la main de Mme [F] portant l’indication « à partir du 7 mai » précédée des horaires du mardi au samedi 7h12h-15h17h et pour le dimanche l’indication « black » (pièce 18) -des horaires du magasin diffusés sur Internet (8h-12h30, 15h-19h du mardi au samedi, le dimanche 8h-12h ou 12h30) Ces éléments sont suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies pour permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. La SAS Charcuterie boucherie [F] réplique que : -auparavant, Mme [F] était salariée de M. [J] [A] et, suite à la cession des parts sociales notamment de l’épouse de M. [A], elle s’est retrouvée propriétaire de 51 % du capital social de la charcuterie alors que M. [J] [A], associé à 49 %, a continué à se comporter comme un gérant -au moment de la négociation et avant la signature du contrat de travail, un document avait été établi pour déterminer les modalités du contrat de travail de M. [A], ce document n’ayant jamais constitué la loi des parties et n’ayant jamais été appliqué ; ainsi la mention « BLACK » a été habilement intégrée dans le planning que M. [A] a fait rédiger par Mme [F] (au moment où celle-ci était encore dans les pourparlers contractuels) et utilisée pour les besoins de la cause dans la présente procédure mais M. [A] n’a jamais travaillé le dimanche et il ne justifie d’ailleurs pas de la réalité de ce travail ; en réalité, il a rapidement pris conscience des risques que pouvait entraîner une telle situation, de sorte qu’il n’y a pas eu de dimanche travaillé au mois de mai 2020, ni versement d’espèces -pour le mois de juin, la situation est différente : dans la lettre de licenciement du 06/08/2020 l’employeur fait grief au salarié de revendiquer le paiement des heures supplémentaires via une fiche de temps alors que les fermetures du commerce démontraient le contraire; il s’en déduit que les heures supplémentaires n’ont, non seulement pas été réalisées et qu’à supposer qu’elles le fussent, elles n’auraient été faites qu’à l’insu de l’employeur pendant la période de ses congés (du 02 au 15 juin 2020) -il n’est établi ni l’existence d’heures supplémentaires, ni que l’employeur en a été informé La SAS Charcuterie boucherie [F] verse aux débats des attestations de Mme [E] [K], M. [O] [S], Mme [Y] [H], qui déclarent, les deux premiers en tant que clients habituels du dimanche et la troisième en tant que cliente occasionnelle, n’avoir jamais été servis ce jour-là par M. [J] [A] dans la boucherie de Mme [F]. La cour constate, pour sa part, que l’employeur n’indique à aucun moment dans ses conclusions quelles étaient les heures de travail de son salarié, lequel devait effectuer 35 heures par semaine. Le contrat de travail mentionne que « l’horaire de travail est l’horaire collectif affiché dans les locaux en vigueur dans l’entreprise ». Force est de constater que cet « horaire collectif affiché » n’est pas produit. Par ailleurs, l’employeur n’explique pas comment son salarié pouvait, en juin 2020, ne pas faire d’heures supplémentaires autorisées, alors que Mme [F] indiquait elle-même à l’huissier chargé de dresser procès-verbal « avant de partir, nous nous étions mis d’accord, sur proposition de M. [A], que la boucherie resterait ouverte et que les horaires de travail seraient de 5h à 13h00 du mardi au dimanche », soit donc un horaire de 48 heures par semaine du 2 au 15 juin 2020. De plus, il ne peut être sérieusement prétendu que M. [J] [A] n’a jamais travaillé le dimanche, en tous cas durant cette période-là. En revanche, il ne ressort pas du « relevé d’heures effectuées » produit par M. [J] [A] en pièce 15 ou annexé au constat d’huissier que le salarié aurait travaillé les dimanches 21 et 28 juin 2020. La feuille manuscrite d’horaires produite en pièce n°18 ne permet pas non plus de confirmer que le salarié a travaillé les dimanches en mai alors que les horaires du magasin qu’il produit ne mentionnent une ouverture le dimanche qu’à partir du mois de juin. Il convient donc de faire droit à la demande de paiement des heures supplémentaires mais à hauteur de : 26 heures au taux horaire de 15,55009 plus 25 % et 14 heures au taux horaire de 15,5509 euros plus 50 % pour les mois de juin et juillet 2020 soit un total de 831,97 euros brut. Sur le travail dissimulé Aux termes de l’article L. 8221-5 du code du travail : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ; 2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ; 3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales. » En application de l’article L.8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire. La caractérisation de l’infraction de travail dissimulé est subordonnée à la démonstration, d’une part, d’un élément matériel constitué par le défaut d’accomplissement d’une formalité et d’autre part, d’un élément intentionnel constitué par la volonté de se soustraire à cette formalité. Il appartient au salarié de rapporter la preuve des éléments constitutifs de l’infraction de travail dissimulé. En l’espèce, il est établi que les heures de plusieurs dimanches en juin et juillet 2020 n’ont pas été