Faire de la prospection commerciale avec une liste d’électeurs ?  

Notez ce point juridique

En présence d’un risque de détournement de la liste des électeurs d’une commune aux fins de prospection commerciale, un Maire est en droit d’en refuser la communication à un tiers. En application de l’article L. 37 du code électoral : « Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie, à la condition de s’engager à ne pas en faire un usage commercial »

Droit de communication des administrés 

Ces dispositions, qui ont pour objet de concourir à la libre expression du suffrage, ouvrent au profit de tout électeur, régulièrement inscrit sur une liste électorale, le droit de prendre communication et copie de la liste électorale d’une commune. 

La demande doit être adressée à la mairie. Si elle porte sur plusieurs communes d’un département, elle peut l’être à la préfecture de ce département. Afin d’éviter toute exploitation commerciale des données personnelles que comporte une liste électorale, sur laquelle figurent le nom, la date et le lieu de naissance, l’adresse du domicile ou du lieu de résidence des personnes inscrites, ainsi que la nationalité s’agissant des électeurs ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France, la loi a subordonné l’exercice du droit d’accès à l’engagement, de la part du demandeur, de ne pas en faire un usage commercial. 

S’il existe, au vu des éléments dont elle dispose et nonobstant l’engagement pris par le demandeur, des raisons sérieuses de penser que l’usage des listes électorales risque de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial, l’autorité compétente peut rejeter la demande de communication de la ou des listes électorales dont elle est saisie

Il lui est loisible de solliciter du demandeur qu’il produise tout élément d’information de nature à lui permettre de s’assurer de la sincérité de son engagement de ne faire de la liste électorale qu’un usage conforme aux dispositions de l’article L. 37 du code électoral. L’absence de réponse à une telle demande peut être prise en compte parmi d’autres éléments, par l’autorité compétente afin d’apprécier, sous le contrôle du juge, les suites qu’il convient de réserver à la demande dont elle est saisie.

Refus du Maire justifié

En l’occurrence, pour maintenir son refus de communiquer à M. B la liste électorale demandée, la commune de Saint-Maur-des-Fossés fait valoir qu’il existe un doute sérieux quant aux intentions d’utilisation de cette liste par l’intéressé, à des fins d’usage commercial, dès lors qu’il existe une société de travaux de peinture et vitrerie détenue par une personne portant la même identité que M. B et qu’il est électeur d’un autre département.

Suspicions d’usage commercial 

S’il est constant que M. B a pris l’engagement de principe de ne pas faire un usage commercial de la liste électorale de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, dont il sollicitait la communication, il ressort toutefois des pièces du dossier, d’une part, que le requérant réside à Bondy en Seine-Saint-Denis où il est inscrit sur les listes électorales et, d’autre part, que l’intéressé ne fait état d’aucun lien particulier avec la commune de Saint-Maur-des-Fossés. 

Enfin, le registre du commerce et des sociétés fait état d’une entreprise de travaux de peinture et vitrerie créée en 2018 au nom de M. A B. Dans ces conditions, la commune disposait de raisons sérieuses de penser que l’usage des listes électorales risquait de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial.

Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit ou de fait, ni commettre de discrimination illicite, que la commune de Saint-Maur-des-Fossés a maintenu son refus de communiquer à M. B la liste électorale de la commune.


 

 

Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 24 octobre 2022, et deux mémoires, enregistrés les 20 février et 5 mars 2023, M. A B, représenté par Me Riou, demande au tribunal :
1°) d’annuler la décision par laquelle la commune de Saint-Maur-des-Fossés a refusé de lui communiquer la liste électorale de la commune ;
2°) d’enjoindre à la commune de Saint-Maur-des-Fossés de lui communiquer le document sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, au besoin sous astreinte ;
3°) de condamner la commune de Saint-Maur-des-Fossés à lui verser la somme de 6 000 euros en réparation de ses préjudices ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Maur-des-Fossés la somme de 2 000 euros au titre de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
– sa requête est recevable ;
– la liste électorale sollicitée est un document administratif communicable en application des dispositions des articles L. 300-1, L. 300-2, L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration et L. 37 du code électoral ;
– il n’entend pas faire un usage commercial de la liste électorale sollicitée ;
– s’il apparaît qu’une société de travaux de peinture et de vitrerie est exploitées depuis 2018 par un homme portant le même prénom et le même nom que lui, il s’agit d’un homonyme ;
– la commune a commis une erreur de fait et une erreur de droit ;
– la décision par laquelle la commune a refusé de lui communiquer la liste électorale sollicitée lui a causé des préjudices tenant à une fatigue mentale et morale, à un stress et à une nervosité, occasionnés par la réalisation de démarches afin d’obtenir le document demandé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2023, la commune de Saint-Maur-des-Fossés conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que :
– les conclusions à fin d’annulation de la requête sont irrecevables, dès lors qu’elles sont dirigées contre la décision initiale de refus de communication de la liste électorale sollicitée ;
– les conclusions à fin d’indemnisation de la requête sont irrecevables, dès lors que la demande indemnitaire est fondée sur l’illégalité fautive de la décision initiale de refus de communication du document demandé ;
– il existait des raisons sérieuses de considérer que l’usage de la liste électorale sollicitée par le requérant risquait de revêtir un usage commercial ;
– il n’existe pas de faute de nature à engager sa responsabilité ;
– le requérant n’établit pas la réalité des préjudices qu’il estime avoir subis ni ne justifie des montants sollicités.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
– le code de commerce ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– le code électoral ;
– la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
– le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Gracia, président-rapporteur ;
– les conclusions de Mme Salenne-Bellet, rapporteure publique ;
– les observations de M. B ;
– les observation de Mme C de Cazenove pour la commune de Saint-Maur-des-Fossés.
Considérant ce qui suit :
1. M. A B a sollicité du maire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, le 1er décembre 2021, la communication de la liste électorale de la commune. La commune a sollicité de M. B, le 3 février 2022, la communication d’éléments complémentaires permettant d’éclairer ses intentions quant à l’utilisation de la liste électorale demandée. Par courriel du même jour, le requérant a refusé d’apporter les éléments sollicités. Le 22 février 2022, M. B a saisi la commission d’accès aux documents administratifs ( » CADA « ) d’une demande d’avis sur le caractère communicable de la liste électorale de la commune de Saint-Maur-des-Fossés. Le 21 avril 2022, cette commission a émis un avis défavorable à la communication de ce document. Par un courrier du 24 octobre 2022, le requérant a sollicité de la commune le paiement de la somme de 6 000 euros au titre des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de l’illégalité fautive du refus de communiquer la liste électorale de la commune. Par la présente requête, M. B demande au tribunal, d’une part, l’annulation de la décision par laquelle le maire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés a refusé de lui communiquer la liste électorale sollicitée, et d’autre part, la condamnation de la commune à lui verser la somme de 6 000 euros au titre des préjudices qu’il estime avoir subis.
Sur la portée du litige :
2. En premier lieu, aux termes de l’article L. 342-1 du code des relations entre le public et l’administration :  » La Commission d’accès aux documents administratifs émet des avis lorsqu’elle est saisie par une personne à qui est opposé un refus de communication ou un refus de publication d’un document administratif en application du titre Ier, () / La saisine pour avis de la commission est un préalable obligatoire à l’exercice d’un recours contentieux « . Aux termes de l’article R. 343-1 du même code :  » L’intéressé dispose d’un délai de deux mois à compter de la notification du refus ou de l’expiration du délai prévu à l’article R. 311-13 pour saisir la Commission d’accès aux documents administratifs. () « .
3. Il résulte de ces dispositions que la décision par laquelle l’administration rejette une demande tendant à la communication de documents administratifs, au terme d’un délai de deux mois à compter de l’enregistrement de la demande de l’intéressé par la CADA, se substitue à celle initialement opposée. Par suite, les conclusions à fin d’annulation dirigées, non contre la décision prise sur l’avis de la commission, mais contre la décision initiale de refus, sont irrecevables. Toutefois, s’il est saisi de conclusions tendant à l’annulation d’une décision qui ne peut donner lieu à un recours devant le juge de l’excès de pouvoir qu’après l’exercice d’un recours administratif préalable et si le requérant indique, de sa propre initiative ou le cas échéant à la demande du juge, avoir exercé ce recours et, le cas échéant après que le juge l’y a invité, produit la preuve de l’exercice de ce recours ainsi que, s’il en a été pris une, la décision à laquelle il a donné lieu, le juge de l’excès de pouvoir doit regarder les conclusions dirigées formellement contre la décision initiale comme tendant à l’annulation de la décision, née de l’exercice du recours, qui s’y est substituée.
4. En l’espèce, à l’issue du silence gardé pendant un délai de deux mois à la suite de la saisine de la CADA le 22 février 2022, la commune de Saint-Maur-des-Fossés a implicitement maintenu, le 22 avril 2022, son refus de communiquer à M. B la liste électorale de la commune. Le requérant doit donc être regardé comme contestant uniquement cette décision.
5. En second lieu, en application du principe énoncé au point 3, le requérant doit être regardé comme recherchant la responsabilité de la commune de Saint-Maur-des-Fossés du fait de l’illégalité fautive de la décision implicite du 22 avril 2022 par laquelle le maire de la commune a maintenu son refus de lui communiquer la liste électorale sollicitée, qui s’est substituée à la décision initiale de refus du 10 février 2022.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
