La Cour de cassation a rendu une décision particulièrement contraignante concernant la fonction de suggestion de mots clés proposée par les moteurs de recherche.
SNEP contre Google
Le Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), qui représente, en France, des sociétés de l’industrie phonographique a fait constater par huissier, que la fonctionnalité Google Suggestions du moteur de recherche Google, dont le principe est de proposer aux internautes des termes de recherche supplémentaires associés automatiquement à ceux de la requête initiale en fonction du nombre de saisies, suggérait systématiquement d’associer à la saisie de requêtes portant sur des noms d’artistes ou sur des titres de chansons ou d’albums les mots-clés “Torrent”, “Megaupload” ou “Rapidshare” (système en partie illicite d’échange de fichiers).
Victoire de Google en appel
En appel (CA de Paris, 3 mai 2011), les juges ont considéré que la suggestion de ces sites ne constitue pas en elle-même une atteinte au droit d’auteur dès lors que, d’une part, les fichiers figurant sur ceux-ci ne sont pas tous nécessairement destinés à procéder à des téléchargements illégaux. En effet, l’échange de fichiers contenant des oeuvres protégées notamment musicales sans autorisation ne rend pas ces sites en eux-mêmes illicites, c’est l’utilisation qui en est faite par ceux qui y déposent des fichiers et les utilisent qui peut devenir illicite.
D’autre part, la suggestion automatique de ces sites ne peut générer une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin que si l’internaute se rend sur le site suggéré et télécharge un phonogramme protégé et figurant en fichier sur ces sites. A ce titre, les sociétés Google ne pouvaient être tenues pour responsables du contenu éventuellement illicite des fichiers échangés figurant sur les sites incriminés ni des actes des internautes recourant au moteur de recherche. Le téléchargement de tels fichiers suppose un acte volontaire de l’internaute dont les sociétés Google ne pouvaient être déclarées responsables.
De surcroît, la suppression des termes “Torrent”, “Rapidshare” et “Megaupload” rend simplement moins facile la recherche de ces sites pour les internautes qui ne les connaîtraient pas encore et que le filtrage et la suppression de la suggestion ne sont pas de nature à empêcher le téléchargement illégal de phonogrammes ou d’oeuvres protégées par le SNEP dès lors qu’un tel téléchargement résulte d’un acte volontaire et réfléchi de l’internaute.
Censure de la Cour de cassation
Saisis de l’affaire, les juges suprêmes ont censuré l’arrêt favorable à Google. D’une part, le service de communication au public en ligne des sociétés Google oriente systématiquement les internautes, par l’apparition des mots-clés suggérés en fonction du nombre de requêtes, vers des sites comportant des enregistrements mis à la disposition du public sans l’autorisation des artistes-interprètes ou des producteurs de phonogrammes, de sorte que ce service offre les moyens de porter atteinte aux droits des auteurs ou aux droits voisins.
D’autre part, les mesures sollicitées par le SNEP étaient fondées dans la mesure où elles tendent à prévenir ou à faire cesser cette atteinte par la suppression de l’association automatique des mots-clés avec les termes des requêtes, de la part des sociétés Google qui pouvaient ainsi contribuer à y remédier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux (sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale). Il se pourrait donc que les sociétés Google France et Google Inc soient obligées de supprimer les termes “Torrent”, “Megaupload” et “Rapidshare” des suggestions proposées sur le moteur de recherche et toutes autres suggestions liées.
Fondement juridique
Pour rendre cette solution défavorable aux moteurs de recherche, les juges suprêmes se sont basés sur deux dispositions clefs du Code de la propriété intellectuelle : L’article L335-4 qui punit de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d’une prestation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, de l’artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou de l’entreprise de communication audiovisuelle.
L’article L336-2 qui dispose qu’en présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance (statuant en cas de besoin en la forme des référés), peut ordonner à la demande des titulaires de droits sur les œuvres et objets protégés, toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier.
Mots clés : Responsabilite des moteurs de recherche
Thème : Responsabilite des moteurs de recherche
A propos de cette jurisprudence : juridiction : Cour de cass. ch. civ. | Date : 12 juillet 2012 | Pays : France