En présence de virements faits par son client et d’apparence régulière, la banque n’est pas responsable de la destination des fonds (escroquerie Forex).
Le prestataire de services de paiement réalisant un virement dit SEPA comme en l’espèce, est essentiellement soumis aux dispositions des articles L. 133-4 et suivants du code monétaire et financier issus de l’ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiements transposant la directive n° 2007/64/CE concernant les services de paiement dans le marché intérieur, son article L. 133-21 disposant notamment, en ses alinéas 1 et 5 que ‘un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique’ et ‘si l’utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l’identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l’exécution correcte de l’ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur de services de paiement’.
Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à s’ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s’assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de paiement, c’est à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.
La banque n’est intervenue qu’en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu’elle n’était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil et, en tout état de cause, elle n’était pas informée par M. [J] du motif des virements effectués, l’objet des virements n’étant pas précisé sur les ordres de virements. M. [J] n’avait pas sollicité son conseil et compte tenu de ces circonstances, la banque ne lui en avait délivré aucun.
M. [J] a été victime d’une escroquerie par la société de courtage Geoption, à la suite de laquelle il a effectué des virements totalisant 393 826 euros sur une plateforme de trading en ligne. Après avoir déposé plainte pour escroquerie, il a tenté en vain d’obtenir le remboursement de ces sommes auprès de la société ING Bank N.V. Le tribunal de commerce de Paris l’a débouté de ses demandes de remboursement et l’a condamné à payer des frais à la banque. M. [J] a interjeté appel de cette décision et demande à la cour de condamner la société ING Bank à lui rembourser les sommes investies, ainsi que des dommages et intérêts. La société ING Bank conteste ces demandes et demande le rejet de toutes les demandes de M. [J]. L’affaire est fixée à l’audience du 29 janvier 2024.
————————-
Sur la responsabilité de la banque
M. [J] fait valoir que la société ING Bank N. V. a manqué à son devoir de vigilance. Il rappelle que si le banquier a une obligation de non-ingérence, ce principe de non-immixtion cède, selon la jurisprudence, devant le devoir de vigilance du banquier, qui doit l’amener à détecter le fonctionnement anormal des comptes de son client, en particulier des mouvements anormaux, constitutifs d’anomalies apparentes. L’anomalie apparente s’apprécie au regard du montant élevé et inhabituel des virements, des destinataires inconnus, du libellé des virements, du nom des bénéficiaires, des comptes destinataires situés à l’étrangers ou de l’existence d’une fraude répandue et connue des banques. Le manquement de la banque à son obligation de vigilance générale constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. Ce devoir de vigilance est particulièrement accru lorsque le client de la banque est âgé et vulnérable. Par ailleurs, la société ING Bank avait connaissance des risques de fraudes, notamment via les alertes diffusées par l’AMF, TRACFIN et l’ACPR. Par ailleurs, l’obligation de vigilance de droit commun du banquier a été renforcée par la mise en place d’une obligation de vigilance accentuée dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux. De plus, la société ING Bank N. V. a manqué à son obligation en ne l’interrogeant pas sur l’objet des transferts de fonds. En outre, les virements qu’il a opérés pour un montant total de 393 826 euros étaient anormaux au regard du fonctionnement habituel de son compte. Cette somme représente dix fois le montant de ses revenus annuels. De plus, trois virements d’un montant total de 37 500 euros ont été rejetés par les banques bénéficiaires et recrédités quelques jours plus tard. Ces anomalies flagrantes auraient dû attirer l’attention de la banque qui aurait dû l’informer du motif du rejet, d’autant que les virements rejetés concernaient les toutes premières opérations. En outre, ces opérations représentaient une grande partie de son épargne. Les montants unitaires de chacun des virements étaient importants et ne pouvaient être confondus avec des dépenses courantes, les noms des bénéficiaires des virements étaient par ailleurs parfaitement atypiques et de nature à alerter la banque, tout comme les montants importants et la répétition de ces virements. La destination étrangère des fonds est incohérente au regard de sa pratique bancaire. De même, son âge avancé, ainsi que l’absence de connaissances et d’expérience des marchés financiers le rendaient particulièrement vulnérable aux escroqueries et auraient dû appeler la banque à une vigilance renforcée. Or, la société ING Bank N. V. n’a jamais pris contact avec lui et ne l’a donc pas mis en garde, contrairement à d’autres banques. Il sollicite la condamnation de la société ING Bank N.V. à lui payer la somme de 356 326 euros en réparation de son préjudice financier. A titre subsidiaire, il sollicite la condamnation de la banque à lui payer les sommes de 285 060 euros au titre de la perte de chance de ne pas contracter correspondant à 80 % des sommes perdues et 10 000 euros au titre de son préjudice moral.
