Dans cette affaire, un architecte a poursuivi en violation de l’image de l’une de ses créations (villa), un producteur audiovisuel qui avait reproduit partiellement l’image de la villa en arrière plan de quelques scènes du film « La fille coupée en deux » pour une durée totale de 3 minutes .33 secondes. La violation du droit à l’image a été retenue.
Image des maisons œuvres architecturales
Une maison peut être considérée comme une œuvre architecturale. A ce titre, l’image de la maison se trouve protégée et une autorisation doit être obtenue y compris en cas de reproduction de l’image de la maison dans une œuvre audiovisuelle / cinématographique. Le producteur de l’œuvre audiovisuelle a, à ce titre, une obligation de vigilance.
En l’espèce, un architecte se prévalait du caractère original de la villa qu’il avait conçu. Au delà des contraintes techniques et environnementales, les juges ont conclu que la maison répondait bien à des recherches esthétiques en combinant un agencement en deux « blocs » principaux reliés par une galerie en baie vitrée, un toit plat, des découpes obliques, de très nombreuses et larges ouvertures, la surélévation de la terrasse et de la piscine qui affleure la maison et l’alliance du béton au bois, dans un ensemble contemporain.
Protection des œuvres architecturales
Aux termes de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Ce droit est conféré, selon l’article L. 112-1 du même code, à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Sont notamment considérées comme oeuvres de l’esprit, en vertu de l’article L. 112-2-7°, les œuvres d’architecture et en vertu de l’article L. 112-2-12° les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à l’architecture. Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale.
Néanmoins, lorsque cette protection est contestée en défense, l’originalité d’une oeuvre doit être explicitée par celui qui s’en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d’identifier les éléments traduisant l’empreinte de sa personnalité.
En conséquence, toute personne revendiquant des droits sur une œuvre doit la décrire et spécifier ce qui la caractérise et en fait le support de sa personnalité, tâche qui ne peut revenir au tribunal qui n’est par définition pas l’auteur de l’oeuvre et ne peut substituer ses impressions subjectives aux manifestations de la personnalité de l’auteur architecte. Ainsi, le tribunal ne peut ni porter de jugement sur la qualité de l’oeuvre qui lui est soumise ni imposer ses choix ou ses goûts ; il ne peut qu’apprécier le caractère protégeable de l’oeuvre au vu des éléments revendiqués par l’auteur et des contestations émises par ses contradicteurs.
L’appréciation portée par le tribunal doit s’effectuer de manière globale, en fonction de l’aspect d’ensemble produit par l’agencement des différents éléments caractéristiques de la maison et non par l’examen de chacun d’eux pris individuellement.
En l’espèce, l’oeuvre architecturale conçue présentait une identité résultant des choix esthétiques reflétant la personnalité de l’auteur, notamment par le choix des volumes, de leur agencement, des jeux d’ouvertures (larges baies vitrées, « meurtrières » horizontales), des reliefs, des proportions. Il ne s’agissait pas d’une simple organisation en blocs rappelant 1’architecture de Le Corbusier mais d ‘ une oeuvre qui présentait les choix esthétiques révélant l’empreinte de la personnalité de l’auteur et qui, en tant que telle, bénéficiait de la protection prévue aux titres I et III du code de la propriété intellectuelle.
Image des biens
En défense, le producteur se prévalait de la théorie de l’accessoire. Cette exception n’a pas été retenue : le visionnage du film a permis au tribunal de constater que lors de la première séquence du film, la villa apparaît distinctement. Par ailleurs, les différentes scènes tournées dans la maison mettent en avant les espaces, leur agencement en différents niveaux et les ouvertures de la construction. Il en ressort que la maison attire clairement l’attention du spectateur pendant les premières minutes du film, excluant ainsi tout caractère fortuit de l’inclusion de la bâtisse dans le film et donc tout caractère accessoire à la reproduction de la maison (contrefaçon établie au sens de 1 ‘ article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle).
Droit au nom de l’architecte
Par ailleurs, en omettant de mentionner le nom de 1’architecte de la maison au générique de l’oeuvre cinématographique ou sur son support commercial, le producteur a porté atteinte au droit moral de l’architecte tel que défini à l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle (préjudice moral de 2 000 euros).
Garantie légale d’éviction
Une autre question a été soulevée par cette affaire soumise : la garantie légale éventuellement due par le propriétaire qui avait loué la villa (propriétaire distinct de l’architecte). En vertu de l’article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites et elles doivent être exécutées de bonne foi. L’article 9 de la convention conclue avec le propriétaire relative au tournage dans la maison stipulait que « dans les cas où, dans les lieux concernés par le tournage se trouveraient des objets ou œuvres protégées, le contractant (propriétaire) devra les signaler à la production afin qu’ils soient retirés si celle-ci ne désire pas les reproduire, ou obtenir les autorisations nécessaires à leur reproduction à l’occasion des prises de vue. En l’absence de stipulations de la part du contractant, tous objets, meubles, bibelots ou oeuvres contenus dans les lieux concernés par le tournage seront réputés libres de tous droit de reproduction … cette absence de stipulation dégageant la responsabilité de la production de tout recours des éventuels ayants-droit ».
Le propriétaire prétendait que cette clause ne s’appliquait qu’aux objets matériels inclus dans la maison, alors que le producteur faisait valoir que les conventions doivent s’exécuter de bonne foi et que les lieux du tournage comprennent les lieux intérieurs et extérieurs, la clause évoquant toute « oeuvre ». Les juges ont opté pour cette deuxième option : le propriétaire aurait dû informer le producteur de ce qu’il n’était pas cessionnaire du droit de reproduction sur la maison / villa et ne pouvait se retrancher à ce titre derrière 1’ insuffisance de prévision, au demeurant non établie, de la clause de garantie.
Toutefois, en sa qualité de professionnel, le producteur audiovisuel aurait dû se renseigner sur le nom de l’architecte et s’assurer du respect de son droit au nom, droit imprescriptible et inaliénable, ce manquement à son obligation de vérification, constituant une négligence excluait toute garantie contractuelle du propriétaire.
Mots clés : Droits des architectes
Thème : Droits des architectes
A propos de cette jurisprudence : juridiction : Tribunal de Grande instance de Paris | Date : 8 fevrier 2013 | Pays : France