Enregistrement issu d’un dispositif de vidéosurveillance

Notez ce point juridique

L’enregistrement issu d’un dispositif de vidéosurveillance destiné concurremment à la protection des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise et au contrôle et à la surveillance de l’activité des salariés constitue un moyen de preuve illicite dès lors que l’employeur n’a pas informé les salariés et consulté les représentants du personnel quant à la finalité de contrôle de l’activité salariée.

La lettre de licenciement précise que M. X a été surpris faisant le guet grâce aux caméras de surveillance. Le salarié a fait valoir avec succès que cette preuve était illicite dès lors que l’employeur ne justifiait pas avoir déclaré ce dispositif de vidéo-surveillance à la CNIL, ni avoir sollicité l’avis des institutions représentatives du personnel et ne justifiait pas avoir informé les salariés de la mise en place d’un tel dispositif.

L’employeur ne justifiait pas avoir accompli les formalités nécessaires et le moyen de preuve est dès lors illicite au regard de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données.

Si l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié, il appartenait à l’employeur de justifier que cette production était indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte était strictement proportionnée au but poursuivi.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 6

ARRÊT DU 02 FEVRIER 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/00120 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B4W6V

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Octobre 2017 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 16/01330

APPELANT

Monsieur C X

[…]

[…]

Représenté par Me Houria AMARI, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS,

toque : 103

INTIMÉE

SARL SODIBA

[…]

[…]

Représentée par Me Yohanna WEIZMANN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0242

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Décembre 2021, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Anne BERARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Anne BERARD, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

Greffier : Madame Marylène BOGAERS, lors des débats ARRÊT :

– contradictoire,

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Anne BERARD, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. X a été embauché par la société Super Pradier devenue SARL Franprix Sodiba le 4 octobre 1990 par contrat de travail à durée déterminée, en qualité d’employé libre-service.

La relation de travail s’est poursuivie dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Il exerçait en dernier lieu la fonction d’employé commercial et la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire est applicable à la relation de travail.

M. Y été convoqué le 4 janvier 2016 à un entretien préalable fixé le 13 janvier 2016 en vue d’un éventuel licenciement et a fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire à compter du 2 janvier 2020.

M. X a été licencié pour faute grave par lettre en date du 8 février 2016.

M. X a saisi le Conseil de Prud’hommes de Bobigny le 29 mars 2016 qui, par jugement du 31 octobre 2017, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes et a débouté la SARL Franprix Sodiba de sa demande reconventionnelle.

Le 11 décembre 2017, M. X a régulièrement interjeté appel.

Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 4 juillet 2018, auxquelles il est expressément fait référence, M. X demande à la cour de le recevoir en ses demandes et l’en dire bien fondé,

Réformer la décision entreprise en ce qu’il a été retenu que la faute grave était caractérisée, à défaut, retenir l’existence du doute en faveur du salarié,

Constater que ni la faute grave, ni la cause réelle et sérieuse ne sont caractérisées,

Par voie de conséquence, faire droit aux demandes suivantes :

Salaire de la mise à pied à titre conservatoire ayant couru du 2 Janvier 2016 au 8 Février 2016 : 2 399 Euros,

– Congés payés afférents : 239,90 Euros,

– Préavis : 3 999,40 Euros,

– Congés payés afférents : 399,94 Euros,

– Indemnité de licenciement : 13 997,89 Euros,

– Indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 40 000 Euros.

Ordonner la remise d’un bulletin de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à la décision à intervenir, ce sous astreinte de 100 Euros par jour de retard et par document à compter de la décision à intervenir, la Cour se réservant la faculté de liquider l’astreinte.

Y ajouter une somme de 2 000 Euros sur le fondement de l’Article 700 du Code de Procédure Civile en cause d’appel.

Rappeler que les intérêts au taux légal ont couru au jour de l’introduction de la demande.

Par conclusions remises au greffe et transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 14 mai 2018, auxquelles il est expressément fait référence, la SARL Franprix Sodiba demande de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter M. X de toutes ses demandes et de condamner M. X à lui verser une somme de 2.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée par ordonnance en date du 13 janvier 2020.

Initialement fixée à plaider le 10 février 2020, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 6 décembre 2021 à la suite d’un mouvement de grève des avocats.

MOTIFS

Sur la faute grave

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Sur le fondement des articles L 1232-1 et L 1235-3 du code du travail dans leur rédaction applicable à l’espèce, la cour, à qui il appartient de qualifier les faits invoqués et qui constate l’absence de faute grave, doit vérifier s’ils ne sont pas tout au moins constitutifs d’une faute de nature à conférer une cause réelle et sérieuse au licenciement.

Sur la licéité des preuves

Sur la vidéosurveillance

L’enregistrement issu d’un dispositif de vidéosurveillance destiné concurremment à la protection des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise et au contrôle et à la surveillance de l’activité des salariés constitue un moyen de preuve illicite dès lors que l’employeur n’a pas informé les salariés et consulté les représentants du personnel quant à la finalité de contrôle de l’activité salariée.

