REPUBLIQUE FRANÇAISE 16 juillet 2024
Cour d’appel de Besançon RG n° 23/00042 ARRÊT N°
FD/SMG COUR D’APPEL DE BESANÇON ARRÊT DU 16 JUILLET 2024 CHAMBRE SOCIALE Audience publique du 18 juin 2024 N° de rôle : N° RG 23/00042 – N° Portalis DBVG-V-B7H-ESZV S/appel d’une décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTBELIARD en date du 16 décembre 2022 Code affaire : 80J Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail APPELANTE Madame [N] [Y], demeurant [Adresse 1] représentée par Me Brice MICHEL, avocat au barreau de BELFORT, présent INTIMEE S.A.S. LUSTRAL, sise [Adresse 2] représentée par Me Nicolas LEGER, Postulant, avocat au barreau de BESANCON, absent et par Me Carlos DE CAMPOS, Plaidant, avocat au barreau de REIMS, absent COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats du 18 Juin 2024 : Monsieur Christophe ESTEVE, Président de Chambre Madame Bénédicte UGUEN-LAITHIER, Conseiller Mme Florence DOMENEGO, Conseiller qui en ont délibéré, Mme MERSON GREDLER, Greffière Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 16 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe. ************** Statuant sur l’appel interjeté le 10 janvier 2023 par Mme [N] [Y] du jugement rendu le 16 décembre 2022 par le conseil de prud’hommes de Montbéliard qui, dans le cadre du litige l’opposant à la SAS LUSTRAL, a : – débouté Mme [N] [Y] de sa demande au titre du harcèlement moral – débouté en conséquence Mme [N] [Y] de sa demande de résiliation judiciaire – jugé que le licenciement pour inaptitude de Mme [N] [Y] était justifié – débouté Mme [N] [Y] de l’intégralité de ses demandes à titre principal et subsidiaire – condamné Mme [Y] à payer à la SAS LUSTRAL la somme de 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; – laissé à chacun la charge de ses dépens ; Vu les dernières conclusions transmises par RPVA le 12 septembre 2023, aux termes desquelles Mme [N] [Y], appelante, demande à la cour de : – infirmer la décision – dire qu’elle a été victime d’un harcèlement moral – dire que les manquements de la SAS LUSTRAL à ses obligations justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail – prononcer la résiliation de son contrat de travail – condamner en conséquence la SAS LUSTRAL à lui payer les indemnisations suivantes: * dommages et intérêts pour licenciement nul : 76 170 euros * harcèlement moral :10 000 euros * violation de l’obligation de prévention et de sécurité : 10 000 euros * non-respect de l’obligation de l’exécution loyale du contrat : 10 000 euros * indemnité de licenciement : 17 773 euros * préavis : 15 234 euros * congés payés sur préavis : 1523, 40 euros * les intérêts desdites sommes et leur capitalisation – condamner la SAS LUSTRAL à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance – débouter l’intimée de toutes ses demandes – à titre subsidiaire, dire qu’elle a été victime d’un harcèlement moral et que ce harcèlement est à l’origine de son inaptitude – dire que son licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle est nul – en conséquence, condamner la SAS LUSTRAL à lui payer les indemnisations suivantes : * dommages et intérêts pour licenciement nul : 76 170 euros * harcèlement moral :10 000 euros * violation de l’obligation de prévention et de sécurité : 10 000 euros * non-respect de l’obligation de l’exécution loyale du contrat : 10 000 euros * indemnité de licenciement : 17 773 euros * préavis : 15 234 euros * congés payés sur préavis : 1523, 40 euros * les intérêts desdites sommes et leur capitalisation – condamner la SAS LUSTRAL à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de l’instance – débouter l’intimée de toutes ses demandes Vu les dernières conclusions transmises par RPVA le 25 avril 2024, aux termes desquelles la SAS LUSTRAL, intimée, demande à la cour de : – confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [Y] de l’ensemble de ses demandes – subsidiairement, débouter Mme [Y] de sa demande de paiement d’indemnité légale, déjà payée, de sa demande de paiement d’indemnité compensatrice de préavis compte tenu de son arrêt de travail et l’impossibilité de l’exécuter, de ses demandes indemnitaires forfaitaires, non justifiées et de sa demande de dommages et intérêts excédant le barème Macron – condamner Mme [Y] au paiement d’une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. – condamner Mme [Y] aux entiers dépens d’appel ; Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ; Vu l’ordonnance de clôture du 2 mai 2024 ; SUR CE ; EXPOSE DU LITIGE :
