Faute grave du consultant en protection des données

Notez ce point juridique

Le consultant en protection des données qui ne respecte par lui-même le droit des données personnelles dans son activité quotidienne s’expose à un licenciement pour faute grave.

L’envoi d’un email groupé par le consultant sans masquage des adresses emails des destinataires constitue une faute. Cet envoi est une opération portant sur des données à caractère personnel. Elle caractérise au sens de l’article 2 de la loi informatique et libertés un traitement de données à caractère personnel et par nature confidentiel En l’espèce, cette obligation générale de confidentialité constituait  l’une des obligations principales de l’employeur (la société DPO).

Pour rappel, la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;à défaut de faute grave, le licenciement pour motif disciplinaire doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables présentant un caractère fautif réel et sérieux, la motivation de la lettre de licenciement fixe les limites du litige

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRÊT DU 18 Mai 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 19/01204 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7EV3

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 décembre 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS RG n° 17/07314

APPELANT

Monsieur [X] [M]

[Adresse 2]

[Localité 4]

né le 21 mars 1981 à [Localité 6]

représenté par Me Ingrid GIUILY, avocat au barreau de PARIS, toque : D1077

INTIMEE

SAS DPO CONSULTING

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 817 754 138

représentée par Me Alexis OSSIPOFF, avocat au barreau de PARIS, toque : P0312

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, Magistrat Honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Fabienne ROUGE, Présidente de chambre

Madame Roselyne NEMOZ BENILAN, Magistrat Honoraire,

Madame Anne MENARD, Présidente de chambre

Greffier : Mme Juliette JARRY, lors des débats

ARRET :

— Contradictoire

— par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par Madame Fabienne ROUGE, présidente de chambre et par Juliette JARRY, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur [X] [M] a été embauché par la SAS DPO CONSULTING à compter du 1er février 2017, selon un contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de consultant en protection des données personnelles, coefficient 100, position 1.1 de la convention collective nationale des Bureaux d’études techniques, cabinets d’ingénieurs-conseils, société de conseils. Monsieur [M] percevait une rémunération mensuelle brute de 3.500 euros.

La SAS DPO CONSULTING a notifié à Monsieur [M] son licenciement pour faute grave selon un courrier recommandé en date du 8 juin 2017 énonçant les motifs suivants :

« (‘) Comme suite à l’entretien que nous avons eu le 29 mai 2017 en application de l’article 1232-2 du Code du Travail, nous vous notifions par la présente votre licenciement sans préavis, ni indemnité, pour faute grave et ceci pour les motifs exposés lors de cet entretien, à savoir :

Le 19 janvier 2017, au cours d’un groupe de travail organisé par le Cabinet FIDAL, auquel vous représentiez DPO CONSULTING, nous avons eu à regretter de votre part le fait d’avoir tenu des propos sexistes et misogynes à l’encontre d’une collaboratrice du Cabinet FIDAL et d’avoir par la suite envoyé des messages à caractère diffamatoires sur LinkedIn au Directeur Général de FIDAL en ces termes : « J’aimerais vous inviter à vous acheter un cerveau, la prochaine fois qu’on se rencontrera en réunion. Poutous », cela sans autorisation, ni information de votre responsable, portant ainsi atteinte à l’image de DPO CONSULTING, auprès de ce potentiel partenaire.

Des observations verbales vous ont été adressées à cet effet lors d’un entretien qui s’est tenu le 27 janvier 2017 avec votre responsable et au cours duquel vous avez pris un engagement verbal de ne plus commettre des actes portant atteinte à l’image de DPO CONSULTING.

En date du 11 mai 2017, alors que vous étiez en charge de l’organisation du colloque inédit organisé par la Société et devant se tenir le 30 mai 2017, soit deux semaines plus tard, vous avez envoyé un email groupé de confirmation de participation au colloque aux différents inscrits en mettant en copie tous les participants retenus, communiquant ainsi à l’ensemble des participants les coordonnées des autres sans leur autorisation préalable, cela en méconnaissance totale des recommandations de votre collègue de ne pas procéder à un tel envoi d’un groupé avec en copie tous les participants.

Par cet acte, vous avez une fois de plus porté atteinte à l’image de DPO CONSULTING auprès de tous ces participants qui représentent des potentiels partenaires et prospects en bafouant en toute connaissance de cause l’éthique de notre Société dont la spécialité est la protection des données personnelles.

Par ailleurs, concernant l’organisation de ce colloque, en mai 2017, alors que vous étiez en charge de la réservation de la salle et du traiteur, suite à une négligence volontaire de votre part concernant la lecture du contrat de prestation, vous avez, sans autorisation, ni consultation de votre responsable conduit la Société à s’engager auprès d’un prestataire de traiteur proposant une vente liée obligeant la Société à payer le double du budget initialement prévu, représentant un important manque à gagner pour une start-up, telle que DPO CONSULTING.