La lettre de licenciement précise que M. X a été surpris faisant le guet grâce aux caméras de surveillance.

M. X soutient que cette preuve est illicite dès lors que l’employeur ne justifie pas avoir déclaré ce dispositif de vidéo-surveillance à la CNIL, ne justifie pas avoir sollicité l’avis des institutions représentatives du personnel et ne justifie pas avoir informé les salariés de la mise en place d’un tel dispositif.

L’employeur, qui ne conclut pas sur ce point, ne justifie pas avoir accompli les formalités nécessaires et le moyen de preuve est dès lors illicite au regard de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données.

Si l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié, il appartenait à l’employeur de justifier que cette production était indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte était strictement proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, l’employeur ne concluant pas sur ce point, n’apporte aucune justification, ce qui conduit à écarter la pièce 17 des débats.

Sur l’attestation de l’employeur

C’est vainement que le salarié oppose la règle le principe selon lequel ‘nul ne peut se constituer de preuve à lui-même’ pour contester la validité de l’attestation de M. Z, directeur du magasin qui a procédé à son licenciement, cette règle n’étant pas applicable à la preuve des faits juridiques.

L’attestation de l’employeur dans un litige l’opposant à son salarié n’est par ailleurs pas irrecevable même si sa force probante relève de l’appréciation souveraine du juge.

Sur le fond

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige fait grief au salarié d’avoir volé des produits du magasin avec M. A, et d’avoir surpris grâce aux cameras de surveillance M. X faisant le guet pendant que M. A vidait les vestiaires des produits stockés.

Il est alors intervenu et a constaté en présence de deux témoins qu’ils avaient dérobé :

– Huit bouteilles de vin « Chianti »

– Deux petites bouteilles de vodka pour un produit total de 109,71€

Aux termes de l’attestation de son attestation, mais aussi du courriel d’explication qu’il a envoyé au siège de entreprise le 14 janvier 2016 et de sa plainte aux services de police déposée dès le 3 janvier, M. Z relate qu’il avait constaté le 2 janvier au matin une odeur d’alcool dans les vestiaires et avait interrogé M. X, puis M. A sur l’identité des utilisateurs des armoires fermées au cadenas et avoir obtenu de leur part des explications contradictoires. Aucun d’eux ne revendiquant l’usage de l’armoire dégageant un odeur de vin, M. Z explique l’avoir symboliquement scellée au scotch devant les salariés.

Il explique avoir constaté quelque temps plus tard des mouvements suspects à la caméra, être monté à l’étage, avoir constaté que le couloir d’accès aux vestiaires avait été volontairement occulté par une palette, avoir vu M. X en train de faire le guet et alerter M. A et avoir surpris ce dernier en train d’ouvrir un casier de vestiaire contenant notamment des bouteilles ouvertes provenant du magasin, outre un relevé bancaire appartenant à M. X, M. A ayant à sa vue jeté les clés qu’il venait d’utiliser.

L’attestation de M. B, salarié que M. Z avait appelé pour l’accompagner, confirme qu’une palette bloquait l’accès du couloir menant au vestiaire, que M. X se trouvait à côté de cette palette et M. A dans le vestiaire, M. B ayant constaté qu’il avait ouvert l’armoire dans laquelle se trouvaient des bouteilles de vin vide et un tire bouchon et avait jeté les clés devant lui.

Si la preuve n’est pas rapportée que M. X a bien directement participé au vol d’alcool, il est établi qu’il s’est rendu complice de M. A à l’occasion de la tentative qu’il a faite de faire disparaître les preuves de ce vol. A lui seul, ce fait caractérise une déloyauté grave envers l’employeur.

Si M. X est fondé à soutenir que l’employeur ne peut rappeler au titre d’un comportement répété des sanctions disciplinaires antérieures de plus de trois ans, celui-ci n’en rapporte pas moins la preuve d’une faute grave imputable à M. X et ayant rendu impossible la poursuite de la relation de travail.

Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef, ainsi qu’en ce qu’il a débouté M. X de l’intégralité de ses demandes subséquentes, la mise à pied à titre conservatoire étant justifiée, la faute grave étant exclusive d’indemnité de licenciement et de préavis et le licenciement justifié excluant qu’il soit alloué des dommages et intérêts.

Sur les dépens et frais irrépétibles

M. X sera condamné aux dépens de l’instance d’appel et conservera la charge de ses frais irrépétibles.

L’équité et les circonstances de la cause ne commandent pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société Franprix Sodiba.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

ECARTE des débats la pièce 17 produite par la société Franprix Sodiba ;

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions;

CONDAMNE M. X aux dépens ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes présentées au titre des frais irrépétibles.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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