Selon contrat à durée indéterminée du 1er octobre 2007, Mme [N] [Y] a été embauchée par la société AGRÉMENTS SERVICES en qualité de chargée de clientèle, selon une classification d’agent de maîtrise, avant d’être promue en 2015 directrice de l’agence de [Localité 5] (25), statut cadre. En suite de rachats successifs, le contrat de travail a été transféré à la société STENPRO puis à la société ENETT et enfin à la SAS LUSTRAL, en février 2019. Le 26 mars 2021, Mme [Y] a informé M. [L], directeur des ressources humaines, de l’attitude managériale à son égard de M. [O], directeur de production supervisant les agences de [Localité 6], [Localité 4] et [Localité 3], et de son épuisement psychologique et physique consécutif. Le 29 mars 2021 Mme [N] [Y] a été placée en arrêt de travail. Soutenant être victime de faits de harcèlement moral, Mme [Y] a saisi le 22 juillet 2021 le conseil de prud’hommes de Montbéliard aux fins de voir constater le harcèlement moral, l’exécution déloyale du contrat de travail et le manquement de l’employeur à son obligation de prévention, de voir prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur et d’obtenir diverses indemnisations. Le 22 novembre 2021, Mme [Y] a été déclarée inapte avec dispense de l’obligation de reclassement au motif suivant ‘tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ‘. Le 16 décembre 2021, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement et a été licenciée le 21 décembre 2021 pour inaptitude d’origine professionnelle et impossibilité de reclassement. C’est dans ce contexte qu’est intervenue la décision aujourd’hui contestée. MOTIFS DE LA DÉCISION :
I – Sur la recevabilité des enregistrements : En matière prud’homale, la preuve est libre et peut de ce fait être rapportée par tous moyens. Pour autant, elle ne peut être obtenue ou produite de manière déloyale ou de manière illicite, sauf dans l’hypothèse où cette production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but recherché. (Cass soc 30 septembre 2020, n° 19-12.058 – Cass soc- 17 janvier 2024 n ° 22-17.474) Au cas présent, Mme [Y] fait grief aux premier juges d’avoir écarté sa pièce relative aux enregistrements vocaux qu’une de ses collègues a effectués, alors que ces enregistrements constituent pour elle le seul moyen de démontrer le harcèlement moral dont elle était victime et que leur production ne constitue pas une atteinte disproportionnée au but recherché. Si un enregistrement effectué à l’insu de l’employeur peut certes être retenu pour établir de tels agissements, c’est à la condition que ce dernier ne dispose pas d’autres éléments pour laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre. ( Cass soc- 17 janvier 2024 n° 22-17.474) Or, en l’état, la salariée produit aux débats des attestations, des compte-rendus de réunion et des échanges avec son employeur, de sorte que l’enregistrement des conversations dont elle se prévaut et qui a manifestement été obtenu de manière déloyale n’est pas indispensable pour l’exercice de son droit à la preuve. Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a écarté des débats la pièce correspondante, numérotée pièce 1 à hauteur d’appel. II – Sur le harcèlement moral : Aux termes de l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de cet article, toute disposition ou tout acte contraire est nul, en application de l’article L 1152-3 du code du travail. En vertu de l’article L 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l’application de l’article L 1152-1 du code du travail, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Au cas présent, Mme [Y] reproche à son employeur d’avoir commis à son encontre un harcèlement moral caractérisé par : – un manque de soutien et d’accompagnement par son supérieur hiérarchique, M. [V] [O] – une interférence de M. [O] directement auprès de ses équipes – des humiliations répétées de M. [O] lors des réunions en présence de ses équipes ayant conduit à la dégradation de ses conditions de travail