La société ING Bank N.V.
La société ING Bank N.V. fait valoir que la responsabilité d’un prestataire de services de paiement ne peut être engagée que dans deux hypothèses : une opération non autorisée ou une opération mal exécutée. Or en l’espèce, les opérations sont autorisées et il ne s’agit pas d’opérations mal exécutées. Dès lors, en application de l’article L. 133-21 du code monétaire et financier, le prestataire de services de paiement est seulement responsable de la bonne exécution d’un ordre de paiement qui doit être exécuté conformément à l’identifiant unique, à savoir l’IBAN. Or, elle a exécuté les virements ordonnés conformément aux IBAN communiqués par M. [J]. Par aille
– Somme allouée à M. [K] [J]: entiers dépens d’appel
– Somme allouée au tribunal de commerce de Paris: non spécifiée
– Somme allouée pour l’article 700 du code de procédure civile: non applicable
Réglementation applicable
– Code monétaire et financier
– Code civil
– Code de procédure civile
Avocats
Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier :
– Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS
– Me Anne BERNARD-DUSSAULX de L’AARPI RICHEMONT DELVISO
– Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT
– Me Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE & DUBEST
Mots clefs associés
– Responsabilité de la banque
– Devoir de vigilance
– Mouvements anormaux
– Anomalies apparentes
– Fraude
– Obligation de vigilance accentuée
– Montant élevé des virements
– Destinataires inconnus
– Fraude répandue
– Vulnérabilité du client
– Risques de fraudes
– Obligation de vigilance générale
– Obligation de vigilance de droit commun
– Obligation de vigilance accentuée
– Virements anormaux
– Rejet de virements
– Montants importants
– Destinations étrangères des fonds
– Âge avancé du client
– Absence de connaissances financières
– Escroqueries
– Obligation de non-ingérence
– Opérations autorisées
– Opérations mal exécutées
– Virements SEPA
– Identifiant unique (IBAN)
– Obligation de conseil
– Obligation de mise en garde
– Obligation de non-immixtion
– Causalité
– Préjudice financier
– Perte de chance
– Préjudice moral
– Lutte contre le blanchiment de capitaux
– Force majeure
– Gestion patrimoniale
– Vulnérabilité du client
– Capacités de discernement
– Dépens
– Frais irrépétibles
– Responsabilité de la banque : obligation pour une banque de répondre des conséquences de ses actes ou de ses omissions
– Devoir de vigilance : obligation pour une banque de surveiller les opérations de ses clients afin de détecter tout mouvement anormal ou toute fraude
– Mouvements anormaux : opérations financières qui sortent de l’ordinaire et qui peuvent indiquer une fraude
– Anomalies apparentes : irrégularités visibles dans les opérations financières d’un client
– Fraude : acte délibéré visant à tromper une personne ou une institution pour obtenir un avantage financier
– Obligation de vigilance accentuée : devoir renforcé de surveillance des opérations financières en cas de risques accrus de fraudes
– Montant élevé des virements : transferts d’argent importants qui peuvent nécessiter une attention particulière
– Destinataires inconnus : bénéficiaires des opérations financières dont l’identité n’est pas clairement établie
– Fraude répandue : pratique frauduleuse qui se propage largement
– Vulnérabilité du client : situation d’un client qui est susceptible d’être victime de fraudes en raison de ses caractéristiques personnelles
– Risques de fraudes : possibilité que des actes frauduleux se produisent dans le cadre des opérations financières
– Obligation de vigilance générale : devoir de surveillance standard des opérations financières
– Obligation de vigilance de droit commun : obligation normale de surveillance des opérations financières
– Virements anormaux : transferts d’argent qui présentent des caractéristiques inhabituelles
– Rejet de virements : refus de valider des transferts d’argent
– Montants importants : sommes d’argent considérables
– Destinations étrangères des fonds : transferts d’argent vers des pays étrangers
– Âge avancé du client : situation d’un client âgé qui peut être plus vulnérable aux fraudes
– Absence de connaissances financières : manque de compétences en matière financière
– Escroqueries : actes frauduleux visant à tromper une personne pour obtenir un avantage financier
– Obligation de non-ingérence : devoir de ne pas intervenir dans les affaires d’un client sans son consentement
– Opérations autorisées : transactions financières approuvées par le client
– Opérations mal exécutées : transactions financières qui ne sont pas réalisées correctement
– Virements SEPA : transferts d’argent effectués dans l’espace SEPA (Single Euro Payments Area)