payées et que la gérante de la société employeur a noté sur un document, en même temps que les horaires de la semaine à compter du 7 mai 2020, le mot « black » pour le dimanche, de sorte que l’employeur entendait s’affranchir de la déclaration des heures qui seraient effectuées le dimanche. Mme [F] a également indiqué à l’huissier de justice que le salarié devait effectuer un horaire de 48 heures par semaine entre le 2 et 15 juin 2020, faisant ainsi sciemment travailler le salarié au-delà de la durée légale du travail sans le rémunérer de l’intégralité de ses heures et en mentionnant sur le bulletin de paie un nombre d’heures inférieur à celui réellement accompli. La preuve du travail dissimulé est apportée, sans que l’employeur ne puisse invoquer l’éventuelle mauvaise foi de M. [A]. Il convient donc de faire droit à la demande de paiement de la somme de 14 151,66 euros (2358,61 euros X 6). Sur le défaut de visite d’information et de prévention devant les services de la médecine du travail Le conseil de prud’hommes a justement relevé, au visa de l’article L. 4624-1 du code du travail, que M. [J] [A] avait travaillé moins de trois mois à compter de sa prise effective de poste et qu’il ne justifiait pas de son préjudice. Le jugement mérite donc confirmation en ce qu’il a débouté M. [J] [A] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre. Sur l’utilisation d’un système de vidéosurveillance illicite Aux termes de l’article L.1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Aux termes de l’article L.1222-4 du même code, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. La SAS Charcuterie boucherie [F] justifie que c’est M. [J] [A], lui-même, lorsqu’il était gérant de la société qui a installé la vidéosurveillance, de sorte qu’outre le fait qu’il était parfaitement informé de son existence, il ne peut sincèrement se prévaloir de l’irrégularité de l’exploitation d’un système qu’il a lui-même mis en place Par ailleurs, il ressort bien du constat d’huissier que l’exploitation de la vidéosurveillance se fait essentiellement lorsque la boucherie est fermée, de sorte que la finalité n’est pas de surveiller les salariés mais de surveiller les locaux. Il n’y a donc en l’espèce, ni faute de l’employeur, ni préjudice indemnisable. Le conseil de prud’hommes a justement considéré qu’aucune utilisation illicite n’avait eu lieu et a rejeté la demande de dommages et intérêts. Sur les demandes accessoires et les dépens Il y a lieu d’ordonner la remise des documents sociaux dans les termes du dispositif du présent arrêt. Le prononcé d’une astreinte n’est pas nécessaire. Les dépens de première instance et d’appel seront mis à la charge de la SAS Charcuterie boucherie [F] mais il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile. PAR CES MOTIFS
LA COUR, Par arrêt contradictoire, rendu publiquement en dernier ressort -Confirme le jugement rendu le 31 janvier 2022 par le conseil de prud’hommes d’Aubenas en ce qu’il a : – fixé la rémunération de M. [J] [A] à 2358,61 euros bruts, -débouté M. [J] [A] de ses demandes de dommages et intérêts pour procédure irrégulière et vexatoire, pour utilisation illicite de la vidéosurveillance, ainsi que pour défaut de visite d’information et de prévention, -L’infirme pour le surplus et statuant à nouveau des chefs infirmés, -Condamne la SAS Charcuterie boucherie [F] à payer à M. [J] [A] : -4603,09 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat à durée déterminée -831,97 euros brut au titre des heures supplémentaires, outre 83,19 euros brut au titre des congés payés afférents -14 151,66 euros au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé -Ordonne la délivrance par la SAS Charcuterie boucherie [F] à M. [J] [A] de l’attestation France Travail, du certificat de travail, du solde de tout compte et de bulletins de paie conformes à la présente décision, dans les deux mois de la notification du présent arrêt -Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les sommes à caractère salarial à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation, et à défaut de demande initiale, à compter de la date à laquelle ces sommes ont été réclamées, que s’agissant des créances salariales à venir au moment de la demande, les intérêts moratoires courent à compter de chaque échéance devenue exigible, et qu’ils courent sur les sommes à caractère indemnitaire, à compter du jugement déféré sur le montant de la somme allouée par les premiers juges et à compter du présent arrêt pour le surplus, -Ordonne la capitalisation des intérêts, laquelle prend effet à la date à laquelle les intérêts sont dus pour la première fois pour une année entière, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil, -Rejette le surplus des demandes, -Dit n’y avoir lieu à appliquer l’article 700 du code de procédure civile, -Condamne la SAS Charcuterie boucherie [F] aux dépens de première instance et d’appel. Arrêt signé par le président et par le greffier. LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT, |
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Le plus ancien