et à l’apparition d’un syndrome anxio dépressif réactionnel. Pour en justifier, la salariée produit : – son courriel du 5 novembre 2020 adressé à M. [O] et à M. [D], président de la SAS LUSTRAL, contestant les constats faits par M. [O] lors de son passage à l’agence – son courriel d’alerte adressé au directeur des ressources humaines le 26 mars 2021 indiquant ‘être noyée, débordée, fatiguée (…), [V] [O] devait être un soutien pour moi en cas de difficultés. Mis à part des constats affligeants et des réprimandes, je n’ai jamais eu une quelconque aide, ni accompagnement de sa part. Il ne sait que m’appuyer un peu plus sur la tête ( Est-ce une attitude managériale »’) Pire encore, des humiliations répétées lors des réunions d’exploitation et des remarques plus que déplacées en présence de mon équipe REX et des assistantes RH et commerciale’; ‘ j’ai informé M. [D] le 3 février dernier lors de sa venue à l’agence du manque de respect de M. [O] à mon égard. Je n’ai à ce jour aucune nouvelle de sa part et la situation perdure et s’empire’; ‘M. [O] interfère systématiquement auprès de mes équipes ( les appelant sans cesse afin d’obtenir des informations ou pour me dénigrer), ce qui crée inéluctablement des tensions au sein de l’agence’ – l’attestation de M. [K] [M], collègue de travail, relatant avoir assisté à des entretiens téléphoniques et à des réunions où Mme [Y] était rabaissée devant les équipes par M. [O] – l’attestation de Mme [E], collègue de travail, relatant que ‘M. [O] m’a clairement dit qu’il ne supportait pas Mme [Y] (…), qu’il lui mettait la pression en permanence en la noyant de travail et en la harcelant continuellement au téléphone (…), la pire scène à laquelle j’ai assisté, c’était une réunion qui ressemblait plus à un tribunal, il l’a littéralement humiliée et discréditée aux yeux de ses collaborateurs ! J’enregistre souvent les réunions afin de réécouter et prendre des notes sans stress ! J’ai transmis un enregistrement audio à Mme [Y] qui en l’écoutant, vous comprendrez l’acharnement de M. [O] sur Mme [Y] ! Le comportement de M. [O] est totalement inadmissible, le despotisme dont il fait preuve et l’acharnement sont dans le seul but de la pousser vers la sortie’ – l’attestation de Mme [A], chargée de ressources humaines, confirmant les comportements agressifs et irrespectueux répétés de M. [O] à l’encontre de Mme [Y] – le courrier du 18 juillet 2021 du docteur [X], médecin à l’OPSAT, constatant un état anxieux marqué et son orientation vers un psychologue – le certificat médical du docteur [Z], médecin traitant, mettant en lien l’état de santé de Mme [Y] avec son travail – son arrêt de travail du 26 juillet 2021 pour ‘dépression’, et sa prolongation le 1er septembre 2021 pour ‘ syndrome anxio dépressif réactionnel’ . Les éléments de fait dénoncés par Mme [Y] et pris dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’un harcèlement dont cette salariée aurait été victime de la part de son employeur. Pour contester de tels agissements, l’employeur soutient que l’intervention de M. [O], désigné comme superviseur, ne concernait pas la seule agence de [Localité 5] mais l’ensemble des agences de la Bourgogne Franche-Comté, sans volonté particulière en conséquence de cibler Mme [Y] ; que cette désignation n’était pas en soi générateur d’une dégradation des conditions de travail, le but étant justement d’aider les chefs d’agence dans leur quotidien en adoptant des plans de fonctionnement ayant fait leurs preuves; que l’ensemble des réunions s’était tenue de manière ‘ouverte’ ; que les réunions et leur suivi démontraient simplement la mise en place d’un appui visant à adopter des méthodes de fonctionnement propres à améliorer la relation clientèle et le suivi opérationnel et administratif de l’agence de [Localité 5], qui rencontrait des difficultés ; que les échanges entre M. [O] et Mme [Y] n’étaient que des échanges d’information et de suivi rendus nécessaires par l’intégration dans un nouveau groupe ; que les mails ne contenaient rien d’insidieux, d’injurieux ou de déstabilisant et qu’il ne s’agissait en fait pour M. [O] que d’aider Mme [Y] à reprendre la main sur une situation en déshérence. Si les courriels produits aux débats par l’employeur sont certes