Plus encore, il vous a été confié une tâche de rédaction d’un support de formation pratique en protection des données personnelles à destination des entreprises dès votre arrivée dans la Société. Alors même que les autres missions qui vous avaient été confiées ne présentaient pas une charge de travail importante, ce n’est que le 15 mai 2017 que vous avez transmis une première version de ce support sur une demande expresse de votre responsable. Ce support de 160 pages en format Word s’est avéré inexploitable, inadapté et ne correspondant en aucun cas aux recommandations répétées de votre responsable, malgré les diverses orientations qui vous ont été données et que vous vous êtes volontairement abstenu ou avez délibérément refusé de prendre en compte.

Enfin, durant les mois d’avril et de mai 2017, vous ne vous êtes pas présenté à plusieurs reprises à votre lieu de travail sans présenter de justificatifs et sans préciser que vous faisiez du télétravail comme autorisé dans votre contrat de travail. Dans le cadre de nos enquêtes, nous avons constaté que vous donniez des cours à titre personnel dans différentes universités durant ces heures de travail, conduisant ainsi la Société à vous rémunérer sans contrepartie de travail effectué. Un tel comportement étant également constitutif de faute grave vis-à-vis de la Société DPO CONSULTING  »’

Monsieur [M] a contesté son licenciement et saisi le Conseil de prud’hommes de Paris le 8 septembre 2017.

Par jugement du 13 décembre 2018 le Conseil de prud’hommes de Paris a condamné la SAS DPO CONSULTING à verser à Monsieur [X] [M] les sommes suivantes :

-3.675 euros au titre de l’indemnité de non concurrence avec intérêts au légal

-500 euros au titre des dommages et intérêts pour non versement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.avec intérêts au taux légal

— Ordonne la remise du bulletin de paie et de l’attestation Pôle emploi rectificatifs ;

-700 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

débouté monsieur [M] du surplus de ses demandes ,

débouté la SAS DPO CONSULTING de sa de demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et la condamne au paiement des entiers dépens.

Monsieur [M] a interjeté appel de ce jugement le 14 janvier 2019.

Par conclusions récapitulatives déposées par RPVA ,le 7 juin 2019 auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [M] demande à la cour d’nfirmer partiellement le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 13 décembre 2018, de dire

que le licenciement de Monsieur [X] [M] est abusif, et condamner la société DPO CONSULTING au paiement des sommes suivantes avec intérêts au taux légal :

10.500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

10.500 € bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

1500 € bruts à titre de congés payés y afférents,

2.823 € bruts à titre de mise à pied conservatoire ,

500 euros à titre de dommages et intérêts du fait de l’absence de visite médicale d’information et de prévention

2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive des documents de fin de contrat,

3.000 € au titre de l’article 700 du CPC,

de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société DPO CONSULTING à verser à Monsieur [X] [M] les sommes de 3675 euros au titre de l’indemnité de non-concurrence et 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non versement de la contre-partie financière de la clause de non concurrence, et de condamner la société DPO CONSULTING aux entiers dépens.

Par conclusions récapitulatives déposées par RPVA, le 25 avril 2019 auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la SAS DPO CONSULTING demande à la cour de prendre acte de l’appel incident formé par la Société DPO CONSULTING à l’encontre du jugement , de confirmer le jugement en ce que ce dernier a jugé le licenciement de Monsieur [M] comme parfaitement justifié, a débouté monsieur [M] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale,

de sa demande de dommages et intérêts pour transmission tardive des documents de fin de contrat, de l’infirmer en ce qu’il a condamné la Société DPO CONSULTING à régler à monsieur [M] les sommes suivantes :

—  3.675 € à titre de contrepartie financière de clause de non-concurrence,

-500 € à titre de dommages et intérêts pour non versement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence,

—  700 € au titre de l’article 700 du du code de procédure civile et de condamner monsieur [M] à régler à la Société DPO CONSULTING la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du CPC.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

Sur le licenciement

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;à défaut de faute grave, le licenciement pour motif disciplinaire doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables présentant un caractère fautif réel et sérieux, la motivation de la lettre de licenciement fixe les limites du litige

La société DPO CONSULTING reproche à monsieur [M] des propos à caractère diffamatoire, le non respect de données personnelles alors qu’il est embauché en qualité de de consultant en protection des données personnelles, de ne pas avoir respecté le budget qui lui avait été alloué pour les frais de traiteur lors d’un colloque, de ne pas avoir respecté les recommandations de sa supérieure en préparant le support de ce colloque en délivrant un document inexploitable et inadapté et en n’étant pas présent sur son lieu de travail sans préciser s’il faisait du télétravail ou et en donnant des cours à titre personnel .

Les propos tenus par monsieur [M] ne peuvent justifier le licenciement ceux-ci ayant été tenus avant même l’embauche du salarié, alors qu’il effectuait une mission pour le compte de la société DPO CONSULTING. Il sera observé que celle-ci l’a néanmoins recruté postérieurement à ces faits .