– Identifiant unique (IBAN) : numéro d’identification bancaire international
– Obligation de conseil : devoir de fournir des conseils financiers à un client
– Obligation de mise en garde : devoir d’avertir un client des risques potentiels liés à une opération financière
– Obligation de non-immixtion : devoir de ne pas interférer dans les affaires d’un client sans son autorisation
– Causalité : lien de cause à effet entre un acte et ses conséquences
– Préjudice financier : dommage financier subi par une personne
– Perte de chance : privation de la possibilité de réaliser un gain
– Préjudice moral : dommage psychologique ou émotionnel subi par une personne
– Lutte contre le blanchiment de capitaux : ensemble des mesures visant à prévenir le blanchiment d’argent
– Force majeure : événement imprévisible et irrésistible qui exonère de responsabilité
– Gestion patrimoniale : gestion des biens et des finances d’une personne
– Capacités de discernement : aptitude à comprendre et à évaluer une situation
– Dépens : frais engagés dans le cadre d’une procédure judiciaire
– Frais irrépétibles : dépenses non récupérables dans le cadre d’une procédure judiciaire
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 6
ARRET DU 13 MARS 2024
(n° , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/06273 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFRFK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Mars 2022 -tribunal de commerce de Paris – 11ème chambre – RG n° 2018061442
APPELANT
Monsieur [K] [J]
né le [Date naissance 1] 1931 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque : P0480
Ayant pour avocat plaidant Me Anne BERNARD-DUSSAULX de L’AARPI RICHEMONT DELVISO, avocat au barreau de Paris, toque : C1901
INTIMÉE
Société ING BANK N.V. société de droit néerlandais, immatriculée au registre de commerce et des sociétés d’Amsterdam sous le n°330.314.31, dont le siège social est sis [Adresse 5] (Pays-Bas), et prise en sa succursale de Paris sise [Adresse 3], immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Paris sous le n°791 866 890
Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de Paris, toque : D1119
Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE & DUBEST, avocat au barreau de Paris, toque : T07
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 29 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Marc BAILLY président de chambre ayant lu le rapport, et M. Vincent BRAUD, président.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Marc BAILLY, président de chambre
M. Vincent BRAUD, président
MME Laurence CHAINTRON, conseillère chargée du rapport
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
M. [K] [J] est titulaire d’un compte courant, d’un compte livret épargne orange, d’un livret développement durable et d’un compte d’assurance vie ouverts dans les livres de la société ING Bank N.V.
A la suite d’un démarchage par la société Geoption, société de courtage étrangère non autorisée en France, en vue d’investir des fonds sur sa plateforme de trading en ligne, il a entre le 9 juin 2015 et le 19 juillet 2017 effectué 24 virements pour un montant total de 393 826 euros, pour des opérations concernant ‘des investissements sur le marché des changes dit Forex et/ou du trading sur les options binaires’.
Par la suite, M. [J] n’a pu retirer les fonds investis et les gains générés. Ses interlocuteurs sont devenus injoignables et le site internet de la société de courtage a disparu.
Le 7 janvier 2017, M. [J] a déposé plainte pour escroquerie auprès du commissariat de police de [Localité 2].
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 octobre 2018, le conseil de M. [J] a vainement mis en demeure la société ING Bank N.V. de rembourser à son client les sommes investies.
Par exploit d’huissier du 31 octobre 2018, M. [J] a fait assigner la société ING Bank N.V. devant le tribunal de commerce de Paris afin de la voir condamner à lui rembourser les sommes investies.
Par jugement contradictoire du 10 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris a :
– dit M. [K] [J] recevable en ses demandes ;
– débouté M. [K] [J] de ses demandes de mise en cause de la responsabilité de la banque société de droit néerlandais ING Bank N.V. et de sa demande de remboursement de la somme de 356 326 euros ;
– condamné M. [K] [J] à payer la somme de 2 500 euros à la société de droit néerlandais ING Bank N.V. au titre de l’article 700 du code de procédure civile, déboutant la société de droit néerlandais ING Bank N.V. pour le surplus de ses demandes ;
– débouté les parties de toute demande autre, plus ample ou contraire ;
– condamné M. [K] [J] aux dépens du présent jugement, liquidés à la somme de 135,99 euros T.T.C. dont 22,24 euros de T.V.A.