6. Aux termes de l’article L. 37 du code électoral :  » Tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie (), à la condition de s’engager à ne pas en faire un usage commercial « .
7. Ces dispositions, qui ont pour objet de concourir à la libre expression du suffrage, ouvrent au profit de tout électeur, régulièrement inscrit sur une liste électorale, le droit de prendre communication et copie de la liste électorale d’une commune. La demande doit être adressée à la mairie. Si elle porte sur plusieurs communes d’un département, elle peut l’être à la préfecture de ce département. Afin d’éviter toute exploitation commerciale des données personnelles que comporte une liste électorale, sur laquelle figurent le nom, la date et le lieu de naissance, l’adresse du domicile ou du lieu de résidence des personnes inscrites, ainsi que la nationalité s’agissant des électeurs ressortissants d’un État membre de l’Union européenne autre que la France, la loi a subordonné l’exercice du droit d’accès à l’engagement, de la part du demandeur, de ne pas en faire un usage commercial. S’il existe, au vu des éléments dont elle dispose et nonobstant l’engagement pris par le demandeur, des raisons sérieuses de penser que l’usage des listes électorales risque de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial, l’autorité compétente peut rejeter la demande de communication de la ou des listes électorales dont elle est saisie. Il lui est loisible de solliciter du demandeur qu’il produise tout élément d’information de nature à lui permettre de s’assurer de la sincérité de son engagement de ne faire de la liste électorale qu’un usage conforme aux dispositions de l’article L. 37 du code électoral. L’absence de réponse à une telle demande peut être prise en compte parmi d’autres éléments, par l’autorité compétente afin d’apprécier, sous le contrôle du juge, les suites qu’il convient de réserver à la demande dont elle est saisie.
8. Pour maintenir son refus de communiquer à M. B la liste électorale demandée, la commune de Saint-Maur-des-Fossés fait valoir qu’il existe un doute sérieux quant aux intentions d’utilisation de cette liste par l’intéressé, à des fins d’usage commercial, dès lors qu’il existe une société de travaux de peinture et vitrerie détenue par une personne portant la même identité que M. B et qu’il est électeur d’un autre département.
9. En l’espèce, s’il est constant que M. B a pris l’engagement de principe de ne pas faire un usage commercial de la liste électorale de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, dont il sollicitait la communication, il ressort toutefois des pièces du dossier, d’une part, que le requérant réside à Bondy en Seine-Saint-Denis où il est inscrit sur les listes électorales et, d’autre part, que l’intéressé ne fait état d’aucun lien particulier avec la commune de Saint-Maur-des-Fossés. Enfin, le registre du commerce et des sociétés fait état d’une entreprise de travaux de peinture et vitrerie créée en 2018 au nom de M. A B. Dans ces conditions, la commune disposait de raisons sérieuses de penser que l’usage des listes électorales risquait de revêtir, en tout ou partie, un caractère commercial.
10. Pour contester le doute sérieux invoqué par la commune, le requérant soutient que la personne dont il est fait état au registre du commerce et des sociétés est un homonyme, et produit à cet égard un certificat du 7 octobre 2022 de non-inscription à ce registre, délivré par l’institut national de la
propriété
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intellectuelle
( » INPI « ). Toutefois, d’une part, le certificat en cause indique seulement que les recherches effectuées à l’aide du fichier du registre national du commerce et des sociétés n’avaient  » pas permis de trouver trace de l’éventuelle immatriculation au registre du commerce de la société () dénommé ‘B Mohamed’ né le 11 mars 1971 à Bondy « , et que  » les recherches () n’ont porté que sur les dénominations sociales des sociétés, à l’exclusion des enseignes et noms commerciaux éventuellement utilisés « . Ainsi, dans la mesure où, selon les termes mêmes du certificat en cause, les recherches de l’INPI n’ont pas été exhaustives, cet élément ne suffit pas à établir l’absence d’activité commerciale de M. B. D’autre part, et en tout état de cause, ledit certificat ne suffirait pas à démontrer l’absence d’usage commercial de la liste en cause en l’absence de précisions du requérant quant à ses intentions d’usage de la liste électorale sollicitée à la suite de la demande formulée par la commune à ce titre et même en réponse à des questions du tribunal à l’audience.
11. Dans ces conditions, c’est sans commettre d’erreur de droit ou de fait, ni commettre de discrimination illicite, que la commune de Saint-Maur-des-Fossés a maintenu son refus de communiquer à M. B la liste électorale de la commune.
12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que les conclusions à fin d’annulation de la requête doivent être rejetées. Il en va de même par voie de conséquence des conclusions à fins d’injonction et d’astreinte de la requête.
Sur les conclusions à fin d’indemnisation :
13. Pour rechercher la responsabilité de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, M. B doit être regardé, ainsi qu’il a été dit au point 5, comme se prévalant de l’illégalité fautive de la décision du 22 avril 2022 par laquelle le maire de la commune a maintenu son refus de lui communiquer la liste électorale de la commune. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit précédemment que ladite décision n’est pas entachée d’illégalité. Par suite, la commune n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité. Il suit de là que les conclusions indemnitaires de la requête doivent être rejetées.
Sur la répartition des frais du litige :
14. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’il soit mis à la charge de la commune de Saint-Maur-des-Fossés, qui n’est pas partie perdante à l’instance, la somme que M. B demande à ce titre.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A B, au maire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés et à Me Riou.
Délibéré après l’audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Gracia, président-rapporteur,
M. Israël, premier conseiller,
Mme Potin, conseillère.
Rendu public par mise à disposition du greffe le 30 mars 2022.
Le président-rapporteur,
J-Ch. Gracia L’assesseur le plus ancien,
D. Israël
La greffière,
C. Mahieu
La République mande et ordonne au préfet de Val-de-Marne en ce qui le concerne et à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution du présent jugement.
Pour expédition conforme,
La greffière,

 

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