courtois, ces derniers, au demeurant courts et tendant à la remise à brefs délais de rapports ou d’informations diverses, sont cependant insuffisants pour remettre en cause les attestations circonstanciées produites par la salariée, témoignant d’une part, du caractère houleux des réunions auxquelles participait M. [O] au sein de l’agence en présence des salariés et des propos irrespectueux et humiliants tenus à ces occasions à l’encontre de Mme [Y], comme lors de leurs communications téléphoniques. Par ailleurs, s’il relève certes du pouvoir d’organisation de l’employeur de désigner un superviseur pour accompagner les agences et les aider dans leur méthodes de fonctionnement, l’octroi d’une telle mission n’autorisait pas le superviseur à adopter une attitude managériale autoritaire, discourtoise et rabaissante à l’encontre de sa collaboratrice telles que décrites par les témoins, quand bien même l’agence aurait été ‘en difficultés’ ou que les objectifs fixés dans les compte-rendus n’auraient pas été atteints, ce que conteste Mme [Y]. L’employeur a au contraire lui-même reconnu le caractère ‘discutable’ de la ‘forme’ de certains points dans son courriel du 5 novembre 2020, tout en minimisant ce dernier en rappelant à la salariée que ‘ce n’était pas l’essentiel’, l’essentiel étant au contraire de ‘revenir plus rapidement aux standards de gestion d’une agence Lustral’. Les comptes-rendus produits par l’employeur mettent au surplus en exergue les nombreux griefs et reproches portés sur l’activité et le fonctionnement de la salariée, sans qu’en regard, les explications et observations qu’elle a pu présenter, en rappelant notamment les difficultés liées à la pandémie ou au déficit de personnel, aient été entendues. M. [O] mentionne ainsi fréquemment sur ces derniers, communiqués à tous les participants, ‘la réponse ne convient pas’, ‘ il manque des infos’, ‘compte-rendu trop succinct’, ‘pas informé’, confirmant ainsi la remise en cause publique des compétences et de l’ autorité de cette responsable d’agence depuis plus de six ans. Les courriels produits par la salariée témoignent au surplus des multiples sollicitations journalières qu’elle recevait et qui dépassaient le cadre d’un simple ‘accompagnement’ ou aide par un ‘superviseur’, telle que revendiqué par l’employeur. Enfin, si l’employeur soutient avoir immédiatement réagi en suite de la réception de son courriel du 26 mars 2021, ce dernier ne justifie ni d’avoir engagé une enquête au sein de son établissement ni d’avoir entendu M. [O] sur son mode de management ni d’avoir apporté une réponse concrète à la salariée. Si l’employeur a certes informé l’Inspection du travail par courriel du 30 mars 2021, il n’a cependant pas diligenté d’investigations en l’absence de réponse de cette administration et n’apporte aucun élément pour démontrer l’audition de M. [O] qu’il prétend avoir effectuée et le cadre qu’aurait pris cette dernière. Tout autant, s’il conteste les termes du certificat du docteur [Z], lesquels dépassent effectivement les constatations que ce dernier pouvait effectuer, aucun élément sérieux en permet d’établir que les certificats médicaux ainsi produits, dont l’un provient de la médecine du travail, seraient des certificats de complaisance, alors même que le caractère professionnel de la maladie déclarée le 29 mars 2021 a été retenue par la caisse primaire d’assurance maladie dans son courrier du 20 avril 2022 De tels agissements répétés de la part de l’employeur, qui ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail de Mme [Y], susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, sont caractéristiques du harcèlement moral. C’est donc à tort que les premiers juges ont retenu que les faits dénoncés par Mme [Y] étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et l’ont déboutée de sa demande de dommages et intérêts. