COUR D’APPEL
D’ANGERS
CHAMBRE A – COMMERCIALE
CC/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 22/01008 – N° Portalis DBVP-V-B7G-FALF
jugement du 01 Juin 2022
Tribunal de Commerce de LAVAL
n° d’inscription au RG de première instance 2021000993
ARRET DU 23 JANVIER 2024
APPELANTE :
CAISSE FEDERALE DU CREDIT MUTUEL DE MAINE ANJOU ET BASSE NORMANDIE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Nicolas FOUASSIER de la SELARL SELARL BFC AVOCATS, avocat au barreau de LAVAL – N° du dossier 22100110
INTIMEE :
S.A.S. OUEST ACRO
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
Représentée par Me Inès RUBINEL, associée de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat postulant au barreau d’ANGERS et par Me Julie DEGENEVE, avocat plaidant au barreau de LYON substituée par Me COILLARD
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 21 Novembre 2023 à 14 H 00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme CORBEL, présidente de chambre qui a été préalablement entendue en son rapport et devant M. CHAPPERT, conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CORBEL, présidente de chambre
M. CHAPPERT, conseiller
Mme GANDAIS, conseillère
Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 23 janvier 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine CORBEL, présidente de chambre et par Sophie TAILLEBOIS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
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FAITS ET PROCÉDURE
La société (SAS) Ouest Acro, entreprise du secteur du bâtiment et des travaux publics, est spécialisée dans l’emploi de techniques de travaux en hauteur, notamment sur cordes, et la sécurité des hommes en hauteur. Elle a pour président la société (SARL) Bara Investissement qui a pour associée unique la société K2, holding personnelle de M. [G] [U], également dirigeant de la SAS Ouest Acro.
La SAS Ouest Acro est titulaire d’un compte courant professionnel ouvert dans les livres de la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou Basse Normandie.
Le 29 octobre 2010, la SARL Bara Investissement a conclu un contrat de ‘banque à distance’ n°BAD003810000000381 avec la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie, comprenant les services de télétransmission et de ‘services délégués avec les fonctions suivantes : gestion des délégués’.
Le même jour, la SAS Ouest Acro a signé une extension de contrat de banque à distance par laquelle elle donnait mandat à la SARL Bara Investissement pour ‘régir et administrer, tant activement que passivement pour moi et en mon nom, tous comptes et contrats actuels et futurs, sans exception, ouverts à mon nom auprès du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie.’
La SARL Bara Investissement a souscrit une option d’identification Safetrans qui devait permettre de garantir l’authentification de l’opérateur amené à effectuer des opérations dans le cadre du contrat de banque à distance. Il s’agit d’un processus d’authentification et de sécurisation d’opérations qui repose sur une carte d’authentification et un boîtier lecteur associé.
Ce même 29 octobre 2010, la SARL Bara Investissement en sa qualité de souscripteur a convenu avec la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou Basse Normandie de l’attribution à M. [O] [M], comptable salarié de la SARL Bara Investissement, du ‘produit carte d’authentification bancaire n° 13003018230″. Par la suite, la gestion comptable de la SAS Ouest Acro a été confiée à M. [O] [M].
Le 13 mars 2020, M. [U] a reçu un appel du Crédit Agricole, dont la société Ouest Acro est aussi cliente, qui lui a demandé confirmation d’une demande faite téléphoniquement visant à l’augmentation du montant de l’ouverture de crédit consentie par cette banque.
M. [U] a demandé immédiatement à ce que le virement soit bloqué et annulé.
A cette occasion, M. [U] a découvert que M. [M] avait ordonné à partir du compte ouvert auprès de la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie, 11 virements vers des comptes bancaires situées à l’étranger (Roumanie, Hongrie et Pologne) pour un montant de 1’297’158,32 euros, entre le 10 février 2020 et le 9 mars 2020.
M. [U] a demandé la suppression de l’accès au réseau informatique de la SAS Ouest Acro de M. [M], puis l’intégralité des droits et autorisations de ce dernier auprès de la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie. M. [M] a été mis à pied à titre conservatoire.
La SAS Ouest Acro explique que, le 6 février 2020, M. [M] avait reçu un courriel de la part d’une fausse adresse email de M. [U] l’informant d’une opération d’acquisition secrète d’une société basée en Europe, lui demandant d’effectuer à cet effet des virements immédiats sur l’adresse d’un prétendu Maître [V] (présenté comme membre du cabinet de conseil juridique de la SAS Ouest Acro), et lui imposant des mesures de confidentialité ; qu’il s’agirait d’une escroquerie connue sous le nom ‘fraude au président’.
Le 14 mars 2020, M. [U] a sollicité auprès de la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie le rapatriement des fonds objets des virements frauduleux.
Le 17 mars 2020, M. [U] a déposé plainte auprès de la Brigade financière des services régionaux de la police judiciaire (SRPJ) d'[Localité 2] pour escroquerie.
Par courriel du 19 mars 2020, la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie a répondu qu’aucun retour de fonds n’était possible parce qu’ils avaient été utilisés et que la seule solution était la voie judiciaire.
Le 20 mars 2020, une copie de la plainte déposée auprès de la SRPJ d'[Localité 2] a été adressée au procureur de la République de [Localité 4].
La SAS Ouest Acro indique que confrontée au refus du Crédit Mutuel de procéder à toute restitution, elle a dû souscrire le 31 mars 2020, un emprunt bancaire de 700 000 euros auprès de la société BPI Financement, en vue d’un ‘renforcement de la structure financière’, remboursable sur une durée de 5 ans, au taux d’intérêts de 2%.