Par déclaration remise au greffe de la cour le 24 mars 2022, M. [J] a interjeté appel de cette décision à l’encontre de la société ING Bank N.V.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, M. [J] demande, au visa des articles 1134 et 1147 du code civil, à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré recevables ses demandes,
– infirmer le jugement entrepris pour le surplus et, statuant à nouveau,
A titre principal,
– condamner la société ING Bank à lui payer la somme de 356 326 euros outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure adressée à cette dernière, en réparation de son préjudice financier ;
A titre subsidiaire,
– condamner la société ING Bank à lui payer la somme de 285 060 euros, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure adressée à cette dernière, en réparation de son préjudice né de la perte de chance,
En tout état de cause,
– condamner la société ING Bank à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– condamner la société ING Bank à lui payer la somme de 7 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société ING Bank aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 septembre 2022, la société ING Bank N.V. demande au visa des articles L. 561-5 et suivants et R. 561-12 du code monétaire et financier (dans leur rédaction en vigueur au moment des faits), des articles 1134, 1147 et 1151 du code civil (dans leur rédaction en vigueur au moment des faits) et des articles 1104, 1231-1 et 1231-4 (pour la période postérieure au 1er octobre 2016), à la cour de :
A titre principal :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris, en date du 10 mars 2022,
En tout état de cause :
– débouter M. [K] [J] de toutes ses demandes, fins et conclusions, en ce que celui-ci ne rapporte pas la preuve d’une quelconque faute imputable à la société ING Bank N.V. ni a fortiori du lien causal devant exister entre la faute et le préjudice allégués,
– condamner M. [K] [J] au paiement de la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile devant la cour,
– condamner le même aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 décembre 2023 et l’affaire fixée à l’audience du 29 janvier 2024.
MOTIFS
Sur la responsabilité de la banque
M. [J] fait valoir que la société ING Bank N. V. a manqué à son devoir de vigilance. Il rappelle que si le banquier a une obligation de non-ingérence, ce principe de non-immixtion cède, selon la jurisprudence, devant le devoir de vigilance du banquier, qui doit l’amener à détecter le fonctionnement anormal des comptes de son client, en particulier des mouvements anormaux, constitutifs d’anomalies apparentes. L’anomalie apparente s’apprécie au regard du montant élevé et inhabituel des virements, des destinataires inconnus, du libellé des virements, du nom des bénéficiaires, des comptes destinataires situés à l’étrangers ou de l’existence d’une fraude répandue et connue des banques. Le manquement de la banque à son obligation de vigilance générale constitue une faute de nature à engager sa responsabilité. Ce devoir de vigilance est particulièrement accru lorsque le client de la banque est âgé et vulnérable. Par ailleurs, la société ING Bank avait connaissance des risques de fraudes, notamment via les alertes diffusées par l’AMF, TRACFIN et l’ACPR. Par ailleurs, l’obligation de vigilance de droit commun du banquier a été renforcée par la mise en place d’une obligation de vigilance accentuée dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux. De plus, la société ING Bank N. V. a manqué à son obligation en ne l’interrogeant pas sur l’objet des transferts de fonds. En outre, les virements qu’il a opérés pour un montant total de 393 826 euros étaient anormaux au regard du fonctionnement habituel de son compte. Cette somme représente dix fois le montant de ses revenus annuels. De plus, trois virements d’un montant total de 37 500 euros ont été rejetés par les banques bénéficiaires et recrédités quelques jours plus tard. Ces anomalies flagrantes auraient dû attirer l’attention de la banque qui aurait dû l’informer du motif du rejet, d’autant que les virements rejetés concernaient les toutes premières opérations. En outre, ces opérations représentaient une grande partie de son épargne. Les montants unitaires de chacun des virements étaient importants et ne pouvaient être confondus avec des dépenses courantes, les noms des bénéficiaires des virements étaient par ailleurs parfaitement atypiques et de nature à alerter la banque, tout comme les montants importants et la répétition de ces virements. La destination étrangère des fonds est incohérente au regard de sa pratique bancaire. De même, son âge avancé, ainsi que l’absence de connaissances et d’expérience des marchés financiers le rendaient particulièrement vulnérable aux escroqueries et auraient dû appeler la banque à une vigilance renforcée. Or, la société ING Bank N. V. n’a jamais pris contact avec lui et ne l’a donc pas mis en garde, contrairement à d’autres banques.