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé de ce chef et la SAS LUSTRAL sera condamnée à payer à Mme [Y] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en suite de la situation de harcèlement subie. III – Sur l’exécution déloyale du contrat de travail : Aux termes de l’article L 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi, ce qui implique une obligation de loyauté de l’employeur à l’égard de son salarié. Au cas présent, Mme [Y] reproche à l’employeur le harcèlement moral auquel il l’a confrontée à compter d’octobre 2020. Ces agissements, qui ont été reconnus par les développements ci-dessus, constituent indéniablement une exécution fautive du contrat de travail par l’employeur qui ne pouvait méconnaître une telle situation, ayant été alerté les 5 novembre 2020, 3 février et 26 mars 2021. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé et la SAS LUSTRAL sera condamnée à payer à Mme [Y] la somme de 2 500 euros en réparation du préjudice ainsi subi. IV – Sur l’obligation de sécurité : Aux termes de l’article L4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en organisant des actions de prévention des risques professionnels, en prévoyant des actions d’information et de formation et en s’assurant de la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. L’obligation de sécurité est une obligation de moyens. (Cass soc 14 novembre 2018 n° 17-18 890) En l’espèce, Mme [Y] soutient que l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en adoptant un comportement de harcèlement moral et en exécutant de manière déloyale le contrat de travail, ce qui a conduit à son placement en arrêt-maladie et à son inaptitude à tous les postes au sein de l’entreprise. L’employeur ne justifie pas, alors qu’une telle charge de la preuve lui incombe, d’avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir les risques de harcèlement moral dont a été victime la salariée au sein de l’entreprise et assurer la santé et la protection de ses salariés. Le fait d’avoir alerté l’Inspection du travail à réception du courriel du 26 mars 2021 est en effet insuffisant pour démontrer que cet employeur a rempli son obligation. Il en est de même du rappel des dispositions légales relatives au harcèlement moral dans le règlement intérieur, une telle mention ne démontrant pas les mesures précises mises en place pour prévenir de tels agissements prohibés. Le DUERP est tout autant taisant sur les moyens alloués pour prévenir les risques psycho-sociaux provenant d’un harcèlement managérial. Le jugement sera en conséquence infirmé et la SAS LUSTRAL sera condamnée à payer à Mme [Y] la somme de 2 500 euros en réparation du préjudice ainsi subi, lequel doit s’indemniser distinctement de celui issu du harcèlement moral. V- Sur la rupture du contrat de travail : Mme [Y] ayant saisi en premier lieu le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, cette dernière doit être examinée avant de se prononcer sur la contestation élevée à l’encontre de la mesure de licenciement dont elle a fait l’objet postérieurement. La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée lorsque l’une des parties rapporte la preuve de l’inexécution par l’autre partie des obligations qui étaient les siennes et lorsque les manquements ainsi constatés présentent une gravité suffisante pour voir rompu le lien de subordination. Au cas présent, les motifs ci-dessus détaillés mettent en exergue que la SAS LUSTRAL a commis des faits de harcèlement moral sur Mme [Y], a manqué à son obligation de sécurité à son égard et a exécuté de mauvaise foi le contrat de travail. Ces faits, qui présentaient un caractère de gravité indéniable, justifient que la résiliation du contrat de travail soit prononcée aux torts exclusifs de l’employeur. Cette rupture produit les effets d’un licenciement nul conformément aux dispositions de l’article L 1152-3 du code de la consommation. (Cass soc – 20 février 2013 n° 11-26.560)) Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en ce qu’il a débouté Mme [Y] de ses demandes en lien avec la rupture de son contrat de travail. VI- Sur les indemnités liées à la rupture du contrat de travail : Aux termes de l’article L 1235-3-1, lorsque la rupture du contrat de travail est en lien avec des faits de harcèlement moral, le juge octroie au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire. Au cas présent, Mme [Y] bénéficiait d’un revenu mensuel non-contesté de 5 078 euros brut et d’une ancienneté de 14 ans lors de son licenciement du 21 décembre 2021, date à laquelle la présente résiliation judiciaire aux torts exclusifs de l’employeur doit s’apprécier. Il y a donc lieu