Monsieur [M] a été embauché en qualité de de consultant en protection des données personnelles . Il a envoyé la confirmation des inscriptions à un colloque en mettant en copie tous les participants en date du 11 mai 2017 par l’envoi d’un mail groupé . Cette confirmation a été faite à des adresses professionnelles mais également sur des adresses personnelles (gmail) de certains participants, sans bien évidemment avoir recueilli leur accord pour la diffusion de cette information

La présidente madame [T] s’est montrée mécontente de l’absence de confirmation des participations et a demandé au salarié de le faire rapidement , celui-ci ayant tardé à envoyé cette confirmation

Celui-ci qui a objectivement tardé à envoyer ces confirmations ne peut arguer de la pression mise par son employeur pour envoyer cette confirmation via un mail groupé . L’existence de ce mail groupé va à l’encontre de l’objet de la société et du savoir faire qu’elle entend promouvoir . C’est une opération portant sur des données à caractère personnel . Elle caractérise au sens de l’article 2 de la loi informatique et libertés un traitement de données à caractère personnel et par nature confidentiel Cette obligation générale de confidentialité constitue l’une des obligations principales de la société DPO.. Il a ainsi commis une faute.

Il est reproché au salarié de ne pas avoir respecté le budget de 2000€ pour le traiteur , information qui lui avait été donné par un mail de la présidente de la société . Il indiquait dans un mail de réponse avoir oublié de bonne foi le montant’ max’ du budget qui lui avait été donné . Il résulte de la facture versée aux débats que le coût du traiteur s’est élevé à 4461€ soit effectivement plus du double du budget .

Il est également démontré que le support de formation que monsieur [M] a adressé à la présidente qui le lui réclamait ne correspondait pas à de la formation professionnelle mais plutôt à des cours théoriques, là encore il n’a pas répondu aux attentes de l’entreprise.

Enfin il lui est reproché de ne pas avoir été présent dans les locaux de l’entreprise sans prévenir qu’il faisait du télétravail , de donner des cours et de les préparer sur son temps de travail .

Le contrat de travail prévoit que monsieur [M] peut travailler à son domicile dans la limite de 4 jours par semaine et qu’il est prévu que celui-ci donnera des cours à [7], à l’université [8] à [5] et à la SCI Formation .

Il résulte cependant des échanges de mail entre le salarié et madame [T] son employeur que celui-ci n’a pas contesté préparer ses supports de cours pendant son temps de travail puisqu’il répond ‘supports qui serviront à faire le module flux transfrontières de DPO’ . L’employeur fait également valoir que ces supports destinés à l’enseignement général sont trop théoriques pour être réutilisés par la société . Cet échange de mail indique ‘ tu es à mi temps chez DPO en ce moment ‘ le salarié se contentant de répondre que cela figure sur le contrat de travail . Il convient de constater que le salarié n’a contesté ni l’ampleur de son travail d’enseignant effectué sur son temps de travail ni la difficulté pour l’entreprise de se réapproprier ce travail .

Il convient de constater que l’ensemble des griefs excepté le premier sont établis et que le nombre de ces fautes constituent une faute grave , le jugement du conseil de prud’hommes étant confirmé sur ce point . Dès lors la mise à pied conservatoire sera confirmée et monsieur [M] sera débouté de ses demandes indemnitaires liées au licenciement .

Sur l’absence de visite médicale d’information et de prévention

Il est prévu par l’article R 4624-10 une visite médicale d’information et de prévention qui n’a pas été organisée par l’entreprise .

Cependant monsieur [M] ne démontre aucun préjudice résultant de ce manquement de son employeur , il sera dés lors débouté de sa demande , le jugement du le conseil de Prud’hommes étant confirmé sur ce point.

Sur la contrepartie financière à la clause de non concurrence

Aux termes de l’article L. 120-2 du code du travail : ‘Nul ne peut apporter au droit des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par les natures de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.’

La clause doit être justifiée par les intérêts légitimes de l’entreprise ; elle doit laisser au salarié la possibilité d’exercer normalement l’activité qui lui est propre ; elle doit être limitée dans le temps ou dans l’espace ; enfin, elle doit comporter l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière. Ces conditions sont cumulatives

L’article 17 du contrat de travail de monsieur [M] prévoit une obligation de non concurrence pour une durée de 6 mois avec une contrepartie financière versée en une seule fois à compter du départ effectif du salarié représentant 30% du salaire mensuel brut moyen perçu par le salarié au cours des 12 derniers mois .

Monsieur [M] a respecté cette clause , le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société DPO CONSULTING à lui verser la somme de 2675€ à ce titre et celle de 500€ à titre de dommages et intérêts pour non versement de la contrepartie financière

Sur la demande pour remise tardive des documents de fin de contrat

Monsieur [M] soutient que la société a commis une erreur dans l’attestation pôle emploi ce qu’il ne démontre cependant pas son licenciement ayant prononcé le 8 juin 2017 et un bulletin de salaire portant sur la période du 1er juin au 9 juin est versé aux débats .

Il ne justifie pas d’un préjudice la lettre de pôle emploi indiquant qu’une non conformité entraine un rejet par l’organisme, ce qui présente un caractère informatif mais n’exprime nullement le refus par Pôle emploi de l’indemniser .

Il sera débouté de cette demande .

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions

Vu l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE monsieur [M] à payer à la société DPO CONSULTING en cause d’appel la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes ,

La Greffière La Présidente

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