Le 24 avril 2020, la branche roumaine de la banque ING a remboursé à la SAS Ouest Acro la somme de 48 611,71 euros.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 juin 2020, M. [U], reprochant de nombreux manquements à la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie, notamment aux obligations dont elle est tenue en qualité de dépositaire de fonds, de prestataire de services de paiement, au titre de son devoir de vigilance, l’a mise en demeure de rembourser l’ensemble des fonds détournés.
Par lettre en réponse du 7 juillet 2020, la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou Basse Normandie a dénié sa responsabilité, rejetant la faute sur M. [M].
Aucune solution amiable n’a été trouvée entre les parties.
Par acte d’huissier du 25 février 2021, la SAS Ouest Acro a fait assigner la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie, devant le tribunal de commerce de Laval en paiement de la somme de 1 248 546,61 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice financier principal, de la somme de 43 072 euros à titre de dommages et intérêts au titre de ses préjudices financiers accessoires, de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral et d’image,
La Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie s’est opposées à ces prétentions.
Par jugement du 1er juin 2012, le tribunal de commerce de Laval, au vu des articles 1937-5 du code civil, L. 561-6 du code monétaire et financier, et 514-5 du code de procédure civile, a :
– condamné la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à payer à la SAS Ouest Acro la somme de 624 273,30 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamné la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à payer à la SAS Ouest Acro la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires,
– dit l’exécution provisoire de plein droit, la subordonnant à la constitution d’une garantie à hauteur de 300 000 euros,
– condamné la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie aux entiers dépens.
Le tribunal a considéré que le Crédit Mutuel avait fautivement validé onze virements vers des banques de pays connus pour le type d’escroquerie en cause et autorisé un découvert de 400 000 euros afin de pouvoir exécuter certains de ces virements, sans alerter M. [U], en méconnaissance de l’article L. 561-6 du code monétaire et financier ; que la banque avait manqué à son devoir de vigilance au regard de l’importance inhabituelle des montants des opérations effectuées mais aussi de la destination des virements. Il a néanmoins estimé que la fraude avait été favorisée par le comportement fautif de M. [M] (qui était habilité par son employeur à effectuer des virements et disposait de tous les codes pour parvenir à ces opérations bancaires, et qui n’a pas vérifié les ordres reçus) mais aussi par l’absence de surveillance de la part de M. [U] qui n’a pas mis en place des règles de contrôle interne suffisamment efficientes face à ce risque connu, relevant que l’opération de fraude avait duré pendant un mois. Il a retenu un partage de responsabilités à hauteur de 50% du dommage subi par la SAS Ouest Acro
Par déclaration du 10 juin 2022, la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie a relevé appel de ce jugement en attaquant toutes ses dispositions.
La SAS Ouest Acro a formé appel incident.
La Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie et la SAS Ouest Acro ont conclu.
Une ordonnance du 13 novembre 2023 a clôturé l’instruction de l’affaire.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie (ci-après le Crédit mutuel) demande à la cour de :
– infirmer le jugement entrepris du tribunal de commerce de Laval du 1er juin 2022 en ce qu’il a :
– condamné la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou Basse Normandie à payer à la SAS Ouest Acro la somme de 624 273,30 euros à titre de dommages et intérêts,
– condamné la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou Basse Normandie à payer à la SAS Ouest Acro la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires,
– condamné la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou Basse Normandie aux entiers dépens ;
statuant à nouveau,
– débouter la SAS Ouest Acro de l’intégralité de ses demandes, fins, moyens et conclusions,
– condamner la SAS Ouest Acro à lui payer et porter la somme de 7.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en première instance, et la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– condamner la SAS Ouest Acro aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SELARL BFC Avocats, Maître Nicolas Fouassier, avocat aux offres et affirmations de droit.
La SAS Ouest Acro demande à la cour de :
vu l’article 1937 du code civil,
vu l’article 1147 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016,
vu les articles L. 133-17, L. 133-23 et L. 561-6 du code monétaire et financier,
– déclarer recevable et fondé l’appel incident qu’elle a interjeté à l’encontre du jugement du tribunal de commerce de Laval en date du 1er juin 2022,
y faisant droit,
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Laval en ce qu’il a :
* dit que la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie avait manqué à ses obligations en vertu de l’article L. 561-6 du code monétaire et financier,
– infirmer et au besoin réformer le jugement du tribunal de commerce de Laval en ce qu’il a :
* limité la condamnation de la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie au paiement de la somme de 624 273,30 euros à titre de dommages et intérêts,
* débouté la SAS Ouest Acro de ses autres demandes indemnitaires,
et statuant à nouveau,
– condamner la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à lui payer la somme de 1 248 546,61 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des pertes subies,
– condamner la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à lui payer la somme de 53 948 euros à titre de dommages et intérêts du fait du coût de l’emprunt bancaire souscrit auprès de la société BPI Financement,
– condamner la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier complémentaire,
– condamner la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
– condamner la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie au paiement des entiers dépens de l’instance,
– débouter la Caisse fédérale de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :
– le 31 août 2023 pour la Caisse de Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie,
– le 27 mars 2023 pour la SAS Ouest Acro.
Motivation
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
la cour, statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il limite la condamnation de la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à payer à la SAS Ouest Acro la somme de 624 273,30 euros à titre de dommages et intérêts ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à payer à la SAS Ouest Acro la somme de 670’809,30 euros à titre de dommages et intérêts.
Y ajoutant,
Condamne la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie aux dépens d’appel.
Condamne la Caisse fédérale du Crédit Mutuel de Maine Anjou et Basse Normandie à payer à la SAS Ouest Acro la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
S. TAILLEBOIS C. CORBEL