Il sollicite la condamnation de la société ING Bank N.V. à lui payer la somme de 356 326 euros en réparation de son préjudice financier. A titre subsidiaire, il sollicite la condamnation de la banque à lui payer les sommes de 285 060 euros au titre de la perte de chance de ne pas contracter correspondant à 80 % des sommes perdues et 10 000 euros au titre de son préjudice moral.
La société ING Bank N.V. fait valoir que la responsabilité d’un prestataire de services de paiement ne peut être engagée que dans deux hypothèses : une opération non autorisée ou une opération mal exécutée. Or en l’espèce, les opérations sont autorisées et il ne s’agit pas d’opérations mal exécutées. Dès lors, en application de l’article L. 133-21 du code monétaire et financier, le prestataire de services de paiement est seulement responsable de la bonne exécution d’un ordre de paiement qui doit être exécuté conformément à l’identifiant unique, à savoir l’IBAN. Or, elle a exécuté les virements ordonnés conformément aux IBAN communiqués par M. [J]. Par ailleurs, M. [J] n’est pas recevable à invoquer un prétendu manquement de sa part, au titre des articles L. 561-5 et suivants et R. 561-12 du code monétaire et financier relatifs à l’obligation de vigilance car, selon la jurisprudence, la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir des textes relatifs à la lutte contre le blanchiment de capitaux pour réclamer des dommages et intérêts à un établissement financier. De plus, les opérations contestées ne présentent aucune anomalie et ne nécessitaient pas une vigilance particulière. En effet, il s’agissait d’opérations de virements SEPA et non d’opérations complexes ; les bénéficiaires indiqués n’étaient pas de nature à l’alerter sur la réalisation d’opérations susceptibles de constituer une fraude ; les fonds provenaient de remises de chèques, d’un compte ouvert au nom de M. [J] dans les livres d’un autre établissement bancaire, et d’un organisme d’assurance à la suite d’un rachat effectué sur son contrat d’assurance-vie ; les virements étaient à destination des comptes ouverts dans les livres d’établissements bancaires de l’espace économique européen ; les virements litigieux ont été exécutés sur plus de deux ans ; les virements réalisés au débit étaient cohérents avec les montants en entrée et le
compte de dépôt présentait systématiquement une provision suffisante pour permettre l’exécution de chacun des virements. Enfin, si le banquier est tenu d’un devoir de vigilance sur le fonctionnement du compte bancaire de ses clients, il commettrait une faute en s’ingérant dans leurs affaires. En outre, M. [J] ne lui a jamais mentionné que l’objet des opérations contestées était des investissements dans des produits de trading sur le Forex ou sur des options binaires, et aucun des libellés des bénéficiaires desdits virements, ni aucune information communiquée par M. [J] ne laissait entendre que celui-ci traitait avec la société ‘Geoption’. De même, la société ING Bank N.V. n’était pas tenue à un devoir de conseil et de mise en garde car elle n’a fourni que des services de paiement à partir de son compte de dépôt et n’est pas intervenue dans le cadre d’opérations d’investissement, dont elle n’avait pas même connaissance. Enfin, M. [J] ne l’a jamais interrogée sur l’opportunité de réaliser ces investissements, en lien avec le Forex ou les options binaires, les libellés des opérations ne correspondaient pas à la réalité des opérations et l’exécution des virements relevant d’une prestation de services de paiements, la banque n’avait aucune obligation de conseil à l’égard de M. [J].
La société ING Bank N.V. fait valoir qu’il n’y a aucun lien de causalité entre les prétendus manquements de sa part et le préjudice, tant matériel que moral, allégué par M. [J], qui de surcroît n’est que la conséquence de ses propres négligences fautives sans lesquelles il n’aurait pas effectué ses investissements et n’aurait pas eu à subir de préjudice.