de condamner la SAS LUSTRAL à payer à Mme [Y] : – la somme de 50780 euros à titre de dommages et intérêts pour la réparation de la résiliation judiciaire du contrat de travail – la somme de 15 234 euros, au titre de l’indemnité de préavis, outre 1 523,40 euros au titre des congés payés afférents, peu important en l’état que la salariée ait été en arrêt maladie et dans l’impossibilité d’exécuter ce dernier. (Cass soc 5 juin 2001 n° 99-41.186) La résiliation judiciaire du contrat de travail étant prononcée par le présent arrêt et se substituant à la mesure de licenciement préalablement notifiée par l’employeur, Mme [Y] ne peut solliciter un rappel au titre de l’indemnité spéciale de licenciement, dès lors que cette indemnité prévue à l’article L 1226-14 du code du travail ne peut être octroyée qu’en cas de licenciement pour inaptitude professionnelle. Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté Mme [Y] de cette demande, la salariée ayant d’ores et déjà été remplie de ses droits au titre de l’indemnité de licenciement. VI- Sur les autres demandes : Les sommes allouées à Mme [Y] porteront intérêts au taux légal : – à compter de la convocation devant le bureau de conciliation, qui vaut citation en justice en application de l’article R 1452-5 du code du travail, pour les sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents – à compter de la présente décision s’agissant de l’indemnité pour licenciement nul et des divers dommages et intérêts alloués. La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application des dispositions de l’article 1343-2 du code du travail, lesquelles sont d’ordre public. Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles. Partie perdante, la SAS LUSTRAL sera déboutée de sa demande présentée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens de première instance et d’appel. La SAS LUSTRAL sera également condamnée à payer à Mme [Y] la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles. PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi, : Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Montbéliard du 16 décembre 2022, sauf en ce qu’il a écarté la pièce relative à l’enregistrement clandestin et a débouté Mme [Y] de sa demande de rappel au titre de l’indemnité de licenciement Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant : Dit que Mme [N] [Y] a été victime de harcèlement moral de la part de son employeur Condamne en conséquence la SAS LUSTRAL à payer à Mme [N] [Y] les sommes suivantes : * 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le harcèlement moral * 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour l’exécution déloyale du contrat de travail * 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour le manquement à l’obligation de sécurité Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [N] [Y] aux torts exclusifs de la SAS LUSTRAL Dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul Condamne en conséquence la SAS LUSTRAL à payer à Mme [N] [Y] la somme de 50 780 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture du contrat de travail Condamne la SAS LUSTRAL à payer à Mme [N] [Y] la somme de 15 234 euros au titre de l’indemnité de préavis, outre la somme de 1 523,40 euros au titre des congés payés afférents Dit que les condamnations prononcées porteront intérêt au taux légal : – à compter de la convocation devant le bureau de conciliation, qui vaut citation en justice en application de l’article R 1452-5 du code du travail, pour les sommes allouées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents – à compter de la présente décision s’agissant de l’indemnité pour licenciement nul et des divers dommages et intérêts alloués Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil Condamne la SAS LUSTRAL à payer à Mme [Y] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande présentée sur le même fondement Condamne la SAS LUSTRAL aux dépens de première instance et d’appel. Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le seize juillet deux mille vingt quatre et signé par Florence DOMENEGO, Conseiller, pour le Président empêché, et Mme MERSON GREDLER, Greffière. LA GREFFIÈRE, LE CONSEILLER, |
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Le plus ancien