Le prestataire de services de paiement réalisant un virement dit SEPA comme en l’espèce, est essentiellement soumis aux dispositions des articles L. 133-4 et suivants du code monétaire et financier issus de l’ordonnance du 15 juillet 2009 relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiements transposant la directive n° 2007/64/CE concernant les services de paiement dans le marché intérieur, son article L. 133-21 disposant notamment, en ses alinéas 1 et 5 que ‘un ordre de paiement exécuté conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l’identifiant unique’ et ‘si l’utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l’identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l’exécution correcte de l’ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n’est responsable que de l’exécution de l’opération de paiement conformément à l’identifiant unique fourni par l’utilisateur de services de paiement’.
Il n’est pas contesté par M. [J] que les ordres de virement ont été exécutés conformément à ses demandes et que les sommes litigieuses ont été virées aux bénéficiaires désignés par le RIB que lui avait remis son interlocuteur. Il en résulte qu’aucune mauvaise exécution des opérations de virement réalisées ne peut être reprochée à la société ING Bank N.V.
Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et les victimes d’agissements frauduleux ne peuvent s’en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier, étant ajouté qu’en l’espèce aucun soupçon de cette nature n’est étayé quant à l’opération réalisée dès lors que les fonds mobilisés étaient issus de l’épargne de M. [J].
En application de l’article 1147, ancien, du code civil applicable au litige, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à s’ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s’assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de paiement, c’est à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.
En l’espèce, ainsi qu’indiqué, entre le 9 juin 2015 et le 19 juillet 2017, soit sur une période de deux ans, M. [J] a donné l’ordre à la société ING Bank N.V. d’effectuer vingt-quatre virements au bénéfice de comptes ouverts dans des banques européennes, à savoir mBank SA, Bulgarian-American Credit Bank AD, TBI Bank EAD, Bank Zachodni WBK SA, Bank Millenium SA, CESKA Sporitelna A.S., Sata Bank PLC. et Raphael & Sons PLC, pour un montant total de 393 826 euros.
Il ressort des relevés de compte versés aux débats par M. [J] pour la période concernée que les virements litigieux ne correspondent pas aux modalités de fonctionnement habituel du compte.
Toutefois, le solde du compte est demeuré créditeur à l’issue de chaque virement ordonné par M. [J] qui a veillé à alimenter suffisamment le compte avant l’exécution de chaque virement, de sorte que ces virements n’ont pas relevé d’une gestion patrimoniale incompatible avec les divers avoirs dont disposait alors M. [J].
Les pays de destination, situés dans l’Union européenne, n’étaient pas placés dans des zones à risque particulier.
Le fait que trois virements effectués les 31 décembre 2015, 7 janvier 2016 et 29 février 2016 pour un montant total de 37 500 euros aient été recrédités sur le compte de M. [J] n’est pas de nature à démontrer l’existence de l’escroquerie alléguée.
La banque n’est intervenue qu’en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu’elle n’était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil et, en tout état de cause, elle n’était pas informée par M. [J] du motif des virements effectués, l’objet des virements n’étant pas précisé sur les ordres de virements. M. [J] n’avait pas sollicité son conseil et compte tenu de ces circonstances, la banque ne lui en avait délivré aucun.
Ainsi, il ne ressort ni des ordres de virements, ni d’aucun élément du dossier, que la société ING Bank N.V. ait su que ces virements étaient afférents à des opérations répétées d’investissements sur le marché des changes dit Forex et/ou du trading sur les options binaires réalisées par l’intermédiaire de la société Geoption qui n’était destinataire d’aucun virement.
Il en résulte qu’au regard du fonctionnement du compte de M. [J], les virements litigieux n’étaient entachés d’aucune anomalie apparente.
Enfin, M. [J], invoque vainement un état de vulnérabilité et d’emprise psychologique lié à son âge (83 ans à l’époque des faits), qui aurait dû selon lui conduire la banque à faire preuve de vigilance renforcée, alors qu’il n’était pas placé sous une mesure de protection et que son âge n’impliquait nullement un amoindrissement de ses capacités de discernement.
Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu’il a retenu que la responsabilité de la société ING Bank NV pour manquement à son obligation de vigilance ne saurait être retenue et débouté en conséquence M. [J] de ses demandes indemnitaires.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’appelant sera donc condamné aux dépens.
En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En l’espèce, il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont été contraintes d’engager dans la présente instance pour assurer la défense de leurs intérêts. Elles seront par conséquent déboutées de leurs demandes respectives à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Paris du 10 mars 2022 ;
Y ajoutant,
DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [K] [J] aux entiers dépens d’appel ;
REJETTE toute autre demande.
* * * * *
LE GREFFIER LE PRESIDENT